Histoire de l’Asie centrale/Khiva

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Traduction par Charles Schefer.
Ernest Leroux (p. 175-206).
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KHIVA




GÉNÉALOGIE DES GOUVERNEURS DE OURGUENDJ ET DE KHIVA.

Ces deux villes[1] sont les seules de l’ancien royaume de Kharezm qui soient restées peuplées. Le Kharezm est aussi désigné sous le nom de Bich Qalèli (les cinq villes fortifiées).

La ville de Kharezm, aujourd’hui ruinée, est située à quatre étapes de Ourguendj ; il ne reste plus que trois cents villages des quinze cenis qui en dépendaient[2].

En l’année 1169 (1755), Mehemmed Emin Bi devint Inâq. Il gouverna pendant dix-sept ans. Sous son administration, la principauté de Ourguendj fut prospère et florissante, elle abonda en tous biens. Il n’y avait point de l’ancienneté de sa monnaie particulière ; on récitait la khoutbèh au nom des khans Qazaq. Les monnaies qui avaient cours étaient celles de Boukhara et de Perse.

Lorsque le royaume de Kharezm fut détruit, la ville de Kharezm avait trente portes ; le fleuve Amou coulait aux pieds de ses murs et du palais de Mohammed Châh. Djenghiz Khan saccagea la ville, et Houlagou la ruina peu à peu. Le cours du fleuve fut détourné et il alla se jeter dans la mer d’Aral. Toute la contrée fut frappée de stérilité[3]. On y voit encore d’anciens monuments tels que le tombeau, surmonté d’une coupole, de Nedjm Eddin Coubra[4], celui de Ibn Hadjib, le minaret et la coupole du tombeau de la reine, fille de Mohammed Chah[5], et des bains. On distingue l'alignement des bazars.

De Kharezm à Khiva, il y a quatre étapes ; sur cet espace se trouvaient autrefois deux mille villages qui, depuis, ont été détruits. Aujourd’hui, la cinquième partie du pays seulement est restée cultivée ; on l’appelle Ourguendj, du nom de cette ville, située sur le bord du Djihoun ; elle est la ville commerçante et la résidence des négociants. Khiva, entourée de fortifications flanquées de tours et défendue par un château-fort, a été choisie pour capitale.

J’ai expliqué précédemment certains faits dans ce que j’ai raconté au sujet d’Iltouzer Khan.

Fazil Bek, fils de Mehemmed Emin Bi, est doué d’une grande intelligence ; il est intruit et il possède une grande perspicacité[6]. Son père et, après lui, son frère Yvaz Inâq Bi, n’entreprenaient rien sans le consulter, Dans sa vieillesse, ses yeux furent envahis par une humeur noire qui lui fit perdre la vue. Il vit encore aujourd’hui. Iltouzer Khan méprisait ses avis, mais Mehemmed Rehim Khan lui témoigne beaucoup d’égards. Il a élevé un superbe médressèh à Khiva et il a construit beaucoup de monuments à titre de fondations pieuses[7] (1233-1818).

MEHEMMED EMIN BI

QOUNGHOURAT, INÂQ


Légende de son cachet : « Grâces à Dieu, le prophète Mohammed a un esclave en qui il peut avoir confiance. »

Les Qounghourat forment une tribu uzbek, dont la plus grande partie vit sous la tente. Un grand nombre d’entre eux résident dans les cantons dépendant de Boukhara et sont soumis aux souverains de ce pays.

Mehemmed Emin était un homme courageux et plein d’audace : par sa prudence, son ambition et sa persévérance, il a fini par se rendre maître du pouvoir à Khiva. Sous le règne de Danial Bi, il s’était enfui de Khiva pour se réfugier à Boukhara. Danial Bi lui accorda des secours à l’aide desquels il s’empara du Kharezm. Tant que Danial Bi vécut, Mehemmed Emin Bi eut pour lui les plus grands égards, et la paix et la bonne harmonie régnèrent entre eux.

La règle anciennement établie à Ourguendj exigeait que l’on choisît pour souverain, comme on le faisait pour les khans de Crimée, un des descendants de Djenghiz Khan. On faisait venir un Qazaq que l’on établissait khan à Khiva ; il était enfermé dans le château avec sa femme et ses enfants. On leur servait leurs repas à toute heure du jour et de la nuit ; on les traitait avec égards ; leurs habits étaient faits d’étoffe brochée d’or. Tous les jours, l’inâq et les grands personnages se rendaient à la salle d’audience et étaient admis en présence du khan. Si quelque affaire venait à surgir, l’inâq en instruisait le khan, et jamais celui-ci ne s’écartait des avis de l’inâq. Il suffisait que le khan fut informé, pour ordonner ce que l’inâq lui avait suggéré. Tous les vendredis, au moment de la prière, l’inâq et tous les notables se rendaient à l’audience du khan et chacun s’asseyait devant lui selon son rang ; l’inâq prenait place à côté du khan. Lorsque le moment de la prière arrivait, l’inâq prenait le khan sous le bras pour l’aider à se lever et on se rendait à la mosquée où devait se faire la prière. Au retour, l’inâq soutenait aussi sous le bras le khan revenant au palais qui lui servait de prison ; tous ceux qui l’avaient accompagné se retiraient chez eux. Au bout de quelques années, on exilait le khan ; on le renvoyait chez les Qazaq et on en faisait venir un autre. En résumé, c’était jouer au khan. Je donnerai d’autres détails lorsque je parlerai d’Iltouzer Khan.

Les fils de Mehemmed Emin Bi furent :

Niaz Mehemmed Bek ; il se révolta contre Mehemmed Rehim Khan, fut fait prisonnier et mis à mort.

Mehemmed Riza Bek ; il fut aussi mis à mort par Mehemmed Rehim Khan.

Mehemmed Niaz Bek ; il est mort.

Djan Murad Bek, Hassan Murad Bek ; ils furent tous les deux tués par les soldats de Boukhara dans la bataille livrée par Iltouzer Khan en 1221 (1806).

Qoutly Murad Bek ; il fut fait prisonnier dans cette affaire et conduit à Boukhara. Il éprouva les effets de la clémence de l’Émir Hayder qui le fit revêtir d’un vêtement d’honneur, le combla de présents et le nomma inâq de Khiva. Qoutly Murad avait pris, par traité et par serment, des engagements vis-à-vis de l’Émir. Lorsqu’il arriva à Khiva, le peuple avait déjà conféré la dignité de khan à son frère puîné Mehemmed Rehim. Qoutly lui fit sa soumission, mais le khan ne prenait aucune décision sans son avis. C’est un homme très-instruit.

Le mot inâq signifie premier ministre, et gouverneur de la place de Hezaresp.

Iltouzer Khan a épousé en légitime mariage la nièce du Seyid Akhound Khodja qui pratique scrupuleusement tous les devoirs de l’islamisme.

Mehemmed Rehim ; il est devenu khan après Iltouzer. Sa monnaie porte pour légende : « Frappée à Khiva, résidence de la souveraineté. Sultan Mehemmed Rehim Behadir Khan. » Iltouzer est le premier khan de la tribu des Qounghourat. Il fit frapper de la monnaie, mais il n’eut pas le temps de la mettre en circulation, elle portait pour légende :

Distique : « Iltouzer, l’héritier des rois du Kharezm, a, par la grâce de Dieu, imprimé son nom sur l’or et sur l’argent. »

Yvaz Bi succéda à son père dans la charge d’inâq. C’était un personnage d’une grande sagesse et d’une grande simplicité de caractère. Tous les grands s’étaient partagés entre eux la province de Ourguendj ; il n’eut point la force de s’opposer à ce partage. C’était pendant le règne des khans Qazaq. Toutes les fois que le khan était changé, la tribu des Yomout se mettait en état de rébellion, se livrait au pillage et interceptait les routes. Yvaz Bek avait de bonnes relations avec Boukhara. Emir Châh Murad lui témoignaitde la considération. La tribu des Yomout, celle des Manghichlaqy et les Qazaqs ne reconnaissaient pas son autorité[8]. Les Uzbek Qounghourat de l’île d’Aral étaient en révolte ouverte contre lui. Leur chef nommé Tourèh Soufy était parent d’Yvaz Inâq. Les Uzbek ne reconnaissent plus depuis soixante ans l’autorité de Khiva. Yvaz Inâq mourut en 1219 (1804). Voici la légende de son cachet : « Yvaz, fils de Mehemmed Emin Bi Inâq, verra sa réputation s’étendre dans les pays étrangers jusqu’à l’Irâq. »

Quand Yvaz Inâq fut mort, le peuple se réunit et désigna Qoutly Murad Bek comme ayant le droit d’occuper cette charge. Tous ses frères lui témoignèrent aussi le même désir. Mais Qoutly Murad leur dit : « Je ne veux pas accepter la responsabilité du gouvernement ; que mon frère Iltouzer soit inâq ; quant à moi, retiré dans la vie privée, je ferai des vœux pour la durée de la vie de mes frères. » Iltouzer Khan présentait toutes les garanties de jugement et de bravoure ; le peuple adopta donc cet avis. Du consentement unanime, Iltouzer fut proclamé inâq. Tous ses soins tendirent à bien administrer le pays et à le débarrasser des rebelles et des brigands qui battaient les grands chemins. Selon l’ancien usage, le khan Qazaq demeurait dans le château de Khiva ; on allait tous les jours le saluer et lui rendre hommage. Six mois se passèrent ainsi. Une nuit, Iltouzer Khan fit appeler Qoutly Murad et tint conseil avec lui. « Timour Leng, lui dit-il, Nadir Chah, Mehemmed Rehim Khan Manguit, souverain de Boukhara, étaient-ils des fils de rois ou des hommes comme nous, qui se sont élevés par leur courage, par leurs qualités et sont, en dernier lieu, devenus souverain, roi et khan ? Grâces à Dieu, j’ai du jugement, du courage et des soldats. Quoi qu’il advienne, je mettrai ma confiance en Dieu. Jusques à quand supporterai-je comme un enfant cette plaisanterie du khan ? S’il plaît à Dieu, je me sens assez de valeur pour mener à bonne fin tout ce que je prétends entreprendre. J’ai demandé votre avis, parce que je veux moi-même devenir khan. Je donnerai au khan Qazaq une somme d’argent et je le renverrai dans son pays, puis je me débarrasserai de la tribu des Yomout. » Qoutly Murad Bek approuva cette résolution et récita le fatihâh. Le lendemain Iltouzer Khan fit sortir du château et partir le khan Qazaq pour le Dechti Qiptchaq qui s’étend au nord de la province d’Ourguendj jusqu’à la frontière de l’empire de Russie. Cette steppe est la résidence de la tribu des Qazaq ; il lui dit en le renvoyant qu’il allait faire venir un autre khan ; mais il s’occupa aussitôt à lever et à équiper des troupes et, en peu de temps, il rassembla dix mille cavaliers d’élite Uzbek, revêtus d’armures de fer et d’acier ; puis, il réunit les ulémas, les religieux et les notables, les ataliqs, les inâqs et autres. « Je suis devenu khan, leur dit-il, désormais nous n’aurons plus besoin d’un khan Qazaq ; » toute l’assemblée appela sur lui les bénédictions divines et lui prêta serment de fidélité, à l’exception de Bek Poulad, Ataliq de la tribu des Ouïgour, branche de celle des Uzbek, et qui compte cinq mille familles.

« Ce projet, dit-il, n’est point digne de vous. Imitez la conduite de votre père et celle de vos aïeux. Plaise à Dieu que vous ne puissiez mener à bonne fin une affaire aussi grave ! » Mais, en présence de l’acquiescement général, Bek Poulad se soumit et dit : « C’est le désir du bien qui a dicté mes paroles, car je n’ai dans cette conjoncture, ni prétentions ni ambition personnelles. Que Dieu bénisse ce qui vient d’être fait. Pour moi je suis du nombre de vos serviteurs et de ceux qui vous sont dévoués. » Mais la rancune contre Bek Poulad se fixa dans le cœur de Iltouzer ; il ne dit rien, cependant, dans cette séance. Le nouveau khan fit ensuite distribuer dea vêtements d’honneur aux grands, aux ulémas, aux religieux et aux aqsaqals ou anciens du pays. Iltouzer ne se hâta pas de faire battre monnaie.

Étant un jour à Khiva, je me rendis à la prière du vendredi : le khatib monté sur le minber récita la khoutbèh en ces termes, en présence de Iltouzer Khan : « Ô Dieu ! prolonge éternellement le règne de Khaqân, du khan illustre Iltouzer Mehemmed Behadir Khan. Puisse Dieu accorder une durée sans fin à son règne et combler son existence de toutes les bénédictions. »

Toutes les tribus des Turkomans, des Qaraqalpaq et des Uzbek arrivèrent en foule pour féliciter Iltouzer sur son avènement au trône. Seule la tribu des Yoniout, dont la conduite rappelle celle des Janissaires, continua à donner des marques d’insubordination et de révolte. Cette tribu est fixée dans le Kharezm depuis soixante ans ; elle s’est toujours livrée au brigandage ; aujourd’hui, elle est dans une situation difficile.

Iltouzer Khan s’occupa de réunir des approvisionnements de guerre. Tous les matins et tous les soirs, une musique composée de grosses caisses, de tambours, de timbales, de clairons et d’autres instruments jouait à la porte de son palais. Il fit faire un tough pour lequel on dépensa mille misqals d’or. Lorsqu’il sortait à cheval, vingt coureurs le précédaient ; ses officiers particuliers marchaient derrière lui et des sergents d’armes, huissiers armés, l’entouraient. Il portait sur sa tête, inclinée du côté droit, une couronne d’or incrustée de pierres précieuses. Il fit payer la solde aux troupes et il se prépara à entreprendre une expédition contre la tribu des Yomout, résidant au sud de la province et de la ville de Khiva et sur la lisière du désert qu’il faut traverser pour se rendre à Esterabâd en Perse et au Gourgan. Quelques-uns de ces Yomout habitaient des villages, mais la plus grande partie était nomade. On peut évaluer leur nombre à douze mille familles. Chaque famille fournit deux cavaliers ; ils ont des chevaux de race et ils manient bien le sabre et la lance. Les Yomout se divisèrent en deux partis ; les uns inclinaient vers la soumission. « Nous ne pouvons, disaient-ils, abandonner la patrie de nos pères et de nos aïeux. Comment pourrons-nous vivre sur une terre étrangère ? » Les autres refusaient de se soumettre, car Iltouzer Khan leur avait fait dire : « Si vous abandonnez le genre de vie coupable que vous menez, si vous renoncez à la violence et au brigandage, si vous vivez comme les autres sujets et si vous acquittez l’impôt sur vos chameaux, sur vos brebis et sur vos récoltes, c’est bien. Sinon, sortez de mes États. » Cette proposition parut difficile à admettre à ceux qui, depuis plusieurs générations, ne faisaient que piller et dévaster les biens des musulmans sans jamais donner un dinar à personne. Semblables à des serpents, ils se replièrent sur eux-mêmes, mais ils ne purent résister aux ordres du khan. Ceux qui se soumirent émigrèrent d’un côté, ceux qui ne voulurent pas obéir se preparèrent à s’enfoncer dans le désert qui mène à Esterahâd en Perse. Iltouzer Khan se lança à leur poursuite et les atteignit à la tête de quatre cents cavaliers. Les Yomout firent filer en avant leurs familles et leurs bagages et se mirent en devoir d’offrir le combat. Iltouzer Khan était suivi par le gros de ses troupes. Sans les attendre, il fondit sur eux à la tête de ses quatre cents cavaliers ; les Yomout ne pouvant supporter le choc, furent dispersés comme les étoiles de la constellation de la petite et de la grande Ourse et ils s’enfuirent pour rejoindre la colonne formée par leurs familles et leurs bagages. Iltouzer Khan, semblable à un lion furieux, les rejoignit ; cinq cents d’entre eux furent passés au fil de l’épée, cinq cents autres furent blessés et faits prisonniers. Le reste des troupes d’Iltouzer arriva ensuite et ces brigands yomout s’éparpillèrent dans l’immensité du désert. Iltouzer revint à Khiva, victorieux, triomphant et chargé de butin[9].

Au bout de quelque temps il dirigea une expédition contre Tourèh Soufy pour s’emparer de l’île d’Aral. La situation de cette île au milieu de la mer fit que cette tentative fut malheureuse et le khan revint à Khiva. Il voulut alors déclarer la guerre à Boukhara et il tint à cet effet conseil avec tous les notables du khanat. Tous l’approuvèrent en lui disant : « L’opinion du khan est ce qu’il y a de plus parfait ; il est le maître absolu. » Mais Bek Poulad, Ataliq de la tribu de Ouïgour n’approuva point ce dessein. « Le khan de Boukhara, dit-il, est puissant et il a une nombreuse armée. Notre pays n’est pas assez fort pour se mesurer avec Boukhara et pour lui résister. » Ces paroles donnèrent une nouvelle force à la rancune d’Iltouzer contre Bek Poulad. Cependant il n’en fît rien paraître et il attendit une occasion favorable. Un jour, il dit en secret à ses confidents : « Demain, je ferai mettre Bek Poulad à mort, sachez-le. » Il introduisit plus de cinq cents hommes armés dans le palais. Le lendemain, au moment du divan et de l’audience publique, les émirs arrivèrent à cheval, l’un après l’autre ; ils furent reçus par le khan et ils quittèrent ensuite le palais. Lorsque Bek Poulad Ataliq sortit de la salle d’audience et voulut monter à cheval, des hommes apostés se précipitèrent de tous côtés sur lui et le tuèrent à coups de couteau. La nouvelle du meurtre de Bek Poulad Ataliq parvint à sa famille et à sa tribu. Elles levèrent l’étendard de la révolte, et se mirent sur pied. Il y eut deux rencontres entre Iltouzer et les Ouïgours et beaucoup de monde fut tué de part et d’autre. Les fils de l’ataliq furent réduits à prendre la fuite. Ils se réfugièrent à Boukhara auprès de l’Émir Hayder. Iltouzer réussit à s’emparer par ruse de quelques notables de la tribu des Ouïgour et les fit mettre à mort ; les autres réduits à l’impuissance durent se soumettre, accepter une paix semblable à celle qui est imposée par le loup.

Iltouzer Khan, après réflexion, se dit : « Je suis de la tribu des Uzbek ; mes ancêtres n’ont point exercé la souveraineté : je veux trouver un moyen pour que mes enfants soient de noble race, qu’ils me succèdent au trône et que le pouvoir se consolide dans leurs mains. »

Akhtèh Khodja[10], seyid d’une illustre naissance et l’un des cheikhs les plus révérés de l’époque, était fixé à Ourguendj ; il avait une fille qu’Iltouzer manifesta le désir d’épouser. Lorsque cette nouvelle parvint aux oreilles du khodja, il en fut troublé, et fiança aussitôt sa fille à son neveu. Il fit faire en toute hâte les préparatifs du festin de noces et de la cérémonie nuptiale. Iltouzer Khan en fut immédiatement informé. Il envoya quelques hommes auxquels il donna l’ordre d’amener de gré ou de force cette jeune fille pour qu’il pût l’épouser. Ces envoyés, sans demander le consentement et les ordres du seyid, conclurent (par procuration) le mariage d’Iltouzer et revinrent à Khiva où les noces furent célébrées. Le chagrin empêcha le seyid de goûter aucun repos pendant une semaine ; nuit et jour il n’était occupé qu’à faire des vœux pour la chute d’Iltouzer. En effet, Iltouzer ne jouit plus ni de tranquillité dans sa vie ni de bonheur dans son gouvernement.

Il résolut, quelque temps après son mariage, de marcher contre Boukhara. Boukhara est, en effet, le pays le plus voisin de Khiva, car la Russie en est éloignée de quarante journées de marche ; la Perse est à vingt jours de marche et pour y arriver il faut franchir le désert. Ce pays est situé au sud et au sud-ouest. Il faut vingt jours pour arriver à la mer Caspienne ; il ne faut que huit jours de marche pour arrivera Boukhara qui se trouve à l’orient. Quand l’expédition contre Boukhara fut décidée, il dépêcha un envoyé à Esterabâd avec des propositions de paix, un traité et des engagements appuyés sur les serments les plus solennels pour s’aboucher avec la tribu des Yomout. Il leur fit dire de revenir avec leurs bagages et leurs familles, dans la patrie de leurs ancêtres. On leur promettait de les traiter avec la plus grande douceur et la plus grande amitié. Rien ne devait être fait sans qu’ils fussent consultés et sans leur avis, et ils devaient, s’il plaisait à Dieu, participer à tous les succès d’Iltouzer. Quand ces brigands pervers entendirent parler de pillage, ils s’épanouirent comme des boutons de rose, et, remplis de joie et d’allégresse, ils se préparèrent à retourner dans leur ancienne patrie.

On raconte qu’un prédicateur prononçait un sermon dans lequel il faisait la description du paradis. Un Turc se trouvait dans l’auditoire. « Pourra-t-on-y faire des expéditions pour piller et pour voler, demanda-t-il ? » — « Non, lui fut-il répondu. » — « Alors, répliqua-t-il, l’enfer est préférable à ce paradis. » Les Yomout partagent cette opinion.

Bref, cette tribu revint avec toutes ses familles dans la province d’Ourguendj, où on leur rendit leurs terres à cultiver. L’arrivée de la tribu des Yomout augmenta les forces d’Iltouzer ; il fut enivré par les fumées de l’orgueil et de la présomption et il prit pour règle de conduite la violence et la tyrannie. Il s’emparait des biens des marchands et des cultivateurs. Les plaintes des opprimés montèrent au ciel. Enfin il arriva que, dans l’année 1220 (1805), il fit une expédition contre Boukhara : les troupes de l’Émir Hayder le poursuivirent sans l’atteindre, car le désert sépare Boukhara de Ourguendj ; il fit sur les bords du fleuve Amou deux ou trois excursions pour les ravager et il arriva ce qui est arrivé :

Distique. « Le petit qui veut combattre plus grand que lui, tombera de telle façon qu’il ne pourra jamais se relever. »

J’ai raconté avec détails l’expédition de Iltouzer, j’ai dit comment il avait été englouti dans les flots et comment il avait perdu la vie[11]. Je l’ai dit quand j’ai rendu compte de la vie de Seyid Émir Hayder : il est inutile de répéter les mêmes faits.

Un des principaux officiers de Iltouzer Khan était Vély Tintek, gouverneur de Châbad, place forte célèbre de la province d’Ourguendj. C’était un homme puissant et le chef d’une tribu. Il se considérait comme un autre Rustem, fils de Destan ; il ne cessait, à cette époque, de dire et de faire savoir à Boukhara que dans peu de temps son tough serait planté sur la place du Righistan. Cet homme était bouffi d’orgueil. Au bout de deux ou trois mois, la guerre avait éclaté. Ce héros s’enfuit du champ de bataille pour se jeter dans le Djihoun. Arrivé sur les bords du fleuve, il tomba dans un bourbier. Il fut rejoint par les braves soldats de Boukhara et tué d’un coup de pistolet. Sa tête fut coupée, envoyée à Boukhara et suspendue à la potence sur la place du Righistan, à l’endroit même ou il voulait planter son tough. Elle y resta exposée pendant une semaine. Puis, on la mit en terre. Un collecteur des taxes nommé Qilidj, homme violent, arrogant et audacieux, fut aussi noyé en même temps qu’Iltouzer et ses gens. Ils trouvèrent tous la récompense de leur conduite.

Vers. « Ô Iltouzer Khan, qu’est devenu Vély Tintek ? Son orgueil l’a précipité dans le gouffre d’un fleuve profond comme la mer. Quel juste miracle s’est manifesté à l’égard de Qilidj, ce tyran, cet oppresseur néfaste ! Dieu est le plus grand ! Il n’a point connu le bonheur. La vie lui a été ravie dans sa fleur. Il a été saisi par une mort inopinée ! Puisse, ô mon Dieu ! la durée des oppresseurs trouver ainsi son terme ; puisse le trépas être la récompense des tyrans !

« Les officiers de l’armée du Kharezm, semblables à des poissons, ont plongé dans un fleuve où ils ont tous été engloutis. Tout homme violent qui a molesté le peuple n’a pas vu son existence se prolonger et il est mort aux jours de sa jeunesse. Grâces à Dieu, ceux qui pratiquent l’injustice dans ce monde disparaissent et sont anéantis rapidement. Quiconque témoignera du mépris à Boukhara verra à la fin sa tête suspendue au gibet. Je vais raconter l’histoire de ces gens pervers, prêtez-moi une oreille attentive.

« Ceux qui se déclareront les ennemis de Boukhara recevront sans aucun doute la même récompense. Qu’est devenu Beïram Aly, cet homme enivré d’orgueil ? Le flambeau de sa race a été complètement éteint[12]. Le khan eunuque était notre ennemi éternel. Sa tête a été séparée de son corps pendant son sommeil[13]. Nour Thay, qui s’était fait connaître par ses brigandages, n’a joui du monde ni pendant ni après.

« Allah Verdy, ce guerrier plein de superbe est tombé dans nos mains sans résistance et sans combat. Rahmet oullah s’était toujours distingué par sa haine contre nous : Une flèche est tout à coup venue le frapper au cœur[14]. Il n’a point non plus été heureux, ce roi de Kâboul qui a tourné ses armes contre l’émir de Boukhara[15].

« Khouda Yar était dans ce siècle un héros ; il a quitté ce monde en proie au désespoir[16]. Ner Boutèh n’avait point le jugement d’un sage. Cet infortuné a dû, à la fin, abandonner Khoqand. Omer Bi était éloquent : il a emporté cette qualité sous la terre obscure ; et les têtes de ses compagnons, qui l’avaient suivi dans sa révolte, ont été réunies en conseil au pied du gibet[17]. Aman Bay, dont le nom était dans toutes les bouches, a été déchiré et dévoré par les chiens de la rue. Ala oud Din, l’un de ces gens pervers, a témoigné son inimitié contre Boukhara : il s’est livré à l’intrigue, à la sédition ; il n’a eu ni bonheur, ni postérité, ni honneur.

« Il vaudrait mieux que les femmes enceintes accouchassent de serpents, plutôt que de donner le jour à des oppresseurs du peuple[18]. »

En résumé, ce jour-là, Iltouzer perdit deux mille soldats qui disparurent dans les flots. Son frère, Mehemmed Rehim Khan, rencontra sur le champ de bataille Mahmoud Khodja, fils de Abdoul Hay Khodja de Boukhara[19] ; il lui asséna un coup de sabre qui lui enleva une oreille, le nez et la moitié du visage ; puis, il se dirigea rapidement vers la rive du fleuve, et il s’y précipita avec son cheval. Sa vie n’étant point arrivée à son terme, il sortit de ce tourbillon et atteignit le rivage du salut. Il parvint à gagner Khiva, et, le même jour, il s’assit sur le trône du khanat. Iltouzer avait régné environ deux ans. C’est en l’année 1221 (1806) qu’il fut noyé dans le Djihoun.

Mehemmed Rehim Khan lui succéda. Son frère Iltouzer Khan avait péri ; les soldats de l’armée avaient été, les uns faits prisonniers, les autres noyés ou tués sur le champ de bataille ; le trésor avait été livré au pillage. Deux de ses frères, Hassan Murad Bek et Djan Murad Bek, avaient succombé les armes à la main ; Qoutly Murad Bek, leur aîné, avait été fait prisonnier. Tous ces frères étaient issus de la même mère. Échappé à ces dangers, Mehemmed Rehim se réfugia à Khiva et fut nommé khan. Son frère Qoutly Murad Bek revint de Boukhara, et tous deux s’occupèrent, de concert, à remettre en ordre les affaires de la province. Ils firent tout d’abord les préparatifs d’une expédition contre l’île d’Aral. Ily eut de grandes pertes de part et d’autre, mais cette entreprise ne fut pas couronnée de succès. Les bords de la mer d’Aral furent complètement ravagés.

Au bout de quelque temps, Mehemmed Riza Bek, oncle de Rehim, se révolta à la tête d’une troupe d’Ouïgour. Ils se livrèrent au pillage, mais Riza Bek fut fait prisonnier et mis à mort par l’ordre de Mehemmed Rehim Khan. Quand les Ouïgour furent rentrés dans le calme, Mehemmed Rehim Khan fit venir auprès de lui soixante personnages notables de cette tribu sous prétexte de leur faire des présents et de conférer avec eux. Ils se rendirent à Khiva sans concevoir le moindre soupçon. Quand ils entrèrent dans le château, ils furent arrêtés et massacrés.

Pendant l’hiver, l’armée fit une expédition dans le Dechtiv Qiptchaq contre les tribus Qazaq de Tchekly, de Teurt Qara et de Tcheumeky. Ces tribus résident sur les terres qui bordent la province d’Ourguendj et l’empire de Russie. Au printemps elles se rapprochent des frontières de ce dernier pays, et elles y établissent des marchés pour vendre et pour acheter. Elles amènent des moutons, des chameaux, des bœufs ; elles apportent de la laine, du beurre, des peaux de moutons, de renards et d’autres marchandises. Chaque année, ces tribus vendent à la Russie pour quatre millions de moutons, de bœufs et d’autres marchandises.

Le Dechti Qiptchaq s’étend sur une longueur de cinq mois de marche depuis la mer Caspienne, jusqu’à Kachgar et Ilèh qui font partie de l’empire chinois ; il est borné dans sa largeur, d’un côté par Ourguendj, Boukhara, Samarqand, Khodjend, Tachkend, Endedjan, Nemengan, et de l’autre par les frontières de l’empire russe, à partir d’Astrakan, en passant par Tibiq, Orenbourg, Yemanqalèh, Touriskèh (Troisk), Qizildjar (Petropavlosk), Chemy (Ichim), Simipoulad (Semipalatinsk), Kaklit (Kiakhta), jusqu’aux frontières d’Aqsou qui fait partie de la Chine. C’est dans ce désert que résident les tribus Qazaq ; sa largeur est de soixante étapes. Au printemps, ces tribus se rapprochent des frontières de la Russie, et, en hiver, elles viennent établir leurs quartiers sur les confins de Boukhara, de Khiva et de Turkestan. Les tribus qui se fixent dans les environs d’Ourguendj sont celles de Tchekly, Teurt Qara, Oï, Qirq Miltigh, Bouzedjy Tchoudour, Qaraqalpaq, etc. Les tribus des alentours de Tachkend, Boukhara et Samarqand, sont celles de Tcheumeky, Qouïouth, Djebas, Qiptchaq, Djaghalbay, et Qaraqalpaq, etc. Les tribus des environs de Tachkend, de Khoqand, jusqu’aux environs d’Endedjan et de Nemengan et jusqu’à Kachgar sont les tribus de Qounghourat, Houchan, Orta Yuz, Qirghiz, Tèmèh et autres dont l’émunération serait trop longue[20]. Elles habitent toutes sous la tente. La plupart d’entre elles ne mangent pas de pain, ne pouvant avoir de blé ; elles se nourrissent de viande de cheval, de lait de jument qu’elles nomment qimiz, de lait de brebis caillé et de lait de chamelle. Il y a dans ces tribus des gens qui possèdent cinq mille chevaux, cinq mille moutons, cinq cents chameaux et mille bœufs ; mais, la plupart de ces nomades sont misérables et dénués de ressources. Les riches prennent soin des pauvres. Leurs vêtements sont faits de peau de cheval et de peau de mouton. Chaque tribu a un chef ou Tourèh auquel on donne le nom de sultan. Ainsi Chir Ghazy Sultan commande aux tribus de Tchekly et de Teurt Qara ; Boulky Sultan, aux Tcheumeky, aux Djebas et autres ; Khouday Bendèh Sultan, aux tribus d’Orta Yuz, Qounghourat, Tèmèh et Houchan ; Qoubouz Sultan est le chef des tribus des Qirghiz et de celles qui sont fixées dans les environs d’Ilèh et d’Aqsou en Chine. Tous ces princes qui prennent le nom de sultan sont des descendants de Djenghiz Khan et de Djoudjy Khan. Les Qazaq sont turbulents et peu disposés à l’obéissance. Quand parmi eux un meurtre a été commis, il est de règle que le meurtrier donne mille moutons pour payer le rachat du sang. Le prix du sang du khan n’est point fixé, car s’il venait à être tué, on ne pourrait, disent-ils, établir un compte exact pour le prix de son sang. Ces tribus font continuellement des expéditions l’une contre l’autre pour se piller.

Il y a quatre routes pour se rendre de Boukhara en Russie : la première passe par Turkestan, ville fortifiée où se trouve le tombeau de Khodja Ahmed Yèssevy : elle est située sur le bord du Sihoun vers le Dechti Qiptchaq ; en partant de cette ville, on traverse le territoire occupé par les tribus de Qounghourat, Houchan, Orta Yuz et l’on parvient à Qizildjar sur la frontière de Russie. La seconde route part de Boukhara, traverse le Sihoun sur le territoire des Djebas et conduit à Touriskèh située sur la frontière de Russie. La troisième route part de Boukhara, longe le Sihoun et traverse le territoire des tribus des Tcheumeky, des Tchekly, et des Teurt Qara pour aboutir à Orenbourg. La quatrième route est celle de Boukhara à Ourguendj et à Manghichlaq. Elle traverse le pays des Oï Qazaq qui habitent les bords de la mer Caspienne et elle aboutit à Astrakan ou bien, parti d’Ourguendj, on passe par le pays des Qazaq Teurt Qara pour arriver à Orenbourg. Tous les conducteurs de bêtes de somme appartiennent à ces tribus Qazaq.

La distance qui sépare Orenbourg de Boukhara est de cinquante journées de caravane. La distance d’Ourguendj à Orenbourg est à peu près la même. Pendant l’hiver, le froid est rigoureux dans cette contrée, il tombe beaucoup de neige et les orages sont fréquents. On y trouve peu de bois. Pendant l’été, on ne distingue pas de route tracée sur le sable et l’eau est très-rare. Cependant toutes ces tribus Qazaq savent creuser des puits. Ces difficultés naturelles ont empêché les Russes de convoiter ce pays. Ils en sont séparés par une longue étendue de terre où il est bien difficile de transporter des vivres et de l’eau. Le Dieu maître du monde a créé une muraille d’Alexandre entre les musulmans et les Russes qui sont semblables à Magog. Si elle n’existait pas, ceux-là ne pourraient pas résister de ce côté aux armées des infidèles ni les repousser.

Je reviens à mon récit et à la narration de l’expédition que Mehemmed Rehim Khan fit contre les tribus Qazaq. Mehemmed Rehim donna l’ordre aux Yomout et aux guerriers Uzbeks de courir sur les tribus qui se livraient au brigandage et qui, depuis de nombreuses années, pillaient les caravanes des musulmans sans avoir été châtiées. Les Turkomans et les Uzbeks fondirent à l’improviste sur les tribus des Tcheumeky et Tchekly et livrèrent au pillage leurs biens et leurs richesses. Ils rentrèrent à Ourguendj ramenant prisonnières les jeunes filles de ces tribus.

L’année suivante, les tribus des Teurt Qara et des Oï furent également pillées. Ensuite, pendant l’hiver, l’armée se dirigea sur l’île d’Aral, domaine des Qounghourat qui, depuis soixante ans, vivaient indépendants et pillaient de temps en temps les caravanes d’Ourguendj. Il est impossible de faire arriver des troupes à Aral, lorsque l’eau n’est pas gelée. À l’époque où les troupes de Khiva se dirigèrent de ce côté, la mer était prise par la glace. Les habitants de l’île furent donc attaqués. On perdit beaucoup de monde des deux côtés, et la situation devint critique pour les Araliens. Il y avait alors dans cette île un Khivien qui, redoutant la colère d’Iltouzer Khan, s’était enfui et était venu se réfugier auprès de Tourèh Soufy Murad. Il était resté quelques années à son service et avait acquis sa confiance. Les combats qui se livrèrent entre les troupes de Khiva et celles d’Aral lui firent voir que la fortune de Soufy était sur son déclin. Il consulta son fils et lui dit : « Soufy Murad est maintenant seul dans un endroit écarté ; ses soldats sont engagés sur le champ de bataille ; saisissons l’occasion favorable, tuons Soufy Murad Tourèh et portons sa tête comme un présent à Mehemmed Rehim Khan. Sans aucun doute, il nous pardonnera nos crimes passés et il nous donnera des présents, un vêtement d’honneur et un emploi. Nous délivrerons le peuple de la tyrannie de Soufy Murad et nous aurons accompli un acte très-méritoire. » Le fils approuva hautement ces paroles. Ils s’assurèrent que Soufy Murad était seul et endormi ; il n’y avait d’autre personne à son service auprès de lui que le père et le fils. Ils tirèrent leurs sabres, tuèrent Murad Soufy, jetèrent sa tête dans un sac et se dirigèrent en toute hâte vers le camp de Mehemmed Rehim. Les soldats de Mehemmed Rehim souffraient beaucoup du froid et du manque de vivres. Tout à coup, ils virent arriver un individu qui avait commis un meurtre et qui se dirigeait vers le quartier du khan pour solliciter l’aman (demander grâce). Les soldats lui donnèrent l’aman ; il se rendit auprès du khan et jeta à ses pieds la tête de Soufy Murad.

Vers. « Il jeta la tête de Soufy aux pieds du khan ; lorsque celui-ci la vit, il la reconnut. »

Le khan fit immédiatement revêtir ces deux personnes d’un vêtement complet ; il leur accorda une gratification et leur donna un emploi. On cria aux soldats de Tourèh Soufy : « Pourquoi continuez-vous à combattre ? Tourèh Sôufy a été tué : cessez une lutte inutile. » Lorsque les troupes de Soufy furent assurées de la mort de leur chef, elles demandèrent quartier, et se dirigèrent, le linceul et le sabre au cou, vers le camp de Mehemmed Rehim Khan. Celui-ci accorda un pardon général ; on fit ensuite partir la famille et les richesses de Soufy et on revint à Khiva chargé de butin, triomphant et victorieux. Mehemmed Rehim établit comme gouverneur d’Aral un personnage possédant sa confiance. Les tribus Qazaq qui étaient en état de rébellion firent toutes leur soumission. Aujourd’hui ce district jouit d’une grande sécurité. Mehemmed Rehim épousa, en légitime mariage, la fille de Soufy Tourèh.

Une autre fois, il fit, à la tête de vingt-cinq mille cavaliers, une incursion sur les frontières de Perse, dans le pays occupé par les Kurdes de Mechhed et à Kelât, patrie de Nadir Châh, et il en ramena beaucoup de prisonniers. Il y a seize étapes de Khiva aux frontières de Perse. Toutes les fois que le khan fait une incursion en Perse, il en rapporte un butin considérable et il en ramène un grand nombre de prisonniers ; il les vend soit à Boukhara, soit dans ses propres États. Les Persans redoutent beaucoup ces expéditions : chaque fois que leurs troupes sont engagées contre Boukhara, les Khiviens ravagent les provinces de la Perse.

Khiva est aujourd’hui en paix avec Boukhara. Le khan n’a jamais envoyé d’ambassadeur à la cour de Russie. Mehemmed Rehim Khan est doué d’un grand courage ; il manie très-bien le sabre, il est plein de générosité ; toutes ses actions sont conformes à la loi religieuse ; il estime les ulémas et il n’est point porté à la tyrannie.

Il avait pour ministre Yar Mehemmed ; c’était un homme généreux, dévoué et qui, depuis son enfance, était à son service. Sa maison était contiguë au palais du khan. Un membre de la famille de ce ministre vint de Boukhara pour lui faire visite et s’établit chez lui en qualité d’hôte. C’était un jeune homme d’une figure agréable. Le khan était, à cette époque, en expédition. À son retour, on lui fit savoir par l’intermédiaire de ses femmes, qu’une nuit, des esclaves avaient vu l’hôte de Yar Mehemmed dans l’appartement de la fille de Soufy Murad ; selon un autre récit, on lui fit dire que pendant son absence la fille de Tourèh Murad était allée dans la maison de Yar Mehemmed et que celui-ci lui avait fait de nombreux cadeaux. Telles sont les deux versions. Le khan demanda à la fille de Tourèh Murad : « Quand tu es allée dans la maison de Yar Mehemmed, quelle marque de considération t’a-t-il donnée ? » La fille du Tourèh, qui n’avait que quatorze ans, répondit : « Il m’a donné tels et tels présents. » — « Fais-les apporter pour que je les voie », répartit le khan. On les apporta immédiatement. Le khan sortit sans dire un mot. C’était la nuit du vingt-sept Ramazan[21]. Le khan ne fit aucune enquête, ne demanda aucun renseignement et ne fit aucune recherche. C’était au moment de la prière du coucher. Il donna l’ordre d’arrêter la famille de Yar Mehemmed Divan Begui ; il le fit saisir, lui, son hôte, sa femme, ses enfants, trente-six personnes petites ou grandes et même les enfants au berceau : les femmes furent mises à mort. La fille de Tourèh Murad fut exécutée avec deux esclaves. Yar Mehemmed fut appliqué à la torture, mais on ne tira de lui aucun argent ; il n’avait que des dettes. « Je n’ai point amassé de richesses, dit-il, je n’ai point commis d’acte de trahison, je suis innocent. La femme du khan est venue dans ma maison, et c’est pour lui faire honneur que je lui ai présenté des cadeaux ; je n’ai point eu occasion d’en instruire le khan. C’était ma destinée ; l’ordre appartient au Dieu unique, au Dieu terrible. » Le khan envoya ce malheureux rejoindre ses amis. Il ne resta personne de la famille de Yar Mehemmed : tous furent admis au nombre des martyrs.

En résumé, on ne voit jamais un Uzbek avoir des principes de justice et de religion. Ils sont comme les boyaux du mouton qu’on ne peut purifier en les lavant. Les Uzbeks ne sont jamais animés de sentiments purs et nobles. La conduite de Mehemmed Rehim fut désapprouvée par son peuple et par tous ceux qui se trouvaient près ou loin ; tout le monde lui en fit un reproche. Que Dieu très-haut ne fasse pas retomber sur un innocent la faute commise par un autre. Car Dieu a dit : « Toute âme chargée d’un fardeau ne portera pas celui d’une autre[22]. »

Maintenant, c’est-à-dire en l’année 1233 (1818), Mehemmed Rehim Khan gouverne la principauté d’Ourguendj et de Khiva. Son nom figure sur la monnaie et il est prononcé dans la khoutbèh. Il frappe de la monnaie d’or et d’argent ; le poids du tilla est d’un misqal, celui de la monnaie d’argent appelée tenga est d’un dirhem. Sur une des faces du tilla on lit : « Frappé à Khiva, résidence de la souveraineté, » et sur l’autre : « Mehemmed Rehim Khan Rehadir. » En tout état de cause, Rehim Khan est plus équitable et plus humain qu’Iltouzer Khan.

Le royaume d’Ourguendj est aussi désigné sous le nom de Rich Qalèh (les cinq places fortes). La première place forte se trouve sur la rive du Djihoun et sur la route de Boukhara ; elle porte le nom de Hezaresp ; elle est située sur une éminence et bien fortifiée ; elle est entourée d’eau et il est difficile de s’en emparer[23]. On lit dans les chroniques, que lorsque Kharezm Chah se révolta contre Sultan Sindjar qui régnait à Mervi Châhidjan, le sultan se dirigea de Merv sur Hezaresp avec une nombreuse armée pour le châtier[24]. Le poète Rechid Vathvath se trouvait dans la place. Il était resté de longues années au service de Sultan Sindjar avec lequel il s’était brouillé pour un motif de peu d’importance[25]. Il s’était réfugié auprès de Kharezm Châh qui lui avait témoingné beaucoup d’amitié et d’affection. Envery[26] attaché au service de Sultan Sindjar, écrivit sur une flèche qu’on lança dans Hezaresp, le distique suivant :

Distique. « Empare-toi aujourd’hui de Hezaresp après un seul assaut ! demain, tu seras le maître du Kharezm et de cent mille chevaux. »

On porta cette flèche à Rechid ; il en demanda une autre qui fut lancée dans le camp du sultan, et sur laquelle il avait écrit ce distique :

Distique. « Ô roi ! quand bien même tu serais le héros Rustem, un âne ne peut pas être le vainqueur de mille chevaux. » (Hezar Esp)[27].

Le sultan après avoir lu ces deux vers fut transporté de colère. Il jura que, s’il parvenait à s’emparer de Rechid, il le couperait en sept morceaux. Au bout de quelques jours, la place de Hezaresp fut prise ; Rechid Vathvath redoutant la colère du sultan, s’adressait à tout le monde pour intercéder en sa faveur, mais personne ne voulait le protéger. À la fin, il trouva un intermédiaire dans la personne de l’écuyer du sultan qui, autrefois, avait eu avec lui des rapports d’amitié. Il fut convenu que, lorsque le sultan serait dans une disposition d’esprit favorable, Vathvath serait introduit en sa présence, et que, dans ce moment propice, il lui parlerait. L’écuyer donna cette assurance à Vathvath. Pendant que le sultan assistait à un joyeux festin, l’écuyer fit paraître devant lui Rechid Vathvath dont la taille ne dépassait pas une coudée et demie et dont l’apparence était frêle et délicate. Son chétif extérieur lui avait valu le surnom de Vathvath. Vathvath est le nom d’un oiseau dont le corps est très-effilé et dont les pattes sont à peine visibles. Rechid dit immédiatement au sultan : « Ô mon roi ! j’ai entendu dire que vous aviez, pour une faute légère commise par lui, donné l’ordre de couper Vathvath en sept morceaux. Vathvath est un être faible et débile, il serait impossible de le tailler en sept quartiers. Pourquoi ne pas le couper seulement en deux ? » En entendant ces mots, le sultan se mit à rire et lui accorda son pardon.

La deuxième place forte est celle de Khankah. La troisième celle d’Ourguendj. La quatrième celle de Ket. La cinquième celle de Châhbad. Les villes de Khiva et de Gulran sont aussi entourées de fortifications. La longueur de la province est de cinq journées de marche. Sa largeur de deux à trois journées. Nous n’y comprenons pas l’île d’Aral à cause de son éloignemênt, Dans le Kharezm, les villages sont rapprochés les uns des autres. Les nomades Turkomans, Uzbeks, Qaraqalpaq sont nombreux. Le khan peut lever quarante mille hommes de troupes quand cela est nécessaire. Aujourd’hui (1133-1818), Meliemmed Rehim Khan est souverain d’Ourguendj et de Khiva[28].

C’est à Khiva que se trouvent le tombeau et la sépulture de Pehlivan Baba Mahmoud Khivaqy. On lit sa biographie dans le livre intitulé : Medjalis oul Ouchchaq. On y rapporte qu’un lutteur était venu de l’Inde à Khiva. Selon une autre version, Pehlivan Mahmoud se serait rendu auprès du souverain de ce pays. Celui-ci donna l’ordre de faire combattre le lendemain Pehlivan Mahmoud avec un lutteur indien. Le soir, Pehlivan Mahmoud alla faire ses dévotions au tombeau d’un saint personnage. Il y vit une vieille femme qui, la tête nue et le visage tourné vers le ciel, invoquait Dieu en disant : « Ô mon Dieu ! ne couvre pas de honte et de confusion, aux yeux du peuple, mon fils qui doit demain lutter avec Pehlivan Mahmoud ! donne à mon fils assez de vigueur pour ne point être jeté à terre et permets-lui de terrasser Mahmoud. » En entendant ces mots, Pehlivan Mahmoud fut saisi de pitié et de compassion pour cette faible créature ; il l’aborda et lui dit : « Ô ma mère ! le Dieu très-haut a exaucé tes vœux : demain, Pehlivan Mahmoud sera étendu sur le sol, » Ces paroles comblèrent de joie cette vieille femme. Le lendemain, lorsque les deux adversaires se mirent à lutter, Pehlivan Mahmoud fut renversé, à l’etonnement de tous les spectateurs. Le jour suivant, le roi se rendit à la chasse. Pehlivan Mahmoud se trouvait sur le bord d’un ravin ; tout à coup, le roi poussa son cheval qui fit un bond et arriva au bord du précipice ; le roi ne put retenir sa monture et peu s’en fallut qu’il ne fût précipité avec elle dans le ravin. Pehlivan Mahmoud, de sa main ouverte, arrêta le cheval et prévint tout accident. Le roi le combla d’éloges et il fut reconnu alors que c’était par suite d’un dessein prémédité qu’il s’était laissé renverser, car le lutteur indien était loin d’avoir sa vigueur. Mahmoud est un personnage qui a été favorisé par des révélations divines et dont la sainteté s’est manifestée par des miracles. Que la miséricorde de Dieu soit sur lui[29] !

  1. M. Mouraview, capitaine d’état-major de la garde de l’empereur de Russie, fut envoyé en mission à Khiva dans les années 1819 et 1820. Il a écrit une relation de son voyage qui présente un très vif-intérêt. Il a cherché à connaître les principaux événements de l’histoire de la Khivie pendant le XVIIIe siècle et le commencement du XIXe siècle.
    J’emprunte à son ouvrage les renseignements peu détaillés d’ailleurs qu’il a réussi à se procurer. Ils serviront à contrôler le récit de Mir Abdoul Kérim.
    « Les Ouzbek qui habitaient au-delà des frontières de la Boukharie étant venus s’établir sur la frontière des Sarty, prirent le nom de Khiviens de celui de la capilale. Ils se divisent en quatre grandes tribus, qui sont Kiat Konkrad, Ouïgour Naïman, Kangli Kiptchak et Nékus Mangout ; chacune de ces tribus eut son ancien ou chef, que l’on désignait par le litre d’inakh : mais l’ancien de la tribu de Kiat Konkrad a toujours possédé quelques prérogatives de plus que les autres, tant à cause de la force que de l'ancienneté de sa tribu. Cette forme de gouvernement était ancienne. Le roi de Boukhara, chef d’un état puissant et civilisé, avait une sorte de prépondérance sur ces tribus guerrières ; d’un autre côté, le Khan des Kirghis limitrophes profitant de sa faiblesse et de leurs divisions intestines, envoyait de temps en temps à Khiva un chef qui exerçait l’autorité suprême…
    « À l’époque de l’expédition du prince Békevitch en Khivie, en 1717, ces peuples avaient pour inakh Ichmed Bi, de la tribu Kiat Konkrad ; à sa mort, cette dignité passa à son fils Mohamed Emin Inakh qui la légua à son tour à son fils Evèz Inakh, père du Khan Mohamed Rahim maintenant régnant. »
    Voyage en Turcomanie et à Khiva fait en 1819 et 1820, par M. N. Mouraview, etc., traduit du russe par M. G. Lecointe de Laveau, revu par MM. J. B. Eyriès et J. Klaproth. Paris, 1823.
    Une nouvelle traduction anglaise du voyage de Mouraview a été publiée par le capitaine W. S. A. Lockhart. Calcutta, 1871.
  2. La nouvelle Ourghendj, véritable capitale de la Khivie, est la résidence de Koutli Murad Inakh, frère du khan, qui a le gouvernement de cette ville ; elle est beaucoup plus grande que Khiva et le centre de tout le commerce du pays ; elle est peuplée de Sarty. On y trouve toutes les marchandises précieuses de l’Orient ; il s’y tient, par semaine, plusieurs marchés très-fréquentés. Le nombre de ses maisons est estimé à 1,500 et sa population à 5,000 individus. Cette estimation est certainement bien au-dessous de la vérité, car Ourghendj est beaucoup plus peuplée que Khiva. Elle est également ceinte d’un mur.
    Mouraview, Voyage à Khiva, page 265.
    Khiva, qui est la résidence du souverain, se nommait jadis Khivak, suivant le rapport des habitants, et occupait son emplacement actuel, avant que l’Amou Déria eût changé son cours. Cette ville est assez grande, entourée de murs, et bâtie sur un petit canal qui amène l’eau de l’Amou Déria. Les principaux édifices se bornent à la maison du khan, d’ailleurs assez insignifiante, et à une mosquée, pour laquelle les musulmans ont une vénération particulière et mystérieuse : la coupole de ce temple est peinte en azur ; il s’y trouve quelques autres mosquées d’assez peu d’importance… on compte jusqu’à 3,000 maisons et 10,000 habitants.
    Mouraview, Voyage à Khiva, page 264.
  3. Le cours de l’Oxus a été dans ces dernières années l’objet de nombreuses études : je me bornerai à citer : An essay on the geography of the valley of the Oxus, by Colonel Henry Yule, C. B. placé en tête de A journey to the source of the river Oxus, by captain John Wood. Londres, 1872.
    Khiva oder Kharezm. Seine historischen und geographischen Verhæltnisse, von P. Lerch. Saint-Pétérsbourg, 1873.
    Das alte Bett des Oxus Amû-Darja, von M. J. de Goeje. Leiden, 1875.
  4. Nedjm oud din Ahmed ibn Omer el Khivaqy, surnommé Aboul Djenâb ou Thammet oul Koubra, acquit une grande célébrité par sa science et ses vertus. Il fut tué à Khiva en 618 (1221) pendant l’invasion des Mogols. On trouve des détails biographiques sur ce personnage dans la chronique de Yaféy, dans le Medjalis oul Ouchchaq et dans la vie des Soufys de Djamy.
  5. Le tombeau dont parle Mir Abdoul Kerim est celui de Tourèh Bay Khanoum, fille de Qoutlôuq Sultan. La coupole et le minaret, remarquables par leur élévation et la solidité de leur construction, sont revêtus de plaques de faïence émaillée.
    Riza Qouly Khan, Ambassade au Kharezm, page 100.
  6. Le khan de Khiva sollicita du gouvernement russe l’envoi d’un médecin pour entreprendre la guérison de l’ophthalmie dont souffrait Fazil Bi. Le chirurgien-major Blankenagel, sur l’ordre de la Cour, se rendit à Khiva en 1793. La maladie de Fazil Bi étant incurable, Blankenagel courut risque de perdre la vie. Il s’échappa avec peine de Khiva et gagna Manghichlaq, d’où il se rendit à Astrakan. La relation du voyage de Blankenagel a été publiée par M. W. W. Grigoriew, dans le Bulletin de la Société russe de Géographie, année 1858.
  7. Le médressèh de Fazil Bi se trouve marqué sur le plan de Khiva publié par M. Petermann. (Geogr. Mittheilungen, 1873, pl. 18.)
  8. La tribu turkomane des Yomout compte 40,000 tentes : elle est établie principalement sur les bords de l’Etrek et du Gourgan.
    Les Manghichlaqy sont fixés autour de Manghichlaq, au sud de la mer d’Aral.
  9. Ce combat eut lieu dans une localité nommée Ghanqâh Tchachken près des frontières du Gourgan. Riza Qouly Khan, Ambassade au Kharezm, page 113.
  10. Il faut, je crois, lire Akhound, au lieu de Akhtèh que porte le texte persan.
  11. Voyez page 160 et suivantes.
  12. Beïram Aly Khan Qadjar, gouverneur héréditaire de Merv. Sa mort a été racontée par Abdoul Kerim, page 134.
  13. Aga Mehemmed Khan Qadjar, assassiné à Chichèh, dans le Qarabagh, en 1796.
  14. Rahmet oullah Khan était gouverneur feudataire de Endkhou.
  15. Timour Châh.
  16. Khouda Yar était le chef de la principauté de Ouratèpèh.
  17. Omer Bi était le frère de Châh Murad : sa révolte est racontée par Abdoul Kerim, pages 155-156.
    Je n’ai pu, dans les documents que j’ai eus à ma disposition, trouver aucun renseignement sur les autres personnages cités dans cette pièce de poésie. Je suppose que Nour Thay, Allah Verdy, Aman Bay, Ala oud Din étaient des chefs turkomans ou uzbek.
  18. Cette pièce de vers nous fournit un spécimen de la poésie populaire de Boukhara. Elle a été, sans doute, composée pour être déclamée ou chantée dans les bazars et les lieux de réunions publiques.
  19. Abd oul Hay Khodja est le personnage qui introduisit les Afghans dans la ville de Boukhara lorsqu’ils abandonnèrent le camp persan pour entrer au service de Mehemmed Rehim Khan.
  20. Les tribus de Tchekly, de Teurt Qara et de Tcheumeky appartiennent à la race d’Alim Oghly, la première des races de la petite horde des Qirghiz Qazaq.
    Les Oï et les Qirq Miltigh (les quarante mousquets), sont des fractions turkomanes de la tribu de Chèrèb.
    Les Qouïouth, les Djebas, les Djaghalbay, sont des tribus de la petite horde et de la race de Bay Oghly.
    M. de Levchine a donné les tamghas ou timbres particuliers à ces différentes tribus dans la Description des hordes et des steppes des Kirghiz Kazaks. (Planche 8.)
  21. La nuit du vingt-septième jour du mois de Ramazan est la nuit de la puissance (Leilet oul Qadr). C’est la plus auguste des sept nuits saintes. Selon l’opinion des musulmans mille prodiges secrets et invisibles s’opèrent dans cette nuit ; les êtres inanimés adorent Dieu et les prières faites dans cette nuit seule équivalent en mérites à toutes celles que l’on ferait pendant mille mois consécutifs.
  22. Qoran, chapit. xvii, verset 16.
  23. La ville de Hezaresp est située sur le bord d’un canal dérivé du Djihoun et qui porte le nom de Pehlivan Ata ârighy. La population est composée de Sart et d’Uzbeks.
    Khiva and Turkestan, translated from the Russian, by Capt. H. Spalding. F. R. G. S. Londres, 1874.
  24. La révolte d’Etsiz Kharezm Chah eut lieu en l’année 542 (1147). Cf. Histoire des sultans de Kharezm, par Mirkhond, texte persan publié pour l’école des langues orientales vivantes par M. Defrémery. Paris, 1842, pages 6 et 7.
  25. Le poète Rechid oud Din Mohammed Ibn Abdoul Djelil, el Katib, el Omery. Sa petite taille, son apparence délicate lui avaient fait donner le surnom de Vathvath. (Le martinet, Cypselus velox.) Il naquit à Balkh et mourut à Kharezm en 573 ou 578 (1177-1182), à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. Il fut attaché au service d’Etsiz, fils de Mohammed Kharezm Châh et à celui de ses fils et petits-fils Il Arslan et Sultan Châh.
    Rechid Vathvath a laissé un divan qui renferme près de dix mille distiques persans ou arabes, un traité de poétique intitulé : Hadaïq oul Sihr fi daqaïq il chi’ir, (Les jardins de la magie concernant les subtilités de la poésie) composé pour Etsiz ; un manuel épistolaire et la traduction des cent sentences d’Aly et quelques autres ouvrages. On trouve des détails biographiques sur ce poète dans le Tezkereh de Daoulet Châh, dans l’Atech Kedeh de Hadji Louthf Aly beg et dans le Medjma’ oul fousseha de Riza Qouly Khan.
    Le Hadaïq oul Sihr a été publié à Téhéran en 1279 (1862).
  26. Auhed oud Din Envery naquit dans le village de Bédénèh, dépendant d’Abiverd dans le Dechti Khayeran. Il fit ses études à Thous, au medressèh Manssourièh. Il fut le poète le plus brillant de la cour de Sultan Sindjar. Il a excellé dans les qassidèhs.
    Il mourut en l’année 547 (1152) à Balkh où il s’était réfugié. Le recueil de ses œuvres poétiques a été publié à Tauriz en 1266 (1849).
  27. Les deux poètes Rechid Vathvath et Envery jouent sur le mot Hezar Esp, qui est le nom de là place assiégée et qui signifie « mille chevaux. »
  28. Mehemmed Rehim Khan est mort à la fin de l’année 1257 de l’Hégire (1841).
  29. Pehlivan Mahmoud, le saint le plus vénéré du Kharezm, naquit à Khiva. Il reçut le surnom de Pour Yar et, selon une autre version, celui de Boukyar, mot qui, dans le dialecte du Kharezm, signifie un lutteur sans rival. Il a laissé un recueil de poésies mystiques, différents traités ascétiques et un ouvrage intitulé : Kenz oul Haqaïq (le Trésor des vérités). Kemal oud Din Husseïn Kazerguehi, auteur du Medjalis oul ouchchaq, cite quelques-unes de ses poésies et Riza Qouly Khan, dans le récit de son ambassade au Kharezm, a donné un choix de ses roubayiat ou quatrains. Mahmoud Pehlivan mourut en 722 (1322) à Khiva où il est révéré sous le nom de Mahmoud âta ou de Pehlivan âta.