Histoire de l’abbaye des Écharlis/5

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Edmond Régnier
Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne (p. 54-65).

guillaume pellissier, la réforme, la ligue, la fronde

Guillaume Pellissier, abbé des Écharlis de 1542 à 1547, entre bientôt en guerre ouverte avec les religieux. Les moines, dont on connaît l’ardeur belliqueuse par l’équipée de Sommecaise, recourent, cette fois, aux tribunaux.

Pour des abus commis dans le monastère, abus que les documents[1] ne nous font point connaître, Pellissier est poursuivi par Étienne Gaubert, écuyer, et sommé, le 20 janvier 1544, de comparaître devant la Cour dans six semaines; mais, comme il est occupé par les trois États du Languedoc et par le traité avec l’empereur (traité de Crépy-en-Laonnois), il obtient un délai de trois mois. L’ayant cité en vain, le 18 juillet, la Cour, sur une nouvelle requête de Gaubert (1er septembre), qui a obtenu un défaut le 9 janvier 1545 et demandé l’entérinement le 6 février, ordonne à l’abbé de comparaître dans trois jours pour être confronté avec les témoins de Barbarat, religieux qu’il a fait emprisonner. Rien qu’il ne vienne pas, la Cour demande, le 3 avril 1545, à Gaubert de faire venir ses témoins à Paris dans trois semaines.

Le 9 juin 1545, Pellissier obtient un nouveau délai de quinze jours et vient enfin au greffe, le 25 suivant. Deux conseillers l’interrogent, mais, comme ses réponses diffèrent des dépositions des témoins, la Cour ordonne, sur sa demande, le 7 juillet, aux deux commissaires, de les confronter dans trois jours aux dépens de Gaubert. L’évêque, craignant que ce dernier ne communique avec les témoins, prie la Cour de le lui défendre sous peine d’une amende de 1.000 livres parisis (environ 14.000 fr.) et de la perte du procès. La Cour le défend aux deux adversaires.

Une confrontation a lieu, le 10, sans résultat.

Sur ces entrefaites, Pellissier tombe malade. Il réclame encore un délai. Aussi, la Cour, sur une nouvelle requête de Gaubert, du 14, déclare, le 18, que les témoins retourneront « au pays » jusqu’à ce que Pellissier soit rétabli, fait payer par Tévêque les dépenses des témoins, lui défend de quitter Paris ; et, comme les témoins, frères Blaise Broué, Jehan de Chassy et Mathurin Courtin, « prêtres religieux profès » des Écharlis, n’osent rentrer dans le monastère par crainte d’être maltraités, elle ordonne à l’abbé et aux autres officier ? de l’abbaye de les traiter en frères et religieux.

Le 4 août 1545, elle somme l’évêque de nommer les témoins par lesquels il entend prouver les faits reprochés à huit religieux.

Le religieux Guillaume Barbarat demande à être élargi : il a été emprisonné au Châtelet, sans charge ni information, sur une simple requête de Pellissier, parce qu’en poursuivant les abus commis dans l’abbaye par l’évêque et ses gens, il a encouru la haine de l’abbé. La Cour ordonne, le 5 septembre, de le conduire aux Bernardins, puis, le 19, au monastère des Blancs-Manteaux, à Paris. Pellissier supportera les dépens, consignera 20 livres parisis (environ 260 fr.) et sera confronté avec Guillaume dans trois jours.

Elle cite encore, le 29 octobre, à la requête de Gaubert, B. Delaroque et Thomas Le Paige, dépensier de l’abbé, ordonne de confronter Pierre Follet, religieux, avec l’évêque, et, comme Gaubert, las de toute cette procédure, demande qu’elle rende son jugement ou que Pellissier soit confronté avec ses témoins, sous peine d’être condamné à 1.000 livres parisis d’amende, elle somme l’évêque de comparaître dans trois jours ; de plus, Gaubert et ses témoins demeureront à Paris, aux frais de l’évêque, jusqu’à ce qu’il comparaisse. Efforts inutiles !

C’est en vain aussi que les moines font mettre en prison, par le bailli de Sens, Bertrand de La Roque, Gaspard Puydôme, Hilaire de Saint-Père, Philippe Blain et ensuite Thomas Paige, prêtres, serviteurs et officiers de Pellissier ; la Cour les élargit, le 10 juin 1546, les laissant libres de rester à Paris ou de retourner chez eux, et élargit en même temps Jean Berneust, secrétaire de l’évêque de Montpellier, emprisonné à leur requête.

En vain, également, l’abbé fait citer neuf religieux par la Cour, le 20 juillet.

Enfin, Jacques Gaillard, Blaise Brouée, Mathurin Courtin, Simon Delavoye, religieux, et Julien Donné dit Peschaul, qui en appellent, le 3 septembre, d’un mandat d’amener décerné contre eux par le bailli de Sens, comparaissent contre Pellissier, Bertrand de La Roque, son maître d’hôtel, et maître Savinien Hodouart, procureur du roi, et obtiennent, le 11 septembre, leur élargissement.

Il n’est plus question de ces procès : Pellissier cessant d’être abbé des Écharlis, les poursuites sont arrêtées sans qu’une sentence soit rendue.

En ces mêmes années, le prévôt de l’abbaye juge deux causes dont la seconde contient d’instructifs renseignements.

En 1542[2], il condamne, pour rapt de Jeanne Cousin, servante de Jean Desvignes, et pour violences en la maison de Desvignes, sur Desvignes, sa femme et ses serviteurs, l’auteur de ces méfaits, Jean Gauldrin, dit Leblanc, à être pendu aux Écharlis, confisque ses biens et ordonne d’y prélever 24 livres parisis (environ 215 fr.) pour Jeanne Cousin. Gauldrin en appelle, est conduit à la Conciergerie et comparaît devant la Gour qui confirme la sentence du prévôt, le 24 janvier 1543.

Elle s’occupe encore, le 2 décembre 1550, d’un autre jugement intéressant. Le prévôt des Écharlis[3] avait condamné, pour vol chez Le Torneulx, un certain Brouard à être battu de verges par l’exécuteur de la haute justice des Écharlis, en trois endroits de la seigneurie : devant le grand portail de l’abbaye, à la borne qui sépare la seigneurie des Écharlis de la terre de Villefranche et, enfin, devant le portail de l’église d’Arblay. Il avait confisqué ses biens, ordonné d’y prendre 4 livres parisis (environ 52 fr.) pour réparation civile à Le Torneulx, la valeur de ce qui a été volé et ne peut être restitué, la restitution de ce qui peut être rendu, puis défendu à Brouard de récidiver sous peine de plus grande punition corporelle.

Sur appel du condamné, la Cour annule la sentence du prévôt : elle ne confisque pas les biens, mais condamne Brouard à être déshabillé et battu de verges aux lieux habituels des Écharlis, à payer 40 sols parisis (environ 26 fr.) d’amende aux seigneurs des Écharlis et 40 sols parisis à Le Torneulx, à rester en prison jusqu’au paiement de ces sommes et aux dépens du procès.

Pellissier[4] est heureux sans doute de laisser les Écharlis pour une autre abbaye plus proche de son siège épiscopal. Comme les religieux, il doit trouver ce changement beaucoup trop lent. C’est en effet le « 15 mars 1545 » que « le Roy[5] a accordé à M. le cardinal du Bellay, abbé de Saint-Honnorat au diocèse de Grâce, et à l’Evesque de Montpellier, abbé de l’abbaye des Eschalliz au diocèse de Sens, qu’ilz puissent en faveur l’un de l’autre résigner et permuter lesd. abbayes ». Ce changement a lieu seulement soit à la fin de 1546, soit peu après.

Jean du Bellay, successeur de Pellissier, est archevêque de Bordeaux, cardinal d’Ostie et abbé de Pontigny. Il a un chargé d’affaire en cette abbaye ; on ne sait s’il en a un aux Écharlis. Il ne paraît dans aucun de ces deux monastères. C’est un prélat de talent : il reçoit de François Ier les missions les plus importantes, joue un grand rôle à la révolte de Henri VIII contre le pape, mais, selon la judicieuse remarque de l’abbé Henry[6], laisse à d’autres le soin de conduire les religieux dans les voies du salut.

Les revenus de ses abbayes doivent lui servir à payer les frais de ses différentes missions, ainsi que l’atteste le document suivant[7] : « 5 avril 1551. Led. seigneur (le roi) a permis aux marchans qui ashapteront de M. le cardinal du Bellay certaine quantité de boys de hault fustaye qui lui reste encores à vendre des forestz de ses abbayes des Eschailliz et du Tiron[8] dont led. seigneur luy a cy devant donné permission de vendre pour subvenir aux grandz fraiz, mises et despences qu’il luy a convenu supporter à Rome, qu’îlz en puissent faire des eschallatz de quartier non obstant les Ordonnonces sur ce faictes. A Chambort le 5 e avril 1551 après Pasques, »

La Gallia Christiana le mentionne ainsi : « XLVIII, Johannes XIII du Bellay cardinalis, archiepiscopus Burdegalensis episcopus Cenomanensis et abbas Scarleiarum annis 1550, 1555. » Bien qu’il meure en 1560[9], le cardinal d’Attamps lui succède[10] en 1555 et meurt en 1562, d’après Salomon[11]. La Gallia Christiana note simplement : « XLIX, Cardinalis d’Althamps 1562. » En 1564, cependant, une pièce judiciaire concerne son procureur. Peu expéditive, la justice laisse souvent à désirer. En voici un exemple :

Alexandre Lenoble[12], « procureur et receveur de l’abbaye des Écharlis pour le cardinal d’Allemps », est emprisonné au Chàtelet, à Paris, le 27 juillet 1564, par ordre du substitut du procureur général du roi au bailliage de Sens. Protestant contre son incarcération, il en appelle à la Cour et demande au substitut d’apporter au greffe de la Cour les informations qui ont déterminé son arrestation. Le tout est « signiffié à l’hôtel de Fescamp » où le substitut a élu domicile, mais... la concierge et les habitués de cet hôtel disent qu’ils ne le connaissent point. Sur une nouvelle requête, Lenoble obtient de la Cour la permission de « faire commandement aux deux advocatz du roy audict Sens exerceans pour l’absence dudict substitut d’apporter ou envoyer les dictes informations » : les deux avocats répondent qu’ils n’ont pas ordonné cet emprisonnement; l’un même ignore ce dont il s’agit. Après avoir ordonné au substitut d’apporter les informations, la Cour élargit Lenoble le 1er septembre 1564. Le cardinal d’Attamps n’est sans doute pas mort en 1562, comme l’indique Salomon.

L’abbaye est ensuite donnée à Maurice de Huot[13], dit de Saint-Maurice (1570)[14] ; à Vespasien, cardinal de Gribaldi[15] (1577) ; à Pierre III de Tollet, conseiller du roi Henri III et premier aumônier de la reine, déjà pourvu de la cure de Saint-Maurice et des abbayes de Nerlée, Fontainejean et Plain-Pied (1581) ; et à Nicolas de Fer (1582). C’est l’époque des guerres de religion.

Les protestants ont, pour tout ce qui porte le signe de la religion catholique, une haine atroce, impitoyable, qui n’épargne ni les personnes, ni les choses consacrées à Dieu. Un détachement, campé entre Précy et Cudot, brise le mausolée de Sainte Alpais ; un autre se trouve à Chatillon-sur-Loing. Le cardinal Odet de Coligny[16], abbé commendataire de Fontainejean, qui s’est fait, huguenot, vient, le 24 octobre 1562, à la tête de ce détachement, massacrer les religieux et piller cette abbaye. Comme les moines résistent, les protestants mettent le feu et l’église s’écroule. Quatre religieux seulement réussissent à échapper aux scènes de pillage et d’atrocités. De plus, 60 ou 80 cavaliers, conduits par les seigneurs de l’Esstaigne et Godefin, rôdent autour de Champignelles. Il n’y a donc pas de sûreté dans nos campagnes[17].

Aussi, les religieux des Écharlis, ne voulant pas subir le sort des moines de Fontainejean, se retirent sans doute à la Maison-Rouge, à Villeneuve-sur-Yonne. Les protestants viennent-ils aux Écharlis ? Les documents ne le disent point ; mais le monastère n’en subit pas moins la misère et la ruine, Les actes, en effet, montrent les ravages causés par les guerres de religion : « terre en friche, en désert et pleine de buissons et d’espines ».

Le commissaire du clergé du diocèse de Sens vend[18], le 4 février 1577, à Germain Bossuat, à Villefranche, 80 arpents de terre en friche aux taillis d’Arblay sur Cudot. L’acheteur devra donner aux religieux un denier parisis (environ 4 centimes) de censive, moitié froment, moitié avoine, par arpent, chaque année à la Saint-André, et payer 103 livres tournois (environ 1.030 fr.) et les frais.

En 1578[19], l’abbaye loue à Fr. Peschaut, laboureur, 22 arpents de terre « qui ont été ci-devant en bois appelés la Forêt-des-Houx, la plus grande partie de laquelle pièce est inutile et sans aucun profit ne revenu, pour estre en désert et pleine de buissons et d’espines ».

En 1584[20], elle loue, pour trois vies, et 59 ans après ces trois vies, à Pierre Branger, le saut du moulin de Batilly-sur-le-Vrin, à La Celle-Saint-Cyr, qui est actuellement) en ruines[21]

Malgré cet état déplorable, elle n’en doit pas moins payer des impôts extraordinaires et est probablement taxée comme Fontainejean qui verse sous Charles IX 400 livres tournois (environ 3.200 fr.).

Après les ravages de Coligny, viennent ceux de la Ligue.

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Si l’on en croit la Gallia Christiana, René de Viault, seigneur de Champlivaut[22], qui commande, au nom de Henri IV, divers points en Champagne et dans l’Orléanais et qui s’est établi à Saint-Julien-du-Sault, sème la ruine et la mort dans l’abbaye. Voici comment elle mentionne le 53 e abbé : « LIII Nicolaus de Fer, 1582, 1587[23], abbas erat fiduciarius pro Renato de Viault domino de Champlivaut, Précy, etc., qui monasterium destruxit et monachos veneno sustulit. — Nicolas de Fer, 1582, 1587, était abbé fiduciaire pour René de Viault, seigneur de Champlivaut, Précy, etc., qui détruisit le monastère et fit périr les moines par le poison. »

Nicolas et les religieux sont sans doute du parti de la Ligue et refusent de reconnaître Henri IV. Pour les punir, et aussi pour récompenser René de son dévouement et de ses services, le roi donne à ce dernier les revenus de l’abbaye, comme il donne ceux de Roches (diocèse d’Auxerre) au sieur de Montigny, parce que l’abbé a refusé de le reconnaître. De plus, il comble le seigneur de Champlivaut de ses faveurs, le nomme gouverneur d’Auxerre et le décore du corbon-bleu en 1595. Ainsi, Nicolas de Fer est abbé titulaire, mais les revenus des Écharlis appartiennent à René de Viault qui agit, dans le monastère, en propriétaire et en maître.

Par un acte du 8 mars 1595[24], passé devant Gardembois, notaire à Auxerre, « haut et puissant seigneur messire René de Viault, seigneur de Champlivaut, chevalier des ordres du loi, capitaine de 50 hommes d’armes, fondé de procuration de Révérend Père en Dieu messire Nicolle de Fer, abbé de l’abbaye de N.-D. des petits Écharlis », loue pour neuf ans à Georges de Leu, dit de Ferrières, médecin à Joigny, moyennant 43 écus 10 sols tournois et une feuillette de « vin bon et raisonnable » payables à l’abbé « chacun an, en la ville de Paris, en la «maison du seigneur bailleur ».

Le 2 juillet 1596[25], Denis Collon, receveur de Précy, procureur spécialement fondé de René de Viault qui, lui-même, est procureur général et spécial de Nicolas de Fer, abbé commendataire des Écharlis, loue le revenu total de la MaisonRouge et de ce qui en dépend à Villeneuve-sur-Yonne, ainsi que les fiefs de Beauciard, Vauxmorin, etc.

Faut-il croire que le seigneur de Champlivaut imite Odet de Coligny, détruit l’abbaye et empoisonne les moines, sauf quelques-uns qui se sont enfuis ou se trouvent à la Maison-Rouge ? Les mœurs et les cruautés de l’époque rendent plausible cette assertion de la Gallia Christiana.

Le seigneur de Champlivaut n’en profite d’ailleurs que peu d’années, laissant une veuve, la dame de Barbançon et de Vauxmorin qui plaide, en 1604[26], contre le seigneur de Saint-Martin au sujet de la propriété de Vauxmorin. Elle a acquis, dit-elle, ce fief lors de l’aliénation des biens ecclésiastiques en 1595 ; toutefois, les religieux ont le droit de rentrer dans ce bien, en remboursant le principal et les loyaux coûts. De fait, en 1616, l’abbaye rembourse à la dame de Viault 2.943 livres (environ 17.658 fr.) et devient de nouveau propriétaire de ce domaine.

L’aliénation dont il est question a été générale. Pour acquitter leurs dettes, satisfaire aux impositions royales, aux charges de toute sorte et à d’indispensables réparations, les monastères, dont les terres sont en friche par suite des guerres, sont obligés de vendre de grandes propriétés, se réservant le droit de les racheter en des temps meilleurs.

Ce manque de ressources, cet état des campagnes empêchent sans doute les religieux de remplir leurs obligations envers les curés de Villefranche ; mais, le calme revenu, ceux-ci réclament leurs droits.

Le 1er mars 1597[27], une sentence du bailliage de Sens condamne l’abbé et les religieux des Écharlis à payer au curé de Villefranche, chaque année à la Saint-André, dix setiers de grain par tiers en froment, méteil et avoine, pour les droits de dîme appartenant au curé aux Écharlis.

Le 3 mars 1619[28], Martin Thoratier, demeurant au bourg de Villefranche, cède, au nom de Boisseau, procureur des religieux, à Loup Charpentier, curé de Villefranche, 2 setiers de froment, 2 setiers de méteil, 2 setiers d’avoine, à raison de 8 bichets par setier, à percevoir chaque année pendant les quatre ans que Boisseau doit encore faire. Le curé décharge Boisseau et les religieux de pareille quantité de grain que l’abbaye lui donne à la Saint-André.

L’abbaye a sans doute loué des revenus à Boisseau comme précédemment à Thoratier. Elle avait loué[29], le 27 juillet 1604, pour trois ans, à Philippe Thoratier, praticien, demeurant à Villefranche, les dîmes de l’Arrêt» grand et petit, et la moitié de celles de Villefranche (l’autre moitié appartenant au curé), pour 150 livres tournois (environ 1.200 fr.), payables en deux fois, à la Saint-Jean et à Noël.

Le besoin d’argent la rend sévère pour ses débiteurs.

Elle fait saisir[30], en 1606, plusieurs habitants pour le paiement de dix milliers de tuiles, 2 poules et 3 sols parisis qu’ils lui doivent, et fait arrêter Mathurin Martroy. Les prévenus en appellent au juge des Écharlis qui donne gain de cause aux moines, le 9 décembre 1606, puis au prévôt de Villeneuve qui confirme, le 9 juin 1607, la sentence du juge des Écharlis et les condamne aux dépens.

Après une cinquantaine d’années de paix, les Écharlis subissent un nouveau malheur. Pendant la Fronde, l’armée des princes de Condé, de Beaufort et de Nemours, campée aux environs de Châteaurenard et de Châtillon-sur-Loing, ravage les campagnes environnantes. Au mois d’avril 1652[31], les habitants de Villefranche et des Écharlis sont dans l’inquiétude : ils s’attendent à recevoir la néfaste visite des soldats de Condé.

Croyant mettre en sûreté leurs personnes et leurs biens, les habitants des villages voisins de l’abbaye transportent leurs meubles dans les salles désertes du monastère. Les religieux, au contraire, mettent ce qu’ils ont de plus précieux dans vingt grands coffres, les chargent sur un chariot et les transportent, la nuit, dans une chambre du château de Chevillon où le prieur se retire avec quelques moines. Les autres religieux restent à l’abbaye.

Les craintes sont malheureusement trop fondées.

500 ou 700 cavaliers de l’armée de Condé, armés de pistolets et de fusils, arrivent, en effet, le jeudi de Quasimodo, vers 8 heures du matin, mettent pied à terre près de l’abbaye et commencent à escalader les murs. Derrière ces murs, se trouvent plusieurs habitants de Villefranche, entre autres Marin Vallet, notaire de l’abbaye, Jacques G., lieutenant des Écharlis. L’un d’eux demande aux guerriers pourquoi ils forcent le monastère. En guise de réponse, les cavaliers « lancent une bordée de blasphèmes contre le saint nom de Dieu » et tirent plusieurs coups de fusil sur les habitants qui se retirent aussitôt dans les bâtiments. « Rompant la grande porte. », ils passent ensuite dans la grande cour. Comme la porte du parloir est fermée, ils y mettent le feu avec des bottes de paille prises dans la métairie. Ils mettent également le feu dans une grande salle qui est située près de cette porte, renferme « quantité de bois de corde » et est brûlée en un instant, puis, dans la salle des novices qui contient cinq ou six mille fagots et plusieurs coffres appartenant au prieur. Sous l’effet de la chaleur, la voûte s’effondre ; le feu consume alors les bâtiments joints à cette salle, le dortoir des religieux, une partie de l’église et des cloîtres. Tandis qu’à l’aide de cordes, quelques religieux parviennent à se sauver par derrière et vont à Chevillon retrouver le prieur, les soldats contournent l’abbaye, arrivent « aux offices, lingeries et locaux destinés aux religieux » ; ils y trouvent des moines avec un grand nombre de personnes qui y ont déposé ce qu’elles ont de plus cher. Ils prennent ce qui leur convient et font brûler tout le reste. On craint même un moment que les religieux et les gens ne soient égorgés par ces vandales ou consumés par les flammes. De fait, malgré les héroïques efforts des moines, trois femmes et cinq enfants sont atrocement brûlés. La lueur causée par l’incendie se voit de si loin que plusieurs personnes accourent de Chevillon et de Cudot.

Pendant que le feu accomplit son œuvre, les cavaliers se tiennent près des murailles. Leur chef dit qu’ils ne feront plus de mal si on leur donne du pain, du vin et de l’avoine. On les fait entrer dans les bâtiments épargnés par le fléau et on leur donne ce qu’ils demandent. À peine sont-ils rassasiés qu’ils s’emparent de harnais, grains, vins, du contenu de saloirs et d’autres meubles, et mettent encore le feu dans la salle où ils ont été reçus. Puis, ce dernier forfait accompli, ils s’en vont, emmenant les chevaux du monastère et tout leur butin. C’est un désastre complet !

Quelques mois après, l’abbé Roger de Harlay le fait constater par une enquête juridique. Le 20 juillet 1052, Maximilien Gaultier, seigneur de la Borgniote, lieutenant général civil et criminel du bailli de Sens, assisté de Louis Sollé, greffier de l’abbé, de dom Michel Bosquet, prieur, et d’autres personnes, fait le procès-verbal des informations. Les experts déclarent qu’il faut plus de 100.000 livres pour restaurer les bâtiments.

Ce désastre est le dernier que subiront les moines avant leur départ définitif. Sous le long et glorieux règne de Louis XIV, la France n’a plus à déplorer les guerres civiles.

L’abbé qui a fait constater l’énorme chiffre des dommages et qui, d’ailleurs » dispose de tout, vient à leur secours. « Logé[32] dans le palais épiscopal de Lodève ou à Paris dans un somptueux hôtel », il ne peut « laisser les gardiens du monastère dans un dénuement aussi complet ». Les bâtiments et l’église sont réparés. Un procès-verbal du 2 novembre 1711[33] énumère ainsi les réparations à faire dans le monastère :

1.239 livres pour la maison conventuelle, savoir : charpentier, 183 livres ; maçon, 450 livres ; toiture du dortoir, 503 livres ; toiture de l’église, 90 livres ; charrois de 13.000 tuiles, 13 livres.

On voit qu’il n’est question pour l’église que de réparations à la toiture, le reste est en bon état : elle a donc été restaurée.

L’ère des troubles est terminée. Mais, si les moines n’ont plus à craindre des incursions barbares, ils ont des difficultés avec l’abbé commendataire qui prend la plus grande partie de leurs ressources ; ils réclament souvent contre le peu de revenus qui leur est laissé et font, comme nous allons le voir, des règlements, des traités avec l’abbé pour une plus équitable répartition.



  1. Arch. Nat., x²a 97, 98, 99. Soc. des Sc. de l’Yonne, collection Chastellux.
  2. Arch. Nationales, x²a, 96
  3. Id., x²b, 109.
  4. En 1545, Jean Henry et autres reconnaissent qu’ils doivent chaque année à l’abbaye cinq setiers de froment pour une masure et 40 arpents de terre à Chêne-Arnouit. (H 640, liasse.) — En 1549, un arrêt du Parlement condamne Jean David, écuyer, seigneur de Triguères, à payer à l’abbé des Écharlis 4 setiers de froment et 8 anguilles à cause d’un moulin. (H 656, liasse.)
  5. Bibl. Nat., fonds français, 5.127, fol 2.
  6. Abbé Henry, Histoire de l’abbaye de Pontigny, pp. 194 et 195. Auxerre, Maillefer, libraire, 1839.
  7. Bibl, Nat., Ms Fr., 5.128, fol. 25.
  8. Tiron, abbaye, diocèse de Chartres.
  9. À Rome, le 16 février 1560.
  10. 19 avril 1556, bail de 6 arpents appelés « Prés-de-la-Jaille ».
  11. Histoire de l’abbaye des Écharlis
  12. Arch. Nat, x²a 134,
  13. Gallia Christiana : L Mauricius de Huot, dictas de Saint-Maurice, 1570. — LI Vespasianus cardinalis de Gribaldi, 1577. — LII Petrus III de Tollet régi a consiliis primusque reginœ ab eleemosynis, 1581. — LIII Nicolaus de Fer, 1582, 1587, etc.
  14. Maurice de Huot loue, le 7 juillet 1569, le four banal de Villefranche. (Arch. de l’Yonne, H 665, liasse.
  15. 28 février 1572, bail de 7 arpents de terre près de l’abbaye, (Arch. de l’Yonne, H 665, liasse.)
  16. Excommunié le 31 mars 1563, Odet de Coligny épouse publiquement, revêtu de sa robe de cardinal, Isabelle de Hauteville, le 1er décembre 1564. Condamné par le Parlement à 1.000.000 de livres parisis et décrété de prise de corps, il s’enfuit en Angleterre où il meurt empoisonné par un valet, (Jarossay, Histoire de l’abbaye de Fontainejean.)
  17. Dans le diocèse de Sens, il y a, de. 1562 à 1570, par le fait des guerres religieuses : 36 ecclésiastiques, 22 gentilshommes catholiques, 230 gentilshommes huguenots, 7.000 soldats catholiques, 9.000 huguenots de tués ; 350 villes et bourgs brûlés, 1.200 maisons brûlées et détruites. Le nombre des personnes tuées s’élève à 18.918 et la somme totale levée en 21 ans, à 73.600.000 livres, (Jarossay, Histoire de l’abbaye de Fontainejean.)
  18. H 650, liasse.
  19. H 661, liasse.
  20. H 655, liasse.
  21. En 1587, le procureur de Nicolas de Fer et les onze religieux louent à Louis de Solleville, valet de chambre de Mgr le duc de Brubunt, frère du roi, demeurant à Douchy, 31 arpents de terre et une maison au lieu du Fourneau. (H 661, liasse.)
  22. Voir : Eustache de Saint-Phalle.
  23. Cette date ne veut pas dire, comme le suppose Salomon, que Nicolas soit mort en 1587. Elle signifie seulement que Nicolas était abbé en 1587.
  24. H 651, registre.
  25. Salomon, Histoire de l’abbaye des Écharlis.
  26. Salomon, Histoire de l’abbaye des Écharlis.
  27. H 658, liasse.
  28. H 665, liasse.
  29. H 665, liasse.
  30. H 653, liasse.
  31. H 650, liasse.
  32. Salomon, Histoire de l’abbaye des Écharlis.
  33. Étude de Villefranche.