Histoire de l’Asie centrale/Khoqand

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Traduction par Charles Schefer.
Ernest Leroux (p. 207-229).


KHOQAND




GÉNÉALOGIE DES CHEFS UZBEKS DE LA PROVINCE DE KHOQAND, APPELÉE AUTREFOIS FERGHANAH[1].

Tout le pays qui s’étend au-delà d’Ouratèpèh dépend du gouvernement de Khoqand. La superficie du Khoqand est plus grande que celle d’Ourguendj. La longueur de ce pays est de vingt journées de marche, sa largeur de dix journées. On y trouve de belles villes. Tous les biens de la terre et les fruits y sont abondants ; la vie y à est fort bon marché. Cette contrée s’étend depuis Ouratèpèh, qui est au-delà de Samarqand, jusqu’aux environs de Kachgar. La première province que l’on rencontre est celle de Khodjend[2] ; la seconde celle de Tachkend[3] ; la troisième, celle de Khoqand[4], où se trouve la capitale ; la quatrième, celle d’Endedjan[5] ; la cinquième, celle de Nemengan[6] ; la sixième, celle de Mourghilan[7] ; la septième, celle de Ferghanah et de Takhti Suleïman[8] ; la huitième, Kani Badam[9] ; la neuvième, Khyèh[10] ; la dixième, le pays de Qaradjèh[11] ; la onzième, Chouglan[12]. Il y a aussi de gros bourgs qui ont des villages dans leur dépendance. Les tribus nomades sont nombreuses ; elles sont Uzbeks ou Qirghiz ; il n’y a point de Turkomans. Les Qazaq et les Qounghourat reconnaissent l’autorité de Khoqand.

Ner Boutèh Khan Uzbek gouvernait Khoqand pendant le règne de l’Émir Châh Murad à Boukhara. C’était un homme d’une grande simplicité des mœurs, son nom ne figurait pas sur les monnaies et n’était pas prononcé dans la khoutbèh. Il gouverna pendant longtemps ; à sa mort, son fils aîné Alim lui succéda[13]. Rustem Bek, son autre fils, fut mis à mort par son frère Alim Khan après la mon de Ner Boutèh. Omer Khan, après le meurtre d’Alim Khan, gouverna Khoqand : ces détails seront donnés plus loin.

Alim Khan Ghazy, d’accord avec les grands, s’empara du pouvoir après la mort de son père. Il fit périr son frère Rustem Bek qui n’avait pas son égal, en beauté, en vertu et en générosité, il fit périr également plusieurs de ses parents et de ses oncles et tous ceux qui lui faisaient de l’opposition. Il prit le nom de khan ; il fit prononcer son nom dans la khoutbèh et frapper monnaie.

Tachkend avait pour gouverneur Younis Khodja dont la généalogie remontait à Abou Bekr. Alim Khan s’empara de Tachkend à main armée ; il soumit les Qazaq et il se mit en hostilité avec Boukhara. Une première bataille fut livrée à Ouratèpèh. Alim Khan fut battu et obligé de se retirer en désordre. Une seconde fois, il fit marcher son armée contre Ouratèpèh : les soldats de Boukhara furent surpris et Ouratèpèh emportée. Une partie de la garnison fut passée au fil de l’épée et l’autre faite prisonnière.

Alim Khan était, en vérité, doué d’un grand courage et d’une grande audace. Il n’accordait aucun crédit aux cheikhs et aux soufys. On raconte qu’un cheikh avait, à Khoqand, un grand nombre de disciples ; il prétendait que sa sainteté lui avait valu des révélations et le don des miracles. Un jour, Alim Khan assis sur le bord d’un bassin, ordonna de tendre une corde au-dessus de ce bassin et envoya chercher le cheikh. Celui-ci accourut avec quelques-uns de ses disciples et s’assit en présence du khan. Au bout de quelques instants, Alim Khan lui dit : « Ô cheikh ! demain, au jour de la résurrection, vous ferez passer vos disciples sur le pont de Sirath au-dessous duquel se trouve l’enfer. Aujourd’hui, passez sur cette corde, afin que je sois témoin d’un de vos miracles. » Le cheikh se mit à le sermonner et à lui donner des conseils qu’il appuyait de citations de versets du Qoran et de traditions du Prophète. Le khan fut inflexible. Il lui ordonna de passer sans retard sur la corde. À peine le cheikh y eut-il mis le pied qu’il tomba dans le bassin. De tous côtés on fondit sur lui à coups de bâton, et on l’en accabla jusqu’à ce que mort s’ensuivit. Partout où il trouvait un derviche ou un homme revêtu du froc ou du bonnet des religieux, il donnait ordre de l’arrêter et il en faisait un conducteur de chameaux.

Il y a quatre-vingts ans[14] les sept villes situées sur les frontières de la Chine du Nord, comme Kachgar, Yarkend, Kholen, Aqsou, Ilèh, Doy[15], qui ont dans leur dépendance des cantons bien peuplés, fertiles, abondants en fruits et qui renferment des medressèhs, des mosquées, des khans et de beaux bazars, étaient gouvernées par des khodjas qui prenaient liaient le nom de Seyid Azhem Husseïny. Ces khodjas gouvernaient héréditairement depuis l’époque de l’Émir Timour Gouregan. La Chine, malgré sa puissance, n’intervenait pas dans les affaires intérieures du pays. Il arriva cependant que la discorde se mit entre ces khodjas, comme elle s’est mise entre les Tatars et les khans de Crimée, et elle a fourni ainsi l’occasion aux infidèles de s’emparer de ce pays.

Un des khodjas se réfugia auprès de l’empereur de Chine, dont la capitale est Matchin[16] ; il lui demanda le secours de ses troupes. L’empereur, qui attendait depuis longtemps qu’un pareil désir lui fût exprimé, accorda des troupes innombrables. Les khodjas restés à Kachgar étaient Serim Saq Khodja et Afaq Khodja[17]. Ils levèrent, de leur côté, des soldats et, pendant quelques années, ils résistèrent aux infidèles dont ils précipitèrent des milliers en enfer. Mais les troupes chinoises sont aussi nombreuses que les hordes de Gog et de Magog. Le nombre l’emporta et Serim Saq dut s’enfuir avec ses enfants et sa famille à Badakhchan. Afaq Khodja périt sur le champ de bataille. Une province musulmane tomba sous le joug des infidèles. Un envoyé chinois suivit Serim Saq Khodja à Badakhchan ; le gouverneur de cette contrée livra pour une somme d’argent le khodja qui fut mis à mort. Ses enfants s’enfuirent et se réfugièrent à Boukhara.

Quand le pays fut soumis à la domination chinoise, le gouvernement ne fut point donné au khodja qui avait sollicité l’intervention de la Chine. Il fut confié aux personnages qui, du temps des khodjas, étaient administrateurs, fonctionnaires ou notables et qui, ayant abandonné leur parti pour embrasser celui des Chinois, avaient ainsi provoqué la fuite de Serim Saq Khodja. Aujourd’hui, leurs enfants sont encore gouverneurs dans les sept villes. Dans chacune d’elle il y a un qazhi et des ulémas (gens de loi musulmans). Toutes les fois qu’il se présente une affaire, elle est jugée selon les prescriptions de la loi religieuse. En dehors de chaque ville, les Chinois ont élevé un bâtiment où résident une garnison d’environ cinq cents hommes et un haut fonctionnaire délégué par le gouvernement chinois. Si un événement vient à se produire, on en instruit d’abord le chef des musulmans, et celui-ci va en rendre compte au fonctionnaire chinois. Les négociants qui viennent de Boukhara et de Khoqand peuvent entrer dans ces sept villes ; mais ils n’ont point la permission d’aller dans les autres localités soumises à la Chine[18].

Un ambassadeur du gouvernement de Khoqand se rend, à des époques indéterminées, à la cour de l’empereur de Chine ; les autres pays n’en envoient point[19]. Voici la cause pour laquelle on autorise un envoyé de Khoqand à se rendre en Chine. Lorsque les Chinois s’emparèrent des sept villes, les enfants de Serim Saq Khodja se retirèrent à Boukhara. L’empereur assigna au gouverneur de Khoqand une pension qui lui est payée annuellement par le trésor, pour qu’il eût à empêcher les enfants de Serim Saq de se rendre à Kachgar, soit seuls, soit accompagnés par des troupes. Le gouverneur de Khoqand avait fait savoir, à plusieurs reprises, à la cour de Pékin que le souverain de Boukhara avait secouru les enfants de Serim Saq, qu’il leur avait donné des troupes nombreuses, mais que, quant à lui, il leur avait barré le chemin et ne leur avait pas permis de traverser ses possessions pour marcher sur Kachgar : que, de ce fait, il avait perdu du monde et dépensé quelques milliers de tillas. L’empereur de Chine avait agréé ces explications, et il avait souscrit au désir du gouverneur de Khoqand, en lui accordant une pension qui lui est servie encore aujourd’hui.

Tous les deux ou trois ans, un ambassadeur se rend à Pékin et revient à Khoqand, après avoir été gratifié de cadeaux. La pension cessa une fois d’être payée à Alim Khan qui, pendant trois années, empêcha les caravanes parties de Boukhara et de Khoqand de se rendre à Kachgar. Il en résulta qu’il reçut en une seule fois la pension de trois années et que la bonne harmonie fut rétablie.

Alim Khan se livra à tous les excès de la tyrannie et de l’oppression ; ses sujets et tout le monde s’enfuyaient de tous côtés pour s’y soustraire. Il fit mettre à mort un grand nombre d’innocents. Personne ne pouvait plus disposer de ses filles, le khan en faisait cadeau à qui il lui plaisait. Les soupirs des opprimés arrivèrent jusqu’aux Pléiades. On implora Dieu pour obtenir sa mort. Pendant la foire de Khoqand, Alim se rendit à Tachkend, à la tête d’une nombreuse armée dont il donna le commandement en chef à son frère Omer Bek, auquel il adjoignit son oncle maternel ; il leur donna l’ordre de piller les Qazaq du Dechti Qiptchaq. Malgré la rigueur de la saison, Omer Bek ravagea le pays occupé par les Qazaq : ceux-ci demandèrent à se soumettre ; comme ils n’avaient commis aucune faute, Omer Bek les traita avec humanité, et il revint à Tachkend où se trouvait Alim Khan. Lorsque Omer Bek parut devant lui, il lui demanda le récit de ce qui s’était passé. « Nous avons pillé les uns, répondit celui-ci, et accepté la soumission des autres ; ils nous ont payé les impôts, et nous ont prêté serment de fidélité. »

Alim Khan, transporté de colère, accabla Omer Bek d’injures et de malédictions. « Repars immédiatement, lui dit-il, massacre les Qazaq, dépouille-les, pille-les, sinon ne reviens pas auprès de moi, je ne veux plus voir ta figure ; n’agis plus selon les conseils de ton oncle maternel : ce n’est point un homme, ce n’est qu’un idiot et un maudit. » Omer Bek sortit. Les troupes, dont le nombre s’élevait à dix mille hommes, étaient campées en dehors de la porte. Il fit à Taghay et aux officiers de l’armée, le récit de la colère et de l’emportement d’Alim Khan. Tous s’accordèrent à dire que leurs chevaux ne pouvaient plus marcher ; qu’ensuite la saison était rigoureuse et que les tribus Qazaq étaient musulmanes et innocentes de tout crime ; qu’elles étaient dispersées dans tous les coins, dans les vallées, dans les montagnes et dans le désert. « Si nous nous mettons en marche, ajoutaient-ils, nous ne trouverons pas leurs traces et nous périrons tous. » Omer Bek leur demanda ce qu’il fallait faire. Son oncle maternel lui répondit : « Il faut qu’Omer Bek soit khan. Nous n’obéirons plus à un tyran tel qu’Alim Khan. » Et aussitôt, saisissant la main d’Omer Khan, Taghay, son oncle maternel, un chef de tribu doué d’un jugement droit et qui exerçait une grande autorité, lui prêta serment de fidélité. Toutes les troupes suivirent son exemple. Cet événement eut lieu pendant la nuit. Les troupes et Omer Khan levèrent ensuite le camp et se dirigèrent sur Khoqand. À leur arrivée dans cette ville, Omer Khan fut proclamé chef du gouvernement, et toute la population accueillit cet événement avec des transports de joie.

Le lendemain, Alim Khan apprit qu’Omer Khan et Taghay s’étaient révoltés contre lui et que les troupes avaient embrassé leur parti. Cet événement le troubla et le plongea dans le désespoir. Il lui était resté trois cents cavaliers ; Alim Khan les fit venir, leur prodigua les exhortations, les promesses et les paroles de bon vouloir ; il leur fit distribuer de l’argent et des présents. Il prit la route de Khoqand avec ses bagages, son harem et son fils Châhroukh Mirza dont la mère était une femme Qazaq. Après avoir marché pendant un jour, ils arrivèrent à un château-fort. La garnison n’en ouvrit point les portes et refusa de les laisser passer, prétextant que leur maîlre était Omer Khan. On s’arrêta aux environs de ce château ; pendant la nuit, les trois cents cavaliers s’enfuirent à Khoqand ; il ne resta avec Alim Khan que quelques serviteurs ; le cœur navré et les yeux pleins de larmes, il fit venir auprès de lui Châhroukh Mirza, il le couvrit de baisers et lui donna mille tillas. « Âme de ton père, lui dit-il, la fortune s’est détournée de nous. Emmène les gens qui sont restés avec toi et, à l’instant même, sans tarder davantage, sans t’arrêter nulle part, rends-toi à Boukhara auprès de l’Émir Hayder ; il est humain ; bien qu’il ne soit pas pour nous un ami, c’est un homme éclairé. Ne porte point tes pas ailleurs, car il n’y a de sécurité nulle part. » Le père et le fils se firent leurs adieux en pleurant et en gémissant. Châhroukh Mirza prit la route de Boukhara ; Alim Khan laissa ses femmes et ses bagages dans un village, il les confia aux notables et lui-même, avec vingt cavaliers et son Divan Begui Mehemmed Zouhour, il se dirigea sur Derèhkouh d’où l’on aperçoit Khoqand. Ils virent de là des cavaliers sortis de la ville faire patrouille de tous côtés, Mehemmed Zouhour fit des représentations au khan : « Il est inutile, lui dit-il, de nous diriger maintenant du côté de la ville : il faut nous rendre à Khodjend où nous avons quatre mille cavaliers sous les armes ; s’il plaît à Dieu, lorsque les troupes sauront que nous nous rendons à Khodjend, elles se rallieront toutes à nous. » Tous les efforts, tous les conseils de Mehemmed Zouhour furent inutiles, car la fatalité avait saisi le pan de la robe d’Alim Khan. Celui-ci, avec les quelques cavaliers qui l’accompagnaient, courut du côté de la ville. Son escorte l’abandonna à l’exception de Mehemmed Zouhour et de deux autres personnes. Alim Khan courait à toute bride : il y avait aux environs de la ville un marais dans lequel son cheval s’enfonça. Quand les cavaliers l’aperçurent, ils se précipitèrent sur lui ; Taghay se trouvait parmi eux. Mehemmed Zouhour les apercevant de loin, se tourna vers le khan : « Je vous ai dit, s’écria-t-il, qu’il était inutile de venir ici ; nous nous sommes rendus de notre plein gré à l’abattoir. Ces cavaliers qui se dirigent sur nous viennent pour nous tuer. » Le cheval du khan était enfoncé dans le bourbier d’où celui-ci ne pouvait le faire sortir. « Donne-moi ton cheval, cria-t-il à Mehemmed Zouhour. » Celui-ci lui répondit : « Ô khan ! tu n’as écouté aucun des conseils que je t’ai donnés, il y va maintenant de la vie, je ne puis sacrifier la mienne inutilement. » En disant ces mots, il mit son cheval au galop et se dirigea vers la ville. Les cavaliers survinrent, et trouvèrent Alim Khan dont le cheval se débattait dans la vase ; un des ghoulams (cavaliers de la garde) d’Omer Khan s’approcha et dirigea sur lui son pistolet. Alim Khan luibcria : « Ô ghoulam ! frappe-moi à la nuque. » Celui-ci déchargea son arme sur le derrière de l’épaule d’Alim qui tomba de cheval. Son oncle maternel, le frère de sa mère arriva sur ces entrefaites : Alim Khan ne tourna point les yeux vers lui et rendit l’âme sur-le-champ. On l’enterra pendant la nuit. Le peuple fut délivré de sa tyrannie.

Mehemmed Zouhour entra dans Khoqand et se rendit auprès d’Omer Khan avec lequel il eut une entrevue. « J’ai été le serviteur de votre frère, lui dit-il, maintenant je suis le vôtre. » Omer Khan lui conserva le poste de ministre qu’il avait occupé et le chargea de prendre soin des affaires de la ville et de celles du palais. Mehemmed Zouhour était, sous le règne d’Alim Khan, ministre et gouverneur de Tachkend. C’était un homme plein de dévouement et d’intelligence, très-aimé de la population. Au bout de deux ou trois jours, il fut destitué : on le mit à la torture pour s’emparer de ses biens. Il livra tout ce qu’il possédait. Ensuite Omer Khan étendit sa clémence sur lui et lui ordonna de vivre à l’écart et de ne s’occuper que d’exercices de piété. Mehemmed Zouhour fut ravi de cet ordre et vécut tranquillement chez lui. Au bout d’une année, on lui donna un emploi et un rang élevé.

Alim Khan laissa deux fils : Châhroukh Mirza et un autre fils plus jeune ; ils furent tous les deux mis à mort par Omer Khan. Une fille reste seule vivante de la famille d’Alim. Omer Khan et Alim Khan étaient tous les deux fils de la même mère. Ils avaient une sœur ; leur oncle maternel était commandant en chef des troupes et le chef d’une tribu ; il était puissant et courageux. C’est cet oncle qui fut la cause de la ruine et de la mort d’Alim Khan. Celui-ci lui avait accordé une grande autorité dans l’État et il n’entreprenait rien sans avoir pris ses conseils. Ce Taghay se conduisit de la manière la plus ingrate, mais, à la fin, le malheur fondit aussi sur sa tête. La mort d’Alim Khan eut lieu en 1224 (1809).

CHÂHROUKH MIRZA, FILS D’ALIM KHAN.

Lorsque Alim Khan se dirigea de Tachkend sur Khoqand, il remit à Châroukh Mirza la somme de mille tillas, en lui recommandant de se rendre à Boukhara sans s’arrêter en route. Quand Châhroukh Mirza fut séparé de son père, il hésita, dans son trouble, sur la direction qu’il prendrait. Quelques-uns de ses serviteurs lui dirent : « Suivez le conseil de votre père ; rendons-nous à Boukhara ; » d’autres lui dirent : « Allons à Khodjend ; » d’autres lui dirent : « Tachkend est abandonnée et sans gouverneur ; c’est une place forte, nous ne savons pas encore quelle tournure prendront les affaires de votre père, emparons-nous de cette ville : si votre père est sain et sauf tant mieux ; sinon, d’après la tournure que prendront les événements, nous nous soumettrons à votre oncle ou bien nous pourrons fuir d’un autre côté, ou enfin, nous pourrons rester maîtres de la ville. » Châhroukh Mirza se dirigea sur Tachkend ; la population l’accueillit d’abord avec honneur ; mais, on apprit le lendemain la mort d’Alim Khan, et le lieutenant de Mehemmed Zouhour Divan Begui pour le gouvernement de la ville s’empara, à l’instigation de gens mal intentionnés, de la personne de Châhroukh Mirza. Il transmit cette nouvelle à Khoqand ; Omer Khan, poussé par son oncle maternel Mehemmed Riza Bek, consentit à la mort de ce jeune homme dont la beauté égalait celle de Joseph. On fit partir Châhroukh Mirza de Tachkend pour le conduire à Khoqand. En route, on le mit à mort et il fut admis au nombre des martyrs. La fortune inconstante détourna sa face de ce jeune homme. Omer Khan, délivré de toute préoccupation, s’assit sur le trône. Il confia l’administration de l’État et le commandement des troupes à son oncle maternel : celui-ci oubliant que la fortune est inconstante, vivait dans l’enivrement de ses faveurs, jusqu’à ce qu’il lui arriva ce que nous dirons.

OMER KHAN, FILS DE NER BOUTÈH KHAN

Quand Omer Khan, en compagnie de son oncle maternel, Mehemmed Riza Bek, se révolta contre Alim Khan et marcha sur Khoqand, à la tête des troupes, la population de cette ville fit éclater sa joie ; tout le monde se soumit à lui et lui prêta serment de fidélité. Le lendemain, Alim Khan fut tué. Omer Khan s’occupa aussitôt de la situation de ses sujets et de celle des paysans, il pansa toutes les blessures que son frère avait faites : il fit rendre à chacun ce qui lui avait été enlevé violemment par Alim Khan. À la tyrannie de son frère il fit succéder la douceur et l’équité.

Khoqand fut, en vérité, sous son règne, l’image du paradis. Les marchands y affluaient de toutes parts, la sécurité y était complète. Omer Khan eut, d’abord, avec Boukhara des relations amicales et pacifiques ; mais, au bout de quelque temps, elles firent place à l’inimitié. La paix entre les deux pays est une paix mal assise.

Mehemmed Redjeb Qaradjèh, qui avait été au service d’Alim Khan et placé à la tête de son armée, s’était, à la suite d’une faute légère, enfui à Boukhara, où il s’était mis sous la protection de Seyid Émir Hayder Châh ; il resta à Boukhara, tant qu’Alim Khan vécut. Quand il apprit sa mort, bien que Seyid Emir Hayder eût pour lui une grande affection, il s’enfuit pendant la nuit et se rendit à Cheheri Sebz, et de là à Khoqand. Omer Khan l’accueillit avec bonté et lui donna le commandement des troupes. Mehemmed Redjeb était un homme d’un grand courage, éloquent, instruit. Il avait l’esprit plein de ressources. Mehemmed Riza Bek, oncle maternel du khan, était intimement lié avec un Qaraqalpaq nommé Qitaqy, chef de tribu et commandant un corps de troupes. C’était un général de renom. L’un et l’autre détestaient Redjeb Qaradjèh ; ils s’entendirent entre eux pour se débarrasser d’Omer Khan et pour faire passer le pouvoir entre les mains de Mehemmed Riza Bek, après avoir tué Mehemmed Redjeb.

Mehemmed Riza Bek devait être khan et Qitaqy vézir et général en chef. Ce complot parvint à la connaissance d’une esclave, qui le dévoila à Omer Khan dans une entrevue secrète. Le récit de cette esclave confirma Omer Khan dans les soupçons qu’il avait déjà conçus. « Garde-toi, dit-il à l’esclave, de parler à personne. S’il plaît à Dieu, je t’accorderai des biens et des richesses qui te mettront à l’abri de tout besoin. » L’esclave garda le secret. Omer Khan fit part à Redjeb Qaradjèh de ce qu’il venait d’apprendre. « Il y a déjà quelque temps, répondit celui-ci, que j’ai connaissance de ce complot, et je cherchais le moyen de vous en instruire. Grâces à Dieu, vous en avez été informé, il faut trouver le moyen de parer à cet événement avant qu’il ne se produise. Nous avons le temps devant nous, il faut agir. » Il fut convenu que le khan inviterait Mehemmed Riza Bek à un repas dans une salle réservée aux festins intimes, qu’on s’emparerait de sa personne et qu’on le jetterait en prison. Qitaqy devait être aussi invité, et lorsqu’il se présenterait, on le mettrait en pièces à coups de sabre ; on enverrait ensuite Riza Bek rejoindre Qitaqy. Lorsque tout fut bien convenu, on dépêcha, le lendemain, un messager pour prévenir Mehemmed Riza Bek que le khan avait à lui parler d’affaires. Il se rendit au palais sans retard. Il entra dans la salle des festins intimes où se trouvait Omer Khan. À la vue de son oncle, celui-ci se leva et l’accueillit avec égards. Au bout de quelques instants, le khan dit : « Je désire, aujourd’hui, manger un rôti (kebab). » — « Il est prêt, » répondirent les serviteurs. « Qu’on l’apporte, » dit le khan. On le servit, et le khan et Mehemmed Riza Bek se mirent à manger ; puis, sous prétexte de se laver les mains, Omer Khan sortit de la salle. Les domestiques fermèrent la porte et Mehemmed Riza Bek resta à l’intérieur. En ce moment, Qitaqy arriva à la porte de la salle d’audience ; il s’aperçut d’un changement dans l’apparence ordinaire du palais et retourna chez lui. Omer Khan donna ordre à cent hommes de courir sur ses traces et de le tuer. Qitaqy venait à peine de rentrer chez lui, que les exécuteurs des hautes œuvres survinrent, le sabre nu à la main, et le mirent en pièces. Toutes ses richesses et tous ses biens furent confisqués au profit du Trésor. Mehemmed Riza Bek resta trois jours en prison, parce que la sœur d’Omer Khan priait et intercédait pour lui. « Ne mets pas à mort notre oncle maternel, disait-elle à son frère. Prive-le de la vue, exile-le, confisque ses biens et ses richesses. Ordonne-lui de vivre à l’écart et de ne prendre part à aucune affaire, ou bien donne-lui la permission de se rendre à la Mecque. » Omer Khan tint conseil avec Mehemmed Redjeb Qaradjèh. « Je ne puis acquiescer à aucune de ces propositions, dit-il ; il faut le mettre à mort. Alors seulement, nous aurons la sécurité. » Le khan ordonna donc de faire sortir Mehemmed Riza Bek de sa prison. On l’entraîna dans une écurie, on lui jeta une corde autour du cou et on l’étrangla. Ses biens et ses richesses furent confisqués au profit du Trésor. On dit que l’on s’empara d’un million en argent monnayé. Cette somme représente vingt mille bourses. Redjeb Qaradjèh est gouverneur de Khodjend.

Omer Khan envoya à Qizildjar, sur la frontière de Russie, un ambassadeur au gouvernement russe, pour demander l’envoi de caravanes à Khodjend. Si, dans la moitié de la route rapprochée de Khoqand, des brigands venaient à piller la caravane, il offrait de faire rembourser par son trésor la valeur des marchandises volées. Si le vol était commis du côté de la Russie, l’empereur devait indemniser les marchands. Cet arrangement fut accepté et conclu sous serment entre Omer Khan et le gouvernement russe. Aujourd’hui, le nombre des caravanes qui fréquentent cette route est très-considérable. Une nuit, que l’ambassadeur de Khoqand traversait seul les rues de Qizildjar, il fit la rencontre d’un soldat russe en état d’ivresse. Celui-ci le jeta à l’eau et il se noya. Des recherches firent découvrir le soldat. Conformément à la loi russe, on le punit en l’envoyant en exil, puis on fit rapporter à Khoqand, avec une escorte de dix Russes, les bagages de l’ambassadeur et les cadeaux qu’il avait reçus du gouvernement. Les Russes expliquèrent les circonstances dans lesquelles l’ambassadeur avait perdu la vie, et firent part de la punition et de l’exil du soldat. Omer Khan fut transporté de colère ; il fit garder à vue les dix Russes, et il écrivit à l’empereur une lettre dans laquelle il lui demandait de lui envoyer le soldat pour qu’il le mit à mort de sa propre main, « car, disait-il, je n’accepte ni l’exil ni la punition que vous avez infligés ; ou bien encore, ajoutait-il, versez entre mes mains le prix du sang ». À la fin, les Russes payèrent la somme de mille tillas, qui représentent trente-cinq bourses. Les Russes prisonniers furent relâchés.

On frappe la monnaie et l’on récite la khoutbèh au nom d’Omer Khan, qui, aujourd’hui 1233 (1818), est souverain du Khoqand.

  1. La province de Ferghanah fait partie, selon les géographes orientaux, du cinquième climat. Elle est arrosée par le Sihoun qui la divise en deux parties. Elle est bornée au nord par la chaîne de l’Ala Tagh, au sud par les monts Esperèh. La population se compose d’Uzbeks, de Qirghiz Qazaq et de Tadjik, qui sont sunnites et suivent le rite hanéfite. Les habitants parlent le persan et le turc oriental.
    Cette province a été peuplée, selon la tradition, par Nouchirevan qui y transporta de Perse un membre de chaque famille.
    Baber donne, au commencement de ses mémoires, une description détaillée de cette province. Memoirs of Zehir-ed-Din Muhammed Baber, translated by John Leyden and W. Erskine. Londres, 1826.
    Mémoires de Baber, traduits par M. Pavet de Courteille. Paris, 1871.
    Memoir on the Uzbek state of Khokan, in central Asia, by W.-H. Wathen, Esq. Calcutta, 1834.
  2. La ville de Khodjend, capitale de la province de ce nom, est bâtie sur une éminence non loin du Sihoun et sur la rive gauche de ce fleuve. Elle est entourée d’une muraille en terre en partie ruinée ; elle est très-peuplée. Les habitants se font remarquer par leur intelligence et l’affabilité de manières. Le persan est la langue courante ; mais le turc y est aussi compris.
    Khodjend est la patrie du poète Khadjèh Kemal Khodjendy, contemporain de Hâfiz et mort à Tauriz en 792 (1389).
    Le district de Khodjend jouit d’une grande réputation pour l’abondance et pour la saveur de ses fruits.
  3. Tachkend est située dans une plaine d’une extrême fertilité et sur le bord du Tchirtchik, affluent du Sihoun. Elle est entourée d’une haute muraille percée de douze portes. On trouve dans cette ville de nombreuses mosquées et quelques medressèhs. Elle est protégée par une citadelle qui s’élève à un quart d’heure de la ville : le gouverneur du district y réside. Le palais des anciens khans est en ruines. Tachkend est environnée de vignobles et de jardins arrosés par des canaux dérivés du Tchirtchik. Nazarof, Voyage à Khokand, tome I, pages 75-76.
  4. Khoqand a été agrandie et entourée de fortifications par Ner Boutèh Bi. Avant le règne de ce prince, Khoqand n’était qu’un village. Les rues de la ville sont étroites, les maisons construites en terre. Il y a de nombreuses mosquées, trois bazars et quatre caravanséraïs. On remarque le palais du khan. On fabrique à Khoqand des tissus de soie et de coton renommés. Le commerce y est très-actif et tout le transit entre Boukhara d’une part, la Chine et la Russie de l’autre, se fait par cette ville. Voyage à Khokand, par Nazarof, tome II, pages 60 et suivantes. De Meyendorf, Voyage à Boukhara, page 117.
    « Khoqand, dit M. Potanine, est traversée par une petite rivière nommée Karatau, dont les bords en pente douce présentent un terrain parfaitement uni sur lequel est bâtie la ville : celle-ci se divise en deux parties qui se trouvent réunies par deux ponts de pierres ornés de tours à leurs extrémités. L’un de ces ponts est situé vis-à-vis du palais du khan. La capitale du Khoqand, qui peut avoir 25 verstes de circuit, compte environ 3,000 maisons en terre, dont beaucoup, néanmoins, sont bâties avec art et d’un aspect agréable, et cent mosquées, la plupart en briques, avec de belles façades. La population en peut être évaluée (hormis les femmes) à 15,000 âmes, y compris 4,000 hommes de troupes. Malheureusement, les rues y sont étroites, tortueuses et malpropres. La ville renferme six marchés où figurent toutes les productions de la localité qui, du reste, ne possède que deux manufactures, l’une de papier à écrire, l’autre de poudre, le tissage des étoffes se faisant dans les maisons particulières. »
    Notice sur le Khokand, par le cornette Potanine, dans les Extraits des publications de la Société impériale géographique de Russie. Saint-Pétersbourg, 1859, pages 54-55.
  5. Endedjan est l’ancienne capitale de la province de Ferghanah. Au centre de la ville s’élève le château du gouverneur, entouré d’une muraille percée de quatre portes, et autour duquel sont groupés les différents quartiers de la ville. Les environs sont fertiles et bien arrosés. Les habitants se livrent à l’agriculture et à l’élève des vers à soie. On exporte d’Endedjan des tissus de coton.
    V. Nazarof, Voyage, etc., page 59.
  6. La petite ville de Nemengan est située à une journée de marche à l’est d’Endedjan. Elle est défendue par un petit château occupé par une garnison de deux cents hommes. Nazarof, Voyage, page 60.
  7. Mourghilan, Mourgân, Mourghistan, ou Merghinan, car on trouve cette ville mentionnée sous ces quatre noms, est éloignée de deux journées de marche de Khoqand. C’est une ville considérable, aux rues étroites, aux maisons construites en terre. On montre, dans une mosquée, au centre de la ville, un drapeau rouge que la légende attribue à Alexandre le Grand. Elle renferme, au dire de Mir Izzet oullah, le tombeau d’Iskender Zoul Qarneïn.
    On fabrique à Mourghilan du velours, des étoffes de soie, des draps d’or et d’argent et des châles qui sont bien inférieurs à ceux de Kachmir.
  8. Takhti Suleïman, appelée aussi Ouch, est la ville principale du district de Ferghanah. Son territoire est occupé par des tribus Qirghiz qui, sous l’administration de Ner Boutèh Bi, se livraient au brigandage. Son fils Alim Khan mit fin à leurs déprédations par des mesures rigoureuses.
    Ouch passe, dans l’Asie centrale, pour avoir été la capitale de Salomon. Un édifice surmonté d’une coupole s’élève à l’ouest de la ville sur une éminence où se trouvait, dit-on, le trône de Salomon. Tous les printemps, on s’y rend en pèlerinage des pays voisins. On montre également à Ouch le tombeau d’Acof, ministre de Salomon. Mer Izzet oullah, Travels, pages 49 et 50.
  9. Kani Badam ou, d’après Baber, Kendi Badam. Ce canton doit son nom à la quantité d’amandes que l’on y récolte. La ville de Kani Badam est bien peuplée ; elle est située au pied d’une colline qui s’élève au nord-ouest, entre les villages de Chah Birdi et de Mahrem.
    Mer Izzut oollah, Travels, page 53.
  10. Je suppose que l’auteur a voulu mentionner le district et la ville de Châhroukhièh, autrefois connus sous le nom de Benaket. On trouve aussi dans Edrisy une localité désignée sous le nom de Kibèh à l’est de Khodjend. La ville de Kibèh, qui était l’une des plus importantes de la province de Ferghanah, passait pour avoir été fondée par Nouchirevan. Elle faisait un commerce considérable et renfermait de beaux bazars.
    Hadji Khalfa dans le « Djihan Numa » cite une ville de Veqia bâtie sur la rive nord du Sihoun et éloignée de deux journées de marche au sud de Tachkend et de cinq journées de marche au nord-ouest de Khodjend.
  11. Ce pays, situé au sud de la principauté de Khoqand, est un district montagneux. Il doit son nom à la tribu Qirghiz des Qaradjèh qui a établi ses campements dans le Qaradjèh Tau.
  12. Chouglan ou Choughnan est le nom d’un petit district situé sur la rive gauche de l’Amou Deria. C’est un pays abrupte dans lequel on ne peut pénétrer que pendant l’été, par des défilés dont le passage est toujours dangereux.
    Le Choughnan ne renferme aujourd’hui que trois cents familles. Il était beaucoup plus peuplé avant les incursions de Murad Bek de Qoundouz. Les habitants de Choughnan doivent payer aux chefs de Badakhchan et de Qoundouz un tribut d’esclaves. Ils suivent le rite chiite et parlent un dialecte particulier. Choughnan est considéré comme un district du Khoqand ou comme une annexe de Badakhchan.
  13. Le lecteur trouvera à l’appendice § III des détails sur Ner Boutèh Bi et sur quelques-uns des chefs qui gouvernaient les petits États de l’Asie centrale à la fin du dix-huitième et au commencement du dix-neuvième siècle.
  14. Le Turkestan fut conquis en 1758 et annexé à l’empire chinois sous le nom de « Pays de la nouvelle frontière. »
  15. « Kachkar, communément Kachghar, une des villes considérables du Turkestan, est éloignée de mille li d’Aksou, et de trente-cinq journées de caravane de Semipalatinsk. Les étrangers donnent généralement le nom de Kachkari à tous les habitants du Turkestan oriental. Cette ville est très-importante ; son territoire forme l’extrême frontière de l’empire chinois vers le sud-ouest ; il touche, au nord, à la chaîne des montagnes neigeuses, au-delà desquelles le pays n’est pas soumis aux Mandchoux.
    « Kachghar paie annuellement une contribution de 3,600,000 poul ou 36,000 onces d’argent, et 14,000 sacs de blé, que l’on emploie en totalité à l’entietien de la garnison composée de 10,000 hommes, sous le commandement d’un dziangghiun ou gouverneur militaire. Quelquefois, au lieu d’argent, on prend dix mille pièces de toile, que l’on expédie à Ili. La dixième partie des marchandises est retenue pour les droits ; on la vend, après l’avoir taxée, et l’on verse la produit dans la caisse générale. Neuf villes relèvent de la juridiction de Kachghar. Le territoire voisin est, en général, fertile en blé et en fruits. On fabrique, dans ces contrées, du drap d’or et d’argent, du satin, des étoffes de soie, du fil d’argent et d’or, et de la toile. Les productions du sol consistent en grenades, coings, melons, pommes, fruits en pâte et raisins secs ; une partie sert pour payer les impôts à la cour de Pékin. La ville de Kachghar est bâtie près d’une citadelle, et elle est très-peuplée. Les habitants sont à leur aise et très-habiles dans l’art de polir le jade et dans la fabrication des étoffes d’or. Le corps des marchands est nombreux, le commerce florissant, et le concours des différentes nations très-grand. Les droits de douane sont les mêmes qu’à Aksou. On trouve, dans cette ville, un grand nombre de chanteuses et de danseuses habiles. Les gens riches en entretiennent chez eux et les y élèvent pour former leur éducation, comme en Chine. D’ailleurs, les habitants sont soumis aux lois, et, bien différents des habitants de Koutche, ils respectent les officiers, chinois ; du reste, ils sont grossiers ; ils aiment le plaisir. » Timkovski, Voyage à Pékin, tome I, pages 406 et suivantes.
    Cf. aussi Report to a mission at Yarkund, by sir T. D. Forsyth K. C. Calcutta, 1875, pages 38 et suivantes.
    « Yarkand ou Yarkiang est une des grandes villes du Turkestan. Depuis la conquête de ces contrées, les habitants paient un tribut annuel de 35,370 onces d’argent, 30,540 sacs de blé, 30 onces d’or, 800 kin d’huile d’olives, et des impôts évalués à 1,649 onces d’argent ; ces contributions servent à l’entretien de la garnison de la ville. Les Turkestani sont, de plus, obligés de fournir 57,569 pièces de toile de coton, 15,000 kin de coton écru, 1,432 sacs de toile, 1,297 pièces de cordes et 3,000 kin de cuivre ; cette contribution est envoyée à Ili.
    « Le territoire de Yarkiang est uni et d’une grande étendue : il touche, vers l’est, à Ouchi ; vers l’ouest, à Badakhchan ; vers le sud, à Khotan, et, vers le nord, à Kachghar ; au sud-ouest, il confine avec des pays étrangers. On compte, à Yarkiang, douze mille maisons ; chacune des neuf villes qui relèvent de sa juridiction en renferme mille. La garnison, composée d’environ quatre mille cinq cents hommes, habite un quartier séparé : le reste est occupé par des Turkestani. L’on ne voit pas un coin désert. Des marchands chinois du Chang-si, du Chen-si, du Tche-kiang et du Kiang-si viennent commercer à Yarkiang, malgré sa grande distance. On y rencontre également un grand nombre de marchands étrangers d’Andzidjan, de Kachemire et d’autres lieux. Le bazar, dont la longueur est de deux li, est, aux jours de marché, rempli d’hommes et de marchandises. On y voit de riches marchandises de toute espèce, du bétail et toutes sortes de fruits en abondance. Ses habitants sont pacifiques ; ils estiment les Chinois et respectent les fonctionnaires publics ; ils sont d’un caractère timide ; ils aiment les bateleurs et les festins ; les faibles sont opprimés par les puissants ; les juges amassent des richesses en abusant de leur pouvoir. Aussitôt qu’un Turkestani pauvre commence à amasser de l’argent, ces juges tâchent de s’en emparer. Voilà pourquoi, malgré la grande population de la ville, on y trouve peu de familles aisées. Le territoire voisin produit du riz, du millet, des légumes et des fruits d’un goût excellent. » Timkovslu, Voyage à Pékin, tome I, pages 402 et suivantes.
    Sir T. D. Forsyth, Report on a mission to Yarkund. Calcutta, 1875, pages 34 et suivantes.
    La ville de Khoten, capitale de la province de ce nom, est située sur la rivière qui porte son nom. Elle renferme environ six mille maisons. Sous la domination chinoise, une garnison de deux mille hommes occupait le fort de Gulbagh. La population de Khoten se compose de Turks, de Qirghiz, de Tibétains, d’Afghans et d’individus originaires du Kachmir et du Pendjab. Khoten est célèbre pour ses fabriques de soieries, pour son musc : on recueille dans cette province du jade et du musc. M. Abel Rémusat a publié l’Histoire de la ville de Khotan, tirée des annales de la Chine et traduite du chinois. Paris, 1820. Le Dr. Bellew et le capitaine Chapman ont inséré une description de la province et de la ville de Khoten dans le Report of a mission to Yarkund, de sir T. D. Forsyth. Calcutta, 1875, pages 32 et suivantes. « À deux cents li d’Ouchi se trouve Aksou, qui est de la juridiction de cette ville et n’a point de fortifications. Le nombre des maisons y est de six mille ; il y a une douane. Quiconque arrive ici des pays étrangers pour faire le commerce, doit payer des droits. Les nations qui fréquentent cette ville sont : des Chinois, venant des villes de l’intérieur de l’empire, des Kirghiz, des habitants du Turkestan oriental et méridional, des Kachemiriens, des habitants de l’Inde et de Tachkend ; ils sont tenus de donner une pièce de marchandise sur trente ; les Kachemiriens seuls, à cause du grand commerce qu’ils font, ne paient qu’une pièce sur quarante. Les campagnes sont très-fertiles : partout on voit les lentilles, le froment, l’orge, le millet, les pois et le colon promettre des moissons abondantes ; les jardins et les potagers sont remplis de pêches, d’abricots, de poires, de grenades, de raisins, de pommes, de melons, de melons d’eau et de plantes potagères de toute espèce. Les habitants sont généralement à leur aise. On voit de nombreux troupeaux d’animaux domestiques, tels que bœufs, vaches, moutons, chameaux et chevaux. On fabrique beaucoup de toiles de coton ; on façonne le jade avec une grande perfection ; les brides et les selles en cuir de cerf brodées, sont renommées dans toutes les villes du Turkestan. Les habitants sont d’un caractère franc et cordial ; mais, de même que la plupart des Turkestani, chicaneurs et irascibles. La grande route traverse la ville, ce qui amène un grand concours de marchands chinois et étrangers qui viennent faire le commerce, surtout pendant les foires.
    « Aksou est la résidence d’un amban, nommé par le gouvernement chinois ; il a le rang de colonel ; il remplit les fonctions de chef de police et vise les passeports des personnes qui arrivent et de celles qui partent ; il demeure dans le faubourg de Goulbakh, et a trois mille soldats sous ses ordres. » Timkovski, Voyage à Pékin, tome I, pages 401.
    Ilèh, Ili ou Qouldja, grande ville commerçante bâtie sur la rive droite du fleuve Ili qui se jette dans le lac Balkhach, était, sous la domination chinoise, la capitale d’une province importante. Ancienne résidence du khan des Dzoungares, elle fut conquise par les Chinois qui y entretenaient une nombreuse garnison, de soldats mandchoux. La ville était entourée d’une muraille en pierres de taille et renfermait vingt mille habitants. Les Chinois avaient fixé dans la province d’Ili six mille familles du Turkestan pour s’y livrer à l’agriculture.
    Doy me paraît désigner Kouhnèh Thourfan, la ville principale du district de ce nom. Sous la domination chinoise, Thourfan était l’entrepôt du commerce de la Chine avec l’Asie centrale. La ville est bien fortifiée ; elle renferme environ six mille maisons, et la population se compose de Chinois du nord et de Toughâny. La garnison était de trois mille hommes qui occupaient le fort de Kouhnèh Thourfan.
  16. Pékin est désigné par les musulmans de l’Asie centrale sous le nom mogol de Khan Baligh (la ville du khan), ou sous ceux de Bedjin, Tchin ou Djin et Matchin.
  17. Son nom était Khodja Seadet Aly ; il est plus connu sous le surnom de Serim Saq, mot qui, en turc oriental, signifient « semblable à l’aigle noir. » History of Kashgar, by Dr. Bellew, dans le Report of a mission to Yarkund in 1873, by sir T. D. Forsyth. Calcutta, 1875, page 180.
    On peut consulter sur les Khodjas une note de M. W.-W. Grigoriew dans l’Histoire de Boukhara, de Khokand et de Kachgar, par Mirza Chems, pages 100 et suivantes.
  18. Nous possédons un tableau complet de l’administration chinoise dans la province de Kachgar. Il a été tracé par M. Timkovski, Voyage à Pékin, tome I, pages 384 et suivantes, par Mir Izzet oullah, Travels, pages 25 et suivantes, et par Ahmed Chah Naqchbendy dont la relation a été traduite par M. J. Dowson. Journal of the Royal Asiatic Society. Londres, 1850, pages 382 et suivantes.
  19. On trouvera dans l’appendice § III le récit d’un envoyé de Khoqand à la cour de Pékin.
    Mir Izzet oullah a inséré dans ses voyages l’itinéraire de Molla Nazar qui fit en 1228 (1811) le voyage de Pékin à Kachgar. Meer lzzet oollah, Travels, pages 32 et suivantes.