Histoire de la pomme de terre/Chapitre IV

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Histoire de la pomme de terre traitée aux points de vue
historique, biologique, pathologique, cultural et utilitaire
Rothschild (p. 204-256).
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Deuxième partie


CHAPITRE IV


I. — HISTOIRE BIOLOGIQUE DE LA POMME DE TERRE


Dans le premier chapitre de cette Histoire, nous avons cherché à faire connaître la patrie de la Pomme de terre, c’est-à-dire les contrées où elle vit à l’état sauvage, sans le secours de la main de l’homme, pour s’y développer et s’y reproduire en toute liberté. Il nous semble utile de faire connaître comment elle est naturellement constituée pour exercer ses fonctions vitales et quelle est la complexité de son organisme. Nous trouvons, du reste, cette partie spéciale de son histoire traitée avec beaucoup de détails par un habile phytotomiste, Schacht, dans un Mémoire intitulé : La Pomme de terre et ses maladies[1] publié à Berlin, en 1856, sous les auspices du Ministère d’Agriculture de Prusse. Nous nous servirons des passages de ce Mémoire qui nous paraîtront nécessaires pour l’éclaircissement du sujet, tout en nous réservant de compléter ces extraits par nos propres observations. Nous passerons ensuite en revue les travaux y relatifs dus à d’autres savants, et les constatations des anomalies plus ou moins singulières ou aberrantes qui ont été faites subséquemment sur les divers organes de la Pomme de terre.

Considérée dans le cours de son existence, la Pomme de terre serait une plante annuelle, se reproduisant chaque année au moyen de ses graines, comme beaucoup d’autres espèces non ligneuses, si elle ne s’assurait une sorte de persistance vitale par la formation de ses tubercules souterrains. Et c’est en cela particulièrement qu’elle est devenue une plante économique, lorsqu’on a réussi à lui faire développer de plus en plus des tubercules volumineux, pour en tirer le meilleur parti possible au point de vue de l’alimentation de l’homme et des animaux. Mais dans l’état de nature, la Pomme de terre ne produit pas de gros tubercules, car ce n’est pour elle qu’un second moyen de reproduction, et c’est surtout par ses graines, comme toutes les espèces sauvages, qu’elle assure sa conservation dans le temps. Par suite, il nous semble logique de commencer son étude biologique par celle de sa graine, qui, après la germination, nous donnera une plantule d’où sortira, dans les conditions ordinaires de la vie, la plante adulte avec ses tiges, ses feuilles et ses fruits, ses racines et ses tubercules.


Fig. 42 et 43. — Graine de Pomme de terre, vue entière et en coupe longitudinale pour montrer l’embryon qu’elle renferme. (Grosst 25/1.)

Fig. 44. — Partie de l’enveloppe extérieure de la graine de Pomme de terre. (Grosst 300/1.)


Graine. — La Graine est ovale, presque plate, d’une couleur blanchâtre ou jaunâtre, et mesure 0m,002 × 0m,001 environ. Le tégument qui constitue son enveloppe extérieure est assez épais, et revêtu à sa surface d’un grand nombre de filaments régulièrement disposés, mais courts et raides. Ce tégument renferme une petite membrane fort mince, dans laquelle se trouve un liquide peu consistant au sein duquel se montre en suspension le jeune embryon. Ce dernier est courbé en crochet ; la partie presque droite est la future radicule, la partie courbée est constituée par les deux cotylédons ou feuilles séminales, à la base desquelles et en continuation de la radicule se laisse voir la tigelle. Telle est la graine à sa maturité et à l’état de repos.

Germination. — Lorsqu’on place cette graine dans des conditions convenables de chaleur, de lumière et d’humidité, l’embryon, dont la vie latente cesse d’être suspendue, manifeste les premiers effets de son existence. L’humidité du sol, qui peu à peu imbibe la graine, pénètre lentement d’abord dans le tégument externe qu’elle distend légèrement, puis dans l’albumen qu’elle rend plus fluide : l’embryon, qui baigne alors dans ce liquide nutritif, s’anime à son tour et sort de sa torpeur. Pour comprendre cet essor vital, il faut savoir que le tissu qui le constitue est composé d’un grand nombre de petites cellules rudimentaires, dont chacune desquelles renferme une substance à demi fluide, presque transparente, finement granuleuse, que l’on appelle protoplasme ou protoplasma, ou plus simplement plasma[2]. Au centre de ce plasma, se trouve un très petit
Fig. 45. — Germination de la Pomme de terre. Plantule d’un mois et demi. (3/4 de grand. nat.)
sphéroïde utriculaire, un peu plus dense, que l’on désigne sous le nom de noyau. Lorsque ce plasma cellulaire, sous l’action de la chaleur et de l’humidité, sort de son engourdissement, il absorbe les liquides nutritifs de l’albumen, et, sous l’impulsion mystérieuse du noyau qui se divise, il se sectionne lui-même et forme autour de lui les membranes minces, ébauches des nouvelles cellules. Ce travail de formations cellulaires s’accomplissant en même temps dans toutes les parties de l’embryon, celui-ci grossit et s’allonge, de telle façon qu’à un certain moment, trouvant trop étroite la prison dans laquelle il se trouve enfermé, il presse avec force sur les tissus tégumentaires. C’est alors que le tégument s’ouvre et livre passage à la radicule qui, peu après, se recourbe, et plonge dans le sol environnant. Cette radicule émet bientôt sur son pourtour de petits poils celluleux, fort ténus, dont la fonction consiste à absorber les sucs nutritifs qu’ils rencontrent, pour leur permettre de se rendre dans les tissus de la radicule et de là passer dans ceux de la tigelle. Cette dernière apparaît à son tour, se dresse dans l’air ambiant, et, sa végétation commençant à s’effectuer, développe ses deux premières feuilles ou feuilles cotylédonaires, qui existaient déjà à l’état rudimentaire dans l’embryon. Dès lors, la période végétative ainsi ouverte ne s’arrête plus. La radicule se ramifie dans le sol, et chacune de ses radicelles, pourvues de poils celluleux absorbants, s’enfonce dans la terre humide, à la recherche d’éléments nutritifs, pendant que la tigelle s’élève peu à peu à son tour, laissant apparaître successivement ses premières feuilles végétatives par formation alternante.

Lorsqu’on suit, sur cette plantule de Pomme de terre, la croissance de la jeune tige et de ses feuilles, on constate un phénomène singulier : c’est que ces premières feuilles affectent une forme extrêmement simple et ne rappellent, en aucune façon, les feuilles complexes que l’on connaît pour être celles de la Pomme de terre. Si l’on suit l’apparition de ces feuilles primordiales, on constate que la première est presque similaire aux feuilles cotylédonaires, la seconde un peu plus large que la première, la troisième plus large encore mais arrondie ; puis on voit les quatrième et cinquième feuilles s’arrondir et, le plus souvent, la sixième feuille présenter deux petites échancrures. En continuant cet examen, on s’aperçoit que la septième feuille devient trifoliolée, avec une foliole terminale de plus grande dimension ; que les huitième et neuvième feuilles développent cinq folioles dans le même ordre, et qu’enfin, sur la dixième feuille une ou deux foliolules se montrent à la base des cinq folioles précédentes. Dans le même temps, la base de la tige a émis dans le sol des prolongements souterrains ou stolons, qui se renflent sensiblement à leur extrémité pour donner naissance à de petits tubercules dont le volume s’accroît peu. Il en résulte qu’au commencement de l’automne, si le semis a été fait au printemps, la plantule de Pomme de terre n’a accompli qu’une première période de formation, et que ses tubercules de première année lui sont nécessaires pour arriver la seconde année à son état adulte, c’est-à-dire pour développer une tige plus forte et plus élevée, des feuilles végétatives complètes, et terminer cette tige par une cyme de fleurs capables de fructifier, en même temps pour produire sur ses stolons des tubercules de grosseur normale[3].


Fig. 46. — Germination de la Pomme de terre. Plantule de trois mois (3/4 grand. nat.).

Fig. 47. — Germination de la Pomme de terre. Extrémité d’une tige de plantule de quatre mois (3/4 gr. nat.).

On pourrait se demander pourquoi la Pomme de terre présente cette série de formations foliaires, allant du simple au composé, pourquoi enfin cette plante ne débute pas par des feuilles adultes et est obligée ainsi d’être astreinte à une succession de formes qui semblent tout d’abord anormales ? Cette Solanée est loin d’être la seule plante à se trouver dans ce cas particulier : elle obéit donc à une loi qui veut que les êtres complexes n’arrivent à leur complet développement qu’en passant par des phases successives qui rappellent celles des êtres qui les ont précédés dans le temps. Le genre Solanum est un des genres les plus nombreux en espèces de l’époque géologique actuelle, puisqu’on en compte plus d’un millier, et de son côté le Solanum tuberosum ou Pomme de terre est le type spécifique qui, dans la série des Solanum tubérifères, est de tous le plus complexe. Il résume donc en lui tous les développements des types affines qui l’ont précédé dans leur apparition sur le globe, et les reproduit successivement dans ses périodes de formation[4].


Fig. 48. — Coupe transversale d’une jeune pousse de Pomme de terre, montrant de gauche à droite le tissu de l’épiderme et de l’écorce, puis celui plus serré du faisceau vasculaire, ensuite celui de la moelle (gr. 60/1). D’après Schacht.


Fig. 49. — L’épiderme de la tige aérienne ; a, cellules épidermiques ; e, un stomate (gr. 200/1). D’après Schacht.
Tige. — Si nous étudions anatomiquement le tissu de la tige, Schacht nous montrera qu’elle est revêtue à l’extérieur d’un épiderme, constitué par des cellules en général prismatiques ou fusiformes, entre lesquelles s’ouvrent çà et là des cavités respiratoires fermées par deux cellules accouplées, formant un stomate ; sous cet épiderme, se trouve une zone circulaire qui est l’écorce, laquelle entoure une autre zone intérieure ou couche du faisceau vasculaire, qui repose sur une moelle centrale. Le tissu des tiges souterraines ou stolons ne diffère de celui des tiges aériennes qu’en ce que l’épiderme y toujours dépourvu de stomates.

Fig. 50. — Coupe transversale de la partie extérieure d’une tige de Pomme de terre : a, épiderme ; e, stomate, avec sa cavité respiratoire f ; b, tissu sous-épidermique ; c, tissu cortical, avec ses dernières cellules, l ; m, cambium ; n, faisceau vasculaire ; o, cellules ligneuses (gr. 200/1). D’après Schacht.


Feuilles. — D’après Schacht, le tissu des feuilles est composé de deux épidermes pourvus de stomates, entre lesquels se trouve une couche de cellules en palissade reposant sur d’autres couches de cellules moins allongées, que traversent les faisceaux vasculaires des nervures. Il y a donc une respiration très active à la fois par les deux faces foliaires et par l’épiderme de la tige.

Racine. — Quant à la racine, elle est constituée par un tissu serré de cellules allongées, entourant la couche centrale du faisceau vasculaire ; son extrémité est protégée par une sorte de coiffe, appelée pilorhize, et son pourtour extérieur émet, comme nous l’avons vu, des poils simples assez courts qui lui constituent autant

d’organes d’absorption. C’est par là que les liquides nutritifs du sol passent dans les vaisseaux de la racine, puis dans ceux de la tige et des nervures foliaires, pour se rendre dans les cellules des feuilles où ils achèvent de s’élaborer ; le surplus de ces liquides, à l’état de vapeur, s’échappe définitivement par les stomates.


Fig. 51. — Petite partie d’une coupe transversale de feuille de Pomme de terre : a, épiderme supérieur ; d, épiderme inférieur ; b, cellules en palissade ; c, cellules médianes ; e, stomate, avec sa cavité respiratoire f ; h, nervure, avec k, ses cellules vasculaires ; g, poil ; i, base d’un poil (gr. 200/1). D’après Schacht.
Fig. 52. — Épiderme de la face supérieure d’une feuille : a, cellules épidermiques ; e, un des stomates (gr. 200/1). D’après Schacht. Fig. 53. — Épiderme de la face inférieure : a, cellules épidermiques ; e, un des stomates (gr. 200/1). D’après Schacht.


De son côté, le plasma des cellules foliaires ainsi humidifié, a formé dans sa masse un certain nombre de globules de substance à demi fluide et verdâtre, que l’on appelle grains de chlorophylle,
Fig. 54. — Extrémité d’une racine : wm, coiffe ; wh, poils radiculaires (grossi 30/1). D’après Schacht.
dont la fonction est de concréter dans leur intérieur, au moyen de la lumière solaire et des sucs élaborés dans la cellule, des granules de fécule ou d’amidon. Ce sont là les éléments nutritifs de réserve que la plante s’assimilera pour développer ses fleurs et mûrir ses fruits, et redissoudre l’excédent sans emploi pour en remplir le tissu celluleux de ses tubercules.

Inflorescence. — Revenons à la tige que nous pouvons considérer comme un axe, susceptible parfois de se ramifier en axes secondaires, mais dans l’un et l’autre cas terminant sa période végétative par la formation finale d’un support florifère. L’ensemble de ce bouquet floral est ce que l’on nomme son inflorescence. L’axe florifère, long de 3 à 4 centimètres, se dédouble à sa partie supérieure en deux axes secondaires, sur chacun desquels se trouvent successivement insérés, à courte distance, les pédicules de 6 à 8 fleurs. Ces fleurs ne s’épanouissent que l’une après l’autre sur l’axe qui les supporte, d’après leur ordre d’insertion, de telle sorte que les terminales sont encore en boutons, lorsque les basilaires sont écloses. Mais comme la floraison n’est pas éphémère, il se trouve d’ordinaire que toutes les fleurs d’un même axe sont ouvertes en même temps, les premières n’était pas encore flétries, lorsque les dernières s’épanouissent à leur tour. Cette disposition peut favoriser les fécondations de fleur à fleur, soit par le vent, soit par les insectes. En fait, ce mode d’inflorescence, caractérisé par une double grappe de fleurs à éclosion successive, s’appelle une cyme, et se montre constant dans toutes les variétés du Solanum tuberosum. Un point important à noter, c’est que chaque pédicule de fleur est articulé, de telle sorte que la fleur peut se détacher en cet endroit de l’articulation, ce qui arrive en cas de non-fécondation.

Fleur. — La fleur est composée de trois verticilles d’organes insérés de l’extérieur à l’intérieur autour d’un organe central qui constitue le pistil ou organe femelle. Le premier verticille est le calyce à cinq lobes aigus, verdâtres ; le deuxième, d’une seule pièce également, est la corolle à cinq lobes pétaloïdes, plus ou moins aigus, de couleur variant du blanc presque pur au violet foncé, suivant les variétés, lesquels s’épanouissent largement à la lumière solaire, mais se plissent et se referment partiellement après le coucher du soleil ; le troisième verticille est constitué par les cinq étamines, d’un beau jaune, disposées en opposition avec les lobes du calyce : chaque étamine se compose d’un court filet supportant une anthère à deux sacs distincts, qui s’ouvrent au sommet par un pore, lequel, en s’ouvrant à la maturité de l’organe, permet aux deux loges de chacun des sacs de se mettre en communication avec l’air ambiant.


Fig. 55. — Coupe transversale d’un jeune bouton de fleur : k, un des sépales ; b, un des pétales ; s, une des étamines ; f, pistil (gr. 40/1). D’après Schacht.
Fig. 56. — Coupe transversale d’un bouton de fleur très développé : k, sépale ; b, pétale ; s, étamine, y, loge d’une anthère ; f, pistil (gr. 12/1). D’après Schacht.
Fig. 57. — Coupe longitudinale d’un bouton de fleur : k, sépale ; b, pétale ; s, étamine ; f, ovaire ; sw, style ; n, stigmate (gr. 8/1). D’après Schacht.


Les grains de pollen ou utricules polliniques se forment dans ces loges et s’échappent au fur et à mesure de leur mise en liberté par les pores terminaux de l’anthère. Cette disposition est à prendre en considération lorsqu’il s’agit de prélever du pollen pour opérer des fécondations artificielles. En effet, lorsqu’on s’adresse à des étamines dont les anthères commencent seulement à montrer ouvert leur pore terminal, il y a peu de pollen en maturité, celui seulement de la partie supérieure des loges de l’anthère, parce que celui qui est au fond des loges est incomplètement développé. Il convient donc de ne se servir que des anthères ayant deux ou trois jours de déhiscence, dont le pollen est tout à fait prêt pour la fécondation.

Fig. 58. — Anthère d’une fleur épanouie, avec ses deux pores terminaux ouverts x (gr. 8/1), D’après Schacht. Fig. 59. — Coupe transversale d’une anthère d’une fleur près de s’épanouir : y, une des loges de l’anthère ; z connectif (gr. 25/1), D’après Schacht.

Pollen. — Schacht représente le grain de pollen sous la forme d’une utricule sphérique, renfermant dans son intérieur une sorte de liquide plasmatique granuleux avec un noyau. On sait que c’est une cellule mâle chargée de féconder l’ovule dans l’organe femelle.

Fig. 60 à 65. — Grains de pollen d’une fleur de Pomme de terre, conservés sur l’eau pendant 24 heures, et dont cinq présentent des petites papilles (gr. 200/1.)


À la suite de l’examen que nous avons fait de grains de pollen de diverses variétés de Pomme de terre, nous avons pu constater qu’ils ne sont pas tous constitués si simplement. Extraits d’une même anthère, ils se montrent d’abord plus ou moins bien développés, certains mêmes fort petits paraissent avortés. Mais une anthère de fleur flétrie de Hollande rouge nous en a fourni quelques-uns qui nous ont paru intéressants à observer. Nous en avons vu, en effet, à côté de plusieurs qui étaient sphériques, à surface parfaitement close, d’autres qui, de même forme, présentaient sur la surface, une, deux, trois, quatre ou cinq papilles, ce qui faisait prévoir que chacun de ces grains de pollen avait la faculté d’émettre le même nombre de tubes polliniques fécondateurs. Cette observation nous paraît avoir cet intérêt qu’elle explique que pour féconder le nombre assez grand des ovules (en moyenne 300), il n’est pas besoin d’un aussi grand nombre de grains de pollen, si ceux-ci ont la faculté d’émettre plusieurs tubes fécondateurs. En effet, s’ils en émettent trois, il n’en faut que cent, et avec cinq, il suffit de soixante. Or chaque loge d’anthère peut en produire environ une centaine, ce qui, pour les cinq anthères à deux loges, représente un millier de grains de pollen. Il y a certainement là de quoi assurer la fécondation.

Fig. 66. — Coupe longitudinale du Pistil dans un bouton de fleur : n, stigmate ; sw, style ; fw, paroi de l’ovaire ; st, placenta sur lequel sont insérés les ovules sk (gr. 12/1). D’après Schacht. Fig.67. — Coupe transversale de l’ovaire d’un bouton de fleur. fu, paroi de l’ovaire ; st, placenta sur lequel sont insérés les ovules sk (gr. 12/1). D’après Schacht.

Pistil. — L’organe femelle ou pistil est composé d’un ovaire qui repose sur le sommet de l’axe floral et qui est surmonté d’un style, autour duquel se dressent les anthères rapprochées deux à deux en forme de tube staminal, lequel tube est assez étroit dans sa partie supérieure pour ne livrer qu’un passage suffisant à la colonne stylaire. Ce style se termine en un stigmate légèrement bilobé et peu renflé, de couleur verdâtre, qui se trouve placé à une distance plus ou moins rapprochée, suivant les variétés, des pores supérieurs des anthères. Quant à l’ovaire, il est ovoïde, presque sphérique et partage en deux loges qui ont chacune un placenta spécial sur lequel sont insérés environ cent cinquante ovules. l’ovaire en contenant en moyenne trois cents. Mais il arrive rarement qu’ils soient tous fécondés, si bien qu’à la maturité lorsqu’on recueille les graines, on n’en compte plus que le tiers, la moitié ou les trois quarts. Cet ovaire, après la fécondation, grossit en même temps que les ovules qui se développent simultanément avec lui, et à la maturité des graines il se présente sous la forme d’une baie sphérique, blanche ou rougeâtre dans différentes variétés. À cette époque, les placentas se sont ramollis et les graines paraissent se trouver dans une pulpe humide, mucilagineuse, dont elles ont besoin d’être débarrassées pour se conserver à sec.

Fécondation. — Il nous paraît utile de dire ici quelques mots de la fécondation, sans nous appesantir cependant sur ce sujet qui demanderait des explications difficiles à suivre. Mais il est nécessaire d’en posséder quelques notions pour se rendre compte de ce qui se produit de diversité dans les plantules obtenues de graines résultant de fécondations croisées. Nous avons vu que chaque grain de pollen peut émettre plusieurs tubes fécondateurs. C’est ce qui arrive lorsque ce grain pollinique est placé, par une cause ou une autre, sur les papilles stigmatiques. Chacun de ces tubes polliniques s’enfonce dans le tissu du canal stylaire et, en s’allongeant successivement, pénètre dans un petit canal de l’ovule, destiné à le recevoir, pour se rendre au fond de ce canal jusqu’à une grosse cellule qu’on appelle le sac embryonnaire. Après ce contact, a lieu l’acte fécondateur, c’est-à-dire que le plasma et le noyau terminal du tube pollinique se mélange avec le plasma et le noyau principal du sac embryonnaire, et que par l’union intime des deux noyaux et le mélange des deux plasmas, mâle et femelle, il se forme une cellule spéciale, d’organisation nouvelle, qui est le premier rudiment de l’embryon. Ce dernier se développe peu à peu dans l’ovule, par des stades successifs d’évolution, et il arrive un moment où cet ovule, devenu la graine à sa maturité, laisse voir cet embryon complètement constitué dans son intérieur, tel que nous l’avons décrit au moment de la germination.

Or que se passe-t-il dans la formation de cet embryon naissant ? C’est que d’un côté le plasma mâle, de l’autre le plasma femelle, issus tous deux du plasma général de la plante, contiennent en puissance tous les éléments de son développement, parce qu’ils en sont l’émanation ultime. Leur union génératrice dans l’embryon ne lui permettra donc que de reproduire les organes de la plante mère, et s’il se montre quelques variations dans les plantules, elles seront seulement d’un caractère plus accusé. Mais tout autre serait le résultat si le plasma mâle ou le plasma femelle provenait, soit l’un, soit l’autre, de variétés différentes. C’est ce qui arrive dans la nature lorsque des insectes portent le pollen d’une variété sur le stigmate d’une variété différente. C’est aussi ce qui se passe, quand, au moyen de la fécondation dite artificielle et croisée, on opère de même, ou bien lorsqu’on essaie de faire des hybridations entre espèces voisines d’un même genre. On facilite ainsi le mélange des plasmas sexués de deux types différents, et si la fécondation ainsi préparée réussit, on obtient un embryon dont les facultés génératrices procèdent soit du père, soit de la mère, ou des deux à la fois. À une certaine époque, on ne connaissait que les semis des graines produites naturellement sur les pieds que l’on cultivait. Mais depuis plus de trente ans, on a tenté de pratiquer la fécondation croisée entre variétés de Pommes de terre différentes, et l’on est arrivé par cette méthode expérimentale à obtenir des produits de meilleure qualité, de plus grande hâtiveté ou de plus forte productivité, en raison des croisements effectués entre types choisis à cet effet.

Fig 68. — Jeune ovule de l’ovaire d’un bouton de fleur : kh, son enveloppe, kk, son embryon avec son sac embryonnaire es (gr. 200/1), D’après Schacht. Fig 69. — Ovule d’une fleur épanouie : kh, son enveloppe ; es, sac embryonnaire ; km, ouverture ovulaire (ou micropyle) par laquelle pénètre le boyau pollinique(gr. 200/1). D’après Schacht.

Les procédés que l’on emploie pour réussir ces fécondations expérimentales varient suivant les opérations que l’on se propose de faire. Il se peut qu’on ne veuille pratiquer que la fécondation artificielle sur les fleurs d’une seule et même variété de Pomme de terre. Dans ce cas, il suffit de transporter le pollen mûr[5] des loges des anthères sur le stigmate d’une ou de plusieurs fleurs de la même inflorescence, ou de fleurs particulièrement choisies sur des inflorescences de pieds différents.


Fig. 70. — Fruits (ou baies) de la Pomme de terre, les uns entiers, deux autres coupés longitudinalement, le fruit supérieur coupé transversalement. Reproduction d’une photographie de la Conférence intitulée Potatoes, par M. Arthur Sutton (1895).


On n’agit en somme de la sorte que pour faciliter la fécondation de la même plante, pour aider, s’il se peut, à la nature. Mais si l’on projette de faire un croisement entre variétés différentes, il convient de prendre certaines précautions qui doivent empêcher la fécondation naturelle de s’effectuer. Il faut alors enlever les étamines sur toutes les fleurs que l’on veut opérer, et cela avant la maturité des anthères, en ayant le grand soin de ne pas blesser le pistil, puis faire disparaître toutes les fleurs de l’inflorescence qui ne sont pas susceptibles d’être utilisées, et, pour plus de sûreté, après l’opération, entourer d’une gaze fine les fleurs artificiellement fécondées. On constatera quelques jours après, le succès de la tentative de croisement, en voyant l’ovaire grossir et se développer ; l’insuccès se fera remarquer au contraire, par le détachement de la fleur de son pédicule.

Tubercules. — Mais la Pomme de terre n’est pas une plante qui ne se reproduit que par ses graines. Elle a un autre mode de propagation dont on a su tirer parti ; c’est qu’elle est apte à former des tubercules souterrains, et il peut arriver que cette faculté lui soit même souvent nécessaire pour arriver de semence à l’état adulte.

Nous avons vu, dans les Chapitres précédents, qu’on avait cru pendant fort longtemps que ces tubercules faisaient partie du système radiculaire de la Pomme de terre, et qu’on ne les désignait que sous le nom de racines. On n’avait pas fait attention que les tubercules naissent sur des filaments particuliers sortant de la partie souterraine de la tige, et qui en dépendent nécessairement. Dans son Histoire naturelle, médicale et économique, parue en 1813, Dunal est le premier qui a signalé ce fait important. « On a coutume, dit-il, de désigner sous le nom de racines, ces tubercules qu’on trouve sous terre au bas de la tige, ou à côté du bas de la tige de deux espèces de Solanum. Ces organes sont différents dans chacune de ces espèces. Dans l’une, le Solanum montanum, ce sont des tubercules assez gros d’où s’élèvent les tiges et d’où naissent les racines ; tubercules qui sont uniques pour chaque tige et qui me paraissent faire partie de celle-ci. Les tubercules souterrains de la Pomme de terre sont d’une consistance charnue, recouverts par une pellicule qui se détache aisément, variant beaucoup de forme, de couleur et de grosseur. Ils sont irrégulièrement bosselés et présentent des cavités dans lesquelles sont logés de véritables bourgeons. Ils diffèrent essentiellement des tubercules du Solanum montanum et de leurs analogues par la circonstance que nous venons de noter, qu’ils sont comme de véritables tiges, munies d’un grand nombre de bourgeons et à cause de cela peuvent être divisées pour former des boutures. En outre, ils ne font pas partie intégrante de la tige au bas de laquelle on les trouve ; ils se développent au contraire en très grand nombre tout le long, ou à l’extrémité des filamens qui naissent du bas de la tige, filamens qui
Fig. 71. — Stolon ou tige souterraine de Pomme de terre, portant de jeunes tubercules en formation (3/4 de grand. nat.)
donnent aussi naissance à des radicules ».

En 1828, Turpin, dans son Mémoire sur l’organisation des tubercules du Solanum tuberosum, etc.[6], qu’il avait lu à la Société philomathique, avait appuyé de nouvelles observations ce qu’avait fait connaître Dunal. En étudiant la germination d’une graine de Pomme de terre, il avait remarqué que de l’aisselle des feuilles cotylédonaires et des trois premières feuilles suivantes, étaient partis des axes secondaires qui s’étaient allongés et qui avaient pénétré dans le sol. L’axe de la troisième feuille s’était à peine enfoncé dans la terre ; elle s’était relevée et, redevenue aérienne, s’était couverte de jeunes feuilles. Mais, dans sa partie souterraine, cet axe avait donné naissance à de petits tubercules, comme avaient fait d’ailleurs les quatre autres axes qui étaient restés enfoncés dans le sol, et à l’extrémité desquels un tubercule s’était également formé. De plus, des radicelles s’étaient développées sur les entre-nœuds de ces tiges axillaires, pendant que l’axe principal se continuant dans la terre en cône radiculaire se couvrait de semblables radicelles, sans émettre lui-même aucun axe tuberculifère. Il en concluait que tout le système des racines ne peut, dans aucun cas, produire ces tubercules que l’on nomme des Pommes de terre ; que ceux-ci dépendent entièrement du système tigellaire, dont ils ne sont en réalité que des parties terminales de tiges, qui s’épaississent par la prodigieuse multiplication des vésicules-mères du tissu cellulaire. Quant aux racines qui naissent des bourgeons des tubercules, elles naîtront toutes de la partie extérieure des entre-nœuds, et comme, dans le cas précédent, ces racines ne produiront jamais de tubercules.

Ainsi donc les tubercules de la Pomme de terre sont des dépendances directes de la tige et non de la racine. Mais comment se forme chacun de ces tubercules ? D’après Schacht, le tubercule de la Pomme de terre est un renflement de l’extrémité d’un rameau souterrain, et comme tel il est couvert de bourgeons. Lorsque ce tubercule est définitivement constitué, il présente çà et là à sa surface de petites dépressions plus ou moins accusées, autour desquelles on distingue de rares écailles rudimentaires, parfois peu visibles, et deux à trois bourgeons naissants. C’est ce qu’on appelle en terme technique les yeux du tubercule. « Dans chaque œil de tubercule de la Pomme de terre, dit Schacht, se trouvent plusieurs bourgeons l’un près de l’autre. Celui qui est placé au milieu est le bourgeon principal : il pousse d’ordinaire le premier ; s’il n’existe pas ou se développe peu, les bourgeons de réserve se mettent d’ordinaire à pousser aussitôt, pendant que le bourgeon principal s’étiolera ou même se détachera. Les bourgeons situés à la partie antérieure des tubercules, c’est-à-dire à leur extrémité essentiellement organisée, poussent de préférence à ceux qui sont placés à leur partie postérieure, c’est-à-dire sur la moitié qui se trouve en dépendance directe avec leur tige génératrice. Du reste, sur cette dernière partie, les yeux existent d’ordinaire en très petit nombre et il ne s’y développe que de rares germes atrophiés. C’est pourquoi, lorsqu’on se sert pour la plantation, au lieu de tubercules entiers, des morceaux de ces tubercules, il faut faire attention de ne pas choisir la moitié inférieure, parce qu’on peut ne pas obtenir de germinations. Les germes, que le tubercule de la Pomme de terre développe tout d’abord, sont plus vigoureux que ceux qui se forment après le retard des premiers ; par contre, après les premières germinations, on voit s’augmenter souvent le nombre des germes, qui sortent d’abord des bourgeons de réserve, parfois même d’un œil, si ces bourgeons n’ont pas poussé une première fois. Après la deuxième germination, le nombre des germes nouvellement émis ne dépasse pas celui des germes émis précédemment, mais ils sont d’ordinaire plus frêles. Après une troisième germination obtenue dans un air humide, il arrive fréquemment que de nouveaux germes ne se développent plus ; toutefois, lorsque l’on place les mêmes tubercules dans le sol, on les voit alors pousser de nouveau. Les germes qui sortent les premiers sont de tous les plus vigoureux. Si l’on met une Pomme de terre à l’épreuve, on doit donc se servir de ses germes hâtifs, afin que ce soient les premières pousses vigoureuses qui donnent naissance aux jeunes plantes ».

Fig. 72, — Coupe transversale d’un tubercule rond de Pomme de terre : G, faisceau vasculaire ; x, œil (grand. nat.). D’après Schacht. Fig. 73. — Coupe longitudinale d’un tubercule oblong de Pomme de terre : R, écorce ; G, couche du faisceau vasculaire ; M, moelle ; A, œil grand. nat.). D’après Schacht.

Il a été dit plus haut que le tubercule de la Pomme de terre était constitué par un renflement de l’extrémité d’un rameau souterrain et que le tissu des tiges souterraines se composait à l’extérieur d’un épiderme, recouvrant une zone circulaire qui est l’écorce, et à l’intérieur de cette écorce d’une couche du faisceau vasculaire reposant sur une moelle centrale. C’est aussi ce que l’on constate dans le tissu du tubercule, ainsi que le montre Schacht dans ses études anatomiques. Seulement ici, alors que l’épiderme, l’écorce et la couche du faisceau vasculaire ne se sont pas accrus notablement, la moelle a pris comparativement un développement considérable. C’est qu’elle est destinée, ainsi que l’écorce, à servir de magasin de réserve nutritive pour la formation ultérieure des jeunes tiges qui sortiront des yeux du tubercule. Aussi les cellules du tissu cortical et médullaire présentent-elles de très nombreux grains de fécule[7], qu’une coloration violette ou bleuâtre à l’aide des réactifs iodés permet très nettement de discerner au microscope.


Fig. 74 à 76. — Grains de fécule, celui de gauche très avancé dans sa formation par zones concentriques : a, début d’un grain de fécule ; b, un autre plus développé ; x, hile ou noyau primordial (gr. 1000/1), D’après Schacht.

L’étude de ces grains de fécule ou d’amidon, ou grains amylacés, a permis de constater qu’ils débutent tous par une très petite sphérule, au centre de laquelle se montre une sorte de point central ou noyau. D’après Schacht, autour de la sphérule primitive se déposent successivement des couches nouvelles amylacées qui se superposent, mais régulièrement, de telle façon que le noyau se trouve finalement tout à fait excentrique et que le grain de fécule prend peu à peu une forme presque ovoïde, ce qui caractérise l’amidon de la Pomme de terre. Lorsque, sous le microscope, on fait passer à travers ce grain de fécule qui est transparent, un rayon de lumière polarisée, on voit alors se produire sur ce grain une croix noirâtre : le point d’intersection des deux bras de cette croix se trouve toujours placé sur le noyau central du grain d’amidon.


Fig. 77 et 78. — Grains de fécule vus sous la lumière polarisée : a, grain naissant ; b, grain plus développé (gr. 800/1). D’après Schacht.


Mais cette réserve amylacée se redissout lorsque, des bourgeons du tubercule, sortent les jeunes tiges de la future plante. On remarque alors que les couches superposées des grains d’amidon disparaissent les unes après les autres, en solution dans les liquides séveux ; d’autres fois les grains se dissolvent en s’amincissant longitudinalement ; mais, dans l’un ou l’autre cas, ils finissent par ne plus exister dans les cellules qui les renfermaient, et le tissu des cellules devient flasque et mou.


Fig. 79. — Petite partie d’une coupe longitudinale d’un tubercule de Pomme de terre : à gauche, le tissu de l’écorce, jusqu’à c, cambium ; g, faisceau vasculaire ; à droite, moelle (gr. 100/1). D’après Schacht.

Maintenant comment est constitué l’épiderme des tubercules, qui les protège contre les agents extérieurs ? Schacht nous le montre composé de deux parties, dont la plus extérieure est formée par du liège : ces cellules subéreuses reposent immédiatement sur celles du tissu générateur, dans lesquelles se trouvent le suc diversement coloré qui produit la teinte du tubercule, jaunâtre, rose, rouge ou violacée, suivant l’intensité de la matière colorante. Cette couche de cellules du tissu générateur du liège se distingue des cellules du parenchyme cortical qui se remplissent de granules amylacés. La cuisson du tubercule l’en détache aisément.

Lorsque l’on coupe un tubercule ou qu’un accident lui fait perdre une partie de lui-même, il se forme bientôt sur la blessure ou sur la partie coupée une nouvelle couche subéreuse, aux dépens de l’amidon des cellules voisines, de telle sorte qu’au bout d’un certain temps un nouvel épiderme de protection recouvre toute la surface de la partie disparue et la cicatrise.

On conçoit qu’au fur et à mesure de son développement, la couche subéreuse, qui constitue l’enveloppe protectrice du tubercule, prend successivement plus d’épaisseur, jusqu’à ce qu’elle atteigne à sa maturité le degré d’épaississement normal. Il en résulte que le tubercule, lorsqu’il n’est pas encore mûr, est moins bien protégé, et c’est un point qu’il faut se rappeler lorsqu’il se trouvera livré aux attaques des germes motiles, propagateurs du parasite qui cause la maladie des Pommes de terre (Phytophtora).

Les tubercules exposés à la lumière verdissent ou brunissent, suivant qu’ils sont jaunâtres ou d’un rouge plus ou moins violacé. Cela tient à ce qu’il se forme de la chlorophylle dans les cellules du tissu cortical sous-jacent de l’épiderme. La teinte verte de cette chlorophylle apparaît plus nettement à travers l’épiderme plus ou moins pâle des tubercules jaunes ; la couleur rouge ou violacée des autres épidermes lui donne une teinte plutôt brunâtre. Ce verdissement n’altère en rien la faculté germinative des tubercules ; mais on sait qu’on doit fortement s’en méfier au point de vue de la consommation, en raison de la présence alors dans le tissu cortical, de la Solanine, alcaloïde vénéneux.

Tout en verdissant à la lumière, les tubercules ne laissent pas que de développer leurs bourgeons : les pousses ou futures tiges qui en sortent s’appellent des turions ou stolons. Ces turions, lorsque le tubercule demeure dans un air sec, se forment lentement, s’allongent peu et présentent à leur base de petites excroissances coniques, blanchâtres ou rougeâtres, suivant les variétés, qui sont les rudiments des futures radicelles. Ce turion n’a en effet, pour l’aider dans sa formation, que le suc cellulaire des tissus du tubercule. Mais lorsqu’on place ce dernier dans une atmosphère humide, le turion en profite pour hâter sa croissance et permettre aux radicelles de s’allonger. Toutefois, la formation des germes se fait plus rapidement lorsque le tubercule est conservé à la fois dans l’obscurité et dans un air humide. Les radicelles se prolongent vite et les turions eux-mêmes s’allongent de plus en plus, surtout si dans l’obscurité, où ils se trouvent placés, quelques rayons de lumière peuvent les éclairer faiblement. On sait qu’alors ils se dirigent toujours vers ces rayons lumineux. Si l’obscurité est complète, les turions se dressent en s’allongeant démesurément jusqu’au point de s’atrophier ; mais, faute de lumière, ils ne peuvent développer normalement leurs feuilles. Du reste, ces formations sont des anomalies : elles épuisent les tubercules sans nécessité, ce qui rend ceux-ci impropres à la consommation et moins bien disposés pour le développement cultural. Aussi, les variétés trop hâtives à ce point de vue sont-elles de conservation difficile, ce qui est à considérer, lorsqu’il s’agit de tubercules réservés pour l’alimentation. Ceux qu’on appelle tubercules de semence et que l’on garde pour la plantation, peuvent se conserver dans un endroit obscur ou lumineux, mais à la condition que l’air soit aussi suffisamment sec.


Fig. 80. — Pomme de terre développant de petites tiges tuberculifères dans un air humide et obscur (1/2 grand. nat.). D’après une phot. de M. Le Saché.

Schacht établit en principe que la formation des tubercules de la Pomme de terre a lieu pendant l’absence de la lumière. Ce principe n’est peut-être pas aussi absolu qu’il le dit, lorsqu’il ajoute : « On est parvenu à faire germer des tubercules dans une atmosphère humide, à la lumière, mais sans qu’il se produise des tubercules nouveaux ; si au contraire on les conserve dans l’obscurité, il se produit alors des tubercules, sans même qu’il existe une tige verte et des feuilles. C’est pourquoi il se forme, sur des Pommes de terre oubliées dans des caves obscures pendant l’été, des tubercules-caïeux ». Il est de règle, en effet, que la Pomme de terre développe ses tubercules dans les profondeurs obscures du sol, où se trouve en même temps l’humidité nécessaire aux fonctions vitales des racines, ce qui, joint à l’exposition lumineuse de la tige aérienne, facilite en tous points la croissance de la plante.


Fig. 81. — Exemple d’un prodigieux développement de tubercules aériens sur un pied de Pomme de terre. Reproduction d’une photographie de la Conférence intitulée Potatoes, par M. Arthur Sutton (1895).

Mais on a constaté quelquefois que, dans des cas particuliers, des tubercules se formaient sur certains points de la tige, en pleine lumière. Bien que ces tubercules aériens ne soient point comparables aux tubercules souterrains, la vigueur de la plante est telle que la genèse de ses tubercules ne dépend pas absolument de l’obscurité.

Nous trouvons dans le Mémoire de Schacht d’autres faits de formations tuberculifères. Un tubercule de Pomme de terre avait primitivement poussé des turions dans un air humide et obscur ; placé dans le sable d’une caisse humide, après l’ablation de ces turions, il n’en avait pas d’abord produit de nouveaux. Or, du 2 mai au 23 septembre, sans qu’il y ait eu aucune tige feuillée, il s’était formé des turions rudimentaires et de jeunes tubercules. Il cite de même une autre Pomme de terre qui avait produit dans une caisse humide des turions pendant l’été : ces turions qui étaient restés rudimentaires et n’avaient pas poussé de tige feuillée, avaient néanmoins, le 23 septembre, produit également de jeunes tubercules. Cette formation anticipée des tubercules, sans croissance de tiges aériennes, se remarque aujourd’hui et non rarement dans les cultures de la variété Marjolin. C’est un des inconvénients que présente cette très précoce variété, d’autant plus que ces tubercules hâtifs n’ont pas le volume normal que présentent ceux qui se sont développés en même temps que les tiges.

Turions ou jeunes tiges. — Un bourgeon sur un tubercule est comparable en tous points à l’embryon contenu dans la graine, sauf qu’il est dépourvu de feuilles cotylédonaires et que son appareil radiculaire est rudimentaire. Mais son développement est à peu de chose près le même : le bourgeon émet une tige, puis des racines ; la tige se ramifie, puis se couvre de feuilles et l’axe se termine par une cyme florale fructifère. Seulement, où la différence apparaît, c’est que le turion trouve dans le tubercule de riches aliments de réserve, et qu’il y puise des éléments de formation qui lui permettent en quelques mois de produire fleurs, fruits et tubercules, alors que l’embryon arrive à peine, sans souvent fleurir, à la fin de sa première année de croissance, à développer des tubercules en général assez médiocres. Ce résultat de l’influence des éléments nutritifs de réserve est très remarquable, et elle se fait sentir en particulier sur le développement des premières feuilles du turion, car c’est à peine si les deux ou trois premières feuilles présentent une forme moins complexe que les feuilles adultes, ce qui est loin, comme nous l’avons vu, d’être le cas de l’embryon dont la formation foliaire est si lente à se caractériser.

Dans sa croissance, le turion émet, surtout à sa base, plusieurs radicelles qui deviendront des racines, et sur lesquelles se montrent également des poils radiculaires d’absorption, comme sur les radicelles de l’embryon. Les tiges, les rameaux, les feuilles, les fleurs et les fruits se développent successivement comme nous l’avons vu plus haut, ainsi que les tubercules. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà exposé de leur organisation intime et de leurs fonctions biologiques.

Après ces explications générales que nous venons de donner sur les manifestations vitales de la Pomme de terre, nous croyons qu’il y a intérêt à enregistrer ici les diverses observations tératologiques ou physiologiques dont elle a été successivement l’objet. C’est ainsi que Bosc, dans le Dictionnaire raisonné d’Agriculture y disait en 1822 : « On a plusieurs exemples de fleurs de Pomme de terre qui, au lieu de former une baie, ont formé un groupe de petits tubercules pourvus de leurs yeux et qui mis en terre donnent naissance à un pied vigoureux. J’en ai vu en 1816, année très pluvieuse, qui offraient sur une seule panicule plus de cent tubercules de différentes grosseurs, dont quelques-uns avaient près d’un pouce de long. Elles provenaient de la belle variété appelée Corne de bufle ».

Plus récemment, en 1855, Germain de Saint-Pierre appelait l’attention sur une forme anomale de tubercules de Pomme de terre[8]. « Le hasard, dit-il, avait fourni à M. le professeur Seringe les éléments d’une observation des plus intéressantes au point de vue de la structure des tiges : cet estimable observateur avait rencontré, à la surface du sol, des tubercules de Pommes de terre développées sous la forme de rosettes de feuilles charnues, et qui présentaient des formes intermédiaires entre les tubercules et les tiges normales. Pendant un des automnes derniers, désirant étudier, à mon tour, le fait remarquable signalé par M. Seringe, je plaçai sur une table de marbre, dans une chambre un peu humide, mais aérée et éclairée, un certain nombre de tubercules de Pomme de terre. Je m’absentai pendant deux mois ; à mon retour, au 1er décembre de la même année, je trouvai les tubercules flasques et épuisés, mais ils étaient couverts d’une végétation nouvelle pleine de force et de vigueur. Ce n’étaient pas ces longues tiges étiolées, d’un blanc nacré et à feuilles rudimentaires, longuement distantes, que l’on observe communément vers le soupirail des caves où séjournent des tubercules abandonnés. Ce n’étaient pas non plus des tiges vertes et feuillées, comme celles qui se produisent dans les conditions ordinaires ; c’étaient des tubercules allongés en tiges courtes ou des tiges à demi condensées en tubercules. Quelques-unes de ces productions présentaient l’aspect de bourgeons à axes charnus et à feuilles tantôt rudimentaires, tantôt à limbe foliacé. Dans certains cas, il s’était produit une tige feuillée dont les feuilles présentaient un petit tubercule à leur aisselle. Dans d’autres cas, la production était fusiforme ; épaisse et charnue à la base, elle s’amincissait ensuite en une tige presque normale. Quelquefois la base constituait un tubercule globuleux, puis le même axe se continuait brusquement en tige cylindrique. On voyait encore aussi un même axe alternativement et par étage : globuleux, puis cylindrique, puis globuleux. Cette observation démontre une fois de plus que les tubercules du Solanum tuberosum sont des tiges charnues et raccourcies, dont la partie libre des feuilles est rudimentaire et susceptible de se développer dans des conditions particulières ».

Dans le journal botanique allemand, Flora, de 1885, M. Guembel a fait connaître un mode particulier de formation du tubercule de la Pomme de terre, assez curieux pour être signalé ici. Le tubercule-mère était de la grosseur d’un œuf de poule ; il était fendu transversalement, et dans sa fente était un jeune tubercule de la grosseur d’une noix. En dénudant la base de ce petit tubercule, M. Guembel y avait vu un pédicule qu’il avait suivi à travers le tubercule-mère jusqu’à un œil ou bourgeon, dont une pousse latérale interne avait produit ce phénomène. Ainsi un jet sorti au printemps d’un œil de la Pomme de terre, avait donné des pousses latérales dont une avait pénétré dans la chair du tubercule-mère, s’y était allongée quelque peu, et s’était ensuite renflée en tubercule de manière à faire éclater enfin ce tubercule-mère. Nous verrons plus loin que des cas semblables se sont produits, mais par d’autres causes.

En 1861, M. Duchartre signalait à la Société botanique de France[9] une monstruosité fort singulière, sous le titre de Fleurs décandres du Solanum tuberosum. On sait que la fleur de la Pomme de terre ne présente que cinq étamines : or, dans la monstruosité en question, il y en avait dix. Voici ce que disait M. Duchartre de cette organisation anomale. « Je dois dire avant tout que cette organisation ne s’est pas montrée comme un fait isolé ; mais que je l’ai trouvée dans toutes les fleurs adultes que portaient deux rameaux, et même dans des boutons encore très jeunes. Il paraît certain qu’elle existe comme caractère général dans cette forme de Pomme de terre et qu’elle se multiplie sans modification par la plantation des tubercules. Le calyce de la fleur n’a subi aucune altération : ses cinq lobes lancéolés se rétrécissent en une longue pointe terminale. Ce calyce enlevé, on a sous les yeux un corps complexe fort remarquable : c’est une sorte de godet blanc et presque pétaloïde, haut seulement de 4 à 5 millimètres, qui ne peut être autre chose que le tube de la corolle non prolongé en limbe ; le bord de ce godet corollin porte cinq étamines sessiles, parfaitement conformées, semblables aux étamines normales de la fleur de la Pomme de terre, mais un peu plus renflées, qui alternent fort régulièrement avec les lobes du calyce et qui occupent dès lors la place des divisions de la corolle. Entre ces étamines, et dans le même verticille, se trouvent cinq petits filets délicats et fort courts qui semblent être les seuls restes du limbe de la corolle. Sur la face interne du godet corollin et près de son bord se trouvent cinq étamines alternes avec les premières, et dans lesquelles il est impossible de ne pas voir les cinq étamines normales du Solanum tuberosum. Le pistil n’offre rien de particulier ni d’anomal. Ainsi, dans cette monstruosité, se présente le fait extrêmement curieux d’une transformation des lobes de la corolle en étamines : or, si le changement des étamines en pétales s’opère fréquemment, je ne sache pas qu’on ait encore signalé celui des pétales en étamines, et cette circonstance me semble donner un intérêt particulier à cette même monstruosité ».

Le Gardener’s Chronicle de 1876 a publié la figure d’une fleur monstrueuse de Pomme de terre, qui était également une fleur décandre, c’est-à-dire dans laquelle la véritable corolle était absente et se trouvait remplacée par un second verticille d’étamines. Ce fait anomal qui avait été observé en Angleterre, y avait, paraît-il, été déjà signalé précédemment.

En mai 1881, M. Carrière exposait à la Société d’Horticulture de France les résultats suivants d’une expérience qu’il avait faite sur des tubercules de Pommes de terre. Il avait pris, le 4 mars, de gros tubercules appartenant à quatorze variétés différentes, jaunes, violettes ou rouges. Non seulement il avait pelé ces tubercules, mais encore il en avait enlevé une couche superficielle épaisse de 4 à 10 millimètres. Là où il semblait pouvoir exister des rudiments de bourgeons, il les avait évidés en creusant. Enfin les tubercules ainsi préparés avaient été coupés en morceaux. Placés dans une cave, la plupart de ces morceaux avaient séché ; mais sur certains il s’était produit un bourgeon et une pousse qui, dans quelques cas, étaient partis du centre même du tubercule. M. Carrière concluait de ce fait remarquable que, partout où il existe une cellule végétale vivante, cette cellule peut prendre une vie énergique, se multiplier par division et devenir un foyer de développement. Il est difficile de s’expliquer la formation de bourgeons sur les cellules de la moelle du tubercule ; on comprendrait mieux le rôle que pourraient jouer dans cette production les cellules de l’écorce interne.

M. Devaux a fait connaître, en 1891, à la Société botanique de France[10], les observations qu’il avait pu faire sur une hypertrophie des lenticelles de la Pomme de terre. « La surface du tubercule de la Pomme de terre, dit-il, possède normalement des lenticelles assez nombreuses. J’ai pu m’assurer, par l’étude anatomique et par des essais de porosité totale, que ces lenticelles sont ouvertes et amènent l’air libre aux tissus internes. J’ai, reconnu, d’autre part, que ces lenticelles prennent un grand développement lorsque l’air extérieur est humide, surtout si cet air est chaud. Quand, au contraire, on plonge un tubercule en entier dans l’eau, il ne tarde pas à être asphyxié ; c’est que dans ces conditions la pression des gaz internes diminue, et l’eau pénétrant par les lenticelles injecte en partie les tissus. Il est possible cependant de faire vivre un tubercule de Pomme de terre dans l’eau, à la condition de ne le plonger qu’incomplètement dans ce liquide. Mais c’est alors que les lenticelles prennent un développement très considérable. Cette hypertrophie des lenticelles débute par un gonflement en forme de cône surbaissé, correspondant à chacune d’elles. Bientôt le sommet s’entrouvre visiblement et le tissu blanc sous-jacent commence à paraître. Les crevasses s’élargissent de plus en plus, et bientôt toute la partie submergée du tubercule se trouve hérissée de lenticelles énormes, ayant plus de 5 millimètres de diamètre et qui lui donnent l’aspect d’un tissu éclaté partiellement sous une forte pression interne. Chaque lenticelle a un aspect d’un blanc brillant, dû à ce que de l’air est retenu entre les éléments cellulaires et que la lumière produit alors le phénomène de réflexion totale. L’hypertrophie augmente souvent beaucoup, de longues crevasses partent de certaines lenticelles et vont rejoindre les autres, de sorte que bientôt la peau ne forme plus que des lambeaux séparés, en forme d’îlots ; ces lambeaux se soulèvent du reste par leurs bords et peuvent même se détacher. Alors le tubercule a perdu son enveloppe normale dans ces régions. Ces modifications paraissent mieux se produire à la lumière. Nulles ou très lentes à basse température, elles sont rapides entre 20 et 30 degrés ».

Le même observateur avait fait, en 1890, une intéressante remarque sur la température dégagée par un amas considérable de tubercules de Pommes de terre en germination[11]. Il avait pu constater que, dans le haut de ce tas de Pommes de terre, la température était de 39 degrés centigrades, alors que l’air extérieur n’était que de 18 à 19 degrés, et que la partie inférieure du tas ne dépassait pas 20 degrés.

Nous avons vu plus haut que, dans la Pomme de terre, les bourgeons de la partie supérieure des tubercules étaient plus aptes à reproduire la plante que ceux de la partie inférieure, voisine de leur point d’attache. M. Prunet, en 1892, a communiqué à l’Académie des sciences[12] les résultats d’une analyse physiologique qu’il avait faites sur des tubercules de trois variétés de Pommes de terre. M. Prunet déclare n’avoir trouvé, avant la germination, presque ni sucre, ni diastase ; mais lorsque les tubercules germent, le sucre et la diastase apparaissent d’abord dans les moitiés antérieures, ainsi que les éléments azotés, et cette proportion se maintient toujours en faveur de ces moitiés, comparativement à ce que l’analyse décèle dans les moitiés postérieures. Toutefois, si l’on supprime les bourgeons du sommet des tubercules, les principes immédiats et les substances minérales émigrent vers les bourgeons postérieurs. Il y a donc toujours une relation étroite entre les éléments nutritifs et l’aptitude des bourgeons au développement.

En 1893, M. Prillieux présentait à la Société botanique de France des tubercules de Pommes de terre dans l’intérieur desquels s’étaient formés de nouveaux tubercules. Pour expliquer cette anomalie, il disait que M. Schribaux avait proposé, pour empêcher de germer les Pommes de terre destinées à l’alimentation, de les tremper dans de l’eau contenant 1,5 pour 100 d’acide sulfurique. Cette solution corrosive, sans nuire aux tubercules, en détruit fort bien les germes, ce qui a été prouvé par des essais faits sur diverses variétés, la Saucisse, la Quarantaine de la Halle, le Magnum bonum, etc., qui peuvent être ainsi conservées bonnes pour l’alimentation pendant l’été. M. Prillieux ajoutait que sur les tubercules de la variété Richter’s Imperator, la destruction des yeux avait été incomplète ; il s’était alors formé à leur base des bourgeons qui s’étaient développés en pénétrant à l’intérieur du tubercule-mère et y formant de nouveaux tubercules. Nous pensons que la destruction des bourgeons externes n’avait pas atteint les rudiments des bourgeons internes, protégés par la peau des tubercules et que ce sont des bourgeons internes qui se sont développés de si singulière façon. M. Duchartre était d’avis que la partie centrale et essentiellement vivante des bourgeons avait conservé son énergie vitale et trouvant, du côté extérieur, un obstacle mécanique à son développement dans la couche superficielle durcie par l’acide sulfurique, elle s’était accrue du côté qui lui opposait la moindre résistance, c’est-à-dire dans l’épaisseur de la substance du tubercule-mère.


Fig. 82. — Tubercules axillaires développés sur une tige aérienne de Pomme de terre, var. Imperator (3/4 gr. nat.).
En Juillet 1894, M. Duchartre présentait à la Société d’horticulture de France un pied de Pomme de terre Marjolin qui offrait cette particularité remarquable que ses tubercules étaient venus hors de terre à l’aisselle des feuilles, tandis qu’il n’en avait pas développé en terre. M. Duchartre donnait de ce phénomène les explications suivantes : « On sait qu’un tubercule de Pomme de terre n’est pas autre chose qu’un rameau qui, généralement dans une portion de son étendue et vers son extrémité, développe considérablement ses portions parenchymateuses, en même temps qu’il réduit fortement et annihile presque ses faisceaux fibro-vasculaires. C’est en terre qu’il subit cette transformation, et c’est pour cela que le buttage, augmentant le nombre des rameaux souterrains, augmente aussi la production des tubercules. Toutefois, si la tige de la Pomme de terre éprouve, dans sa partie inférieure, une blessure qui entrave la marche normale de la sève, le liquide nourricier, dans sa marche descendante, étant retenu plus ou moins complètement par l’obstacle qui résulte de cette blessure, s’accumule dans la partie aérienne de la plante et peut alors déterminer dans les rameaux nés à l’aisselle des feuilles un développement analogue à celui qu’éprouvent normalement les rameaux souterrains, quand la sève-nourricière peut leur arriver librement et en abondance. C’est ce qui avait eu lieu sur ce pied de Pomme de terre à tubercules aériens ».

Il ne nous reste plus qu’à signaler des cas plus fréquents de monstruosités que l’on observe sur la forme des tubercules. En général, la forme typique des tubercules d’une variété quelconque se maintient très bien dans leur production : ils ne varient guère que sous le rapport du volume. Lorsque l’on fait la récolte, on constate que le même pied en fournit d’ordinaire des gros, des moyens et des petits, ce qui résulte des époques différentes de formation et en même temps du plus ou moins de vigueur de la végétation des turions. Mais il arrive parfois que certains tubercules, au lieu de se développer régulièrement, prennent des formes singulières : on en trouve qui se présentent soudés deux à deux ou réunis par trois, ou bien formant une croix par des adhésions latérales. M. Arthur Sutton[13] en a signalé qui avaient une forme digitée, très curieuse. Il attribue la production de ces anomalies à certaines obstructions que le tubercule rencontre dans le sol, et nous pensons qu’elles ne peuvent avoir d’autres causes.

Telles sont les observations sur lesquelles nous avons cru devoir appeler l’attention, et qui caractérisent quelques-unes des phases de l’histoire biologique de la Pomme de terre.


II. — APERÇU HISTORIQUE SUR LES DIVERSES VARIÉTÉS DE LA POMME DE TERRE


Nous avons déjà fait remarquer que lors de l’introduction de la Pomme de terre en Europe, une variété jaunâtre avait été introduite en Angleterre, tandis qu’une variété rougeâtre avait été apportée en Espagne, puis en Italie, et de là en Belgique, pour être envoyée à Vienne, en Autriche, d’où, par les soins de Charles de l’Escluse, elle s’était répandue en Allemagne, pour ensuite passer en Suisse et de là en France. Cette variété à tubercules rouges et fleurs violettes ne paraît avoir produit qu’une simple variation à fleurs blanches pendant tout le XVIIe siècle. La variété jaunâtre de l’Angleterre ne semble avoir pénétré sur le continent européen que vers le commencement du XVIIIe siècle : elle se trouvait en France, en 1762, puisque Duhamel du Monceau la signale avec la variété rouge. Cette dernière avait dû être, vers le même temps, portée en Angleterre, car Philip Miller, en 1768, la cite avec la variété anglaise. On était loin alors de se douter de la force de variabilité du Solanum tuberosum !

Cependant, d’autres variétés existaient alors en Europe. Nous en trouvons la preuve dans l’article publié en 1777 par le célèbre agronome Engel dans le Supplément à l’Encyclopédie, article dont nous avons déjà donné des extraits.

« J’indiquerai, dit en effet Engel, parmi plus de 40 espèces[14] que j’ai tirées de l’étranger, celles qui sont les plus remarquables. J’en eus, au printemps 1771, entr’autres les suivantes : 1o Une blanche de Strasbourg, fleur gris de lin, qui n’ayant produit au commencement d’Août que 8 pour un, se trouve en automne considérablement multipliée. 2o Les Hollandoises, à fleur bleue, plus connues sous le nom de Sucrées d’Hanovre, fruit blanc, petit, étoient mangeables à la St-Jacques[15], alors seulement 15 à 18 pour un, en Septembre environ 150, en Novembre jusqu’à 300 de leur grosseur ordinaire, sans compter une infinité qui commençoient à se former à un fort tissu de racines, fleurissant pendant 10 à 12 semaines ; les tiges en Novembre aussi vertes et succulentes qu’au milieu de l’été. Elles sont préférées généralement à toutes les autres pour le goût ; seulement leur petit volume dégoûte quelques-uns de leur culture. 3o Pommes de St-Jacques, précoces, de Weimar, blanches, très fécondes. Il s’en est trouvé à une plante 60 pommes de 5 morceaux, et à un autre 65 d’un seul œil. 4o De Cassel, précoces, blanches, picottées en rouge, le fruit assez gros. 5o Jaunâtres de Frise, fleur purpurine, précoces. 6o De Mannheim, précoces, rouges, à la St-Jacques : le plus gros fruit ne pesoit que 4 onces, mais alors déjà 50 pour un, qui ensuite ont grossi. 7o De la Franconie, ressemblent aux Souris rouges d’Hollande ; le 5 Août 1771, il s’en trouva à une seule plante 50 pommes. 8o Autres rouges, du côté de Nuremberg ; fleur d’un violet clair : de 32 morceaux on en a recueilli 9 boisseaux combles, le boisseau de 20 livres en froment. 9o Jaunâtre de Cassel, fleur couleur de rose : de 3 pommes plantées le 20 Avril 1771, on cueillit, vers la fin de Novembre, 63 de chacune. 10o Autre de Cassel, fleur blanche cendrée ; la peau extérieure noirâtre, par là difficile à les distinguer de la terre en les recueillant ; la seconde peau violette, au dedans marbrée violet très beau ; le goût diffère de celui des autres ; le plus grand produit en a été de 24 pour un.

» Je ne parle pas des Souris rouges d’Hollande, puisqu’elles paraissent être la même espèce que le n° 7 (fruits petits, mais au nombre de 120 pour un).

» Je ne parle non plus des trois espèces naturalisées en Suisse, dont l’une longue blanche et une autre longue rouge, toutes les deux d’un grand produit, grosses et de bon goût, de même que les rouges rondes.

» Je vais donc faire mention encore de quelques-unes reçues seulement au printemps 1772. 1o Les nouvelles angloises y tiennent avec raison la première place ; une feuille angloise hebdomadaire les indiquait comme étant arrivées récemment de l’Amérique, sous le nom de Yam-battates, pesant de 8 à 9 livres la pomme… Chacun étant, et avec raison, si prévenu en faveur de ces Yam-battates, on peut juger si un ouvrage, qui a paru depuis peu, les en a dégoûtés ; c’est le voyage que Young, grand curieux et cultivateur, a fait par les provinces septentrionales de l’Angleterre, … Ayant donc découvert ces Pommes de terre, qu’il dit lui-même être encore inconnues, il en parle à peu près comme moi ; il dit en outre que cette espèce supporte mieux le froid que les ordinaires ; qu’il a pu s’en procurer deux pièces ; qu’il avoit coupé l’une en deux, l’autre en 30 morceaux ; que des deux premiers il avoit recueilli 222 livres en 700 pièces, et des autres 364 livres en 1 100 pommes ; et qu’il garantit ces faits comme témoin oculaire. Que selon le calcul de M. Bailey, l’acre anglois, d’environ 45 000 pieds, en devroit rapporter 5 036 boisseaux, chacun de 60 livres (apparemment angloises, de 14 onces) ; quelle multiplication prodigieuse et incroyable ! M. Young en dit le goût inférieur aux espèces communes…

» 2o J’ai fait venir de quatre espèces, qu’on cultive en Irlande : black-battates ou noires, russel ou rousses, yellow ou jaunes, et white ou blanches. J’ai remarqué que de ces espèces irlandoises, vers la fin d’août, il s’en est trouvé de mangeables en bon nombre, et que les vers-hannetons ou vers-de-bled y ont fait plus de ravage que parmi les autres, preuve qu’ils les ont trouvées préférables par le goût.

3o J’ai eu quelques Pommes de terre des montagnes de Foix, je les ai trouvées très belles et de bon rapport ; la peau en est fort rude.

» Je crois que ceci peut suffire pour faire connaître les meilleures espèces…

» Si M. Duhamel dit que les tiges de Pommes de terre sont de deux à trois pieds de hauteur, cela fait voir qu’il n’en a connu que des espèces communes : les Angloises, les Hollandoises, et celles de graine en ont poussé dans une bonne terre de jardin qui ont eu six à sept pieds de haut ».

Nous pouvons noter, d’après ce que disait Engel, que l’on possédait déjà en 1772, diverses variétés de forme longue et ronde, avec toute la série des couleurs qui les caractérisent encore aujourd’hui : blanche, jaune, rouge et même violet foncé, presque noir. Ce qui nous permet d’en conclure que nos variétés actuelles dérivent bien de celles qui existaient alors.

D’un autre côté, la culture de la Pomme de terre avait fait aussi de grands progrès dans l’Amérique du Nord, puisqu’elle était en mesure, en 1783, de nous fournir onze variétés nouvelles que, sur les instances de Parmentier, le Conseil du roi Louis XVI fit venir en France. D’après le rapport de Dumont à la Société royale d’Agriculture, en 1788, ces onze variétés s’étaient maintenues six ans comme variétés constantes dans la culture de la Plaine des Sablons. Lorsqu’il parle de ces variétés, en 1786, Parmentier ne cite les noms que de deux d’entre elles : c’étaient la Ronde blanche de New-York, et la Rouge longue de l’Île longue. Mais peut-être en avait-on déjà obtenu d’autres variétés par des semis, comme le conseillait déjà Parmentier en 1786. Toujours est-il que cet ami de la Pomme de terre, dans son rapport à la Société royale d’Agriculture sur les mémoires de M. de Chancey, disait en 1787 à propos des différentes espèces de Pommes de terre, et par ce mot espèces il faut entendre variétés : « Quelques auteurs les avaient fait monter à soixante ; mais dans ce nombre ils comptent beaucoup de variétés, » c’est-à-dire de variations. Nous n’avons pas d’éléments d’information qui nous permettent de nous expliquer cette opinion de Parmentier. Nous savons seulement que l’on avait choisi, en 1788, pour la célèbre culture de la Plaine des Sablons, la Grosse Pomme de terre blanche tachée de points rouges à la surface et dans l’intérieur, et que la même année M. de Chancey cultivait, aux environs de Lyon, la Blanche de la Nouvelle-Angleterre, la Grosse blanche hâtive, la Rouge ronde de l’Ile longue, la Rouge longue de la Nouvelle Angleterre, la Petite Chinoise, l’Anglaise, la Violette, la Longue des Montagnes des Vosges, la Souris de large de la Haute-Alsace.

Quelques années plus tard, en 1805, paraissait le Traité des végétaux qui composent l’Agriculture de l’Empire français, par Tollard aîné. L’auteur y dit, à propos de la Pomme de terre : « Cette plante offre beaucoup de variétés qu’on connaît sous les dénominations de Grosse blanche ronde, Grosse blanche longue, Blanche irlandaise, Jaune ronde aplatie, Rouge longue, Rouge dite Souris, Pelure d’oignon, Petite jaune, Rouge longue marbrée, Rouge ronde, Violette, Petite blanche chinoise. Toutes ces variétés diffèrent par la forme et la couleur… Les Grosses blanches sont les plus productives ; les Rouges ont moins d’eau, plus de saveur et se gardent plus longtemps que les Blanches, surtout la Rouge longue ; les Jaunes ont la pulpe plus fine, plus serrée, et sont plus délicates que toutes les autres, et celles à préférer pour la table ; la Petite rouge hâtive est aussi très bonne. Elles se plantent à la fin d’Avril ou au commencement de Mai. On les multiplie aussi par leurs graines : ce dernier procédé est long, mais il les donne plus délicates et fournit toujours des variétés ».

Mais, de son côté, Parmentier revient sur cette question et s’exprime comme il suit, dans son article sur les Pommes de terre paru en 1809 dans le Nouveau cours complet d’Agriculture théorique et pratique, qui fait suite au Dictionnaire de l’Abbé Rozier.

« Variétés. — On les fait monter à plus de soixante ; mais c’est sans doute pour avoir admis au nombre des espèces les nuances légères qui se trouvent dans chacune des variétés ; en les restreignant à douze, je ne prétends pas les décrire toutes, mais bien celles qui se sont soutenues dans les expériences auxquelles je les ai soumises pendant au moins vingt années.

» La voie des semis et un concours d’autres circonstances suffisent pour en constituer de nouvelles, ou pour perfectionner celles qui existent déjà. Le moyen de les reconnoître ne seroit pas de continuer à les désigner selon les cantons européens d’où elles ont été tirées à l’époque de leur maturité, puisque toutes viennent originairement de l’Amérique et que le moment de la récolte est différent. Il paroît bien plus naturel de les indiquer d’après le port de la plante, la forme et le volume et la couleur des tubercules.

Grosse blanche tachée de rouge. — Feuilles d’un vert foncé, plus lisses et plus rudes en dessous ; tiges fortes et rampantes ; fleurs rouges, panachées de gris de lin ; tubercules oblongs, conglomérés, marqués par des points rouges intérieurement. La plus vigoureuse. Réussit dans tous les terrains.

» Blanche longue. Feuillage foncé ; fleur petite, échancrée, parfaitement blanche ; tubercules conglomérés exempts de points rouges intérieurement, bonne qualité, terre légère.

» Jaunâtre ronde aplatie. Feuille crépue, profondément découpée, d’un vert olivâtre ; fleur panachée ; souvent doubles tubercules qui s’écartent du pied de la plante et filent au loin ; terre légère ; se délaie dans l’eau pendant la cuisson ; excellente qualité.

» Rouge oblongue. Ressemble par le port à la Longue blanche ; feuilles plus longues, plus droites ; tubercules d’un rouge foncé, intérieurement blancs ; très productive ; chair ferme ; goût excellent ; terre forte.

» Rouge longue. Feuilles d’un vert foncé, drapées en dessous ; tige roussâtre, velue sur sa longueur ; tubercules raboteux à leur surface, garnis d’un grand nombre de cavités ou yeux à bourgeons, marqués intérieurement d’un cercle rouge ; chair ferme, délicate, forme d’un rognon ; tardive ; abondante ; sol gras.

» Longue rouge dite Souris. Feuilles verdâtres ; tige grêle, ronde, presque droite et rougeâtre ; tubercules pointus à une extrémité et obtus de l’autre, un peu aplatis, ayant peu d’œilletons ; chair absolument blanche ; précoce ; d’une bonne qualité ; terrain gras. On l’appelle encore Corne de vache.

» Pelure d’Oignon. Feuilles petites et crépues ; tiges grêles et rouges par intervalle ; fleurs panachées d’abord, ensuite gris de lin ; tubercules oblongs, aplatis, quelquefois pointus à une de leurs extrémités, ayant peu d’yeux ; hâtive ; bonne qualité ; terrains légers. On la nomme en quelques endroits Langue de bœuf.

» Petite jaune aplatie. Semblable pour le port à la Pelure d’oignon ; tubercules forme de haricots ; bonne à manger ; s’enfonce beaucoup en terre. On lui donne quelquefois le nom d’Espagnole.

» Rouge longue marbrée. Semblable à la Grosse blanche, féconde et vigoureuse ; tubercules d’un rouge éclatant intérieurement ; ne vaut pas pour la qualité les Rouges oblongues et rondes déjà décrites.

» Rouge ronde. Variété de la Rouge oblongue ; plus précoce ; terrains sablonneux.

» Violette. Tige grêle et folioles vert foncé, très rapprochées les unes des autres, courtes et presque rondes ; fleurs violettes, foncées en dedans et moins en dehors ; tubercules ronds et oblongs quand ils ont du volume, marqués de taches violettes et jaunâtres ; chair blanche ; bonne qualité ; terrain gras. On la nomme Violette hollandaise.

» Petite blanche. Tige et feuilles grêles, vert clair, mais plus multipliées et plus verticales ; fleurs petites et d’un beau bleu céleste ; tubercules constamment petits, irrégulièrement ronds et de mince rapport ; connue sous le nom de Petite chinoise ou Sucrée d’Hanovre. »

De son côté, Dunal, dans son Histoire naturelle, médicale et économique des Solanum publiée en 1813, laquelle n’a été qu’une sorte de Préface à son grand travail descriptif des Solanées qui a paru en 1852 dans le Prodromus Regni vegetabilis, décrit, à la suite du Solanum tuberosum, les six variétés de cette espèce alors principalement cultivées et qui étaient les suivantes.

« α. Blanche longue ou Blanche irlandaise. — Corolles blanches ; tubercules presque cylindriques, blanchâtres ; feuilles d’un vert foncé.

β. Grosse blanche tachée de rouge ; Pomme de terre à vaches. — Corolles presque rouges ou panachées ; feuilles d’un vert foncé ; tubercules gros, presque cylindriques, marqués de taches rouges.

γ. Rouge longue ou Pomme de terre rouge. — Corolles blanches ; feuilles d’un vert foncé ; tubercules oblongs, recouverts d’un épiderme rouge.

δ. Jaunâtre ronde. — Corolles panachées ; feuilles crispées ; tubercules jaunâtres presque ronds.

ε. Violette hollandaise. — Corolles violacées ; tubercules d’abord presque ronds, puis presque cylindriques, marqués çà et là de taches jaunâtres et violacées.

ζ. Petite Chinoise ou Sucrée de Hanovre. — Corolles bleuâtres ; tiges et feuilles grêles ; tubercules petits, presque ronds ».

Si l’on compare les noms de variétés cités par Tollard, Parmentier et Dunal, on reconnaît que ce sont à très peu de chose près les mêmes, et on y retrouve quelques-unes des dénominations employées par Engel en 1777 et par de Chancey en 1788. La liste de Parmentier, plus complète, peut donc être considérée comme celle des variétés connues et cultivées au commencement du XIXe siècle. Mais soit que ces variétés aient changé de nom, soit qu’elles aient été abandonnées et remplacées par d’autres, nous ne trouvons plus citées, dans la Liste des variétés introduites en 1815 dans la Collection de la Société d’Agriculture, que la Petite Chinoise et la Violette.

Cette collection de la Société d’Agriculture ne comprenait pas moins de 177 variétés en 1846, sauf les doubles emplois. La Liste en a été publiée dans son Bulletin de la même année, 2e série, page 175. À partir de 1815, cette collection a été conservée en culture à Verrières-le-Buisson, dans la propriété de MM. de Vilmorin. La Liste des variétés qui la composaient en 1846 nous paraissant devoir être considérée comme un document historique assez important, nous la reproduisons ci-après, tout en ne faisant suivre le nom de chaque variété que de sa date d’entrée dans la Collection. Cependant, comme beaucoup d’entre elles ont disparu, soit par suite d’abandon, soit par suite de la maladie, en nous référant au Catalogue méthodique et synonymique des principales variétés de Pommes de terre publié par M. Henry de Vilmorin en 1886, nous avons mis en italique les noms des variétés qui existaient encore à cette époque, ce qui permettra de saisir le grand mouvement qui se fait tant pour la conservation que dans la disparition de ces variétés.


I. — Les jaunes rondes.


1. Hétéroclite ronde (1833).
2. Fine hâtive (1834).
3. *Early american (1845)[16].
4. Martins superior early prolific (1845).
5. Naine hâtive (1815).
6. *Shaw (1815).
7. *Shaw (1845).
8. Grosse jaune d’Alençon (1838).
9. Livet white (1842).
10. De la Saint-Jean (1841).
11. Ségonzac (1839).
12. Martins prolific globe (1843).
13. Neuf semaines (1841).
14. Hâtive de Londres (1834).
15. Ségonzac (1837).
16. Ségonzac (1841).
17. Sodens new early Oxford (1843).
18. *Champion hâtive (1834).
19. Patraque jaune (1815).
20. Ségonzac (1841).
21. Ronde de Perth (1841).
22. Bloc jaune (1815).
23. Jaune d’Août (1815).
24. Fine peau (1815).
25. Philadelphie ou Limal (1817).
26. Bonne Wilhelmine (1815).
27. Réniforme (1841).
28. De Hovorst (1841).
29. Américaine hâtive élevée (1834).
30. Blanche à fleur blanche (1838).
31. Daubenton (1831).
32. Grosse jaune hâtive (1838).
33. Russe tardive (1841).
34. À pourceaux (1844).
35. Bertin blanc (1844).
36. Stafford Hall (1841).
37. Prince de Galles (1834).
38. Prolifique hâtive (1834).
39. *Ox noble (18..).
40. Peruvian (1841).
41. Jaune d’Islande (1838).
42. Précoce de Harvey (1842).
43. *Fruit à pain (1834).
44. À feuilles de Frêne (1844).


II. — Les petites rondes jaunes.

45. Épais buisson (1815).
46. La Schœven (1815).
47. Chinoise (1815).
48. *De la Chine (1835).
49. Dunkerque (1844).


III. Les jaunes entaillées.

50. L’imbriquée (1815).
51. Blanche à fleur violette (1834).
52. Rough black (1841).
53. Ananas longue (1834).
54. Artichaut jaune (1834).
55. L’Asperge (1834).
56. Haricot (1838).


IV. — Les longues jaunes lisses.

57. Parmentière ou Jaune de Hollande (1815).
58. D’Égypte (1844).
59. Pygmée de Ross (1834).
60. Yorkshire Kidney (1841).
61. Souris (1844).
62. *Kidney ou Marjolin (1815).
63. Précoce Van-es-extra (1832).
64. Jaune longue d’Août (1839).
65. La Knight (1832).
66. Kidney d’Albanie (1834).
67. Unwin’s Kidney (1845).
68. Kirk wall Kidney (1845).
69. Fox John Bull (1834).
70. Hanigh superb Kidney (1845).
71. Sainville (1829).


V. — Les blanches rosées rondes et obrondes.

72. Patraque blanche (1815).
73. Mousson blanche (1837).
74. Américaine ronde blanche tardive (1834).
75. Blanche amidon (1838).
76. Connaught Cup (1834).
77. Benefits (1846).
78. Rouge rose(1834).
79. Sauvage (1834).
80. Divergente ou Brugeoise (1815).
81. Gris flamand (1841).
82. Rohan (1838).
83. Sommellier (1840).
84. Mousson rose (1837).
85. La Vierge (1840).
86. Blanche hâtive, tête basse (1834).

VI. — Les rouges rondes.

87. Hâtive de Pontarlier (1834).
88. Nouvelle des Vosges (1837).
89. D’Osterode (1840).
90. Claire bonne (1815).
91. La Virole (1815).
92. Le Rognon (1882).
93. Rouge d’Espagne (1820).
94. Truffe d’Août (1815).
95. Rouge de Sibérie (1841).
96. La Mayençaise (1817).
97. Rouge de Crony (1838).
98. Hâtive de Meudon (1817).
99. Bernarde (1817).
100. Calcinger (1815).
101. Semi-rouge (1815).
102. Patraque rouge (1815).
103. Saulnier(1831).
104. Rouge de Flandre (1844).
105. Printanière de Sarreguemines (1844).
106. Semence de la Baugor rouge (1834).
107. Truffe d’août dégénérée (1815).
108. Derooshire red (1841).
109. Round red (1845).
110. Nouvelle Descroizilles (18..).
111. Descroizilles (1815).
112. Scotch red (1841).
113. Droppers (1845).
114. American Pink (1845).
115. Prime rouge (1815).
116. La Fleury (1834).
117. Bertin (1839).
118. Tripet (1836).
119. Tardive d’Irlande (1841).
120. — — — — — (1834).
121. Tardive (1844).
122. Des Cordillières (1845).


VII. — Les rouges demi-longues.

123. Plate de M. Bailly (1845).
124. La Jacob (1815).
125. La Berbour (18..).
126. Rouge pâle hâtive (1834).
127. Bertin rouge (1844).
128. Durham (1844).
129. *Yam ou Igname (1834).
130, *Rouge d’Irlande (1841).
131. Mangell Wurzell (1841).

VIII. — Les rouges longues lisses.

132. Rouge de Hollande (1815).
133. La Sageret (1819}.
134. Kidney géante de Robertson (1834).
135. Cornichon français (1829).
136. La Quarantaine (1815).
137. Longue hâtive (1837).


IX. — Les rouges longues entaillées.

138. Rouge longue de l’Inde (1815).
139. Vitelotte (1815).
140. Vitelotte dégénérée (1815).
141. Boudin rouge (1844).
142. Rose longue hâtive (1845).
143. Artichaut rouge (1833).


X. — Les Violettes rondes.

144. Lady Mary (1834).
145. L’Œil violet (1832).
146. Neuf semaines à œil violet (1844).
147. White Pink (1845).
148. Mercer (1826).
149. Buffle (1834).
150. Peau violette (1834).
151. Lumper (1845).
152. Violette Godefroy (1836).
153. Violette prodigieuse (1841).
154. Violette de Lannilis (1836).
155. La Jersey (1819).
156. Bleue des Forêts (1815).
157. Hâtive de Bourbon-Lancy (1836).
158. Violette {1815).
159. Bertin noire (1834).

160. Bertin noire non marbrée (1844).
161. Bleue de Londres (1834).
162. Black Monocco (1845).
163. Chandernagor ou Lankmann (1821).
164. Pictet (1821).
165. Ross Early (1841).
166. Noire des Montagnes de Suisse. (1835).
167. Noire des Montagnes de Suisse. (1841).
168. Yorkshire red (1842).
169. La Charbonnière (1838).
170. Halle de Stafford ou Tardive de Wellington (1834).
171 La Bicolore (1837).
172. Rouge de Sawers (1834).
173. Russian Head Potatoe (1842).

XI. — Les Violettes longues lisses.

174. Nouvelle Kidney de Bedfort (1834).
175. Cornichon suisse (1833).
176. Cornichon violet (1829).

XII. — Les Violettes longues entaillées.

177. Boudin noir (1834).


Cet accroissement dans le nombre des variétés a continué depuis 1846 d’une façon prodigieuse, puisque le Catalogue précité de M. Henry de Vilmorin en comprend six cent trente, quarante ans après. Et encore faut-il tenir compte de ce fait qu’un changement notable avait été effectué dans l’ensemble de la collection. « En 1872, dit M. de Vilmorin, il restait environ 210 variétés. Le nombre aurait dû en être beaucoup plus grand si les ravages de la maladie n’avaient fait disparaître, depuis 1845 jusqu’en 1872, les deux tiers au moins des variétés qui composaient anciennement la collection ». On peut donc évaluer à près d’un millier le nombre des variétés que l’on a pu tirer du Solanum tuberosum, et l’on peut dire que l’on ne peut prévoir jusqu’où pourra être porté ce chiffre déjà singulièrement élevé, en raison des moyens dont disposent les horticulteurs, c’est-à-dire le semis, la greffe, l’hybridation et la fécondation croisée entre les variétés actuelles. Il n’y a pas d’exemple, dans le Règne végétal, d’une plante utile qui se prête aussi facilement aux réussites de variabilité auxquels on tente de la soumettre !

Mais d’un autre côté, quel renouvellement dans toutes les variétés acquises ! Combien de délaissées ! Combien dégénèrent et disparaissent ! De celles qui avaient été cataloguées en 1815, il ne reste plus guère, parmi les variétés estimées, que la Shaw, la Bonne Wilhelmine, la Truffe d’août, la Rouge de Hollande, la Vitelotte qui tend à disparaître, la Violette qui parait être la plus ancienne de toutes, et enfin la Kidney ou Marjolin que la culture de primeur conservera longtemps encore parmi les plus recherchées. De nouvelles obtentions ont peu à peu pris la place de nombre d’anciennes variétés abandonnées, soit comme variétés horticoles ou agricoles. Essayons de constater l’apparition de quelques unes d’entre elles, au sujet desquelles il nous reste quelques documents à faire connaître.

Nous puisons d’abord nos renseignements dans le Journal de la Société d’horticulture de France, dont nous nous contenterons de citer l’année de publication. En 1872, ce Recueil nous apprend que la variété Early rose a déjà donné aux États-Unis, par la voie du semis, une nouvelle variété qui en diffère surtout parce qu’elle est tardive au lieu d’être hâtive, comme celle de laquelle elle est issue, circonstance qui l’a fait appeler Late rose (Rose tardive). C’est un retour, par la graine, à une forme ancestrale qui s’était trouvée modifiée, pour la précocité, dans l’Early rose. Toutefois cette obtention nouvelle était signalée comme étant de meilleure qualité que cette dernière, et se conservant plus longtemps, en même temps qu’elle donnait une production plus considérable.

En 1885, M. Arnould Baltard, rapporteur d’une Commission, donnait les détails suivants sur la Pomme de terre Joseph Rigault, ainsi nommée de celui qui l’avait obtenue en 1879, et qu’un marchand-grainier de Paris avait mis au commerce en 1883. « M. Joseph Rigault, disait-il, s’était contenté jusqu’ici de semis faits avec des graines provenant de fécondations naturelles ; c’est ainsi qu’il a obtenu la Joseph Rigault du semis d’un fruit récolté sur la Feuille d’ortie qu’il suppose avoir été fécondée par la Têtard, parce que celle-ci était voisine et parce que les caractères de la Joseph Rigault ont beaucoup d’analogie avec ceux de la Têtard : il est toutefois à remarquer que la fleur de la Joseph Rigault est rose, au dire de son obtenteur, tandis que celle de la Feuille d’ortie et celle de la Têtard sont blanches ».

Il arrive parfois que des horticulteurs font des semis de graines de Pommes de terre, sans s’inquiéter des variétés sur lesquelles ils ont récolté les fruits. Certes, le hasard peut faire que d’une graine inconnue il sorte un bon produit. Mais combien plus il y a d’intérêt à noter les variétés d’origine et à mieux connaître par comparaison ce que l’on a obtenu. Ainsi un horticulteur, en 1891, présentait à la Société d’horticulture six variétés nouvelles qu’il s’était procurées par le semis. La Commission nommée pour les examiner, car elles étaient remarquables à divers titres, n’a pu les faire connaître d’une façon précise, et ces obtentions peuvent être perdues, ce qui est regrettable. Et nous ne faisons pas cette observation pour cet horticulteur seulement, mais pour tous ceux qui ne paraissent pas se douter de l’intérêt particulier qui s’attache toujours aux questions d’origine.

Il arrive aussi quelquefois qu’on présente une même variété sous des noms différents, ce qui augmente bien inutilement la nomenclature. M. Henry de Vilmorin a eu l’heureuse idée, dans son École de Pommes de terre de Verrières, de soumettre toutes les variétés qu’il possède à une culture comparative ; il est parvenu de cette façon à établir une sorte de synonymie entre des mêmes types de noms différents, et à pouvoir éliminer des variétés similaires inutiles à conserver. Son Catalogue méthodique précité est instructif à ce point de vue : nous ne pouvons qu’y renvoyer le lecteur. Mais nous citerons ici les noms des variétés qu’il signale comme les plus importantes de la Liste. Ce sont, parmi les Jaunes rondes :Bonne Wilhelmine, Shaw (ou Chave), Jaune ronde hâtive, Ségonzac (dont la Saint-Jean n’est qu’un synonyme), Séguin, Paterson’s Victoria, Champion, Van der Veer, Jeanci (ou Jeuxey), Chardon, Flocon de neige, Bresee’s prolific ; parmi les Jaunes longues lisses : Kidney ou Marjolin, Marjolin-Tétard, À feuille d’ortie, Marjolin tardive, Lapstone (ou Anglaise), Dawes Machtless, Royal Ash-leaved Kidney, King of Flukes, Calico (Rubannée), Saucisse blanche ; parmi les Rouges rondes : Truffe d’août, Farineuse rouge, Merveille d’Amérique ; parmi les Rouges rondes lisses : Rouge de Hollande, Kidney rouge Hat, Rognon rose ; parmi les Rouges aplaties : Early rose (ou Rose hâtive). Saucisse (ou Généreuse) ; parmi les Rouge longues entaillées : Vitelotte à chair blanche ; parmi les Panachées violettes : Blanchard ; parmi les Violettes rondes : Violette (peut-être la plus ancienne des variétés) ; et parmi les Violettes longues : Rognon Violet (ou Quarantaine Violette).

Pour établir son classement, M. de Vilmorin s’est servi d’abord des anciennes divisions fondées sur la couleur et la forme des tubercules, puis il les a sectionnées d’après les caractères fournis d’abord par les germes, ensuite par les fleurs. C’était tout ce qu’il pouvait faire, dans l’état actuel des choses, pour éclaircir quelque peu la question de la distinction entre elles des très nombreuses variétés actuellement connues.

Dans le Développement d’une Conférence faite au Concours agricole général de Paris, le 30 janvier 1888 (2e édition, 1893), par M. H. de Vilmorin sur les Meilleures Pommes de terre, nous trouvons certains renseignements qui trouvent leur place ici. « Le terme de trente ans, dit M. de Vilmorin, fixé dans le rapport d’une récente enquête parlementaire anglaise, comme la durée moyenne de l’existence d’une Variété de Pomme de terre, me paraît beaucoup trop court. Je trouve, en effet, dans les races encore en faveur et communément cultivées aujourd’hui, quatre noms qui figurent depuis 1815 dans la Collection de la Société d’Agriculture ; ce sont : la Bonne Wilhelmine et la Chave (ou Shaw) (jaunes rondes), la Kidney hâtive, qui a pris depuis lors le nom de Pomme de terre Marjolin et qui demeure la meilleure des jaunes lisses pour la culture sous châssis, et la Rouge de Hollande, encore très appréciée, sous le nom de Cornette rose, aux environs de Cherbourg. En outre de ces quatre variétés, auxquelles il conviendrait d’ajouter la Vitelotte, rouge entaillée, j’ai encore, dans la même collection, d’autres Pommes de terre qui datent de 1815, mais qui ne se rencontrent plus actuellement dans la culture usuelle. L’une d’elles, la Bleue des Forêts, rappelle par son nom le temps où la Ville de Luxembourg était le chef-lieu du Département français des Forêts. Voilà donc un bon nombre de variétés qui ont près de quatre-vingts ans d’âge et dont plusieurs peuvent, sans exagération, être dites aussi vigoureuses qu’au premier jour. Ce qui a dû, à mon sens, contribuer à accréditer la croyance à la durée éphémère des variétés de Pommes de terre, c’est la prompte décadence de bien des variétés fort vantées et prônées, mais aussi rapidement délaissées qu’adoptées ».

M. de Vilmorin, dans cette même Conférence, avait signalé un fait qui par lui-même a une assez grande importance et dont il faut tenir compte, au point de vue de la culture des variétés potagères.

« En Angleterre, disait-il, on opère d’une façon plus systématique qu’en France. La richesse en fécule, la franchise de goût, la résistance à la maladie et le peu de développement des fanes sont les caractères que l’on recherche principalement. [Malheureusement nous ne pouvons pas toujours profiter en France des progrès réalisés en Angleterre, parce que la préférence de nos compatriotes, pour les Pommes de terre à chair jaune les rend souvent très réfractaires à l’adoption des races à chair blanche, pour lesquelles les Anglais ont, au contraire, une prédilection marquée…] »

« Mais s’il y a entente à peu près complète sur ce point, ajoutait-il plus loin, combien de divergences sur les caractères extérieurs recherchés dans les diverses localités. Ici, les Pommes de terre rondes sont préférées ; ailleurs, ce sont les longues. Beaucoup de gens n’admettent que les jaunes ; d’autres tiennent pour les rouges, d’autres encore n’admettent pour parfaites que les violettes ou les noires. Et puis l’époque de consommation a une grande importance. Il faut des races hâtives, de demi-saison et tardives au point de vue de l’emploi comme au point de vue de la récolte ; des races qui soient bonnes à manger à peine mûres et d’autres qui se conservent longtemps avec toutes leurs qualités pour être consommées à la fin de la saison. Comme dans les Poires de table, il y a dans les Pommes de terre des variétés d’été, d’automne et d’hiver, de sorte qu’il est bon de ne pas se contenter d’échelonner les plantations, mais, en outre, de cultiver plusieurs variétés différentes, si l’on veut avoir toute l’année des Pommes de terre bien à point. »

Quant aux meilleures Pommes de terre signalées par M. de Vilmorin dans sa Conférence, ce sont, pour les potagères : la Bonne Wilhelmine, la Jaune ronde hâtive, la Modèle, le Séguin (ou De Lesquin), la Quarantaine plate hâtive, la Marjolin (ou Quarantaine, ou Kidney hâtive), l’Anglaise (ou Royal Ash-leaved Kidney), la Victor, le Caillou blanc (ou Lapstone ou Boulangère), la Marjolin-Tétard, le Flocon de neige (ou Snowflake), la Feuille d’ortie, la Belle de Fontenay, la Quarantaine de Noisy (ou Marjolin tardive), le Magnum Bonum, la Corne blanche, la Kidney rouge hâtive, la Rouge de Hollande, l’Early rose (ou Rose hâtive), la Prolifique de Bresee, la Saucisse, la Pousse debout, la Vitelotte, la Blanchard, la Violette ronde, la Quarantaine violette, la Négresse. Pour les Pommes de terre fourragères, la Shaw (ou Chave), et ses quasi synonymes, la Saint-Jean, la Segonzac, la Deuxième hâtive des environs de Paris, la Chardon, la Jeuxey (ou Jeancé, ou Vosgienne), la Canada, l’Institut de Beauvais, la Merveille d’Amérique, la Meilleure de Bellevue. Pour les Pommes de terre industrielles : l’Imperator (ou Richter’s Imperator), la Géante sans pareille, la Farineuse rouge (ou Red skin flour ball), l’Aspasie, la Géante bleue (ou Blaue Riesen).

On nous permettra de faire remarquer que le premier classement des variétés avait été fait d’après la forme des tubercules et leur couleur. On avait ainsi établi d’abord une sorte de gradation du blanc ou jaunâtre au rose, puis au rouge et au violet plus ou moins foncé ou presque noir, c’est-à-dire d’après une abondance plus ou moins grande de la matière colorante rouge ou violacée qui se trouve dans le tubercule. Cette matière existe, on peut le dire, toujours dans la plante, car lorsqu’elle ne se manifeste pas sur l’épiderme du tubercule, elle manque bien rarement d’apparaître soit dans les germes, soit dans les fleurs, ce qui a permis à M. de Vilmorin d’établir, dans les premières grandes divisions, des sections basées sur ces deux derniers caractères. Comme il existe cependant, dans les Pommes de terre jaunes, plusieurs variétés à germes blancs et à fleurs blanches, on pourrait les considérer comme les premières de la série graduée des tissus imprégnés de matière colorante, laquelle se continuerait successivement jusqu’à la coloration intense de la section à tubercules violets, offrant germes violets et fleurs violettes. On a cru, il y a quelque temps, que l’on pourrait préjuger de la couleur des fleurs d’après celle des germes ; mais les sections de M. Vilmorin nous montrent que si, en effet, les germes blanchâtres (à l’obscurité), ou verdâtres à la lumière, correspondent assez souvent avec la présence de fleurs blanches, il arrive également qu’on peut obtenir des fleurs blanches avec des germes roses, rouges ou violets.

Actuellement, de nouvelles variétés commencent à se répandre, dont on ne fait pas toujours connaître les relations qu’elles peuvent avoir avec les variétés préexistantes. En France, il semblerait qu’on se désintéresse de la création de variétés nouvelles. Cependant, M. Paul Genay, à Bellevue-Chantehoux, en a fait connaître deux mi-tardives, assez estimées, la Canada blanche et la Meilleure de Bellevue. M. Lamare, à Bayeux, de son côté, en a obtenu, par voie de sélection, après fécondation de fleurs par divers pollens, qui ne sont pas sans mérite. Le Bulletin de l’Association syndicale des Agriculteurs de l’Arrondissement de Bayeux (Mars 1896) a fait connaître les huit suivantes : 1o Variétés agricoles à grand rendement : Syndicat agricole (Junon par divers) ; Vaulaville (ibid.) ; Duc Guillaume (Imperator par divers) ; Belle de Bayeux (ibid.) ; Couespel (ibid.) ; De Caumont (Institut de Beauvais par divers) ; 2o Variétés de table : Louise (Imperator par Royale) et Des Gourmets (Saint-Patrice par divers). Le même obtenteur possédait déjà la Variété agricole Lamare et Madame Lamare, variété de table. M. Hyacinthe Rigaud, de son côté, a exposé tout récemment une belle variété rouge, Maxime Cornu, d’échantillons reçus de M. le Professeur du Muséum.


Fig. 83. — Tubercules de la variété anglaise Windsor Castle, Reproduction d’une photographie de la Conférence intitulée Potatoes par M. Arthur Sutton (1895). La plus estimée des obtentions de la maison Sutton (1/2 grand. nat.).

En Angleterre, la maison Sutton, à Reading, a fait connaître, comme nouvelles variétés de table : Sutton’s A1, belle Pomme de terre précoce (1895) ; Harbinger, très hâtive (1894) ; Ringleader ; Early Regent ; Triumph Windsor Castle ; Satisfaction ; Flourball et Magnum Bonum ; toutes obtentions assez récentes, dues aux soins de MM. Clarke, attaché à la maison Sutton, et à M. Robert Fenn. Puis M. Findlay obtient, comme variétés de table : Up to date et Lady Frances.

En Allemagne, on s’attache surtout à obtenir des variétés agricoles à grands rendements. M. Richter, l’obtenteur d’Imperator, a réussi à obtenir également d’autres variétés estimées : Bismarck, Borussia, Allemannia, Kiepert-Marienfelde, Koppe-Wollup (Imperator × Perle), Kaiserin Augusta, Amor (provenant de Reichskanzler), Globus, Juvel, Ovale Fruhblaue, Dr von Lucius, Dr von Eckenbrecher, Profr Œhmichen, Profr Mœrcker[17], etc. M. Paulsen rivalise avec M. Richter pour ses excellentes obtentions, savoir : Juli, Kleopatra (Zwiebel × Eier), Ninon (provce de Daber), Rothauge (provce de Grosser Kurfurst), Hebe, Helios {Imperator × Simson), Phœbus, Gloria {Athene × Simson), Jung, Baldur, Cupido, Viola, Pretiosa, Germannia, Hannibal, Adonis, Amylum (Atkene × Simson), Sirius (provce d’Imperator), Cæsar (provce d’Athene), Karl der Grosse (provce de Juno), Montblanc (provce d’Imperator), Blaue Riesen, Simson, Fürst von Lippe, Athene, Aspasia, Frigga, etc. M. Cimbal, marchant sur les traces de ses devanciers, a obtenu de son côté : D. von Seydewitz, President von Juncker, Neue Zwiebel, Wilkelm Korn, Comte Pünckler-Burghauss, et Max Eith.

D’un autre côté, on cultive, en Bohème, les variétés nouvelles suivantes obtenues par M. Dolkowski : Zagloba, Korczak, Prawdzic et Tarczala.

Enfin, MM. Haage et Schmidt, à Erfurt, ont dans ces dernières années mis au commerce, une collection de vingt variétés du Chili, très différentes les unes des autres, dont ils ont obtenu des tubercules très présentables : Il nous a paru tout d’abord qu’il y aurait quelque intérêt à cultiver ces diverses variétés, originaires des territoires où le Solanum tuberosum croît spontanément. Cette culture n’a pas produit tout ce que nous en attendions d’intéressant. M. Lamare, à Bayeux, un de nos habiles semeurs, n’en a pas retiré non plus tout le profit qu’il en espérait, à ce qu’il a bien voulu nous déclarer. Cependant, il ne faut pas trop dédaigner ces variétés chiliennes : il en est quelques-unes, assez productives pour faire croire qu’on pourra en tirer parti. Ce petit nombre fleurit et fructifie et rendrait des services pour les fécondations croisées. Toute cette collection comprend les variétés dont les noms suivent : Americana, Araucaria blanca, Araucaria musca, Bolera, Caballera, Cabritas ou Michunnes, Cauchau, Cauqui, Doyes, Francesa colorada, Francesa negra, Huaichal, Inegu, Mangu blanca, Mangu negra, Murta, Pastanesa, Pillipicum, du Lac Llanguihue et Yacuyes.

Nous avons cultivé également des tubercules des variétés suivantes, provenant de la collection Vilmorin : Violette de Tarna, Violette de Matacuna, Murta von Chili, du Paraguay. Ces variétés sont très peu productives et ne nous ont pas paru se signaler par des caractères particuliers.

Quatre autres variétés étrangères ont été citées par M. Arthur Sutton, dans sa Conférence précitée, comme curieuses à divers titres : ce sont Papa amarilla du Pérou, Sud Africa, Rocky Mountains et Fir Apple. Nous sommes de l’avis de M. Sutton : ces variétés se recommandent à l’attention par des qualités différentes et très singulières.

On voit, par tout ce que nous venons de dire ci-dessus, que notre Pomme de terre (Solanum tuberosum) est un type spécifique de grande puissance, qu’on pourrait croire capable de varier à l’infini.




  1. Die Kartoffelpflanze und deren Krankheiten.
  2. — Ce terme vient du mot grec plasma, qui a le sens de formation.
  3. — C’est du moins ainsi que les choses se passent d’ordinaire. Exceptionnellement, la plantule peut fleurir et fructifier. La variété Kornblume, dans un semis de Mars, en serre, nous a donné un pied, qui repiqué en plein air, fin Avril, a fleuri en Septembre et portait un fruit en Octobre. Il est probable que la plante, à l’état sauvage, doit fournir plus de graines que de tubercules, la première année. On se rappelle que De l’Escluse parle d’un semis qui n’avait pas produit de tubercules, mais avait donné des fleurs.
  4. — Nous avons essayé de traiter cette question d’évolution dans un article intitulé : La transmission des formes ancestrales dans les végétaux (Journal de Botanique, 1896).
  5. — Un procédé très simple pour obtenir ce pollen, consiste à détacher les fleurs épanouies, à les tenir renversées sur un verre de montre, et à donner de petits coups secs sur les étamines avec une petite tige métallique. On obtient ainsi souvent une assez grande quantité de ce pollen mûr. Pour transporter le pollen sur le stigmate, on peut se servir de petits pinceaux, en ayant soin, si l’on veut s’en resservir dans le même but, de les bien laver dans l’alcool après chaque opération. Certains expérimentateurs préfèrent se contenter de faire tomber le pollen sur le stigmate, en opérant comme on le ferait pour le recueillir d’abord sur le verre de montre.
  6. Mémoires du Muséum d’histoire naturelle, t. XIX, 1830.
  7. — On y voit aussi de petits cristaux octaédriques d’oxalate de chaux ; mais ils sont assez rares, et le plus ordinairement solitaires dans chaque cellule. Il existe également dans ce tissu d’assez grandes cellules criblées, à pores en forme de petites boutonnières.
  8. — Bulletin de la Société botanique de France, t. II.
  9. Bulletin, t. VIII (1861).
  10. Bulletin, t. XXXVIII (1891).
  11. Bulletin de la Société botanique de France, t. XXXVII (1890).
  12. Comptes rendus (1892, 1er semestre).
  13. Potatoes (1896).
  14. — Il n’est pas besoin d’indiquer que ce mot espèces signifie variétés.
  15. — 25 Juillet.
  16. — Les noms, marqués d’un astérisque, figurent sur les Listes des variétés que Loudon a publiées, en 1825 et 1828, dans ses Encyclopœdia of Agriculture and Gardening.
  17. — M. Tibulle Collot, à Maizières (Haute-Marne), qui l’ait une culture raisonnée des variétés nouvelles, signale cette variété Profr Mœrcker comme supérieure à l’Imperator, Il déclare être très satisfait de quelques autres obtentions de M. Richter, Paulsen et Cimbal, et vante en particulier la Jaune d’or de Norvège comme étant de premier choix au point de vue culinaire.