Histoire de la guerre entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Angleterre/Chapitre 05

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Traduction par A. De Dalmas.
Corbet (Volume Ip. 154-176).

CHAPITRE V.


Session du congrès. — Proposition d’armistice. — Revers de Napoléon. — Mesures pour continuer la guerre. — Blocus de nos côtes. — Détails sur les Indiens du Sud. — Tecumseh visite les Creeks. — Guerre avec les Séminoles. — Capture d’une troisième frégate anglaise.



LE congrès des États-Unis se rassembla le 4 novembre pour délibérer sur les nouvelles et importantes affaires de la confédération. On devait s’attendre que l’esprit de parti, qui divisait si malheureusement les citoyens, s’introduirait aussi dans le grand conseil national. La différence d’opinion prenait chaque jour de nouvelles forces ; les uns accusaient le gouvernement d’avoir cédé lâchement à l’influence française ; les autres au contraire le blâmaient d’avoir trop long-temps souffert les outrages de la Grande-Bretagne ; et chaque parti reprochait amèrement à l’autre d’avoir attiré sur nous tous les maux de la guerre.

L’existence de l’esprit de parti est nécessaire dans notre système politique : c’est comme le courant d’un fleuve qui conserve ses eaux pures et limpides en rejetant sur les bords tout ce qui pourrait les corrompre. Aussi sous un gouvernement despotique n’y a-t-il point de partis ; tout se fait dans l’ombre, tout s’agite et se conduit au moyen d’intrigues secrètes ; mais, il faut l’avouer, si, en temps de paix, le choc des opinions tient la nation éveillée, et empêche la corruption de se glisser dans l’administration, en temps de guerre, au contraire, les divisions dans l’état deviennent bien funestes. Le parti opposé au gouvernement ne cherche que trop souvent à paralyser ses efforts, et se rend ainsi le plus utile allié de l’ennemi. Telle était malheureusement notre situation. Beaucoup de gens laissaient voir le dessein d’entraver la marche du gouvernement pour le forcer à solliciter la paix, sans réfléchir sans doute que l’ennemi, profitant d’une telle soumission, ne voudrait l’accorder qu’à des conditions déshonorantes. Il ne sied jamais au véritable ami de son pays de désirer l’humiliation du gouvernement, quelles que soient les personnes qui en tiennent les rênes. Ce n’est point là l’exemple que Washington, cet illustre patriote, nous a laissé ! Mais, il faut le dire, il est bien difficile, si ce n’est même impossible, de tracer la ligne exacte entre une opposition sage et réfléchie, et ces violents emportements qui peuvent mettre en danger l’honneur et la sûreté de la patrie. Dans un des états de l’est les plus contraires à la guerre, la législature osa voter qu’il était immoral et impolitique de se réjouir du succès de nos armes ! Mais bientôt, honteux d’un vote si peu national, ses auteurs eux-mêmes le firent rayer du journal de leurs séances.

Vers le temps où la guerre fut proclamée en Amérique, le gouvernement anglais avait rapporté ses ordres du conseil, l’une des principales causes de nos différents. La situation critique de l’Angleterre avait seule donné lieu à cette concession tardive ; et cependant, comme si elle n’eût agi qu’en notre faveur et pour nous rendre la justice qui nous était due, elle demanda hautement que nous missions fin aux hostilités. Le président répondit que les États-Unis ayant pris les armes, ne les déposeraient pas avant qu’on eût arrangé toutes nos contestations et qu’on eût surtout formellement renoncé à l’abominable usage de la presse. Il proposait en même-temps, pour faire cesser les prétextes de cet inique usage, d’interdire aux navires américains de recevoir désormais à leur bord aucun marin anglais. Une loi portant cette défense fut en effet adoptée et promulguée pendant la présente session.

Le gouverneur du Canada avait aussi proposé de faire une armistice avec les provinces qu’il commandait ; et on se doute bien qu’une pareille proposition, qui était exclusivement favorable à ces provinces, fut rejetée. Dans le même temps notre gouvernement, qui ne voulait négliger aucun moyen d’arrêter l’effusion du sang, autorisa notre ambassadeur à Londres à consentir à la cessation des hostilités, dans le cas où il recevrait une assurance, même non officielle, que la presse serait interrompue pendant les négociations ; mais l’Angleterre ne voulut jamais consentir à rien de semblable. L’amiral Waren fit peu après de nouvelles propositions, en exigeant pour conditions préliminaires que nos armées fussent rappelées dans l’intérieur, et que nos croiseurs eussent ordre de rentrer au port. Il donnait pour motif, qu’étant les agresseurs, c’était à nous à faire les premiers pas vers un rapprochement. Quand donc la Grande-Bretagne nous avait-elle donné des preuves de bonnefoi et de loyauté telles que nous pussions nous livrer avec tant de confiance à sa merci ? Si, en rapportant ses ordres du conseil, elle n’avait voulu, comme elle le prétendait, que nous rendre justice, n’était-ce pas un aveu tacite qu’elle avait violé tous nos droits comme nation neutre, et qu’ainsi les premières agressions étaient venues d’elle ? Est-il nécessaire d’ajouter que plus de deux mille marins pressés sur nos navires gémissaient à cette époque dans les fers comme prisonniers de guerre ? Ne s’était-on pas refusé opiniâtrement à tout ce qui pouvait détruire le sujet de nos justes plaintes ? et cependant on voulait nous faire passer pour agresseurs ! Mais une pareille assertion dans une bouche anglaise n’a rien d’étonnant. Toujours l’inconséquence du raisonnement se fait sentir quand on veut défendre l’injustice ! Après ces vaines propositions, l’empereur de Russie offrit sa médiation ; notre gouvernement n’hésita pas à l’accepter ; mais l’Angleterre, sous prétexte qu’une telle médiation serait contraire à ses intérêts maritimes, ne voulut point en faire usage. Cependant, craignant de montrer ouvertement combien elle était éloignée de désirer la paix, elle offrit d’entrer avec nous dans une négociation directe : offre peu sincère de sa part, et qui n’avait pour but que de prolonger la guerre autant qu’elle le voudrait.

Cependant la face des affaires de l’Europe venait de changer tout-à-coup ; Napoléon avait éprouvé un revers proportionné à l’immense étendue de ses plans. Cet homme, enivré par des succès inouïs, et par l’encens des vils flatteurs qui toujours se pressent autour d’un despote, se croyait au-dessus de l’humanité. Il avait, dit-on, conçu le projet d’un empire universel : chose probable sans doute ; car quel est le conquérant qui sut jamais poser des bornes à son ambition ? Toutefois, s’il est vrai qu’il ait voulu mettre l’Europe à ses pieds, se rendre maître des mille vaisseaux de l’Angleterre pour étendre ensuite sa domination sur le globe entier, le hasard des combats, la fureur des éléments, vinrent bientôt lui prouver qu’une vanité folle et trompeuse avait seule présidé à des plans si gigantesques. Beaucoup de nos citoyens virent avec joie ce jeu bizarre de la fortune, peut-être cette joie était-elle irréfléchie. La chute d’un tyran est sans doute un spectacle agréable pour un républicain ; mais dans les conjonctures présentes cette chute était plutôt contraire qu’avantageuse à nos intérêts ; car la coalition de toutes les forces continentales de l’Europe ne pouvait jamais nous faire craindre une invasion de notre territoire, et le projet de la domination universelle était plus à craindre pour nous de la part de l’Angleterre, qui déjà se proclamait souveraine des mers, et exerçait cette souveraineté autant qu’il est au pouvoir humain de le faire. Quoi qu’il en fût, la téméraire entreprise de Napoléon avait été suivie d’un désastre si épouvantable, que loin d’être encore un objet d’effroi, le politique éclairé doutait s’il pourrait se maintenir sur son trône, si la France ne tomberait pas au nombre des puissances du second rang, et si l’Europe ne trouverait pas dans la Russie une plus formidable ennemie. Car, on peut le dire, le caractère modéré du souverain actuel de ce puissant empire forme la seule garantie des nations qui l’entourent. Enfin, pour en revenir à ce qui nous regarde, il était aisé de prévoir que le déclin rapide de Napoléon laisserait à l’Angleterre la liberté de conduire contre nous des forces plus imposantes, et qu’enflée d’orgueil par ses succès en Europe, elle refuserait de traiter avec l’Amérique aux termes d’une juste et honorable réciprocité.

La première chose qui occupa les délibérations du congrès fut de créer de nouvelles forces dont nos armées avaient un si pressant besoin. Jusqu’alors les enrôlements n’avaient produit que peu de soldats ; et en conséquence on décida de recevoir vingt mille volontaires qui, en s’engageant à servir pendant un an, seraient habillés et payés sur le même pied que les troupes de ligne. L’inefficacité des milices sans discipline et sans subordination se faisait autant sentir dans la présente guerre que dans celle de la révolution ; mais ce mal était sans remède, car il était impossible de lever des troupes réglées en nombre suffisant pour faire face à l’ennemi.

La marine ensuite attira toute l’attention de la législature nationale. Sur cet objet il y eut la plus parfaite unanimité de sentiments : il fut résolu, tout d’une voix, de ne rien négliger pour augmenter notre force navale, et pour encourager le zèle ardent de nos braves marins, sur lesquels la patrie fondait ses plus chères espérances. Dans le reste de la session, le congrès rechercha avec le plus grand soin les moyens de continuer la guerre avec vigueur, et d’éviter à l’avenir des malheurs semblables à ceux que nous avions déjà éprouvés.

Depuis le commencement de la guerre nos côtes, souvent menacées par l’ennemi, n’avaient cependant encore éprouvé aucun dommage important. Au mois de décembre, l’Angleterre les déclara en état de blocus. Ce blocus était purement nominal, comme celui dont toutes les côtes de France avaient été frappées. Les États-Unis avaient autant le droit de mettre en état de blocus tous les ports anglais et d’interdire ainsi aux neutres d’y commercer ; mais ils ne voulurent point imiter ce scandaleux exemple, et consacrer eux-mêmes une violation si manifeste du droit des gens. Au surplus, pendant tout l’hiver de 1812 à 1813, ce blocus ne produisit aucun effet ; l’Angleterre avait toute son attention prise par les grands événements qui se passaient en Europe, et ses vaisseaux, employés à protéger son commerce contre nos corsaires, n’eurent pas le loisir de venir molester nos côtes.

Mais dans le même temps, une autre partie de notre territoire était menacée d’hostilités bien propres à alarmer ses habitants. Les Indiens du Sud, non moins féroces, et peut-être plus audacieux que ceux du Nord, semblaient aussi se disposer à prendre parti contre nous, malgré les bienfaits dont nous les avions toujours comblés. En effet, ceux des Creeks qui habitaient sur notre territoire avaient continuellement été protégés par nos armes contre toutes les peuplades qui les avaient attaqués. Des sommes immenses avaient été employées pour leur enseigner les arts, fruits de la civilisation, et leur fournir tous les instruments de l’agriculture ; des agents de notre gouvernement résidaient près d’eux, pour les guider dans leurs premières entreprises. Ce système, digne de Washington qui le premier l’avait mis à exécution, fut toujours suivi depuis par notre gouvernement, et en peu d’années ses effets devinrent sensibles. Le sol que ces Indiens habitent est de la plus grande fertilité, et produit tout ce qui peut contribuer à rendre la vie heureuse. Les arts domestiques s’établissaient déjà parmi eux ; ils commençaient à se former une idée nette du droit de propriété, source et puissant aiguillon de l’industrie ; ils avaient de nombreux troupeaux ; ils élevaient beaucoup de bétail ; en tout leur situation était plus heureuse que celle de la plupart des paysans de l’Europe. Ils avaient abandonné leurs anciens vêtements de peaux, et ne portaient plus que des étoffes de coton qu’eux mêmes fabriquaient ; enfin, signe indubitable de prospérité, leur population s’accroissait rapidement. Toujours ils avaient vécu avec nous dans les termes de la plus sincère amitié ; jamais nous ne leur avions enlevé le moindre espace de terrain, et nos liens avaient encore été resserrés, par de nombreux mariages mixtes ; car, d’après une de leur lois, aucun blanc, si ce n’est l’agent des États-Unis, ne pouvait résider chez eux, à moins qu’il ne prît pour femme une des filles du pays. Enfin, les sociétés de bienfaisance des États-Unis avaient établi des écoles pour donner quelque instruction à ces Indiens, et faire ainsi disparaître les dernières traces de la vie sauvage à laquelle naguère ils étaient livrés. Il en était à peu près de même des Choctaws, Chickasaws, Chérokées et autres tribus du Sud. L’ordre et l’industrie se faisaient remarquer dans leurs villages, dans leurs occupations journalières, et même dans leurs maisons, bâties le plus souvent par des ouvriers blancs qu’ils payaient bien : ces maisons avaient généralement aussi bonne apparence que celles de la plupart des planteurs américains. Non seulement ils étaient pourvus de toutes les choses nécessaires à la vie, mais déjà ils se procuraient du sucre, du café et d’autres superfluités : il n’était pas rare de voir leurs femmes, vêtues de robes de coton, se rendre dans les villes voisines, ayant sur leurs chevaux des selles achetées des blancs et qui leur coûtaient de 25 a 30 dollars. Enfin, plusieurs de ces Indiens possédaient des esclaves qu’ils employaient, soit à la culture des terres, soit aux occupations du ménage.

C’était donc une véritable cruauté que d’engager ces peuplades dans une guerre quelconque ; c’était arrêter chez elles tous les progrès de la civilisation ; et, de leur part, il y avait une folie extrême à entrer en hostilités avec nous : car, divisées entre elles et entourées de tous côtés par nos établissements, leur destruction devenait inévitable. Le colonel Hawkins, agent des États-Unis, philantrope éclairé, avait dévoué sa vie à adoucir le sort de ces hommes, et avait acquis sur eux un tel ascendant, que peut être il serait parvenu à les détourner de la guerre, si dans le nombre il ne s’était pas trouvé une multitude de mauvais sujets qui, trop paresseux pour s’adonner au travail, affectaient de mépriser le genre de vie nouvellement adopté, et s’efforçaient de faire renaître chez leurs compatriotes le goût des anciennes" habitudes de la vie sauvage, si favorables à la fainéantise et aux passions désordonnées qui les dominaient. Déjà pendant l’été, lorsque la guerre désolait nos frontières du Nord, on vit les plus turbulents de ces Indiens se rassembler par petites bandes, parcourir tout le pays et comme tire des déprédations sur les propriétés de ceux de leurs frères qui menaient une vie régulière, et même sur celles des blancs. Peu après la reddition du général Hull, ils en vinrent à une rupture ouverte, Un parti de Muscogées, ayant rencontré quelques personnes qui descendaient le Mississipi tomba sur elles, et les massacra toutes sans en avoir reçu la moindre provocation. La nation à laquelle ce parti appartenait fit, il est vrai, périr ces féroces assassins, mais il en résulta une sorte de guerre civile entre ceux qui tenaient aux nouvelles habitudes et ceux qui voulaient retourner aux anciennes  ; et il n’est pas besoin d’ajouter que ces derniers finirent par remporter. Aussi la plupart des Indiens qui avaient montré des internions favorables aux États-Unis furent obligés de fuir et de venir chercher un asile sur nos terres.

D’autres causes encore avaient contribué à, amener ce fâcheux état de choses, L’année précédente, le célèbre Tecumseh avait visité joutes les tribus du Sud, dans le seul but de changer leurs dispositions envers nous. À son arrivée dans chaque bourgade, il convoquait tous les habitants, et, avec l’éloquence entraînante qu’il possédait à un degré supérieur, il traitait tous les sujets qui pouvaient émouvoir les Indiens et nous aliéner leur affection. Cet homme, vraiment habile, mêlant le reproche aux sarcasmes les plus amers, faisait honte à ses auditeurs de leurs nouvelles mœurs, et établissait le contraste entre ce qu’il appelait leur vie molle et efféminée et tout ce qui est grand et noble dans l’opinion de ces peuples, Démosthènes, tonnant contre l’incurie de ses concitoyens, ne fut jamais plus véhément ; on peut même dire que les philippiques de cet orateur paraîtraient faibles à côté des horribles imprécations proférées par Tecumseh contre les États-Unis. Aussi laissait-il de profondes traces dans l’esprit de tous ceux qui l’avaient entendu.

Les choses étant ainsi préparées, les Anglais distribuèrent des armes et des présents aux Séminoles et à ceux des Creeks qui résidaient sur le territoire des Florides. La ville de Pensacola était le lieu où se faisaient ces distributions. Peu à peu des hommes de toutes les tribus s’y rendirent à l’invitation des Anglais, et ceux-ci, en flattant les passions de ces Sauvages, et en leur fournissant les moyens de les satisfaire, parvinrent aisément à les entraîner dans une guerre dont les résultats devaient leur être si funestes.

Les Choctaws, les Chickasaws, et les Chérokées, principalement ces derniers, plus éloignés de l’influence anglaise, paraissaient disposés à rester nos amis ; et cependant une foule de leurs jeunes gens, avides de nouveauté, fut se joindre à nos ennemis, malgré les efforts des chefs pour les retenir. Le gouvernement des États-Unis, ne se fiant pas entièrement à la foi de ces peuples, requit les gouverneurs de la Géorgie et du Tennessee d’armer et de rassembler leurs milices ; et au commencement du printemps, le général Jackson, à la tête de deux mille hommes, visita tout le pays des Choctaws et des Chickasaws ; ne voyant de préparatifs de guerre nulle part, il revint sur ses pas après une course de plus de cinq-cents milles. Cette expédition eut pour résultat d’affermir les tribus amies dans leurs bonnes dispositions envers nous, et de retarder les agressions des Creeks.

Les Séminoles, au contraire, suivis d’une troupe de nègres fugitifs et réfugiés parmi eux avaient déjà fait des incursions dans la Géorgie ; le carnage et la dévastation avaient, suivant leur coutume, marqué tous leurs pas. Ils attaquèrent au moins de septembre un détachement sous les ordres du capitaine Williams. Ce détachement, après avoir vaillamment combattu, fut forcé de se retirer, et d’abandonner aux Indiens plusieurs chariots qu’il escortait. Le 24 du même mois, le colonel Newman, à la tête de cent dix-sept volontaires géorgiens, partit pour aller attaquer les bourgades Lochway. Avant d’y arriver, il rencontra cent cinquante Indiens à cheval ; ceux-ci mirent pied à terre et se préparèrent au combat. Le colonel Newman les eut bientôt enfoncés, et il les poussa jusque vers l’un des nombreux marais dont le pays est couvert. Pendant la fuite des Indiens la mousqueterie américaine fit un grand carnage dans leurs rangs ; leur roi fut tué, et son corps était resté entre les mains des blancs ; les Indiens s’en apercevant revinrent à la charge avec un courage admirable : plusieurs fois ils furent repoussés ; mais dans une dernière attaque, plus furieuse que toutes les autres, ils s’emparèrent des restes inanimés de leur chef et les emportèrent en triomphe après avoir combattu plus de deux heures. Mais là ne devaient pas se borner les dangers que les Géorgiens avaient à courir : avant la nuit, les Indiens, joints par un grand nombre de nègres, revinrent les attaquer, et, après une perte plus considérable que la première, ils furent encore forcés de fuir. Néanmoins la situation des nôtres devenait de plus en plus critique ; ayant beaucoup de blessés, ils ne pouvaient, ni avancer, ni reculer, et le nombre des Indiens s’accroissait à chaque instant. Le colonel Newman envoya un exprès demander du renfort, et il fit retrancher son petit camp, pour être plus à l’abri des insultes de l’ennemi.

Les Américains restèrent là une semaine entière, combattant presque continuellement et sans pouvoir prendre de repos ni la nuit ni le jour. Enfin, le 4 octobre au matin, les Indiens, n’entendant aucun bruit dans les retranchements, crurent qu’ils avaient été évacués pendant la nuit, et en conséquence s’approchèrent jusqu’à trente ou quarante pas de distance ; alors les Géorgiens se levèrent tous ensemble, et firent un feu si meurtrier, que les assaillants se sauvèrent dans les marais en poussant des hurlements affreux. Nos gens, profitant du désordre qu’ils avaient causé, sortirent à la hâte de leurs retranchements, et gagnèrent Poccolatta, d’où ils étaient partis, sans avoir fait aucune autre rencontre fâcheuse. La nouvelle de cette affaire parvint au gouvernement pendant la session du congrès, et il fit toutes les dispositions nécessaires pour la défense de cette partie du territoire : le soin en fut confié au général Pinkney, de la Caroline du Sud, homme brave et habile, bien digne du grade de brigadier général des États-Unis, qui lui fut en même temps conféré,

Après avoir dit quel était l’état des choses dans les provinces méridionales, nous avons à faire le récit d’un combat qui vint ajouter le pavillon d’une troisième frégate anglaise aux autres trophées de notre gloire navale.

Au mois d’octobre, la frégate la Constitution, commandée par le commodore Bainbridge, et le Hornet, capitaine Lawrence, firent voile de New-Yorck, La frégate l’Essex, sous les ordres du commodore Porter, était sortie en même-temps de la Delaware, et ces trois vaisseaux devaient se réunir en mer, pour aller de conserve dans la mer du sud s’emparer des bâtiments anglais qui y faisaient la pêche de la baleine. La jonction ne put s’effectuer, et le commodore Porter doubla seul le cap Horn, La Constitution, qui depuis quelques jours était séparée du Hornet, se trouvant le 29 décembre sur les côtes du Brésil, aperçut une frégate anglaise, et mit de suite en panne pour l’attendre. À deux heures après midi, l’Anglais se trouvant à un demi-mille au vent de notre frégate, les deux bâtiments arborèrent leurs couleurs ; le combat commença aussitôt, et un des premiers boulets enleva la roue du gouvernail de la Constitution. À deux heures quarante minutes, le commodore Bainbridge, trouvant que le combat traînait trop en longueur, fit amurer ses deux basses voiles et serra le vent pour s’approcher davantage de l’ennemi ; peu après le beaupré de celui-ci s’engagea dans les haubans d’artimon de la frégate américaine et fut bientôt emporté. À trois heures cinq minutes, l’ennemi perdit encore son grand mât de hune, et son grand mât reçut de fortes avaries. Enfin, dix minutes après, la frégate anglaise ne tirant plus, et le pavillon qu’elle avait au grand mât étant tombé, on crut qu’elle s’était rendue ; en conséquence la Constitution vira de bord pour réparer ses avaries ; mais l’ennemi ayant hissé un nouveau pavillon, elle revint à l’attaque, et au moment où elle se disposait à envoyer sa bordée, le grand mât de l’ennemi tomba ; cette fois ne pouvant plus manœuvrer, il amena réellement son pavillon. Le lieutenant Parker alla de suite amariner cette prise, et il trouva que c’était la frégate la Java, portant quarante-neuf canons, commandée par un officier distingué nommé Lambert, qui avait été mortellement blessé. Cette frégate avait à bord, outre son équipage, deux cents hommes qu’elle portait dans l’Inde ; elle était chargée de dépêches pour Sainte-Hélène, le cap de Bonne-Espérance, et plusieurs autres établissements anglais ; elle portait aussi tous les cuivres nécessaires à un vaisseau de soixante-quatorze qui était en construction à Bombay ; enfin, elle avait parmi ses passagers le lieutenant-général Hislop, qui allait prendre le gouvernement de Bombay et son état major, ainsi que le capitaine Marshall, de la marine royale, et plusieurs autres marins nommés à des commandements dans l’Inde. Cette frégate eut dans le combat soixante hommes tués et cent vingt blessés, et de notre côté la perte ne fut que de neuf hommes tués et vingt-cinq blessés.

La conduite de tous les officiers américains fut également digne d’éloges, et par leur bravoure pendant l’action, et par leur humanité envers les vaincus. Le lieutenant Aylwin, que nous avons déjà eu l’occasion de mentionner si honorablement lors de la prise de la Guerrière, ayant reçu, une balle dans l’épaule, resta sur le pont jusqu’à la fin du combat, ne voulait permettre à aucun matelot de quitter son poste pour le porter en bas. Le lieutenant Parker, et les midshipmen Dulany et Packett, se distinguèrent particulièrement ; ce dernier reçut de l’état de Virginie, dont il était citoyen, une belle épée, et fut peu après promu au grade de lieutenant. Plusieurs matelots donnèrent aussi des marques de courage vraiment extraordinaires. Nous nous bornerons à citer le trait suivant : Un homme avait été horriblement blessé et était resté gisant sur le pont pendant la plus grande partie du combat, sans donner aucun signe de vie ; mais à la nouvelle de la reddition de l’ennemi, il se lève tout debout, pousse trois acclamations de réjouissance, et retombe. On court à lui, il n’était plus !

Deux jours après ce combat, le commodore, trouvant que sa prise était en trop mauvais état pour pouvoir espérer de la ramener au port, la brûla avec tout ce qu’elle contenait, à l’exception du bagage des prisonniers qui leur fut fidèlement restitué. Il relâcha ensuite à San-Salvador, et là le général Hislop lui fit des remercîments publics, et le pria d’accepter une élégante épée eu témoignage de sa gratitude pour les traitements pleins d’égards et de politesse qu’il en avait reçus. Dans cette même ville le commodore Bainbridge mit à terre tous les prisonniers qu’il avait faits, après avoir reçu des officiers, matelots, et soldats, leur parole de ne plus servir contre nous. Quant aux simples particuliers qui étaient passagers sur la Java, le commodore ne voulut point les considérer comme prisonniers de guerre, et les mit en liberté sans aucune condition. Le commodore ayant trouvé le Hornet devant San-Salvador l’y laissa pour bloquer une corvette anglaise appelée la Bonne Citoyenne, et fit ensuite voile pour les États-Unis.

À son arrivée il fut salué par les vives acclamations de ses concitoyens. New-Yorck lui envoya dans une boîte d’or des lettres de bourgeoisie. Les citoyens de Philadelphie lui offrirent une superbe pièce d’argenterie ; plusieurs législatures lui votèrent des remercîments ; et enfin le congrès fit frapper une médaille pour perpétuer le souvenir de la gloire qu’il avait acquise, et ordonna en outre la distribution de 50, 000 dollars entre les officiers et l’équipage de la Constitution.

Cependant la joie publique fut bientôt troublée par l’annonce de nouveaux désastres éprouvés par nos armes dans l’ouest ; désastres accompagnés de circonstances si horribles, qu’heureusement pour l’humanité on en trouve rarement de semblables dans les annales de l’histoire. Nous allons en faire le triste récit dans le chapitre suivant.