Histoire de la pomme de terre/Chapitre V

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Histoire de la pomme de terre traitée aux points de vue
historique, biologique, pathologique, cultural et utilitaire
Rothschild (p. 257-356).
Deuxième partie


CHAPITRE V

LES ENNEMIS ET LES MALADIES DE LA POMME DE TERRE


Nous regardons comme ennemis de la Pomme de terre les espèces du règne animal, dont il y a lieu de craindre les déprédations, lorsqu’ils s’attaquent soit aux tubercules, soit à la tige et au feuillage pour en faire principalement l’objet de leur nourriture. Ses maladies, par contre, dépendent : 1o soit d’un mauvais état de l’organisme sans cause extérieure connue, et par suite résidant dans la plante même, et provenant de certains arrêts de développement ou d’affaiblissement général qui peut résulter de la mauvaise nature du terrain ou bien des agents atmosphériques ; et 2o de l’action nocive de parasites végétaux appartenant tous aux Mycètes microscopiques ou Champignons minuscules, peu ou pas visibles à l’œil nu, dont on ne constate souvent que les déplorables effets de la pénétration vitale dans les tissus de la plante, plus ou moins frappés de dessiccation ou de mortification. C’est dans cette dernière catégorie que se trouve naturellement placé ce que l’on appelle communément La Maladie de la Pomme de terre, très redoutable à l’origine, moins grave aujourd’hui, mais qui n’en constitue pas moins un véritable fléau dont les attaques sont heureusement moins difficiles à conjurer qu’autrefois.


I. LES ENNEMIS DES POMMES DE TERRE.


Parmi les animaux, et en particulier les mammifères, contre la présence desquels il convient de se prémunir par des pièges ou d’autres procédés bien connus, se trouvent les rongeurs dont Olivier de Serres avait déjà à se plaindre, au XVIe siècle, lorsqu’il disait dans son Théâtre d’Agriculture : « L’on conserve le cartoufle tout l’hyver parmi du sablon délié en cave tempérée ; moyennant que ce soit hors du pouvoir des rats, car ils sont si friands de telle viande[1], qu’y pouvans attaindre, la mangent toute dans peu de temps ». On se plaint beaucoup moins, à notre époque, des ravages que peuvent faire les rats dans les celliers ou greniers où l’on conserve les Pommes de terre.

Mais, la présence de certains Insectes dans les cultures est certes plus à redouter. Les plus nuisibles sont ceux qui s’attaquent aux tubercules. Citons d’abord la Courtilière, qui appartient à la famille des Orthoptères et à laquelle Linné a donné le nom de Gryllus Gryllotalpa. Cet Insecte, long de près de cinq centimètres, est armé à chacune de ses deux pattes antérieures d’un court prolongement en dents de scie qui lui permet de fouiller le sol, d’y creuser des galeries et de couper ou même perforer les racines ou tubercules qu’il trouve sur son passage. L’huile que l’on verse dans ses galeries a pour effet de les lui faire abandonner et sortir au dehors, probablement par crainte d’asphyxie. Ce moyen facilite sa destruction, sans parler de quelques autres moins efficaces. Ce n’est pas que la Courtilière cherche un aliment dans les tubercules de Pommes de terre, car elle vit de larves et d’insectes. Mais, comme elle ne se détourne pas d’un obstacle qui lui barre le passage sous terre, si elle peut le détruire, elle perfore le tubercule pour se frayer le chemin et ne pas interrompre la continuation de sa galerie.

Un autre insecte dont les ravages sont plus à craindre est un Coléoptère bien connu sous le nom de Hanneton (Melolontha vulgaris Fab.) dont la larve, appelée d’ordinaire ver blanc, ou parfois man ou turc, vit souterrainement pendant trois ans avant d’arriver à son état parfait, et, dans cette période, se nourrit des racines ou tubercules hypogés qu’elle trouve à sa portée. Comme cette larve ne s’attaque pas qu’aux tubercules de la Pomme de terre, mais à beaucoup d’autres plantes horticoles ou agricoles, il est naturel qu’on lui fasse une guerre acharnée par tous les moyens possibles. Faisons remarquer seulement ici qu’il faudrait se garder d’employer certains de ces moyens d’attaque, comme le sulfure de carbone, pour la préservation des tubercules des Pommes de terre, car il se pourrait que ces tubercules mêmes en fussent affectés. Mais il faut réellement compter avec les déprédations de cette larve, qui, lorsqu’elle se trouve en grand nombre dans un champ, en compromet sensiblement la récolte.

Un Coléoptère américain, très redouté aux États-Unis il y a une vingtaine d’années, à cause des grands ravages qu’il avait commis dans les cultures de Pommes de terre, a fait naître en Europe, en 1875,
Fig. 84 et 85. — Doryphora decemlineata, Larve et insecte parfait d’après Taschenberg. (Grosst 3/1).
de vives appréhensions qui étaient d’autant plus fondées à cette époque que la présence de cet Insecte avait commencé à être signalée en Allemagne. Il s’agit du Doryphora decemlineata de Th. Say, du Colorado. M. Gh. Riley a publié à New-York et à Londres, en 1876, un Mémoire très détaillé sur ce Doryphora, dont on paraît être arrivé à se débarrasser aux États-Unis et qui n’a pas heureusement eu le temps de prendre possession de nos champs, en Europe, mais qui ne doit pas moins figurer dans cette Histoire. Nous en dirons donc quelques mots, d’après une Notice de M. Ch. Joly, parue dans la Science pour tous, en 1877.

Disons d’abord que les craintes de l’arrivée de cet Insecte avaient été telles que le Ministre du Commerce avait cru devoir saisir de cette question la Société d’Agriculture de France, et que M. Blanchard, dans son rapport, avait conclu, au nom de la Société, à l’interdiction de la réception en France des Pommes de terre venant de l’Amérique du Nord. Ce Doryphora, d’après les observations de M. Th. Say, naturaliste attaché à une expédition dans les Montagnes Rocheuses, vivait alors sur un Solarium sauvage du Colorado. De 1859 à 1874, il envahit les cultures de Pommes de terre des États-Unis et s’y multiplia avec une rapidité extraordinaire, au point de faire considérablement surélever le prix du précieux tubercule. On s’expliquera cette redoutable multiplication, d’après les mœurs et le mode de propagation de l’Insecte. En effet, le Doryphora decemlineata passe l’hiver à l’état parfait dans le sol, pour en sortir après la fonte des neiges. Les femelles pondent sur les jeunes plantes et déposent sous les feuilles des tas de 10 à 40 œufs. Au bout de trois à quatre semaines, l’Insecte a pris toute sa croissance : il n’attaque que les fanes, jamais les tubercules. Chaque année, on compte trois générations successives, et la production de chaque femelle varie de 500 à 1000 œufs. Ce Doryphora attaque également les Tomates, parfois même les Choux et diverses autres plantes potagères. Concluons qu’il est vraiment heureux qu’on soit parvenu à se mettre à l’abri des attaques de cet Insecte qui n’a pu envahir nos cultures et s’y installer, ainsi qu’il y avait, en 1874, tout lieu de le craindre, et conservons l’espoir qu’il ne pourra plus tard non plus attirer sur lui l’attention.

Enfin, un autre Insecte devait également être signalé comme un nouvel ennemi de la Pomme de la terre. A. Rivière, qui l’avait observé en Algérie, le fit connaître, en Octobre 1874, à la Société d’Horticulture de France. Le Dr Boisduval reconnut dans cet Insecte une espèce nouvelle de Lépidoptères, une petite Tinéide du genre Bryotropha de Hunemann et lui donna le nom de B. Solanella. Dans le Journal de cette même Société, d’Août 1876, Rivière donne de nouveaux et très grands détails sur les mœurs biologiques de cette Tinéide, qui a depuis, comme le Doryphora, cessé de fixer l’attention. Disons seulement que ce qui était à redouter, de la part de ce petit Papillon ou Microlépidoptère, c’était sa larve qui, bien que dépassant à peine un centimètre de longueur, perforait les Tubercules de Pommes de terre d’outre en outre, s’y creusait de nombreuses galeries en tous sens, les mettait ainsi dans un état déplorable et les rendait hors d’usage. Cette larve s’enfermait ensuite dans de petits cocons, qu’elle tissait soit à l’extérieur, soit à l’intérieur des tubercules, s’y transformait en Chrysalide, et en sortait à l’état de Papillon au terme de ses métamorphoses.

Aug. Rivière, dans son Mémoire, faisait espérer qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter beaucoup en France de l’introduction de ce Microlépidoptère, mais ajoutait qu’on devrait prendre en Algérie des mesures de précaution. Ce qu’il énonçait à ce sujet nous semble avoir de l’intérêt, et nous insérons ici quelques passages instructifs sur la Culture de la Pomme de terre en Algérie.

« Dans certaines parties de l’Algérie, disait-il, la végétation de la Pomme de terre a lieu du mois d’Octobre au mois de Mai : c’est donc pendant toute cette période de temps que la plantation, la végétation et la récolte des Pommes de terre s’accomplissent… Sur le littoral algérien et particulièrement aux environs d’Alger, la pomme de terre est cultivée sur une assez vaste échelle pour être livrée comme primeur à la consommation ; il y avait donc une grave question à étudier, celle de savoir si les tubercules nouveaux étaient attaqués par les chenilles (ou larves) au moment de la récolte ; car, dans ce cas, il y aurait eu un grand danger, pour les autres pays, à laisser sortir les Pommes de terre du territoire algérien. Mais les observations qui ont été faites jusqu’à ce jour démontrent d’une manière certaine que les Pommes de terre cultivées comme primeurs en Algérie peuvent être exportées sans aucun danger, puisque la chenille du Bryotropha Solanella n’attaque pas les nouveaux tubercules et qu’il n’y a que ceux qui ont été amoncelés en tas comme conserve alimentaire ou pour la reproduction, qui le soient, vers l’automne.

» On doit, du reste, ne pas oublier une chose. Le tempérament de la Pomme de terre par rapport aux conditions climatériques de diverses parties de notre Colonie où cette plante est cultivée, s’oppose à ce qu’elle produise des tubercules propres à la reproduction franche de la variété sur le territoire algérien ; il est donc d’un usage général, pour obtenir de bons produits, de faire venir chaque année d’Europe, et particulièrement du nord de la France, des tubercules reproducteurs. Jamais on n’exporte d’Algérie de vieux tubercules pour la reproduction ; agir ainsi, ce serait un double danger : celui d’introduire l’Insecte où il n’existe pas, et, d’un autre côté, de livrer au sol des produits déjà dégénérés sous les influences climatériques, car c’est un fait certain que les Pommes de terre cultivées dans des conditions défavorables marchent rapidement à la dégénérescence de la variété ; c’est ce qui arrive dans le plus grand nombre des cas en Algérie, surtout dans les parties chaudes où il est encore possible de cultiver cette Solanée ».

En 1873, M. Prillieux signalait à la Société d’Horticulture de France une observation qu’il avait faite sur des Pommes de terre à germes filiformes dans une assez grande étendue des cultures de Mondoubleau (Loir-et-Cher). Elles s’étaient montrées en quantité au printemps de 1872, parmi les tubercules provenant de la récolte de 1871. Mais ces tubercules au moment de la récolte paraissaient mous et avaient l’apparence de ceux qui avaient été arrachés avant la maturité. En suivant avec soin l’arrachage dans les champs, M. Prillieux remarqua que les pieds qui portaient des tubercules mous présentaient une altération considérable de la partie inférieure de la tige. Ces tiges avaient été rongées en terre. L’écorce avait été d’abord attaquée en certains points et détruite jusqu’au bois, puis la décomposition s’était propagée et avait gagné toute la tige. L’animal qui avait causé ces lésions lui avait paru être un iule de couleur blanchâtre et marqué sur les côtés d’une ligne de
Fig. 86 et 87. — Tylenchus devastatrix Kühn, mâle et femelle, d’après MM. Debray et Maupas. (Grosst 100/1)
taches pourpres : il avait été déjà observé par M. Guérin-Méneville et rapporté par lui au Iulus guttulatus de Fabricius. M. Prillieux avait trouvé fréquemment ces animaux, tant dans les tiges rongées que dans les tubercules à germes filiformes qui étaient demeurés en terre depuis le printemps sans pousser. Il croyait donc pouvoir admettre que les lésions produites sur la portion souterraine des tiges avait eu pour conséquence l’arrêt de développement des tubercules qui restaient mous au moment de la récolte, et ne donnaient au réveil de la végétation que des germes grêles et trop faibles pour produire de nouveaux pieds.

La Pomme de terre compte encore d’autres ennemis dans le Règne animal, qui çà et là appellent l’attention des observateurs. Ainsi, en 1888, M. J. Kühn a signalé à Halle, en Allemagne, des effets assez singuliers résultant du développement excessif d’une Anguillule. La présence de cette Anguillule dans les tubercules de Pommes de terre aurait produit une sorte de pourriture vermiculaire. Cette espèce d’Anguillule paraîtrait être identique avec le Tylenchus devastatrix, qui cause de notables ravages sur le Seigle, l’Avoine et le Sarrasin. Elle vivrait aux dépens de la fécule des tubercules dans lesquels elle se multiplierait, et produirait dans la pulpe des tâches noirâtres, assez semblables à celles qui sont le résultat de l’action parasitaire du Champignon de la Maladie de la Pomme de terre. M. Kühn recommande de détruire avec soin les tubercules ainsi attaqués par ces Anguillules, qui sont également à redouter pour les autres cultures[2].

On pourrait encore citer, comme animaux destructeurs à craindre pour les cultures de Pommes de terre, les Mollusques gastéropodes, c’est-à-dire les Limaces et les Colimaçons. Nous avons vu parfois, au printemps, les feuilles des jeunes tiges rongées, la nuit, par ces animaux à tel point qu’il n’en restait plus que les nervures principales. Ce peut être une cause d’affaiblissement pour la plante et qui en arrête le développement. Mais, en général, lorsque la plante est adulte, les portions des feuilles qu’ils en dévorent sont assez faibles pour que nous dédaignions d’en parler[3], pas plus, du reste, que des rares attaques des Aphidiens ou Pucerons, qui n’ont heureusement pas choisi la Pomme de terre comme une plante favorable à leur parasitisme.


II. MALADIES DES POMMES DE TERRE.


Occupons-nous maintenant des Maladies des Pommes de terre, sujet autrement intéressant. On est resté longtemps sans connaître les causes réelles de plusieurs de ces maladies, que l’on regardait comme dérivant de la plante même, d’une altération de ses tissus, de ses sucs propres, ou d’une dégénérescence subite. Nous sommes mieux renseignés aujourd’hui sur ce sujet, même sur la Maladie de la Frisolée, dont il va être immédiatement question. Nous traiterons ensuite successivement des Maladies causées par divers autres parasites végétaux, soit qu’ils s’attaquent seulement aux tubercules, soit que l’action parasitaire entraine à la fois la destruction des feuilles, des tiges et des tubercules.


Maladie dont la cause était inconnue.


Cette maladie, dont il a été plus souvent question autrefois qu’il ne l’est aujourd’hui, est ce qu’on a appelé la Frisolée, ou parfois même la Frisée, ou d’autres fois la Rouille, ou bien encore la Cloque ou Crolle, dans les Flandres.

Bonjean, dans sa Monographie de la Pomme de terre (1846), nous donne quelques détails sur la Frisolée. « Cette maladie, dit-il, assez fréquente dans la Grande-Bretagne, où on la connaît sous le nom de curl a fait parfois invasion dans quelques départements de la France, notamment dans les environs de Metz ; on la rencontre plus souvent encore en Allemagne, mais très rarement en Savoie. Le Dr  Putsche assure que les plantes qui en sont attaquées paraissent souffrantes à l’extérieur. Les tiges sont lisses, d’une couleur brune tirant sur le vert, quelquefois bigarrées, souillées de taches couleur de rouille, qui pénètrent jusqu’à la moelle ; en sorte que celle-ci n’est point blanche, mais roussâtre et visant au noir. Le limbe des feuilles n’est point plan comme chez les individus en santé, mais rude, sec, ridé et crépu ; elles ne s’étalent pas au loin à l’entour des tiges, mais s’en rapprochent plus que de coutume, et leur développement n’est pas en rapport avec la longueur de leur pétiole. Il en résulte que la plante pâtit, se ride, jaunit prématurément à l’automne, et meurt au moment même où la végétation devrait être vigoureuse. Le petit nombre de tubercules que produisent ces plantes, mortes avant le temps, ont une saveur désagréable, parce qu’ils ne sont point mûrs, et sont impropres à l’alimentation de l’homme, parce que, après avoir été mangés, ils laissent dans la gorge une substance âcre qui en lèse les parois, propriétés communes à beaucoup de végétaux récoltés avant maturité. Plusieurs faits prouvent que certaines espèces de Pommes de terre sont plus exposées que d’autres à la Frisolée ; cette maladie fait moins de ravages dans les montagnes que dans les plaines et dans les bas-fonds. Elle est héréditaire, et ce n’est que par une bonne culture que l’influence en est paralysée à la quatrième ou cinquième génération. Le seul remède connu, c’est de renouveler l’espèce par des semis ou des importations de variétés nouvelles ».

Il semble, par suite, que la Frisolée serait une sorte de maladie organique, résultant peut-être de cultures dans des sols trop humides, et qu’elle se serait déclarée dans ces conditions biologiques désavantageuses, certaines années trop pluvieuses peut-être. Elle ne serait héréditaire qu’en raison de l’atrophie des tubercules, incapables de produire des plantes vigoureuses, surtout dans des sols ingrats.

Comme Bonjean le disait, cette maladie a occupé l’attention en Angleterre. Voici ce que nous trouvons sur ce sujet, dans l’Encyclopédie du Jardinage[4] de Loudon (1828) : « La maladie appelée Curl (ou Frisolée) s’est montrée sur plusieurs points, en Angleterre, extrêmement fâcheuse et grave. Elle a donné matière à beaucoup de discussions : ce serait une tâche ingrate que de faire connaître toutes les opinions différentes qui ont été émises à ce sujet ». Il en est certainement toujours ainsi, lorsqu’on ignore la cause première d’un mal dont on ne constate que les effets. Quoi qu’il en soit, du reste, d’après les renseignements qu’a bien voulu nous donner récemment M. Arthur Sutton, le Curl ne semble pas préoccuper actuellement les cultivateurs anglais : cette maladie ne se développerait que dans certaines cultures, où l’on a fait usage des tubercules-semence de provenance américaine.

Nous avons été amené à découvrir assez singulièrement la cause de cette maladie de la Frisolée. Des tubercules qui présentaient dans leur parenchyme, des taches roussâtres, parfois brunâtres, tout en conservant leur fermeté ordinaire, nous laissaient dans le doute sur l’origine du mal, car les cellules tachées n’offraient à l’examen microscopique ni filaments de mycélium de Champignon, ni Microcoques, Bactéries ou Bacilles quelconques. Que signifiaient donc ces taches et quel parasite les produisait ?

En 1853, dans un petit volume intitulé : Les maladies des Pommes de terre, des Betteraves, des Blés et des Vignes, Payen disait qu’il avait remarqué, à la suite d’une très grave maladie des Betteraves, qui avait, aux environs de Valenciennes, fait perdre 20 millions de kilogrammes de sucre, que les racines malades étaient envahies par une substance organique, rousse orangée, d’une consistance muqueuse, qui produisait les effets du parasitisme. Cette observation n’attira pas autrement l’attention, parce que Payen lui-même ne paraissait pas se douter qu’il s’agissait réellement d’un organisme, d’un parasite véritable, dont l’action vitale pouvait être à redouter.

Du reste, en 1846. Payen avait déjà dit, à la Société royale d’agriculture, en parlant de la maladie spéciale des Pommes de terre de 1845, que les effets bien étudiés de la maladie avaient consisté dans l’invasion d’une substance rousse, ayant une composition semblable à celle des Cryptogames microscopiques, laquelle ne pouvait être autre que cette même substance muqueuse parasitaire. Decaisne, de son côté, avait également signalé, à propos de cette même maladie, une substance brune granuleuse, qui agglutinait fortement les cellules des tubercules et les pénétrait de manière à envelopper chacun des grains de fécule, sans néanmoins faire subir à cette dernière la plus légère altération.

En 1892, MM. Viala et Sauvageau avaient trouvé dans les tissus foliaires desséchés de Vignes malades, un Champignon muqueux ou Myxomycète, constitué par un simple mucus qui avaient envahi ces tissus. Ils le considéraient comme une espèce nouvelle du genre Plasmodiophora, créé par M. Woronine pour un parasite du Chou. Leur Plasmodiophora Vitis avait, d’après eux, la faculté de traverser les membranes des cellules et d’en absorber le contenu.

En 1894 et 1895, M. Debray étudia avec soin ce parasite sur des végétaux vivants : il en constata la présence dans la Vigne, puis dans 70 espèces de plantes très diverses, et même dans des feuilles de Pommes de terre ; il le reconnut comme apte à vivre à l’état de mucus (ce qu’on appelle plasmode en Mycologie), ou bien à former des kystes, pour sa conservation, c’est-à-dire à condenser et à concréter son mucus végétatif sous des aspects divers. Il créa un genre nouveau pour ce Myxomycète qui prit alors le nom de Pseudocommis Vitis. Quant à la maladie que caractérisent les effets parasitaires de ce Champignon muqueux, elle s’appela la Maladie de la Brunissure.

Instruit par ces travaux préliminaires sur un parasite si singulier, d’une simplicité d’organisation telle que de très bons observateurs se refusaient à voir en lui un véritable organisme, nous fûmes tout de suite frappé des relations étroites qui existaient entre le contenu muqueux des taches roussâtres, éparses dans la chair de nos Pommes de terre malades et ce Pseudocommis Vitis. Nous avons cultivé, sous cloche humide, des tubercules affectés de cette maladie, et le développement des germes ne tarda pas à nous donner la certitude de la réalité de l’existence et de la vitalité de ce parasite nouvellement connu. En effet, son mucus plasmodique, se frayant un passage à travers la chair du tubercule, pénétrait dans les germes et, les accompagnant dans leur mouvement ascensionnel, manifestait bientôt sa présence sur l’épiderme des tiges et sur les jeunes feuilles, sous la forme de taches brunâtres ou roussâtres, dans lesquelles l’examen microscopique nous permettait de retrouver un mucus identiquement semblable à celui des tubercules. Une autre expérience nous apprenait de quelle façon ce Pseudocommis pouvait se multiplier et se répandre dans l’atmosphère, pour être transporté, avec les infimes poussières du sol, au gré de tous les vents. Nous avions placé deux de ces tubercules malades dans une terre humide, en laissant les germes se développer dans un air sec. Au lieu de se glisser alors dans les tiges et les feuilles de ces germes, le mucus plasmodique sortait des tubercules et venait s’épanouir à la surface de la terre humide, englobant de très minuscules cristaux de silice ou se concrétant en kystes grumeleux microscopiques. Nous avons eu, depuis, l’occasion de vérifier, sur diverses plantes, la présence de ces particules de mucus plasmodique et de ces kystes, et de nous assurer que c’était bien ainsi, au moyen de cette dissémination effectuée par les courants d’air, que la maladie se propageait, un nouveau mucus produit par ces plasmodes ou ces kystes pénétrant par une sorte d’imbibition dans les tissus végétaux sur lesquels ils avaient été transportés. Cette maladie est, du reste, très répandue, si répandue même que lorsque les conditions d’humidité et de chaleur nécessaires favorisent l’extension et le développement du Pseudocommis, presque toutes les plantes en sont plus ou moins attaquées. Certaines cependant paraissent résister à ses attaques ; mais un assez grand nombre hospitalisent ce parasite et ce n’est pas sans en souffrir très nettement, car il mortifie tous les tissus qu’il envahit.

Voici maintenant comment nous avons été conduit à établir que le Pseudocommis était bien la cause efficiente de la maladie de la Frisolée. Des Pommes de terre présentant dans leur chair les taches roussâtres ou brunâtres produites par le parasite, germèrent au printemps dans une chambre où nous les avions conservées pendant l’hiver. Sur quelques-unes, tous les germes ne tardèrent pas à subir un temps d’arrêt dans leur développement : leur extrémité se colora en brun noirâtre et bientôt durcit ; plusieurs germes, sur d’autres, présentèrent le même phénomène, mais ils étaient accompagnés, soit de germes plus ou moins tachés de macules brunâtres, soit de germes sains. Or nous reconnûmes que les parties extrêmes noircies ou les taches brunes renfermaient nettement les plasmodes du Pseudocommis[5]. Nous plantâmes, peu de temps après, un certain nombre de ces tubercules avec leurs germes malades : les résultats de cette culture furent les suivants.


Fig. 88. — Pommes de terre ayant développé des germes dont l’extrémité noircie et mortifiée a été envahie par le Pseudocommis. (1/2 grand. nat.) D’après une photographie de M. Le Saché.

Les Pommes de terre, dont le sommet de tous les germes était noirci ou mortifié par le parasite, ne produisirent aucune tige aérienne ; mais des stolons se développèrent vers le milieu des germes et donnèrent naissance à trois ou quatre petits tubercules. D’autres Pommes de terre, très attaquées, mais présentant à la fois des germes à sommet mortifié et deux ou trois germes sains, émirent des tiges rabougries, à feuilles crispées, plus ou moins maculées de taches noirâtres ; le résultat fut maigre : deux ou trois petits tubercules. Plusieurs autres Pommes de terre, attaquées à des degrés différents, qui avaient émis plus de germes sains que de malades, produisirent des tiges presque normales, avec des feuilles jaunâtres ou roussâtres, certaines avec des taches noirâtres. Le rendement se rapprocha de l’ordinaire, mais dans une proportion qui nous parut concorder avec l’état préalablement maladif des tubercules plantés.

Tous ces résultats sont conformes avec ceux que l’on signalait comme caractérisant la maladie de la Rouille ou de la Frisolée. Il convient donc d’en attribuer la cause au Pseudocommis. De plus, nous avons cultivé plusieurs autres Pommes de terre de variétés tardives, également attaquées par ce parasite, mais dont les tubercules étaient plus malades que la plupart des germes qui paraissaient être sains. L’année avait été très humide, et c’est une particularité dont il faut tenir compte. Il n’en est pas moins vrai qu’en Octobre la récolte se composait de moitié seulement de tubercules sains, l’autre moitié étant plus ou moins attaquée par le Pseudocommis.

Tout ceci nous apprend qu’il y a un grand intérêt à ne pas planter de Pommes de terre quelque peu affectées de cette maladie. Mais comme l’on préconise déjà la plantation des tubercules germés, il sera facile de se mettre à l’abri de la Frisolée, ou du moins des mauvaises récoltes qu’elle produit, en rejetant de la plantation ceux dont les germes présenteront des taches brunâtres ou seront noircis à leur extrémité.

Nous croyons cependant ne pouvoir omettre de dire que le Pseudocommis, en dehors de la faculté dont nous avons parlé plus haut de produire une contamination aérienne, en possède une autre également à craindre dans les cultures ; nous voulons parler de la contamination dans le sol, ce qui explique qu’il peut arriver que des tubercules plantés très sains donnent parfois des tubercules de nouvelle formation attaqués par ce parasite. Mais, dans ce cas, les mauvais résultats de la récolte ne sont nullement comparables avec ceux obtenus d’une plantation de tubercules malades[6].


Maladies causées par d’autres parasites végétaux.


§ 1er . — Maladies spéciales aux tubercules.


Nous passerons successivement en revue les maladies suivantes qui n’affectent ni les tiges, ni les feuilles, mais seulement les tubercules. Ce sont : 1o La Gale de la Pomme de terre ; 2o La Gangrène sèche des tubercules ; 3o La Gangrène humide des tubercules ; 4o Les Tubercules piqués ; 5o Le ramollissement des tubercules ; 6o Le Rhizoctone de la Pomme de terre.

Disons d’abord quelques mots sur les parasites qui sont les causes efficientes des trois premières de ces maladies.

Il existe des végétaux microscopiques, les plus petits que l’on connaisse, qui exigent, pour être vus et étudiés, l’emploi des plus puissantes lentilles. Ces microbes, que l’on est à peu près convenu de classer parmi les Bactériacées, se font redouter par leur action nocive, en raison même de leur rapide multiplication et de la faculté qu’ils ont de se maintenir longtemps dans une sorte de vie latente, soit dans l’air où ils restent en suspension avec toutes les poussières atmosphériques, soit dans le sol où ils séjournent jusqu’à ce qu’ils y rencontrent de nouveau les tissus organisés des plantes hospitalières qui facilitent leur nutrition et leur reproduction. Leur rôle est le même, en définitive, que celui de ces espèces congénères, qui constituent les Microbes pathogènes, également redoutables pour l’homme et les animaux.

Le mode général de multiplication de tous ces Microbes est la simple division d’eux-mêmes, un seul de ces organismes cellulaires, c’est-à-dire la cellule même qui représente l’individu, se dédoublant spontanément pour en former deux autres, qui en produisent bientôt quatre nouvelles, et ainsi successivement, suivant la progression 2, 4, 8, 16, 32, 64, etc., qui dépasse un million à la 21e partition collective. C’est ce que l’on appelle la scissiparité continue. Certains de ces organismes microscopiques possèdent un autre mode de multiplication qui en assure plus longtemps la durée : leur cellule, cessant d’être végétative, engendre dans son intérieur des germes ponctiformes ou spores, dont la faculté germinative se conserve alors que la cellule procréatrice a déjà disparu.

Mais ne parlons ici que des Bactériacées dont nous aurons à nous occuper. Elles se présenteront sous deux formes distinctes. Les unes seront constituées par des cellules à contour sphérique ou elliptique, dont le diamètre ne dépassera guère un millième de millimètre, ou même parfois n’en aura que la moitié, et qui seront toujours immobiles et enveloppées d’un mucus protecteur. Ce seront les Microcoques, c’est-à-dire des espèces du genre Micrococcus. Les autres Bactériacées, qui se rattachent aux genres Bacterium et Bacillus, auront des cellules plus longues que larges, cylindriques, en forme de bâtonnets : ces cellules se diviseront dans le sens de la largeur, de façon que leurs articles bout à bout simuleront des chaînettes ; elles ne seront que rarement enveloppées dans un mucus commun, mais seront douées souvent d’une mobilité singulière dans les liquides ambiants, laquelle paraît être due dans certains cas à l’action d’un ou deux cils vibratiles insérés à l’une ou à l’autre de leurs extrémités. Ces Bactéries et Bacilles, dont les éléments cellulaires engendrent parfois des spores conservatrices, agissent aussi plus particulièrement en qualité de ferments. Mais, en somme, leur action nocive sur les tubercules de Pommes de terre diffèrent notablement des Microcoques, qui sont la cause efficiente des premières maladies que nous allons décrire. Ainsi les Bacilles ont la faculté de dissoudre la cellulose dont se compose la membrane cellulaire, pour en effectuer bientôt la complète résorption, tandis que les Microcoques ne jouissent que de la faculté de pénétration dans les cellules pour vivre aux dépens de leurs matières protéiques, et cette simple pénétration parasitaire suffit pour produire la mortification des tissus. Nous signalerons, du reste, à propos de chacune de ces maladies, le rôle que se trouvent y jouer, soit les Microcoques, soit les Bactéries ou les Bacilles et l’on s’expliquera mieux tout ce que l’on peut craindre de ces infiniment petits.

1o La Gale de la Pomme de terre. — C’est en Angleterre qu’il est fait mention pour la première fois de cette maladie. Loudon, dans son Encyclopédie d’Agriculture[7], en dit quelques mots : « La Gale (Scab), c’est-à-dire l’ulcération de la surface des tubercules, n’a jamais été expliquée d’une manière satisfaisante. Quelques-uns l’attribuent à l’ammoniaque du fumier de cheval, d’autres à l’alcali, et certains à l’usage des cendres de charbon de terre. Ne pas se servir de la semence malade et planter dans un autre sol sont les seuls moyens connus de prévenir la maladie ».

En 1842, de Martius disait à propos de la Gale de la Pomme de terre[8] : « La maladie qu’on nomme la Gale (Räude ou Krätze) a été principalement observée, en Allemagne, dans les terrains calcaires de la Thuringe, dans la Bavière supérieure, et en Autriche. Elle a des rapports avec le développement d’un petit Champignon d’une structure très simple, du genre des Protomyces. Elle affecte surtout les parties situées sous l’épiderme du tubercule ». Dans son Mémoire publié la même année sous le titre de Kartoffel-Epidemie, à Munich, de Martius décrit cette maladie sous le nom de Porrigo tuberum Solani, c’est-à-dire la Teigne de la Pomme de terre. Sa description et les figures qui accompagnent son texte ne nous paraissent pas avoir des rapports directs avec la véritable Maladie de la Gale, qui est au contraire tout à fait épidermique. Nous ne nous y arrêterons donc pas.

Mais Schacht, dans son Mémoire sur la Pomme de terre et ses maladies (1856) déjà cité, nous paraît avoir beaucoup mieux traité cette question. D’après lui, il existerait une maladie spéciale aux cellules subéreuses qui constituent l’épiderme des tubercules ; il se produit dans ce cas une sorte d’hypertrophie des lenticelles, si bien que, sous l’apparence d’abord de petites taches, il se forme ensuite comme des dépressions ou des fissures, qui restent à découvert dans la profondeur des cellules subéreuses. Schacht croyait pouvoir attribuer la cause de cette maladie à des matières particulières, qui resteraient à l’état fixe dans le sol, en particulier à l’argile ferrugineuse. Il expliquait de cette façon que les Pommes de terre, plantées plusieurs années de suite dans le même sol, devaient y contracter naturellement la maladie.

Divers auteurs, en Allemagne, avaient partagé l’opinion de Schacht ; d’autres, cependant, avaient réussi à la contredire, en établissant nettement par des analyses des terres cultivées en Pommes de terre, que celles qui avaient produit des tubercules galeux contenaient moins d’un dixième pour cent d’oxyde de fer que celles qui avaient donné des tubercules parfaitement lisses. Aussi le Dr Löbe[9], qui rapporte ce fait, croit-il pouvoir dire : « Il s’ensuit qu’on peut avoir la certitude qu’un Champignon parasite est la cause véritable de la Gale, et que son action extérieure, aidée par beaucoup d’humidité et un engrais très azoté, doit développer grandement cette Maladie. Toutefois, il est arrivé qu’on ne s’est pas rendu compte du rôle de ce Champignon parasite, lequel n’est pas encore connu… ».

Fig. 89. — Pomme de terre galeuse. (1/2 grand. nat.) D’après une photographie de M. Le Saché. Fig. 90. — Autre Pomme de terre galeuse. (1/2 grand. nat.) D’après une photographie de M. Le Saché.

On ne paraissait plus s’occuper de cette singulière maladie qui, en somme, ne constitue qu’une attaque superficielle de l’épiderme des tubercules, sans endommager leur parenchyme ni leurs germes, lorsqu’une maladie similaire prit un caractère extensif tel, aux États-Unis, qu’elle y attira forcément l’attention.

Devant les plaintes des cultivateurs, dont se firent l’écho les Bulletins des Stations agricoles de plusieurs de ces États, des recherches et des expériences furent faites en vue de découvrir la cause du Potato Scab et les moyens curatifs de le combattre ou d’en prévenir les effets regrettables.

En 1890 et 1891, deux savants américains annoncèrent avoir trouvé la cause de la Maladie. D’un côté, le Dr  Thaxter l’attribuait à une sorte de Mucédinée très simple, formant des chapelets de spores conidiformes, sphériques ou ovoïdes, hyalines ou légèrement colorées, et non cloisonnées qu’il appela Oospora Scabies. D’un autre côté, le Dr  Bolley déclarait que cette maladie provenait d’un Bacterium qu’il avait découvert dans les érosions profondes des pustules galeuses, et qu’il avait réussi à cultiver à part, après l’avoir isolé. Le Dr Thaxter, du reste, ajoutait à l’appui de ses observations que, par des expériences précises, il avait réussi à inoculer cette Maladie à des tubercules sains, sur l’épiderme desquels la Mucédinée avait gravé en creux l’initiale de son nom. Ajoutons que, récemment, le Dr  Bolley s’est rallié à l’opinion du Dr  Thaxter, et qu’il résulte d’obligeantes communications, que nous a faites ce dernier, que le Potato Scab ne nous paraît pas constituer la même maladie que notre Gale de la Pomme de terre.

Quoi qu’il en soit, en 1896, ayant eu à notre disposition des tubercules galeux de la variété Merveille d’Amérique, l’idée nous vint d’essayer, s’il était possible, d’observer la maladie à ses débuts. Nous résumerons ici les résultats des recherches et expériences que nous avons faites à ce sujet[10].

En cultivant dans un pot rempli de terreau, maintenu fort humide, un tubercule galeux de la variété Merveille d’Amérique et d’autres de la variété précoce Marjolin, nous avons obtenu, sur ces derniers, une première attaque, en diverses places, de la maladie. Il s’était produit, en effet, sur l’épiderme de ces tubercules de très petites pustules ponctiformes caractéristiques : autour de ces points d’attaque, les cellules épidermiques étaient brunies et mortifiées. L’examen microscopique nous a révélé alors dans ces cellules et dans celles du tissu sous-épidermique la présence seule d’un Microcoque qui les avait envahies et frappées de mort. Nous lui avons donné le nom de Micrococcus pellicidus, c’est-à-dire qui détruit la peau du tubercule. Nous avons fait plus tard des observations sur des cultures dans le sol, et nous sommes arrivé au même résultat : la maladie de la Gale débute bien ainsi. Nous avons fait seulement une autre remarque : c’est que ces premières attaques, qui se manifestent surtout dans l’épiderme des jeunes tubercules, constituent le 1er  stade de la Maladie, car deux ou trois mois après, les pustules se montrent beaucoup plus larges, avec des érosions plus profondes, tout à fait caractéristiques du mal, ce que nous considérons comme devant en être le 2e stade. Le dernier terme de la Maladie, qui est heureusement rare, apparaît lorsque la surface du tubercule est recouverte entièrement de pustules élargies, qui se sont réciproquement rejointes. Nous avons toujours trouvé, sur les parois des cellules voisines de celles qui avaient été déjà mortifiées dans l’épiderme, le Micrococcus pellicidus[11].

Du reste, nous croyons utile de mentionner ici que ce Microcoque ne se développe pas en grandes masses, comme certains de ses congénères. Il est difficile par suite d’en constater la présence. Vivant au détriment des éléments plasmatiques des cellules qu’il traverse, il n’attaque pas leurs membranes cellulosiques, et celles-ci ne se détruisent qu’après la mortification des cellules elles-mêmes.

Dans tous les cas, cet infiniment petit est extrêmement contagieux. Des Pommes de terre saines, plantées dans des champs où l’on a récolté des tubercules galeux, en produisent également, et cette contamination par le sol peut durer jusqu’à ce que l’on change cette culture. M. Aimé Girard a fait, dans ses cultures expérimentales, des observations tout aussi concluantes sur la continuité de la contamination par le sol. D’un autre côté, l’infection d’une terre saine peut se faire par la plantation de quelques tubercules galeux. Ainsi, le jardin où nous avions, en 1896, installé quelques expériences, nous en a fourni une preuve inattendue. Une demi-douzaine de ces tubercules malades avaient été plantés dans de grands pots, à plus de douze mètres d’autres plants sains de Pommes de terre. Or, presque tous les tubercules récoltés dans ce jardin, appartenant à une centaine de variétés, au fur et à mesure de leur arrachage, présentaient les signes caractéristique, soit du 1er  stade, soit du 2e stade de la Gale. Et cependant, les cellules de ce Microcoque sont entourées de mucus ; elles sont par suite immobiles : comment donc peut-on expliquer cette transmission à distance ? Nous pensons que le transport doit se faire du tubercule-mère aux tubercules de nouvelle formation par les mouvements mêmes qu’exécutent lentement dans le sol les racines et les stolons de la plante, par les courants capillaires des eaux de pluie ou d’arrosage, enfin, à plus longue distance par les larves, les insectes et surtout les lombrics dont les anneaux gluants et sétigères peuvent s’imprégner du mucus du Microcoque et le déposer dans les plants de Pommes de terre. La scissiparité continue de l’infiniment petit achève d’en expliquer la facile et assez rapide dissémination.

Nous avons vu qu’en Angleterre on n’avait trouvé d’autre moyen de se mettre à l’abri de cette maladie que de changer le sol de culture et de ne planter les Pommes de terre que dans des champs non contaminés. Cette maladie a été très commune en Angleterre. Elle est moins répandue en France et en Allemagne. On ne s’en inquiète pas lorsque les tubercules ne la présentent qu’à son premier stade, en particulier sur les variétés hâtives. Mais les variétés tardives qui en seraient affectées trop visiblement (2e et 3e stades de la Gale), celles surtout de consommation bourgeoise, peuvent être dépréciées.

Nous terminerons cet article de la Gale de la Pomme de terre en signalant le résultat des observations de M. Schilberszky, professeur à l’École royale d’horticulture de Buda-Pesth[12]. Dans les cellules mortifiées du tissu sous-épidermique de Pommes de terre galeuses, il a constaté l’existence d’un Champignon particulier qui appartiendrait à la famille des Chytridinées, et qui se développerait sans aucun mycélium, sa fructification étant endobiotique. Il serait constitué, en effet, par une seule cellule sphérique, qui formerait dans son état adulte un conceptacle (ou zoosporange) d’un brun doré, renfermant des spores motiles, destinées à reproduire immédiatement l’espèce, ou bien une fructification durable, résultant de la fécondation d’un œuf (ou oosporange), destinée à conserver les germes de l’espèce pour l’année suivante. D’après ses observations, les spores motiles (ou zoospores) auraient la faculté de pénétrer dans les cellules vivantes du parenchyme sain de la Pomme de terre, sans laisser de trace sur les membranes traversées, mais en marquant leur passage parla mortification du tissu, qui prend alors une coloration brune caractéristique. M. Schilberszky a désigné cette nouvelle Chytridinée sous le nom de Chrysophlyctis endobiotica, dont il annonce qu’il espère être en mesure de poursuivre l’étude biologique.

Bien que la découverte de ce parasite nous fasse connaître une autre maladie que celle de la Gale de la Pomme de terre, nous avons cru devoir l’y rattacher, en attendant qu’il soit publié de nouveaux détails sur sa nature et sur son extension.

2o La gangrène sèche des tubercules. — Cette maladie est connue depuis assez longtemps. Il en a été question depuis plus d’un demi-siècle, en Allemagne, où elle avait particulièrement appelé l’attention par des caractères plus fortement accentués qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ce qui diffère la gangrène sèche de la gangrène humide, c’est que les tubercules dont le parenchyme interne est atteint de mortification, tout en restant revêtus de leur épiderme, ne se ramollissent pas sensiblement et peuvent même durcir dans certains cas, comme le fait s’était produit, en Allemagne, ce qui peut arriver lorsque les tubercules gangrenés sont conservés dans un air sec et perdent leur propre humidité.

Dans un Mémoire présenté à l’Académie des Sciences le 16 Août 1842, par De Martins, et reproduit dans les Annales des Sciences naturelles, 2e Série, t. XVIII, sous ce titre : Sur la gangrène sèche des Pommes de terre, observée depuis quelques années en Allemagne, l’auteur fait connaître les résultats de ses observations sur cette maladie.

« Les Pommes de terre atteintes de cette affection, dit-il, deviennent dures comme des pierres, de sorte qu’on peut les frapper à coups de marteau sans pouvoir les briser ; elles conservent cette dureté dans l’eau bouillante, et, suivant le rapport qui m’en a été fait, elles résistent même à l’action de la vapeur dans les fabriques d’eau-de-vie. Il en résulte qu’on ne peut en tirer aucun parti.

» Lorsque l’affection a atteint ce dernier degré, les tubercules perdent tellement leur caractère naturel, qu’on a grand’peine à les reconnaître. Ce qui rend cette maladie surtout à redouter pour l’Agriculture, c’est qu’à son début elle ne laisse apparaître, pour ainsi dire, aucune trace d’altération, quoique les tubercules mis en terre ne soient plus susceptibles de pousser des tiges ; et si quelques-uns en produisent, celles-ci se flétrissent bientôt, et le laboureur se voit totalement frustré dans ses espérances.

» Dans la Province bavaroise du Palatinat, cette maladie a causé de tels ravages en 1840, qu’en plusieurs cantons les récoltes ont été réduites au tiers. Cette affection paraît s’être manifestée pour la première fois en 1830 dans plusieurs districts voisins du Rhin. Aujourd’hui on l’a observée surtout dans le Palatinat, dans le Royaume de Saxe, dans le Mecklembourg, la Bohème et la Silésie. Elle apparaît comme une véritable épidémie, et, comme dans toute maladie de ce genre, elle offre des caractères singuliers et difficiles à expliquer… On a cru pouvoir en attribuer la cause soit à une sécheresse excessive, soit à une trop grande humidité et à des nuits froides, ou bien à un épuisement de la variété de Pommes de terre et à l’action d’une culture peu convenable. Elle s’est montrée indistinctement sur toutes les variétés. On l’appelle Gangrène sèche (Trockenfäule, Stockfäule).

» J’ai examiné des tubercules gangrenés qui m’ont été envoyés de différens points de l’Allemagne, assez distans l’un de l’autre, et j’ai trouvé sur tous une petite Mucédinée plus ou moins développée, à laquelle je donne le nom de Fusisporium Solani. Mes observations m’ont convaincu que la présence de ce petit Champignon est la cause et non l’effet de cette affection, ainsi que plusieurs Agronomes et même des Botanistes distingués ont cru pouvoir l’annoncer.

» Quant aux symptômes, ils présentent des caractères différens, selon le degré du développement que nous offre la maladie. Dans le principe, les Pommes de terre n’en offrent extérieurement aucun indice, si ce n’est cependant à leur surface, qui se trouve parsemée de taches d’une couleur plus foncée et réticulée, par l’effet de la dessiccation partielle de l’épiderme. Plus tard la Pomme de terre devient plus sèche encore, et présente à l’intérieur plusieurs parties d’une teinte livide et noirâtre. On y découvre aussi des portions extrêmement minces, de couleur blanchâtre, rudimens du Fusisporium Solani, qui se présentent alors comme tout autre Mycelium ou matière appelée, par les jardiniers, blanc de Champignon, sous la forme d’un tissu fibrilleux, ramifié, extrêmement délicat. On voit ces rudimens du Champignon dispersés çà et là et en plus ou moins grande quantité dans l’intérieur de la Pomme de terre. Ce parasite, à cette époque, ne tarde pas à prendre un accroissement très rapide ; il pénètre l’épiderme, et se présente à la surface sous la forme de petits coussinets filamenteux blanchâtres, au sommet desquels se développe une quantité innombrable de graines ou spores, qui se dispersent très facilement. En même temps, la Pomme de terre devient de plus en plus sèche, et acquiert une dureté telle, qu’on ne peut la diviser sans employer une force très considérable. L’intérieur du tubercule ressemble alors à une espèce de truffe extrêmement compacte, dont la surface serait hérissée de petites protubérances blanches, de la consistance de la craie, qui ne sont autre chose que les filets du Champignon unis en très grand nombre.

» Si l’on examine la structure intérieure de la Pomme de terre arrivée à cet état d’infection, on trouve le tissu cellulaire en partie desséché, flasque et déchiré, et les sucs contenus dans les interstices des cellules altérés. La fécule présente un grand nombre de granules légèrement engorgés, souvent rugueux et déchirés, et sur beaucoup d’entre eux des points extrêmement petits en forme de verrues irrégulières, plates, orbiculaires, convexes, lobées, etc. Ces petits corpuscules, étrangers à la Pomme de terre saine, sont les commencemens du Champignon. S’il y a encore assez d’humidité dans les tubercules, ils se développent très rapidement, se ramifient et forment le parasite dont j’ai parlé. On peut aisément suivre et saisir l’ensemble de ces phénomènes en mettant une portion de Pomme de terre affectée dans l’eau. Le mycelium s’allonge alors et se présente sous la forme de filamens confervoïdes.

» Pendant le développement de ce petit parasite, la Pomme de terre perd une si grande partie de son humidité, qu’enfin elle n’en offre plus que 35 pour 100, tandis qu’à l’état sain elle en contient 73 pour 100, ou à peu près.

»… J’ai semé des graines du Fusisporium Solani[13] sur la surface intacte humectée d’une Pomme de terre saine, et provenant d’un pays où la maladie ne s’était pas encore manifestée. Quelques semaines après, l’épiderme montrait des traces sphacéleuses, la Pomme de terre se flétrissait en perdant visiblement une partie de ses sucs, et quelques mois après on vit sortir de son intérieur le Champignon sous la forme d’une éruption blanche.

»… Je présume que la graine de ce petit Champignon, funeste à l’organisation de la Pomme de terre, exerce une action toute particulière sur le tissu cellulaire avec lequel elle se trouve en contact ; qu’elle altère le suc contenu dans la première cellule qu’elle rencontre, et qu’elle propage de là cette altération d’une cellule à l’autre, de manière qu’en très peu de temps les sucs contenus dans tout le tissu de la Pomme de terre sont infectés et altérés de manière à réagir sur le parenchyme, qui en éprouve des changemens morbides. Pour moi, ces sucs, répandus dans l’intérieur de la plante par voie d’absorption, y agissent comme un virus sui generis.

»… La gangrène sèche est d’autant plus redoutable pour la culture, que la multitude des graines produites par le Fusisporium Solani est innombrable, que ces petits germes peuvent se répandre partout, et qu’il est prouvé que les spores des Champignons conservent leur vitalité pendant fort longtemps.

» De tout ce qui précède, je conclus que la Mucédinée qui infeste aujourd’hui nos plantations de Pommes de terre peut malheureusement être regardée comme un des plus grands fléaux de notre Agriculture… Il est donc du plus haut intérêt de trouver un moyen efficace d’arrêter la propagation de cette plante parasite, et de détruire ses graines et son blanc. J’ai proposé, à cet effet, de garantir les récoltes encore saines, en évitant tout contact avec les Pommes de terre affectées ; de détruire complètement ces dernières si elles sont tellement avancées dans leur maladie qu’on ne puisse plus en tirer parti ; de nettoyer les caves où les spores du végétal nuisible peuvent être dispersées en quantités innombrables, et de soumettre enfin au chaulage les tubercules destinés à la reproduction, avant de les confier au sol.

» Je dois ajouter qu’on a surtout observé la maladie dans les cantons où depuis quelque temps on a suivi le système de ne mettre en terre que des portions de tubercules coupées en tranches munies de quelques yeux, et dans d’autres lieux où l’on a la funeste habitude de remplir les caves entières de cette production précieuse avant qu’elle se soit suffisamment séchée, et sans l’exposer à un courant d’air convenable pour éloigner la fermentation ».

Fig. 91 et 92. — Fusisporium Solani de Martius. Ramuscules conidifères avec deux conidies mûres détachées. (Gross. 400/1.) D’après De Bary. Fig. 93. — Spicaria Solani de Harting. Ramuscules conidifères. (Gross. 400/1.) D’après De Bary.

Lorsqu’en 1845, la Maladie spéciale des Pommes de terre, que nous savons aujourd’hui causée par le Phytophtora infestans, mais dont on ignorait alors la cause, s’est répandue en Europe, des tubercules plus ou moins altérés ont été jugés semblables à ceux attaqués de gangrène sèche. Harting qui, en 1846, a publié un intéressant Mémoire, intitulé Recherches sur la nature et les causes de la Maladie des Pommes de terre en 1845, a très bien observé que les tubercules malades, qui se trouvaient envahis par le Fusisporium Solani, ou par un autre Champignon qu’il a nommé Spicaria Solani, et même par d’autres Mucédinées, n’étaient pas gangrenés par ces Champignons, car ceux-ci ne se développaient pas directement sur des tubercules sains, mais sur ceux qui étaient déjà malades. Il croit donc devoir émettre des doutes sur l’opinion de De Martius, surtout en raison de plusieurs expériences qu’il avait faites et qui lui avaient permis de constater que des inoculations de tissu malade à des portions de tubercules sains en avaient gangrené les tissus. On verra plus loin ce qui peut, en effet, expliquer le succès de cette expérience.

Schacht, dans son Mémoire précité de 1856, bien qu’il distingue les deux gangrènes sèche et humide, ne les sépare pas de la gangrène produite par la nouvelle Maladie. Il est, par suite, difficile de se faire une idée nette de ce qu’il entendait par la gangrène sèche.

Kühn[14] explique que la gangrène sèche se produit aussitôt après la récolte des Pommes de terre et se développe peu à peu pendant leur conservation durant l’hiver, si bien qu’au printemps elle envahit les tubercules-semence après leur plantation : il en résulte que ceux-ci ou bien ne germent pas, ou bien ne développent que des pousses souffreteuses ou maladives. Cette observation nous paraît juste. Mais quelle est la cause de la gangrène sèche comparée à la gangrène humide ?

Les résultats des recherches que nous avons publiés en 1896 nous paraissent de nature à éclairer la question. La gangrène sèche est produite par l’action parasitaire primordiale des Microcoques seuls ; la gangrène humide par celle plus complexe d’un Microcoque associé à un Bacille, ou même, mais plus rarement, par le Bacillus Amylobacter seul. Cela provient de la diversité de leur action parasitaire. Les Microcoques ont la faculté de pénétrer de cellule en cellule, en se multipliant aux dépens de leurs matières plasmatiques, mais ils n’attaquent ni leur membrane cellulosique, ni les grains de fécule que ces cellules renferment. Le tubercule reste donc ferme et résistant, malgré cette action désorganisatrice, dont on ne s’apercevrait pas, si les tissus de l’épiderme et du parenchyme frappés de mortification ne livraient passage à diverses Moisissures, telles que le Fusisporium Solani, le Spicaria Solani, qui trouvent un terrain tout préparé pour leur envahissement. L’humidité du parenchyme, maintenue par l’épiderme persistant, favorise le développement de ces parasites, et le tubercule ne se dessèche que lorsqu’il est placé dans un air sec qui lui fait perdre cette même humidité.

Nous traiterons ci-après de la gangrène humide qui détruit jusqu’aux germes du tubercule, tandis que la gangrène sèche n’y porte aucune atteinte. C’est ainsi que, dans nos expériences, nous avons pu constater que des tubercules très gangrenés avaient, pour la plupart, très bien germé, et que certains avaient émis de hautes tiges florifères et produit une assez belle récolte. C’étaient ceux qui avaient conservé toute ou partie de leur fécule, sans avoir été envahis par des Moisissures, car ceux, au contraire, qui avaient subi les effets de second parasitisme, comme le disait Kühn, ou ne germaient pas, ou n’émettaient que des pousses souffreteuses, et la récolte était nulle ou des plus maigres.

Ici encore, il s’agit d’une contamination assez singulière. Des tubercules ainsi gangrenés, conservés pendant l’hiver, nous ont offert au printemps trois espèces de Microcoques, différents de forme et de dimension, mais très abondants tous trois dans les tissus des Pommes de terre malades que nous avons examinées. L’un est le Micrococcus Imperatoris, dont nous avons constaté la présence surtout dans la variété Imperator et dans quelques autres ; l’autre est le M. albidus, qui s’est montré dans un très grand nombre de variétés et qui nous paraît être de beaucoup le plus répandu. Le troisième est le M. Delacourianus, qui produit dans les tubercules de la variété Royale une gangrène dure et noirâtre. La contamination s’effectue du tubercule-mère aux tubercules de nouvelle formation, dans le sol, au moyen des larves et surtout des lombrics qui disséminent à distance le Microcoque immobile dans son mucus, pendant que le mouvement souterrain des racines et des stolons, joint aux infiltrations capillaires des eaux pluviales, contribue de son côté à un déplacement plus restreint du Microbe. Les tubercules attaqués ne présentent, au moment de la récolte, que des taches légèrement brunâtres, en général peu apparentes. Le développement du Microcoque, ainsi introduit dans le tubercule, ne s’effectuera que plus tard, pendant l’hiver, surtout dans les caves humides et tièdes, et ce n’est qu’au printemps que son action se révélera.

Il conviendra donc, pour se prémunir contre ces Microcoques, de laver ou tout au moins mouiller les tubercules-semence avant de les planter, pour exclure tous ceux qui sont tachés ou même douteux à ce point de vue. Si la terre de culture n’est pas elle-même contaminée, on peut espérer ne pas récolter de tubercules gangrenés et faire surtout une bonne récolte.

Fig. 94 et 95. — Micrococcus Imperatoris. a, Petite colonie de ce Microcoque (gross. 800/1). b, Cellules libres et scissipares (gross. 1200/1). Après fixation par une matière colorante. Fig. 96 et 97. — Micrococcus albidus. a, Petite colonie de ce Microcoque (gross. 800/1). b, Cellules libres et scissipares (gross. 1200/1). Après fixation par une matière colorante. Fig. 98 et 99. — Micrococcus Delacourianus. a, Petite colonie de ce Microcoque (gross. 800/1). b, Cellules libres et scissipares (gross. 1200/1). Après fixation par une matière colorante.

Toutefois, à propos de ces tubercules tachés dont il faut se méfier pour la plantation, nous croyons devoir appeler l’attention sur un fait dont il n’a pas encore été question. Il arrive parfois, en effet, que certains tubercules de variétés jaunes, examinés après la récolte, présentent un épiderme nettement violacé sur le quart ou même sur la moitié de leur surface. Ces larges taches d’un violet assez foncé, presque noirâtre, pourraient faire croire qu’on a affaire à des tubercules plus ou moins malades. Il n’en est rien d’ordinaire, car une coupe sous l’épiderme montre que le parenchyme est parfaitement sain. Nous pensons que cet état des tubercules provient d’un buttage insuffisant, qui a permis aux rayons solaires d’effectuer leur action sur l’épiderme. En général, cette action se manifeste par le verdissement ; mais dans le cas dont nous parlons, il se produit, en même temps qu’un développement de la chlorophylle, une formation concomitante de matière colorante violacée. Il en résulte que, pour être consommés sans danger, ces tubercules ainsi colorés exigeront qu’on les épluche assez profondément, d’autant plus que le parenchyme voisin de l’épiderme a lui-même alors quelque peu verdi ; mais ils pourront parfaitement servir pour la plantation. À ce point de vue, il conviendra seulement de s’assurer que cette coloration violacée de l’épiderme ne recouvre pas en certains cas des taches brunâtres dans le parenchyme, ce qui pourrait être l’indice d’une première attaque des Microcoques ou d’autres fois du Pseudocommis.

3o La gangrène humide des tubercules. — Nous avons dit plus haut que cette gangrène était produite par le Bacillus Amylobacter seul, ou bien par le Micrococcus albidus associé à un autre Bacille qui nous a paru être le Bacillus subtilis. Dans le premier cas, cela résulte en été de l’immersion plus ou moins prolongée des tubercules dans l’eau. Cette immersion peut permettre au Bacillus Amylobacter de s’introduire dans l’épiderme et de pénétrer de là dans le parenchyme des tubercules. Son action est désastreuse, car il est l’agent d’une fermentation générale, qui liquéfie les membranes des cellules et leur contenu, ainsi que les grains de fécule et jusqu’aux germes. L’épiderme seul subsiste, bien qu’en partie détérioré, et il ne reste bientôt plus qu’un tubercule flasque et mou, dégageant une odeur infecte d’acide butyrique. Toutefois, cette action du Bacillus Amylobacter n’a plus lieu au-dessous de 20° et ne pourrait être constatée qu’en été, dans les champs de Pommes de terre plus ou moins inondés.


Fig. 100 et 101. — Bacillus subtilis. a, Cellules végétatives en voie de développement scissipare ; b, Cellules sporigènes dans les mêmes états de développement. (Gross. 1200/1.)

Dans le second cas, et nous avons tout lieu de croire que c’est le plus général, une semblable fermentation se produit dans le parenchyme par l’action combinée du Microcoque et du Bacille, et à une température même inférieure à 20°. Nous avons réussi à provoquer cette fermentation dans des tubercules qui présentaient les mêmes taches que celles de la gangrène sèche. Mais, dans ce cas, l’influence de la température est à prendre en considération, car elle active certainement encore le phénomène. Le résultat est le même que celui produit par le Bacillus Amylobacter, c’est-à-dire qu’il y a finalement liquéfaction interne du parenchyme, de toutes ses cellules et de leur contenu, destruction des germes et dégagement infect d’acide butyrique. C’est donc une perte totale des tubercules qui se trouvent atteints par cette maladie.


Fig. 102. — Une Pomme de terre  piquée. (1/2 grand. nat.) D’après une photographie de M. Le Saché.

4o Les tubercules piqués. — On appelle ainsi, à la Halle de Paris, des tubercules qui présentent çà et là, sur leur épiderme, de très petites perforations, fermées d’une façon apparente par un tissu nouveau de cellules subéreuses. Or, autour de ces perforations on constate facilement qu’il existe dans le parenchyme une zone concentrique, d’environ un demi-centimètre de rayon, qui est colorée en brun jaunâtre très pâle. Les cellules du tissu qui se trouve compris dans cette zone se montrent ainsi frappées de mortification, sans cause apparente. On n’y observe, en effet, aucune trace de mycélium dénotant l’invasion de ce tissu par une Mucédinée quelconque, et le contenu des cellules ne révèle la présence d’aucun autre parasite. Quant aux perforations, elles semblent dues à des insectes ou à des iules. Certains tubercules présentent quelquefois une douzaine de ces perforations, mais le plus souvent moins. Cela n’aurait certainement aucune importance, s’il n’avait été constaté que ces tubercules avaient un mauvais goût. C’est pourquoi ils sont dépréciés à la Halle, et même refusés par l’Assistance publique. Nous avons constaté cette maladie sur deux variétés très estimées : la Saucisse et la Shaw (ou Chave) et sur plusieurs autres. Or, ce n’a pas été sans une certaine surprise que nous avons pu constater qu’il s’agissait en ce cas du Pseudocommis, lequel pénètre dans les tubercules piqués par leurs perforations et y produit ces zones brunâtres dont il a été question. Il est à craindre que la continuation de la culture des Pommes de terre, dans les champs où l’on a précédemment récolté ces tubercules malades, ne reproduise les mêmes effets préjudiciables, comme pour la maladie de la Frisolée.


Fig. 103. — Une Pomme de terre dont l’épiderme est en partie couvert de Sclérotes du Rhizoctonia Solani, (1/2 grand. nat.) D’après une photographie de M. Le Saché.

5o Le ramollissement des tubercules. — Nous signalerons brièvement une autre Maladie des Pommes de terre, qui a été constatée, en 1887, dans la Norvège, par M. Brunschorst. Elle serait due à l’envahissement du parenchyme des tubercules par un petit Champignon muqueux (ou Myxomycète), que l’observateur appelle Spongospora Solani. Cette espèce microscopique, qui vit à l’état de mucus plasmodique dans les cellules des tubercules, les détruit par son action parasitaire et peut ainsi en ramollir le parenchyme, sans qu’on puisse découvrir à l’œil nu une cause visible à ce ramollissement. M. Brunschorst signale cette maladie comme étant assez répandue en Norvège. Il n’en a pas été question, à notre connaissance, dans d’autres contrées de l’Europe[15].

6o Le Rhizoctone de la Pomme de terre. — Cette singulière Maladie, qui n’a pas par elle-même une bien grande importance, mais qui prend parfois de l’extension, est en somme assez répandue sur certaines variétés de Pommes de terre. On a cru que Wallroth avait, le premier, fait connaître, en 1842, ce Rhizoctone, sorte de Champignon, sous le nom de Erysibe subterranea, tuberum Solani tuberosi ; mais s’il a eu en vue de parler de ce Rhizoctone, il ne semble pas qu’il l’ait bien connu, car il laisse entendre qu’il s’agit d’un Champignon enkysté qui forme ses germes sous l’épiderme des tubercules. Kühn, dans son ouvrage précité, lui a donné le nom de Rhizoctonia Solani. Mais tout en le décrivant assez bien pour qu’on le reconnaisse, il l’a considéré comme étant la cause de la Gale de la Pomme de terre, et a cru, de même que Wallroth, que ce Rhizoctone se comportait comme un véritable parasite, produisant les pustules galeuses des tubercules. D’après nos propres observations, voici ce que nous pouvons dire de ce Rhizoctone.


Fig. 104. — Filaments de mycélium du Rhizoctonia Solani formant un jeune Sclérote sur la surface de l’épiderme d’une Pomme de terre. (Gross. 250/1.)


Lorsqu’on observe de jeunes tubercules, affectés de cette Maladie, et qui ont été arrachés longtemps avant la maturité, on distingue à la loupe, appliqués sur la surface de l’épiderme, des filaments noirâtres qui n’y pénètrent pas. Ces filaments, très ténus, s’y rencontrent en de certains points qui paraissent comme des points noirâtres. Ils constituent l’état végétatif d’un Champignon, sorte de mycélium qui se concrète en ces points pour former ce que l’on appelle un Sclérote. Si l’on suit le développement de ce Sclérote, on le voit peu à peu augmenter de volume et prendre l’aspect de protubérances noirâtres qui ont quelquefois près d’un centimètre de diamètre[16]. Ils adhèrent assez à l’épiderme du tubercule pour résister au lavage ; mais ils cèdent brusquement lorsqu’on leur donne de l’ongle un coup sec, et l’examen le plus minutieux fait reconnaître qu’ils n’ont nullement pénétré dans l’épiderme. Il s’agit donc ici d’un mycélium de Champignon avec sclérotes, vivant tout à fait superficiellement sur le tubercule, sans le compromettre autrement que par l’aspect assez déplorable qu’il lui donne au moment de la récolte.


Fig. 105. — Filaments incolores du mycélium du Rhizoctonia Solani dans une cellule de l’épiderme d’une Pomme de terre galeuse. (Grosst 300/1.)
Fig. 106. — Chapelets de cellules hyalines condensés en forme de grappe dans une cellule sous-épidermique de Pomme de terre galeuse, et qui terminent un filament de mycélium paraissant appartenir au Rhizoctonia Solani, (Grosst 400/1.) Fig. 107. — Chapelets des cellules hyalines de la fig. 106, libres et dégagés de leur cellule hospitalière. (Grosst 600/1.)

Mais ce Rhizoctone, qui vit ainsi dans une sorte de symbiose avec la Pomme de terre, présente une autre phase bien curieuse dans son existence, lorsque le tubercule est attaqué en même temps par la Maladie de la Gale. Nous venons de dire que Kühn regardait le Rhizoctone comme étant la cause de cette dernière Maladie. C’est qu’en effet les filaments bruns superficiels du Rhizoctonia[17], qui n’ont pas la faculté de perforer l’épiderme des

tubercules, profitent de la mortification des cellules de cet épiderme et du tissu sous-jacent pour y pénétrer. Alors, ces filaments bruns se décolorent, deviennent hyalins en s’enfonçant dans les cellules mortifiées ; puis ils se rétrécissent peu à peu, au fur et à mesure de leur pénétration, de telle sorte que leur diamètre ordinaire, qui est d’environ 0,010 à 0,015 millièmes de millimètre, n’est plus que de 0mm,005 à 0mm,007, lorsqu’on les suit de cellule en cellule ». Or, c’est en les suivant ainsi, qu’il nous est arrivé de rencontrer, dans nos préparations microscopiques, des filaments transformés en une sorte de chapelet composé de renflements successifs ampulliformes. Ce chapelet remplit une cellule du tissu mortifié, de façon à rappeler assez bien une grappe de raisin blanc renfermée dans un sac. Il est constitué par un filament rameux qui s’est successivement renflé en ampoules sphériques transparentes, très rapprochées, d’où cette apparence de grappe qu’il forme.

Nous avons aussi rencontré des sclérotes de Rhizoctones dans des gangrènes sèches de Pommes de terre, et, dans des tubercules déjà attaqués par le Phytophtora, nous en avons vu le parenchyme complètement envahi et noirci par le Rhizoctone.

Il n’est pas besoin de recommander de ne pas employer pour semence des tubercules, si peu sclérotifères qu’ils soient, car c’est par ces sclérotes que se reproduit le Rhizoctone, comme nous en sommes assuré par expérience, après les avoir insérés dans les yeux de tubercules de Pommes de terre, mis en culture. Il est probable que les filaments du mycélium de ce Champignon doivent avoir la faculté de se rendre du tubercule-mère aux tubercules naissants.


§ 2. Maladie générale de la plante, destructive des feuilles, de
la tige et des tubercules.

En 1845, presque toute l’Europe s’émut à l’apparition d’un fléau désastreux : les tubercules de Pommes de terre que l’on récoltait partout étaient en majorité comme gangrenés, mous, parfois noirâtres et beaucoup même décomposés par une sorte de pourriture humide. Les cultivateurs navrés ne se donnaient même plus la peine de continuer l’arrachage, de faire le tri des tubercules restés sains, et ils abandonnaient leur récolte dans les champs. Aujourd’hui, nous ne pouvons nous rendre compte de cette émotion bien naturelle : le fléau est parfois combattu avec succès, ses ravages se sont atténués ; il semble qu’on ait réussi à lui faire sa part, qu’on peut compter se mettre à l’abri de ses attaques par l’emploi de variétés de Pommes de terre plus résistantes ou par l’emploi de traitements appropriés, et qu’enfin le connaissant mieux on le redoute moins. Mais d’où venait cette affection nouvelle, cette Maladie des Pommes de terre ? Les documents ne nous manqueront pas pour en écrire l’histoire.

Nous trouvons dans la Collection des Mémoires de la Société d’Agriculture de l’État de New-York, année 1845, un Mémoire de M. Andrew Bush, du Comté de Chester, auquel un prix fut décerné, et qui nous fait connaître le début de cette Maladie aux États-Unis. Nous en traduisons les extraits suivants.

« Au printemps de 1843, j’avais un acre de terre fort argileuse, couverte de chaumes de blé. Je le fis préparer et j’y plantai des Pommes de terre. La saison fut favorable à leur développement, en Mai et en Juin, avec plusieurs fortes pluies en Juillet, suivies en Août d’un temps très sec. La dernière semaine d’Août, je remarquai que les Pommes de terre étaient à point et je commençai à les déterrer. La récolte fut terminée dans la première semaine de Septembre. Le temps changea alors : de grosses et fréquentes averses furent suivies de fortes chaleurs et de nuits étouffantes, si bien que pendant deux semaines le sol était trop humide pour qu’on pût faire rentrer les Pommes de terre. À ce moment, la maladie commença à se manifester. Tous mes plus proches voisins en souffrirent. Plusieurs même ne récoltèrent pas un tubercule sain. Du reste, soit qu’on ait laissé les Pommes de terre sur le sol, soit qu’on les ait transportées dans les granges ou les celliers, l’état fermentescible de la maladie s’est déclaré et a achevé la destruction de la plus grande partie de la récolte.

« J’ai remarqué que tous ceux qui avaient planté des Pommes de terre malades, provenant de cette récolte, en avaient plus ou moins perdu en 1844. De même, la semence de 1844 a produit la maladie sur une certaine étendue en 1845, tandis qu’au contraire mes plantations faites avec des tubercules sains n’ont pas été attaquées… »

L’auteur du Mémoire caractérise en ces termes cette maladie :

« Au début, le tubercule a encore bonne apparence ; mais si on le coupe, on constate qu’il n’a pas sa fermeté habituelle… Après la cuisson, il reste aqueux et dénote une saveur rance qui laisse dans le gosier une certaine sensation d’astringence… À sa seconde période, le tubercule se trouve dans un état que j’appellerai fermentescible : il présente alors de petites taches sur la pelure, qui paraissent molles sous la pression ; mais parfois on n’y constate à l’extérieur rien de visible. Si on le coupe, il présente une bordure jaunâtre, brune ou noire près de la pelure, la partie centrale n’étant pas encore altérée. La troisième période de la maladie se montre lorsque la pelure est devenue molle et humide : l’intérieur du tubercule est alors pâteux et rempli d’une sorte de bouillie fluide qui exhale une odeur des plus fétides.

» La cause de cette maladie doit être attribuée à une sorte d’épidémie atmosphérique, activée par la chaleur et l’humidité, et attaquant aussi bien les plus délicates variétés de Pommes de terre, que celles provenant de semence malade ou qui ont été mal cultivées, ou enfin qui se trouvent soumises à certaines circonstances défavorables pour leur développement ou leur conservation.

» Le plus souvent, cette maladie arrive inopinément, attaquant et détruisant les Pommes de terre dans tous les champs d’une même région, et cela dans l’espace de quelques jours. Les racines et les tubercules sont d’abord atteints, et immédiatement l’affection progresse à ce point que toute la plante devient malade, les tiges jaunissent et les feuilles se fanent et se crispent… »

Bien que l’auteur de ce mémoire ne parle pas de l’état maladif des tiges et des feuilles, il nous semble assez bien établi, d’après ce document, qui relate la perte entière de certaines récoltes, que la maladie des Pommes de terre existait, aux États-Unis, en 1843, et qu’elle y sévissait encore en 1844. Il est à présumer que des tubercules malades en avaient été transportés en Europe, dans ces années mêmes, car le Champignon parasite, encore inconnu comme en étant la cause, y a fait son apparition en 1844. Voici, en effet, ce que publiait à Lille, dans l’Écho du Nord, le 26 septembre 1845, un savant botaniste, Desmazières, qui étudiait tout spécialement les Champignons microscopiques. L’article était intitulé : Sur la Maladie de la Pomme de terre, et mentionnait qu’en 1844, l’auteur avait observé un Botrytis, en particulier sur la variété appelée Blanche tardive dans le Département du Nord.

« Examinée à l’œil nu, disait Demazières, la feuille, encore d’un beau vert sur une certaine étendue de sa surface, offre des taches brunâtres, plus pâles à la face inférieure qui est couverte, quelquefois presque entièrement, d’un léger duvet blanc et d’apparence pulvérulente. Vus au microscope, les filaments sont parfois dichotomes, mais le plus souvent irrégulièrement rameux et cloisonnés à de longs intervalles. Çà et là ils présentent des renflements qui les font paraître comme noueux. Les rameaux, en petit nombre, sont la plupart alternes, plus ou moins longs, et principalement situés à la partie supérieure de la tige. L’angle qu’ils forment avec elle est à peu près de 45 degrés. Le sommet des rameaux est renflé et présente des sortes de corps turbinés ou arrondis, qui me paraissent de jeunes corps reproducteurs. Ces spores sont ovales et munies d’une double membrane, et contiennent une matière granuleuse, souvent accompagnée d’une sorte de nucléus transparent et d’apparence oléagineuse. Lorsqu’elles sont séparées du rameau, on remarque qu’elles sont ovales et munies aux deux extrémités d’une très petite protubérance, plus large et tronquée cependant au point d’insertion ».

Desmazières avait donné à ce Champignon le nom de Botrytis fallax. Ce nom n’a pu lui être conservé, parce que le Dr  Montagne lui avait déjà donné le nom de Botrytis infestans, ce qui du reste est conforme à la loi de priorité qui régit les dénominations scientifiques.

Avec la découverte de ce Champignon parasite, l’histoire de la Maladie de la Pomme de terre va entrer dans une phase nouvelle. La question va se poser de savoir si ce Botrytis devait être considéré comme étant la cause ou simplement l’effet de cette maladie, si l’on avait affaire à un véritable parasite destructeur ou à l’une de ces Moisissures, de ces Mucédinées, qui se développent sur les tissus végétaux mortifiés, pour en achever la destruction. On conçoit tout l’intérêt qui s’attachait à cette question, puisque dans le premier cas il y avait lieu de chercher à protéger la plante nourricière, la Pomme de terre, contre les attaques du parasite, tandis que dans le second on pouvait penser n’avoir affaire qu’à une maladie organique de la plante, qu’il fallait traiter par des moyens appropriés à la guérison de ce genre d’affection, et qu’il était par suite inutile de se préoccuper du Champignon qui disparaîtrait de lui-même avec l’extinction de la maladie. Cette lutte d’opinions contraires a duré près d’une quinzaine d’années, jusqu’à ce que des travaux biologiques aient réussi à prouver l’action nocive du parasite, car dans ce laps de temps, la théorie contraire avait fait de tels prosélytes qu’on ne songeait plus guère à la cause véritable du mal. Il nous semble donc intéressant de constater que, dès l’apparition de ce fléau, la vérité s’était déjà fait jour, et l’on doit savoir gré à Charles Morren d’avoir plaidé chaleureusement, le premier, en faveur de la destruction du parasite.

En 1845, Charles Morren avait d’abord publié en Belgique, lorsque la maladie, éclatant soudainement, jetait la consternation chez les cultivateurs, des Instructions populaires pour les inviter à prendre les précautions qui lui paraissaient nécessaires afin de se mettre à l’abri de ses ravages. Sollicité de compléter cet opuscule, il fit paraître en France, le 30 septembre 1845, de Nouvelles Instructions populaires sur les moyens de combattre et de détruire la Maladie actuelle (Gangrène humide) des Pommes de terre. Nous croyons qu’on ne lira pas sans intérêt les passages suivants de cet ouvrage, qui fait véritablement époque dans notre Histoire.

« Un fléau terrible a frappé les plantations de Pommes de terre en Belgique. C’est le 24 juillet (1845) qu’il apparut pour la première fois avec quelque intensité entre Xhendremal et Landen ; mais, déjà en 1842[18], cette même maladie avait été observée dans la Province de Liège, et dans ma leçon publique d’Agriculture, donnée à l’Université de Liège, le 24 mars 1843, en présence d’un grand nombre de propriétaires, j’exposai son histoire, les moyens de la combattre et prévis pour l’avenir le malheur dont le pays aujourd’hui est accablé.

» De proche en proche le mal a envahi toutes nos provinces. Les contrées rhénanes subissent aussi les conséquences de l’épidémie. Celle-ci s’est étendue en Westphalie, en Hollande, en France et en Angleterre. Elle remonte aujourd’hui de la Westphalie dans le Mecklembourg, le Hanovre et le Danemark. La Russie même est atteinte : les environs de Riga ont vu périr leurs plantations. En Angleterre, des Comtés du Midi et du Centre, le fléau remonte vers ceux du Nord. Il a envahi d’abord l’Île de Wight et s’est communiqué de là aux comtés les plus voisins, tout en passant la mer. Pendant toute cette marche la température a été des plus douces et plutôt élevée que basse, de 5° minimum à 23° centigrades maximum. Vers le 12 Septembre, le mal passa du Pays de Galles en Irlande, et les environs de Dublin, vis-à-vis du Canal de Saint-Georges, furent les premiers attaqués.

» Le fléau sévit d’ailleurs avec une grande intensité depuis plusieurs années aux États-Unis, au Canada et dans plusieurs régions de l’Amérique, Il y revient tous les ans et on lutte avec grande peine contre lui.

» Après des observations et des expériences faites tous les jours, il me reste prouvé que le mal commence par la feuille. Cet organe pâlit d’abord, puis jaunit. Lorsqu’il est jaune, on reconnaît à la loupe, sur sa surface inférieure, une légère moisissure. Le lendemain la tache est noire, et alors la Moisissure d’un blanc terne est plus forte. En même temps des taches noires se déclarent sur divers points de la tige. Ces taches deviennent peu à peu plus grandes et plus nombreuses. Les feuilles se dessèchent et brunissent. La noircissure disparaît en même temps et au bout de quelques jours la plante entière (la fane) est sèche, brunie, noircie, et de nouvelles moisissures, mais d’un autre aspect, se développent sur les plantes mortes.

» Pendant que ces changements ont lieu sur la partie de la plante qui plonge dans l’air, les tubercules se détériorent peu à peu. D’abord, aussi longtemps que les feuilles n’ont pas de taches noires, le tubercule est sain ; quand les taches brunes ont envahi la tige, les tubercules commencent à être attaqués. Quand on les coupe en deux transversalement, on aperçoit dans cette partie qui s’étend entre la pelure et un cercle blanc, limite intérieure de l’écorce, des taches jaunes qui deviennent brunes ensuite. À mesure que le mal augmente, ces taches se rapprochent, finissent par envahir toute la partie corticale, surtout aux environs des yeux, et plus tard le centre même de la Pomme de terre jaunit, brunit et se noircit. Quand la maladie poursuit sa marche, le tubercule devient humide à sa partie externe, puis il pourrit entièrement en répandant une odeur repoussante, et on peut alors assurer que s’il y a encore de la fécule dans le tubercule, cette fécule nage dans un fluide malsain dont il serait aussi dangereux que dégoûtant de faire usage…

» Tantôt quinze jours, tantôt trois semaines suffisent pour amener cette décomposition que je nomme la gangrène humide[19], parce que c’est une décomposition avec excès d’humidité du tissu de la plante.

» J’ai vu des fleurs et des fruits attaqués du même mal. Les fruits de la Pomme de terre attaquée deviennent aussi bruns, tachés et pourrissent de même que les tubercules.

» Des Pommes de terre de l’espèce dite Couveuse et qui ont produit des jeunes tubercules dans une cave sans avoir poussé une seule fane ont été attaqués. La liqueur brune, la sanie qui découlait de la Pomme de terre mère m’a servi à communiquer le mal aux petits tubercules qui peu à peu se détérioraient et noircissaient[20]. Ainsi donc, si dans la végétation habituelle, le mal va de la feuille à la tige, et de celle-ci aux tubercules, il peut néanmoins se communiquer de tubercule à tubercule. Ce fait est de la plus haute importance à noter par le commerce quand il s’agit d’aller chercher des tubercules dans un pays infecté et qu’on croit sain. Les tubercules amoncelés en fond de cale peuvent fort bien s’échauffer, fermenter, et, si le mal y est, pourrir.

» Le fait que je signale ici, je l’ai vu se répéter dans un grand nombre de localités différentes. À Wavre (Brabant) un autre fait s’est passé. On avait cultivé des Pommes de terre dans une serre fermée : les plantes étaient saines. On ouvrit un jour les châssis. Le soir, les plantes, étaient attaquées. Il ne s’agit point ici de température, mais de l’air qui avait apporté le miasme, et le miasme qu’est-ce ? si non un corps très petit, des sporules (graines) d’un Champignon.

» On peut ne pas être de mon avis, mais je dois persévérer plus que jamais dans celui que j’ai émis avant et dès l’invasion du mal. De tout ce qu’on a écrit sur cette matière, rien n’a pu ébranler ma conviction ; au contraire : une foule de faits, un ensemble imposant de preuves sont venus de toute l’Europe et de l’Amérique même me convaincre que je ne me suis pas trompé. Le grand cri, lancé après ma lettre du 18 Août : Le Champignon est l’effet du mal et non sa cause, s’est réduit à n’être qu’un cri, c’est-à-dire un peu de bruit dans l’air. Un cri n’est pas une vérité !

» Il est fort important de connaître la cause du mal, parce que cette cause étant déterminée, on peut prendre des moyens pour l’éloigner ou la détruire.

» Sans cette connaissance on erre dans le vague, on hésite, on doute, et pendant ce doute le mal fait des progrès.

» La cause du mal réside selon moi dans un petit Champignon du genre des Moisissures et que les savants appellent un Botrytis.

» Quand on examine à la loupe le dessous d’une feuille de Pomme de terre malade, on voit entre les poils une masse de filets qui pendent comme d’épais buissons, et sur ces filets des milliers de petits corps de la forme d’œufs. Dans ces œufs qui sont des fruits, se trouvent de très petits corpuscules, et ces milliards de semences peuvent propager le Botrytis très vite et très loin. La raison humaine ne saurait se rendre compte ni de cette vitesse, ni de cette facilité à se répandre. Il est très probable que des millions de ces Champignons peuvent se former en une minute, et, les fruits n’égalant pas la centième partie d’un millimètre, on conçoit facilement comment le moindre vent peut les transporter au loin.

» Or, quand ce Champignon a attaqué la plante de la Pomme de terre, il empoisonne sa sève… Cette sève malade y produit ces taches noires qui sont des mortifications comme dans la gangrène… La gangrène qu’elle produit se communique aussi au tubercule, qui commence à se gâter par l’écorce, puis noircit, pourrit et tombe en putrilage infect.

»… Il est infiniment probable que le Botrytis est originaire de l’Amérique même et qu’il nous aura été apporté par quelque introduction de Pommes de terre maladives. Ce n’est pas le seul fléau qui nous soit arrivé du Nouveau-Monde. Aux États-Unis, le Botrytis a sévi en 1844, et cette année-ci il a reparu et a anéanti de nouveau presque toutes les plantations de Pommes de terre. Les nouvelles d’Amérique sont aussi déplorables que celles d’Europe. Une lettre de M. William Bacon, datée du Mont Osceola, le 22 Juin 1845, donne des détails précis sur le fléau qui fit irruption au Canada en 1844 et y détruit encore toutes les cultures.

» Le Champignon est la cause du mal : Parce que depuis deux siècles qu’on cultive la Pomme de terre, les mêmes influences de température et d’humidité se sont présentées sans le fléau actuel ; parce que le Champignon, dans son premier état, paraît avec l’invasion de la maladie, et qu’avant sa présence on ne voit rien qui indique une plante malade ; parce que si on prend la graine du Champignon et qu’on la sème sur une plante saine, ou qu’on l’introduise sous sa peau, cette plante devient malade ; parce que partout où l’air peut pénétrer librement, les graines de ce Champignon peuvent voltiger, et qu’ainsi des Pommes de terre que j’ai vu cette année cultiver dans des chambres, sous de douces températures, avec une humidité réglée, n’en ont pas moins été attaquées…

» Je le sais bien ; quand une Pomme de terre est pourrie, on y trouve plus qu’un Botrytis. Celui-là a souvent disparu alors qu’on voit des Moisissures d’autres espèces, des vers, des larves, des vermines de tout genre. Cela n’est pas plus extraordinaire que de trouver des vers et des mouches dans de la viande corrompue. Ces vers et ces mouches y sont, parce qu’ils y sont venus, et non parce que la viande corrompue les a créés.

» Le Botrytis croît et périt vite. Pour naître, croître, se reproduire et mourir promptement, ses attaques n’en sont pas moins léthifères…

» Les corpuscules du Botrytis qui peuvent le reproduire s’attachent aux tubercules comme à toute la plante. Quand donc on plante ces tubercules, on met en terre avec eux le germe du mal, et bientôt la fane, en montant, porte ce germe sur les feuilles où le Champignon se développe et se reproduit de nouveau ».

Charles Morren indique ensuite plusieurs moyens de combattre la gangrène humide et d’empêcher son retour. Il conseille de faucher les fanes lorsqu’elles sont attaquées et de les détruire par le feu, ce qu’on doit faire également des tubercules malades dont on ne pourrait tirer parti après la récolte. Mais ce qu’il recommande particulièrement, c’est le chaulage du sol et celui des tubercules, et nous croyons qu’il y a un certain intérêt historique à reproduire cette recommandation.

« Il est urgent, dit Ch. Morren, de chauler les champs avec une liqueur composée comme suit :

25
3
1
125
kilogrammes de chaux,
kilogrammes de sel de cuisine,
kilogramme de sulfate de cuivre,
litres d’eau.

« On prépare ce mélange dans un tonneau et on arrose la surface du sol. On peut employer aussi ce mélange pour chauler la Pomme de terre elle-même lorsqu’il s’agit de la planter. On peut employer la même composition sans eau pour en soupoudrer le sol. L’eau du ciel, la pluie, suffira pour la délayer suffisamment, l’étendre dans la terre et agir sur le germe du mal. Le chaulage a pour but de tuer les semences des Champignons, absolument comme par un chaulage semblable on détruit la Carie du Blé, le Charbon de l’Avoine et l’Ergot du Seigle ».

Nous avons dit plus haut que le Dr  Montagne avait, antérieurement à Desmazières, donné un non scientifique au Champignon parasite, signalé comme étant la cause de la maladie de la Pomme de terre. Voici, en effet, ce que nous trouvons dans le Journal L’Institut, n° 609 du 3 Septembre 1845 : Société philomathique de Paris, séance du 31 Août 1845, M. Montagne fait une communication sur la Maladie qui ravage les Pommes de terre. Nous en extrayons ce qui suit :

« On s’accorde généralement à croire, dit le Dr  Montagne, que cette affection est occasionnée par la présence d’un Champignon de la famille des Mucédinées, et, ce qui est bien remarquable, par une Mucédinée appartenant à ce même genre Botrytis dont fait également partie l’espèce qui sévit si cruellement parfois sur les Vers à soie. Ce Botrytis qu’en raison de ses effets nous proposons de nommer Botrytis infestans, attaque surtout le dessous des feuilles de la Solanée, qu’il recouvre entièrement comme d’une poussière blanche, et sa propagation est si rapide qu’en trois ou quatre jours au plus de vastes champs sont dévastés et la récolte du précieux tubercule anéantie… Ce sont les terrains argileux et les lieux les plus déclives, et conséquemment les plus humides, dans lesquels s’est propagée le plus rapidement la maladie en question… Quant aux effets délétères de ce parasite, il est difficile de les peindre mieux que ne l’a fait M. Morren, dans le Journal belge L’Indépendant, article qui a été reproduit par le Journal des Débats du 21 Août dernier. La maladie et ses causes y sont en effet bien exposées, et si ce savant eût pris la peine de nommer et de décrire le végétal microscopique qui cause tous ces ravages, il ne nous serait absolument rien resté à ajouter à tout ce qu’il nous a déjà dit. Cependant M. Morren dit dans sa Note avoir retrouvé sur les tubercules mêmes la Mucédinée qui envahit la face inférieure de toutes les feuilles de la plante. Nous n’avons rien observé de semblable…

» Mais ayant été à même d’étudier pendant sa vie le Botrytis qui fait le sujet de cette communication, nous croyons que les Mycologues nous sauront gré de compléter la Note de M. Morren en l’introduisant dans la science sous le nom malheureusement trop mérité que nous lui avons imposé tout à l’heure.

» Botrytis infestans. (Suit la diagnose latine dont voici la traduction) : Touffes lâches, étalées, blanches, quelque peu ramifiées au sommet, à rameaux noueux çà et là, plus ou moins dressés, à spores solitaires latérales et terminales, ovoïdes ou elliptiques, grandes, subapiculées, concolores, à noyau granuleux ».

Il est donc équitable d’attribuer à Charles Morren la découverte du Champignon parasite de la Pomme de terre, de son action nocive sur la plante et ses tubercules, de son extraordinaire propagation par les agents atmosphériques, et de reconnaître que Montagne lui a donné le premier un nom scientifique qu’il a accompagné d’une diagnose pour le caractériser. Mais il est utile de faire remarquer ici que ce Botrytis infestans, qui sera plus tard mieux connu et mieux nommé, est un parasite destructeur qui altère gravement les tissus de la plante nourricière qu’il a envahie, sans presque laisser d’autre trace de son passage que des éléments de mortification. C’est ainsi que les tubercules attaqués ne décèlent pas à l’œil nu la présence de ce parasite, alors que d’autres espèces de Champignons, agents de décomposition des tissus altérés, peuvent beaucoup plus visiblement manifester leur apparition sur les parties malades ou atrophiées. Ceci explique jusqu’à un certain point pourquoi l’idée du parasitisme du Botrytis a pu être, en 1845, presque rejetée par de très bons esprits qui ne l’envisageant alors que comme une suite, un effet de la maladie, se sont considérés comme autorisés à croire qu’on se trouvait en face d’une affection spéciale, bien caractérisée, sans cause appréciable, mais résultant des influences météoriques ou d’une dégénérescence de la plante soumise à une culture trop intensive.

Quoi qu’il en soit, Payen, entre autres savants, se montra partisan du parasitisme plutôt que d’une maladie particulière de la Pomme de terre. En 1845, il entretint plusieurs fois l’Académie des sciences de ses recherches à ce sujet. « Une végétation cryptogamique toute spéciale, disait-il le 15 Septembre 1845, se propageant des tiges aériennes aux tubercules, en est l’origine. Le Champignon microscopique dont les sporules ont suivi le liquide infiltré autour des parties corticales surtout et de l’axe quelquefois, se développe dans les cellules en filaments anastomosés qui s’emparent de la substance organique quaternaire et oléiforme, s’appuyant sur la fécule qu’ils enferment dans leurs mailles. Traversant d’ailleurs les méats intercellulaires d’une cellule à l’autre, ils s’entrecroisent et rendent solidaires les parties du tissu qu’ils remplissent ; ils les retiennent consistants malgré la cuisson dans l’eau à la température de 100°. Les prolongements byssoïdes dirigés vers la périphérie vont au travers des parois des cellules attaquer toutes les matières assimilables qu’elles renferment, azotées, huileuses et amylacées ; la fécule graduellement désagrégée, dissoute et absorbée, présente une série d’altérations rapides et nouvelles dans l’histoire de ce principe immédiat. À l’ensemble de ces faits, on reconnaît donc l’action d’une énorme végétation parasite qui s’empare d’une portion des tissus vivaces de la Pomme de terre, se logeant dans les uns, puisant dans les autres toutes les substances assimilables qu’ils renferment ».

Le 22 Septembre 1845, Payen faisait connaître à l’Académie les résultats d’une expérience assez singulière. « Dix tubercules attaqués, disait-il, furent rangés sur un plateau autour de deux tubercules sains, d’une autre variété, dont un était coupé par un plan passant dans l’axe. Le plateau fut maintenu sous une cloche dans un air presque saturé d’humidité, à une température de 20 à 28° c. Au bout de huit jours, on n’apercevait aucun signe de transmission ; quatre jours plus tard un changement s’était manifesté à la surface de l’une des sections du tubercule coupé : cette section paraissait sèche et blanche comme de la fécule en poudre ; les débris des cellules se retrouvaient parmi cette masse blanche inerte. Au delà et sur la limite de la masse blanche se sont retrouvés des organismes de couleur orangé fauve, semblables à ceux qui semblent représenter la tête des Champignons. Ici l’invasion du parasite s’est faite sans contact direct… »

Il est surprenant que Payen n’ait pas reconnu que cette végétation fongique orangée n’avait aucun rapport avec le Botrytis infestans. Le Dr  Eugène Robert, dans une autre expérience qu’il fait connaître ; en 1845, à la Société centrale d’Agriculture, avait réussi à la rendre un peu plus concluante.

« J’ai arraché, écrivait-il, des Pommes de terre malades et parfaitement saines, et après avoir coupé les unes et les autres en deux, j’ai appliqué les moitiés saines sur les moitiés malades et les ai enterrées ainsi accolées ou sous forme de tubercules coupés. Je viens de constater, au bout de huit jours, que la maladie s’était transmise, La moitié saine offrait çà et là dans tout son contour et à la surface de la partie coupée, de petits gonflements brunâtres, de un à deux millimètres d’épaisseur, qui, examinés à la simple loupe, m’ont paru être le résultat de l’isolement ou de soulèvement des grains de fécule, par suite de la présence d’un tissu aréolaire tout particulier qui les enveloppe ».

Malgré tout, il faut bien avouer que toutes ces tentatives d’inoculation étaient peu probantes, d’autant plus que plusieurs autres mal conduites, qui avaient été faites en vue de vérifier les résultats énoncés par Morren sur la facilité d’infection des feuilles, des tiges et des tubercules de la plante, n’avaient pas non plus abouti. Ces échecs semblèrent donner gain de cause à l’opinion contraire d’une affection météorique. Decaisne, partisan déclaré d’une maladie spéciale, publia en 1846 une réfutation de l’opuscule de Morren, sous le titre de Histoire de la maladie de la Pomme de terre en 1845. Dans cet ouvrage, Decaisne s’efforça d’apporter à l’appui d’une thèse qu’il croyait être l’expression de la vérité, tous les arguments qui lui semblaient être des preuves indiscutables de l’existence seule de la maladie, en dehors de tout parasite. Profitant habilement de la faiblesse des assertions expérimentales de ses adversaires, et surtout de l’ignorance où l’on était alors de la biologie du parasite, il réussit même à ébranler les convictions des premiers partisans du parasitisme. Il en résulta que l’idée contraire à la vérité des faits devint prédominante et qu’on s’y rallia généralement, si bien que la question du parasitisme resta comme une de ces vues de l’esprit, une simple hypothèse sans valeur et sans fondements.

« Il faut le reconnaître aujourd’hui, dit Decaisne en terminant, l’opinion de M. Morren, qui a tant contribué à jeter l’alarme parmi les populations, repose sur une erreur d’observation, et les raisonnements les plus subtils n’empêcheront pas que M. Morren, en persévérant dans son hypothèse, ne se trouve complètement isolé… ».

Or, cet isolement ne résulta pas seulement du silence des partisans de l’opinion de Morren, cette opinion fut publiquement abandonnée par eux, et nous en trouvons la preuve dans les extraits suivants de la Revue botanique de Duchartre (1845).

À propos du Rapport fait par une Commission au Conseil central de salubrité publique de Bruxelles, Duchartre avait déjà dit : « Nous ne nous occuperons que de l’opinion propre à la Commission dont M. Dieudonné a été l’organe, et nous laisserons de côté la discussion à laquelle celui-ci se livre pour combattre surtout l’opinion qui consiste à attribuer la Maladie des Pommes de terre à l’action contagieuse et destructive de Champignons parasites, de Botrytis, opinion qui a été d’abord émise en Belgique par le Dr  Van Oye, de Thourout, dans un article publié par le Journal L’Organe des Flandres, par Mlle Libert, de Malmédy, et qui a été développée et soutenue proprement par M. Morren, de Liège ».

Mais Duchartre citait plus loin la lettre suivante : « Vous m’avez demandé, lui écrivait Montagne, quelle était mon opinion touchant l’étiologie de cette affection morbide qui attaque la Pomme de terre, et sur laquelle tant de savants ont déjà écrit. Si vous vous rappeliez ma réponse à l’interpellation qui fut faite par notre honorable Président, M. Milne Edwards, après la lecture de ma courte communication à la Société philomathique, le 31 Août dernier, la présente lettre deviendrait inutile. En effet, quoique les termes dans lesquels cette Note est rédigée puissent donner à penser que j’embrasse le sentiment de M. Morren, je vous proteste, comme je l’ai fait alors, qu’il n’en est absolument rien, et que, à l’égard du Botrytis infestans, je suis incertain aujourd’hui, et même aujourd’hui plus que jamais, s’il est la cause de la maladie ou seulement un accident concomitant résultant de l’affection pathologique des feuilles. Tous les mémoires qui ont été publiés et que j’ai lus m’ont laissé dans le même doute philosophique. Le seul but que je me suis proposé a donc été de faire connaître botaniquement et d’enregistrer dans la science, le Champignon, cause ou effet de la maladie en question. »

Enfin, Duchartre ajoute ce qui suit, à la suite d’Observations faites dans la Grande-Bretagne sur la Maladie des Pommes de terres. « Dans deux Notes insérées dans le Gardener’s Chronicle, M. Berkeley se montre très porté à assigner un rôle important au Champignon parasite dont M. Montagne a reconnu l’existence dans la Pomme de terre malade, et qu’il a nommé Botrytis infestans. Mais, des lettres, écrites tout récemment par l’habile Mycologue anglais à M. Montagne, et dont ce dernier savant a bien voulu nous donner connaissance, montrent que M. Berkeley a modifié sa première manière de voir, et qu’il est maintenant disposé à chercher la cause première de la maladie ailleurs que dans la Mucédinée parasite[21] ».

Et, en effet, il ne va plus être question pendant un certain nombre d’années du Botrytis infestans, alors que tous les ans on continuera cependant à se préoccuper des ravages de la Maladie, qui, grâce à de certaines précautions, tendèrent heureusement à s’atténuer. Mais voyons qu’elle a été la marche progressive du mal dans les diverses contrées de l’Europe. Duchartre, dans sa Revue botanique (1845), s’exprime ainsi à ce sujet :

« La première apparition de la Maladie a eu lieu en Belgique et en Hollande, vers la fin du mois de Juillet. Presque en même temps, elle s’est étendue à nos Départements du Nord ; au mois d’Août, elle sévissait déjà dans les environs de Paris, dans certaines parties de l’Allemagne. Bientôt elle s’est dirigée vers le Centre et l’Est de la France ; mais, malgré un petit nombre de faits isolés, elle semble avoir épargné nos départements méridionaux. Dès la Mi-Août, elle s’est déclarée dans l’Île de Wight ; elle a passé la Manche et s’est montrée en Angleterre sur une grande étendue de terrain. Enfin elle a attaqué l’Irlande, et ses progrès y ont été si rapides, qu’aujourd’hui la récolte des Pommes de terre y est regardée comme perdue ».

Le Times s’exprimait ainsi à ce sujet[22] : « La perte de la Pomme de terre serait aujourd’hui, pour les pays du Nord-Ouest de l’Europe, une bien plus grande calamité qu’elle n’aurait été pour la génération précédente. Mais l’Irlande, plus que tous les autres, dépend absolument de cette récolte, non seulement pour son bien-être, mais pour son existence. L’Angleterre, la Belgique et les autres points du Continent qui sont frappés de ce désastre, ont d’autres ressources. La Pomme de terre n’est qu’une partie de la nourriture de leur population. Mais en Irlande la population n’a des provisions que pour un an. Le paysan n’y compte qu’année par année. Il met en terre uniquement ce qu’il lui faut, en calculant juste, pour vivre une année. Si cela lui manque, il faut qu’il souffre de la faim pendant un mois ou deux. Il peut être secouru par ses voisins ; mais, si tous sont dans le même cas, d’où leur viendra le secours ? Une famine en Irlande est une des plus terribles calamités qui puissent être imaginées, comme de nature à interrompre le cours de la prospérité de l’Angleterre et les bienfaits plus substantiels de trente ans de paix. Les circonstances actuelles menacent d’une aggravation du mal au-delà même des horreurs habituelles. Il serait prématuré de suggérer un remède immédiat au désastre ; mais, quoi qu’on fasse, au nom du Ciel, que ce soit fait pour le mieux ».

Et l’on sait que ces craintes pessimistes ne se sont que trop réalisées ! Léonce de Lavergne, quelques années après, en avait constaté les résultats saisissants. « Quand le dénombrement décennal de la population fut fait en 1851, disait-il, au lieu de donner comme toujours un excédent notable, il révéla un déficit effrayant : un million d’habitants sur huit avait disparu. Le huitième de la population était mort de misère et de faim. Cette épouvantable calamité a fait ce que n’avaient pu faire des siècles de misère et d’oppression ; elle a vaincu l’Irlande. Le peuple irlandais, en voyant son principal aliment lui échapper, a commencé à comprendre qu’il n’y avait plus assez de place pour lui sur le sol de la patrie. Lui qui avait jusqu’alors obstinément résisté à toute pensée d’émigration comme à une désertion devant l’ennemi, s’est pris tout à coup de la passion opposée ; un courant ou, pour mieux dire, un torrent d’émigration s’est déclaré. Il a fallu remonter jusqu’aux traditions bibliques pour trouver un nom à cette fuite populaire qui n’a d’analogie que dans la grande migration des Israélites. On l’appelle l’exode comme au temps de Moïse. »

Nous trouvons dans les Comptes rendus annuels des travaux de la Société centrale d’Agriculture faits par Payen, quelques appréciations sur la marche de la Maladie de la Pomme de terre qu’il est intéressant de connaître.

En 1846, Payen s’exprimait ainsi : « Un immense fléau vint, l’année dernière, frapper en Europe l’une de ses plus précieuses cultures importées du Nouveau-Monde, semblables à ces événements providentiels dont la cause et la fin dépassent les limites de l’intelligence humaine ! Ce fut une affection toute spéciale qui envahit par degrés, pendant quatre mois, en Allemagne, en Suède, en Belgique, en Angleterre et en France les grandes et petites cultures de la plante originaire des Cordillères des Andes… Une influence spéciale, graduellement répandue du Nord à l’Ouest, du Centre à l’Est et au Sud de la France, plus active là où l’humidité domine, où la fumure est abondante, mais agissant, presque partout, dans des circonstances diverses ; inaperçue jusqu’alors, indépendante parfois des conditions météorologiques, suivant les observations précises de M. de Gasparin ; que cette influence désastreuse a détérioré de 10 à 50 pour 100 de la récolte des champs de Pommes de terre.

» Attaquant d’abord les tiges aériennes affaiblies par l’influence des temps humides et sombres de 1845 ; portant, en général, ses atteintes sur les tubercules aux approches de la maturité ; se propageant après la récolte ; ouvrant l’accès à tous les genres d’altération des corps organisés ; n’épargnant guère que les variétés hâtives rentrées avant l’invasion du mal dans chaque localité. Rien de semblable ne s’était vu en France, même durant les années plus humides, et notamment en 1816 ».

Payen disait aussi en 1847 : « La grande expérience subie en Amérique depuis 1843, et chez nous pendant les deux années dernières, s’accorde avec les épreuves bien autrement rudes et graves sous lesquelles l’Irlande gémit encore ; elles conseillent de varier les cultures afin d’éviter, en tous pays, de fonder la nourriture de l’homme sur la récolte trop exclusive d’une seule plante alimentaire, afin aussi d’élever la fécondité du sol par les meilleurs assolements ».

Enfin, Payen ajoutait en 1849 : « Les maladies qui attaquent les plantes semblent avoir généralement pour effet de limiter l’étendue du terrain occupée par chacune des espèces végétales à la surface du globe ; de même que l’on a remarqué diverses causes de destruction venir frapper certains animaux ou insectes lorsqu’ils se sont multipliés outre mesure, aucune des maladies des plantes ne s’est propagée aussi vite que celle qui affecte les Pommes de terre, depuis six ans dans l’Amérique septentrionale et depuis près de cinq ans, en Europe et dans une partie de l’Afrique…

» Nous avions indiqué déjà le parti qu’on pouvait tirer de tous les tubercules atteints, en les faisant consommer à temps ou réduire en fécule sans les enfermer en silos. Nous déclarions aussi que plusieurs variétés hâtives avaient plus de chances d’échapper aux atteintes du mal ; que même les variétés tardives plantées tôt et récoltées avant la saison ordinaire de l’invasion partageraient, jusqu’à un certain point, ces chances favorables.

» Quant aux moyens de prévenir la Maladie par la régénération de l’espèce, nos premières observations ne permettent guère d’en espérer le succès. Les expériences de M. Vilmorin et de plusieurs de nos correspondants ont montré, en effet, que les produits des semis de graines récoltées avant 1844 et venues de diverses contrées ont subi les atteintes du mal en 1847 et en 1848. La méthode de culture hivernale[23] de M. Changarnier, en changeant l’époque de la récolte ainsi devenue hâtive, a fait échapper les tubercules à l’invasion automnale de la Maladie. Cette méthode, expérimentée par plusieurs horticulteurs, en France et en Angleterre, a donné les mêmes résultats favorables ; mais il convient de rechercher si la culture hivernale peut s’introduire économiquement dans la grande culture ».

Toutefois, une autre question se posait dont on ne pouvait alors soupçonner l’importance, étant donné que la croyance à la Maladie spéciale avait à peu près fait oublier l’influence du parasitisme, mais qui, aujourd’hui que les opinions se manifestent en sens contraire, ne laisse pas d’avoir un grand intérêt. Il s’agissait de savoir, en effet, si le mal ne préexistait point dans les pays d’origine de la Pomme de terre avant d’envahir l’Amérique du Nord et l’Europe. Or, nous trouvons à cette époque, en 1845 et 1846, deux documents fort instructifs sur ce point.

Le 17 Novembre 1845, Boussingault communiquait à l’Académie des Sciences la lettre suivante de M. Joachim Acosta sur la maladie des Pommes de terre dans la Nouvelle-Grenade.

« La maladie dont les Pommes de terre sont atteintes sur le plateau de Bogota, dans les années pluvieuses, et même tous les ans dans les lieux humides et marécageux, est une espèce de Champignon ou excrescence qui se développe sur différents points et qui corrode plus ou moins profondément ces tubercules. Cependant, ce qui reste, après avoir ôté les parties gâtées, est encore employé comme aliment, quoique cette substance soit alors loin d’être aussi bonne comme nourriture, que le sont les Pommes de terre saines.

» Vous savez mieux que moi que les Pommes de terre sont indigènes sur les plateaux des Andes, et je ne doute point que la maladie dont je vous ai parlé a toujours été connue ; mais jamais les Indiens n’en sont alarmés, quoiqu’ils se nourrissent principalement de Pommes de terre.

« Personne, mieux que vous, ne connaît la constitution météorologique de notre pays, et vous savez que des deux saisons de pluies que nous avons, il y en a toujours une qui est plus abondante. Ainsi, lorsque les pluies continuelles et les inondations ont nui à la récolte première de l’année, la seconde vient presque toujours compenser le déficit.

» Au moment de vous envoyer cette note, on m’apporte quelques Pommes de terre gâtées par la maladie qui s’est répandue dernièrement en Europe, et que j’avais demandées pour pouvoir décider si c’est la même à laquelle elles sont sujettes dans leur terre natale. L’aspect extérieur de celles que je viens d’examiner diffère de celles de Bogota, car elles ne présentent aucune espèce d’altération ou excrescence extérieure ; mais la nature de l’altération intérieure me paraît être identique ».

De son côté, Alcide d’Orbigny faisait lui-même une Communication sur le même sujet à la Société centrale d’Agriculture, en 1846. Nous extrayons les passages suivants de sa Communication qui est intitulée : Note sur la Pomme de terre et sa maladie.

« L’Agriculture n’étant pas le sujet de mes études spéciales, je viens seulement vous parler de la Pomme de terre comme un voyageur qui, dans ses longues et lointaines pérégrinations (dans l’Amérique du Sud), a cru ne pas devoir négliger d’apprendre, chez les peuples qu’il visitait, tout ce qui pourrait un jour être utile à sa patrie.

» Si la culture du Blé et des autres Céréales a pu exercer une immense influence sur l’agglomération et la civilisation des peuples de l’Ancien Monde, on doit également à la culture de la Pomme de terre et du Maïs sur les Cordillères de l’Amérique méridionale la réunion de ces grandes Sociétés qui bâtirent les anciens monuments de la Bolivia, et servirent de souche au gouvernement monarchique et religieux des Incas. La Pomme de terre, connue des nations aymaras et quichua sous le nom de Papa, y était cultivée depuis les temps les plus reculés, et a toujours formé la base de la nourriture de tous les habitants des régions tempérées des Andes boliviennes et péruviennes. Les ouvrages des premiers historiens espagnols du temps de la conquête, tels que Garcilaso de la Vega, etc. etc., le prouvent de toutes les manières, ainsi que les Pommes de terre sèches ou Chuñu que j’ai souvent rencontrées en fouillant des tombeaux très anciens.

» Chez ces peuples civilisés des montagnes du Nouveau-Monde, l’Agriculture était tellement honorée, que le souverain lui-même ne craignait pas de cultiver son champ. Ayant parfaitement senti que l’abondance des vivres pourrait beaucoup influer sur le bonheur et la tranquillité d’avenir de leurs sujets et leur donner les moyens d’agrandir leur empire, les Incas mirent tout en œuvre pour encourager et perfectionner l’industrie agricole ; ils firent exécuter de nombreux canaux d’irrigation qui amenèrent, de très loin, des eaux inutiles dans des vallées jusqu’alors sèches, inhabitées, et les rendirent si fertiles, que celle d’Arequipa, par exemple, contient maintenant une grande ville de plus de 80 000 habitants ; ils employèrent le guano avec de grands avantages, et cherchèrent, surtout dans les régions tempérées des montagnes, à multiplier la surface des terrains labourables, en construisant, sur les pentes abruptes, de petites murailles parallèles en gradins, disposées de manière à retenir les terres.

» Dans un pays où l’Agriculture avait jadis atteint un haut degré de perfection, où elle était le domaine des classes aisées de la Société, il était impossible que l’expérience d’un grand nombre de siècles ne les eût pas amenées à connaître parfaitement tout ce qui est relatif à la Pomme de terre ; aussi les montagnards étaient-ils très instruits sous ce rapport[24]. Bien que les Espagnols aient considérablement diminué la population par suite de leurs guerres intestines et du travail forcé des mines, qu’ils aient détruit beaucoup de canaux d’irrigation et abandonné de grandes surfaces de terre, où le voyageur rencontre partout aujourd’hui d’anciennes traces de culture, ils n’ont pu anéantir chez les indigènes, toujours chargés de pourvoir à la subsistance du peuple entier, ces connaissances agricoles de première nécessité dont l’oubli pouvait compromettre leur avenir et celui de la nation.

» Comme la Pomme de terre, empruntée aux cultivateurs péruviens, est venue seule en Europe, sans les connaissances agricoles qui la concernent, je me félicite de pouvoir les faire connaître en donnant quelques détails, sur une maladie très connue au Nouveau-Monde, qui a détruit, momentanément en Europe, la sécurité dans laquelle on vivait relativement à cette précieuse racine, maintenant une seconde providence contre les horreurs de la famine. J’ai effectivement appris des habitants de la Bolivia le nom de la maladie de la Pomme de terre, les causes de cette maladie, les moyens de les prévenir, les symptômes extérieurs de la maladie lorsque la plante en est atteinte, les moyens de la guérir avant que les tubercules ne soient attaqués…

» Nom de la maladie. — Les indigènes aymaras des environs de la ville de La Paz, en Bolivia, connaissent depuis l’antiquité la plus reculée, la maladie qui a sévi, cette année, en Europe contre la Pomme de terre, et la nomment casagui. Cette maladie règne principalement sur le versant est de la Cordillère orientale, où les pluies sont plus abondantes.

» Causes de la maladie. — L’expérience a prouvé aux cultivateurs boliviens que la maladie en question provient de l’excès d’humidité de la terre dû à l’action prolongée des pluies et des temps couverts, à l’instant de la seconde période d’accroissement des Pommes de terre, c’est-à-dire au moment où le tubercule a pris la moitié de sa grosseur ordinaire. Trop souvent les habitants des montagnes boliviennes en ont la preuve, quand, par exemple, ils cultivent un champ au pied d’un coteau dont une partie est en pente et l’autre unie dans le fond de la vallée ; car alors il n’y a jamais que la partie inférieure du champ, toujours la plus humide, qui soit susceptible de gagner le casagui, tandis que la partie supérieure, où l’eau ne peut séjourner, en est toujours exempte ; néanmoins, ayant à lutter contre l’action glacée des vents du sud sur les coteaux et du casagui dans le fond des vallées, ils sèment ordinairement dans deux conditions, afin d’avoir une bonne récolte sur les coteaux, lorsqu’ils n’éprouvent pas de grandes gelées, ou dans les plaines lorsque l’année n’est pas pluvieuse. Pour eux l’excès de l’humidité est regardé comme la seule cause de la maladie des Pommes de terre : ce qui, du reste, serait en rapport avec la surabondance des pluies éprouvée cette année en Europe.

» Moyens de prévenir la maladie de la Pomme de terre. — Les causes de la maladie étant bien connues, il est très facile de la prévenir, soit en choisissant les meilleures terres, la configuration naturelle du sol la plus propre à cette culture, soit en disposant artificiellement le terrain de manière à les préserver de la trop grande humidité. La Pomme de terre, on le sait, vient beaucoup mieux dans les terres légères ou les terres sablonneuses ; aussi les Boliviens choisissent-ils celles-ci de préférence. Lorsqu’ils habitent des vallées assez tempérées pour ne plus redouter l’action des gelées, afin d’éviter le casagui, ils sèment la Pomme de terre seulement sur les terrains en pente, où l’eau ne peut séjourner, en prenant le plus grand soin d’éviter les lieux trop humides ou les terres trop argileuses…

» Des symptômes extérieurs de la maladie. — Si la maladie des Pommes de terre n’avait attaqué que le tubercule, il eût été difficile de s’en apercevoir et d’y porter remède ; heureusement que, avant d’avoir fait ses ravages sur la racine, elle se manifeste très bien sur la plante elle-même. L’excès de l’humidité produit effectivement sur les feuilles une espèce d’étiolement qui en change la teinte ; le vert glauque de la plante devient vert jaunâtre d’autant plus intense que l’action de la maladie se fait sentir avec plus de force. Jamais un cultivateur bolivien ne se trompe sur leur aspect extérieur, et souvent un champ qui occupe, comme je l’ai dit, le pied encore en pente d’un coteau et le fond de la vallée montre à la fois les deux teintes tout à fait tranchées qui indiquent positivement au laboureur jusqu’où s’étend le mal redouté sur les parties les plus basses de la plantation.

» Une personne très distinguée de Bolivia, que je me plais à citer, M. don Antonio Acosta, consul général de cette république à Londres, en parcourant l’Angleterre, a également reconnu comme moi, à l’aspect jaunâtre des champs, l’identité parfaite de la maladie des Pommes de terre d’Europe avec le casagui des Boliviens.

« Des moyens de guérir la maladie avant que les tubercules de la Pomme de terre ne soient attaqués. — Les causes morbides de la maladie des Pommes de terre étant déterminées, non seulement on peut les prévenir, mais encore les arrêter dans leurs progrès, et souvent même les faire entièrement disparaître, lorsqu’on agit avec prudence et dans les circonstances les plus favorables. L’excès de l’humidité causant le mal, il faut chercher à le combattre activement, et c’est encore à quoi les cultivateurs boliviens réussissent parfaitement avec les moyens les plus simples et les plus faciles. Comme ils ont remarqué que la terre battue par la pluie forme une croûte extérieure qui empêche l’humidité de s’évaporer, lorsqu’ils ont reconnu, à la couleur jaunâtre des feuilles de la plante, que la maladie existe, ils attendent que la direction des vents régnants leur indique une série probable de beaux jours ; alors ils donnent un labour profond au champ de Pommes de terre, de manière à laisser agir avec plus de force les rayons solaires sur la terre fraîchement remuée, ou déchaussent un peu la plante ; s’ils obtiennent quelques belles journées, l’action morbifique s’arrête et ne se communique pas aux tubercules, qui seulement prennent moins de volume, mais perdent la maladie, qui continuerait sa marche si on ne l’arrêtait dans ses rapides progrès… ».

Cette Note est très instructive à divers titres, surtout au point de vue historique. Quant aux moyens préventifs employés par les Boliviens pour diminuer ou arrêter les progrès de la maladie, il ne paraît pas qu’on les ait mis à profit en Europe où d’ailleurs les cultures ne se font pas de la même façon que sur les Andes.

À cette époque où la maladie sévissait le plus cruellement, on s’est fortement préoccupé de ne pas laisser perdre sur place la partie de la récolte qui se trouvait avariée. Plusieurs savants se sont dévoués pour faire sur leurs personnes l’essai de la consommation des tubercules altérés, après cuisson préalable. Ils en ont ainsi reconnu l’innocuité, masquée par une saveur des plus désagréables. Par suite, on n’a pas hésité à conseiller d’en faire usage pour le bétail. Enfin, lorsque ces tubercules conservaient de la fécule, on réussissait encore à en retirer cette fécule ou à les faire servir à la distillerie. Ces pratiques, de nos jours, n’ont plus grand intérêt. Aussi, sans nous y arrêter davantage, reprenons-nous l’histoire de la Maladie même et en particulier celle du parasite, que l’on va bientôt reconnaître pour en être la véritable cause.

Nous ne nous arrêterons pas au Mémoire publié par Harting à Amsterdam, en 1846, sous le titre de Recherches sur la nature et les causes de la maladie des Pommes de terre en 1845. Malgré des recherches nombreuses et très minutieuses, cet auteur n’est en somme arrivé qu’à signaler les différentes espèces de Champignons qui peuvent se développer et vivre aux dépens du tubercule malade, alors qu’il en exclut le Botrytis infestans, qu’il baptise bien inutilement du nouveau nom de Botrytis Solani. Ce mémoire, plus riche en citations qu’en découvertes, aboutit à cette conclusion « que la cause spécifique de la maladie, si elle a existé, ne saurait être cherchée ni dans les végétaux parasites, ni dans les animaux parasites ». C’était avouer qu’après tous les travaux de l’auteur, la solution de la question du Botrytis n’avait pas fait un pas.

Payen, qui, on l’a vu plus haut, était partisan d’une action parasitique dans cette affection spéciale, affirmait cette opinion dans un petit Traité sur les maladies de la Pomme de terre et d’autres plantes cultivées paru en 1853.

« La maladie des Pommes de terre, disait-il, est occasionnée par une végétation parasite, sorte de moisissure légère, dont les semences, spores ou sporules, d’une excessive ténuité, flottant dans l’air en nombre immense, à certaines époques, sont transportées par les vents à toutes les distances. Disséminées irrégulièrement ainsi sur les champs en culture, elles se développent chaque année durant la même saison, au fur et à mesure que les circonstances atmosphériques deviennent favorables dans chaque localité, et que la plante s’affaiblit naturellement vers l’époque de sa maturité…

» Le développement presque subit se manifeste aussitôt par la production de la moisissure qui attaque les feuilles et se montre dans leurs stomates. Sa fructification ou sa graine se reproduit rapidement en quantité prodigieuse ; l’air en mouvement entraîne de nouveau ces légers corpuscules comme les plus fines poussières…[25].

» La maladie des Pommes de terre, ajoutait Payen, se déclare en général dans les mois de Juillet, Août, Septembre et Octobre ; cependant les plus grandes surfaces se sont généralement trouvées atteintes, en France, depuis le 15 Août jusqu’à la fin de Septembre de chaque année ; on n’en a observé que des cas isolés en Juin, et à peine un ou deux seulement durant le mois de Mai ».

Ce sont aussi les mêmes périodes d’attaque que l’on observe aujourd’hui, ce qui prouve que rien n’est changé dans les époques de propagation du parasite. Quoi qu’il en soit, le Botrytis infestans, cause du mal d’après Payen, n’était pas mieux connu en 1853 dans ses manifestations biologiques qu’en 1845.

Un célèbre mycologue, qui a fait faire de grands progrès à nos connaissances, relativement surtout aux Champignons inférieurs, Tulasne, membre de l’Académie des sciences, communiquait à cette Académie la Note suivante, le 26 Juin 1854. « Note sur les Champignons entophytes, tels que celui de la Pomme de terre… « L’étude du Botrytis infestans, disait-il, m’a montré, comme à d’autres observateurs, qu’il n’était point, autant que beaucoup l’ont cru, innocent des taches qui apparaissent sur les feuilles et les tiges de la Pomme de terre, ni, par suite, étranger à la dessiccation prématurée de ces organes. Champignon entophyte et parasite véritable, il se nourrit et donne ses premiers fruits aux dépens des tissus verts et pleins de vie, mais dont il épuise rapidement tous les sucs. La dessiccation, puis la coloration en brun, des espaces qu’il a envahis, tant dans les feuilles que dans les tiges, ont parfois lieu cependant, sans que ses rameaux conidifères[26] se soient montrés ; mais on peut facilement provoquer le développement tardif de cet appareil reproducteur, en humectant les parties brunies dont il s’agit, qui sont le plus souvent toutes pénétrées de mycelium. Les tiges conidifères sortent généralement, soit isolées, soit groupées en faisceaux, par les stomates de l’épiderme ; mais sur les côtes des feuilles et sur les tiges où ces pores sont rares ou nuls, de pareils arbuscules fructifères rompent ou percent fréquemment l’épiderme pour se produire au dehors.

» J’ai observé ce Botrytis, non seulement sur la Pomme de terre commune, mais encore sur les Solanum etuberosum, stoloniferum, verrucosum, et sur les Tomates dont il envahit les fruits aussi bien que les feuilles et qu’il rend ainsi improductives. Je sais plusieurs cultivateurs de ces dernières plantes qui n’ont obtenu l’an passé qu’une récolte fort amoindrie par notre Champignon.

Fig. 108. — Coupe transversale d’une feuille de Pomme de terre, dans le tissu cellulaire de laquelle se montre les filaments du mycélium du Phytophtora infestans, dont une extrémité sort par un Stomate. (Gross. 170/1.) D’après De Bary. Fig. 109 et 110. — Phytophtora infestans. Deux ramuscules encore incomplètement développés, sortant par les stomates d’un épiderme de feuille de Pomme de terre. (Gross. 200/1. ) Une conidie (ou zoosporange) complètement formée à l’extrémité d’un rameau. (Gross. 300/1.) D’après De Bary.

» Parmi toutes les considérations qui ont pu dissuader les observateurs d’attribuer au Botrytis une grande part dans la Maladie de la Pomme de terre, il en est une qui paraît avoir exercé beaucoup d’influence sur les esprits. Généralement, on assimilait ce parasite aux Moisissures qui naissent sur les corps organisés en décomposition, et l’on en concluait naturellement qu’il ne pouvait précéder l’altération des tissus de la Pomme de terre, ni les occasionner, puisqu’il fallait à ses premiers développements une matrice déjà désorganisée ; mais on se trompait à cet égard. Le Botrytis de la Pomme de terre appartient à un genre de Champignons qui sont parasites au même degré, ou aussi essentiellement que les Urédinées[27], et qui ne sauraient conséquemment végéter, du moins pendant la plus grande période de leur développement, qu’aux dépens de plantes vivantes. À ce caractère biologique qui les éloigne des Mucédinées proprement dites ou les plus vulgaires, il s’en joint un autre très important, tiré de leur organisation et qui est demeuré tout à fait inconnu jusqu’à présent.


Fig. 111 et 112. — Peronospora Alsinearum de Caspary (observé sur le Mouron des oiseaux). — a, 1er  stade de fécondation : y, oogone (ou organe femelle) dans lequel se forme une oospore z, au contact du petit tube fécondateur émis par l’anthéridie x ; b, 2e stade de fécondation : y, oogone contenant une oospore z, entourée de son enveloppe protectrice ; x, anthéridie vide. (Gross. 400/1.) D’après De Bary.

» Quand M. Corda (en 1840) a proposé le nom de Peronospora pour distinguer de leurs homonymes les Botrytis parasites dont nous parlons, il n’a pu justifier cette séparation, au point de vue organographique, qu’en signalant la continuité de leurs tiges fistuleuses dont, le plus souvent, aucune cloison ne partage la cavité. Cette circonstance, fût-elle plus exempte d’exceptions qu’elle ne l’est réellement, ne serait encore que d’une médiocre importance, et elle fut jugée de la sorte par d’autres observateurs que M. Corda ; cependant elle se trouve coïncider aujourd’hui avec un caractère de première valeur. Effectivement, ce qui paraît au dehors, chez un Botrytis entophyte ou Peronospora, n’est, à certains égards, que la moindre part de la plante, c’est-à-dire un appareil secondaire de reproduction dont les fruits transparents correspondent à des conidies. Les spores ou graines proprement dites du parasite naissent sous l’épiderme de la plante hospitalière, renfermées isolément en de grands utricules, épars ou groupés, et attachés par un court funicule aux filaments du même mycelium dont procèdent les tiges aériennes et conidifères. La génération solitaire de ces spores au sein de conceptacles globuleux qui imitent ceux des Truffes, constitue pour les Peronospora un caractère qu’ils ne partagent peut-être encore avec aucun autre genre de Champignons.

» Nous avons, mon frère et moi, parfaitement constaté maintes fois, cette fructification entophyte dans plusieurs espèces de Peronospora rapportées au genre Botrytis par la plupart des auteurs, et qui déterminent toutes, soit dans les plantes sauvages, soit dans celles de nos potagers, ou chez les unes et les autres à la fois, les mêmes désordres que présente la Pomme de terre atteinte par son Peronospora… Il ne m’a point encore été donné de voir les spores endothèques de ce dernier, mais je doute à peine qu’elles aient été observées ; seulement, les descriptions et les figures, qui, si je ne me trompe, en auraient été publiées jusqu’ici, sous des noms divers, n’offrent pas entre elles un accord qui exclue toute incertitude. Quoi qu’il en soit, les Peronospora s’ajouteront désormais aux Champignons qui possèdent le plus manifestement plusieurs sortes de graines et contribueront efficacement à justifier les idées que nous avons émises sur la multiplicité des organes reproducteurs dans la grande Classe des Fungi ».

En outre des observations nouvelles consignées dans cette Note par Tulasne, il est important de remarquer ce qu’il dit au sujet d’une seconde forme de fructification qu’il avait découverte sur plusieurs espèces de Peronospora. Il ne doutait même pas, bien qu’il n’en ait pas constaté la présence sur la Pomme de terre, que le Peronospora infestans ne dût lui-même posséder cette seconde forme de fructification. Nous pouvons déjà dire qu’on n’a pu jusqu’à présent la découvrir, et pourtant, comme nous le verrons plus loin, ce ne sont point les recherches multiples des observateurs qui ont manqué. Il y avait, en effet, un grand intérêt à s’assurer si le Peronospora infestans, comme beaucoup de ses congénères, avait la faculté, au moyen d’une spore dormante, de résister aux froids de l’hiver pour reparaître au printemps, ce qui est le cas pour une autre espèce très voisine, nouvellement introduite en Europe et originaire des États-Unis, le Peronospora viticola ou Mildew. Connaître, dans les tissus de la Pomme de terre, le siège habituel de cette spore dormante et le détruire, c’était s’assurer contre le développement du Peronospora infestans, l’année suivante, et peut-être arriver à le faire disparaître complètement des cultures. On conçoit donc qu’il était important de découvrir ce second mode de fructification, et c’est ce à quoi l’on s’est en conséquence vivement et longuement appliqué, mais vainement jusqu’ici. L’exposé des derniers travaux qui ont été publiés sur ce sujet nous apprendra de quelle façon l’on a cru possible la vitalité continue du Peronospora infestans dans les tubercules du Solanum tuberosum.


Fig. 113. — Peronospora viticola de De Bary. Ramuscules qui portent les conidies ou zoosporanges, sortant par l’ouverture d’un stomate sous une feuille de vigne. (Gross. 250/1.) D’après M. Maxime Cornu.

Mais continuons à passer en revue les divers Mémoires qui ont paru successivement, après 1854, et qui traitaient de la Maladie des Pommes de terre.

En 1856, le célèbre phytotomiste, Schacht, publiait à Berlin, sous les auspices du Ministre de l’Agriculture, un très curieux mémoire, intitulé La Pomme de terre et ses maladies, accompagné de planches explicatives d’une fort belle exécution. Nous en avons, du reste, parlé dans un autre Chapitre. Mais tout en donnant de bonnes figures du Peronospora infestans et de l’altération qu’il produit sur les feuilles du Solanum tuberosum, Schacht ne découvrit pas non plus le mode de germination de ses spores ; toutefois, il les dessine avec soin et représente très nettement les filaments végétatifs du champignon dans le tissu foliaire, ainsi que la sortie par les stomates des rameaux aériens portant les spores ou conidies. Il ne s’occupe ensuite que de montrer dans les tubercules les autres Champignons déjà signalés par Harting, et de donner des conseils sur les moyens à employer pour se mettre à l’abri de la gangrène sèche et de la gangrène humide, attribuées à l’action nocive de ces Champignons et dont il a été plus haut question.

L’année suivante, en 1857, le Journal allemand de botanique Flora faisait paraître dans ses colonnes un Mémoire de Speerschneider, intitulé : Démonstration expérimentale de ce fait, que la pourriture des tubercules dans la Maladie des Pommes de terre est déterminée par la dissémination et la germination des Spores du Champignon épiphylle. D’après les expériences de l’auteur de ce Mémoire, il résulte qu’il avait inutilement essayé d’inoculer le Champignon à des tubercules dont la pelure était restée entière et bien fermée ; mais qu’il avait réussi à pratiquer cette inoculation sur d’autres tubercules, privés, en quelques points de leur surface, de leur pelure subéreuse. Dans ces premières expériences, Speerschneider s’était servi de tubercules mûrs. Sur des tubercules très jeunes, à pelure mince et délicate, l’inoculation se fit beaucoup plus facilement encore, même sans aucune blessure. Une autre expérience eut un résultat plus intéressant. De jeunes tubercules à pelure mince avaient été plantés en terre peu profondément, et la terre avait été recouverte à sa surface de feuilles de Pommes de terre couvertes de Peronospora que l’on prit soin d’arroser de temps en temps : au bout de 14 jours, presque tous les tubercules furent trouvés malades et sur quelques-uns la présence du Peronospora se manifestait à leur surface. Citons ici les conclusions fort importantes que l’auteur tire de ses expériences.

« 1o Les filaments émis par les spores en germination du Peronospora pénètrent dans le parenchyme des tubercules de la Pomme de terre. À la suite de cette pénétration, ce tissu devient malade et se détruit peu à peu. Le Champignon est donc la cause de la maladie.

» 2o Ce n’est qu’au hasard que les spores du Champignon arrivent aux tubercules ; de là il est facile de s’expliquer pourquoi les pieds de Pommes de terre, dont les fanes sont malades, peuvent porter des tubercules sains, et réciproquement.

» 3o La maladie des tubercules ne se déclare que sous l’influence de l’humidité, celle-ci étant indispensable pour la germination des spores.

» 4o Une pelure épaisse, comprenant de nombreuses assises de cellules subéreuses, empêche la pénétration des filaments émis par les spores du Champignon. Ce fait explique pourquoi la maladie s’est déclarée avec facilité principalement sur les tubercules jeunes, à pelure mince, ou en des points dénudés de leur pelure bien formée.

» 5o La maladie des tubercules doit partir toujours de la surface pour se propager ensuite de proche en proche dans l’intérieur.

» 6o Les fanes de la Pomme de terre doivent être toujours attaquées les premières par la maladie, avant que la pourriture puisse envahir les tubercules ».

Cette démonstration expérimentale venait donc confirmer tout ce qu’avait avancé Morren, qui avait douze ans auparavant tracé la seule et véritable voie à suivre, mais jusque-là bien inutilement.

En 1858, M. Von Holle publiait dans le Botanische Zeitung un autre important Mémoire, intitulé : Sur le Champignon de la Pomme de terre. Ce Mémoire est divisé en six paragraphes que nous résumerons comme il suit. I. Apparition et disparition du Champignon des Pommes de terre dans le Hanovre pendant le mois d’Août 1851. Le 4 Août 1857, après une longue sécheresse, le temps devint chaud, pluvieux et orageux : le Champignon ne tarda pas à faire son apparition. On observait, dès le 16 de ce mois, sur les tiges et les feuilles de la Pomme de terre les taches brunes qui sont l’indice le plus apparent de la maladie ; le 19, on les voyait partout aux environs de Hanovre. Le 20 Août, le temps redevint sec et chaud, et le mal s’arrêta complètement tant sur les tiges et les feuilles que sur les tubercules. Les taches des feuilles séchèrent et celles des tiges ne gagnèrent plus[28].

II. Présence du Champignon sur les fruits, la tige, les feuilles et les tubercules de la Pomme de terre. — Les taches brunes sur la tige et celles des feuilles, à leur face inférieure, dénotaient facilement la présence du Champignon, pendant le temps humide. Elles ne le montraient plus, lorsque le temps fut redevenu sec. On pouvait l’observer aussi sur les taches brunes des fruits malades. Quant aux tubercules atteints, le Champignon ne se montrait pas à leur surface.

III. Anatomie du Champignon des Pommes de terre. — L’auteur décrit ici toutes les parties constitutives du Champignon tel qu’il se montre à la face inférieure des feuilles attaquées. Les filaments végétatifs ou mycélium paraissent ne s’étendre que dans le tissu superficiel, couvert par l’épiderme. Sous les points situés près des stomates, il se forme des branches dressées, soit isolées, soit réunies, sous l’ouverture stomatique. Ces branches, pourvues à la base de renflements tubériformes, sortent par l’ostiole du stomate, et se ramifient de manière à prendre un port arborescent. D’ordinaire leur tige n’est pas cloisonnée ; mais elle l’est aussi quelquefois par l’effet de l’humidité. Leurs rameaux sont épars, au nombre de 2 ou 3, rarement 4 et davantage. Les ramifications dans le bas sont continues, mais vers le haut elles paraissent articulées, leurs renflements se raccourcissant vers leur extrémité.

IV. Développement tardif du Peronospora et sa germination. — L’auteur dit n’avoir jamais réussi à faire germer les spores du Peronospora. Malgré les nombreuses tentatives qu’il a faites sur des feuilles de Pommes de terre malades tenues humides, il n’a jamais vu sur les innombrables spores qui y étaient tombées le plus léger changement qui indiquât une germination.

V. Sur les causes de la Maladie de la Pomme de terre. — L’auteur ayant répété les expériences de Speerschneider, sans obtenir les mêmes résultats, est porté par suite à se montrer moins affirmatif que ce dernier. Il n’ose déclarer que le Champignon est la cause première de la maladie, bien qu’il semble y jouer un rôle important, car la chaleur et l’humidité, la nature du sol, la sécheresse, les fumiers, etc. peuvent agir sur la maladie pour l’arrêter ou l’aggraver.

VI. Existe-t-il des moyens pour détruire les spores du Champignon et par suite pour circonscrire la maladie.

— M. Von Holle reconnaît qu’il conviendrait d’abord d’empêcher par tous les moyens la propagation du Champignon. Mais quels moyens employer pour agir sur le sol, sur la plante, sur les tubercules ? Il s’est servi sans résultat de l’eau de chaux, d’une forte lessive de cendres de bois, et même d’une solution de potasse. Il croit qu’il serait bon de continuer des essais de ce genre.

N’est-il pas singulier de constater que jusque-là aucun expérimentateur n’ait réussi à faire germer les spores de ce Peronospora ? Dans quelles conditions pouvait donc s’effectuer cette germination ? Car, enfin, il n’y avait pas à douter que la propagation du Champignon ne pouvait avoir lieu que par ce moyen, et par quel secret la nature arrivait-elle à faire partout ce qu’il était impossible d’obtenir dans les préparations du laboratoire ? Pour comprendre la succession des faits qui devaient enfin faciliter cette découverte, il nous faut remonter à l’année 1807. Bénédict Prévost publiait alors à Montauban, un travail fort curieux surtout pour son époque, intitulé Mémoire sur la cause immédiate de la Carie ou Charbon des blés. Dans ce mémoire, l’auteur décrit la germination de la Spore d’une Rouille blanche du Pourpier (Uredo Portulacæ de De Candolle qui est devenu le Cystopus Portulacæ de Léveillé). Voici ce qu’il avait observé. « Une ou deux heures après l’immersion de cette spore, par une température de 12 à 16° Réaumur, l’extrémité la plus grosse et la plus convexe s’ouvre de manière que le tout ressemble à une bouteille dont une bonne partie du col aurait été enlevée. Bientôt on voit paraître au dehors un globule immédiatement suivi de 3, 4, 5 ou 6 autres, qui se réunissent au moment même, en un peloton, et qui se meuvent quelque temps ensemble, le peloton se balançant ou tournant horizontalement sur lui-même, ou roulant dans le liquide. Les globules se séparent ensuite pour l’ordinaire, mais quelquefois ils demeurent tous réunis… Ils ne laissent pas plus de doute sur leur nature animale que la plupart des animalcules que l’on a appelés Infusoires… Petit à petit le mouvement de ces globules se ralentit ; ils se fixent tôt ou tard à la surface de l’eau, ou au fond. Ces derniers s’affaissent et se rident… Ceux qui se fixent à la surface, prennent un peu de largeur, deviennent moins diaphanes… Ensuite ils poussent une petite tige grêle, un peu tortueuse et ondulée, articulée ou granulée, au bout de laquelle il se forme un globule un peu plus petit que l’animalcule qui a produit la tige, laquelle a alors une longueur égale à 6 ou 7 diamètres de gemme de Carie. Cette espèce de végétation animale s’arrête là, au moins pendant la température de 12 à 16 degrés où je l’ai observée ».


Fig. 114 à 120. — Cystopus candidus de Léveillé (Rouille blanche des Crucifères) : a, trois supports de conidies en chapelet (ou zoosporanges) ; b, partition du plasma dans un zoosporange ; c, sortie des zoospores, 1er  stade ; d, 2e stade ; e, deux zoospores ciliées, vues de face et de côté ; f, une zoospore, après la cessation de son mouvement dans l’eau, ayant perdu ses cils et se formant en boule ; g, germination de la zoospore devenue sphéruliforme. (Gross. 400/1.) D’après de Bary.

B. Prévost ajoute qu’il a vu sur le Chou une production à peu près semblable à celle du Pourpier, et qui lui a présenté des phénomènes peu différents. Il s’agit de la Rouille blanche des Crucifères (Uredo candida de Persoon qui est devenu le Cystopus candidus de Léveillé).

« Ses globules [Sporanges], dit Prévost, qui contiennent les animalcules deviennent dans l’eau plus généralement sphériques. Ces animalcules sont un peu plus anguleux, surtout au moment où ils se séparent. Au lieu de devenir plus grands, lorsqu’ils cessent de se mouvoir, il semble qu’ils soient alors plus petits… Les tiges qu’ils poussent sont plus recourbées et plus granuleuses ; lorsqu’elles atteignent l’air en végétant, elles se terminent par une masse allongée fort irrégulière. L’animalcule, lorsque cette espèce de végétation est avancée, n’est plus qu’un sac globuleux, si transparent qu’on l’aperçoit à peine dans l’eau. On voit à l’intérieur un globule plus distinct, beaucoup plus petit, et qui diminue à mesure que la tige prend de l’accroissement ».

Fig. 121 à 125. — Phytophtora infestans. Formation des zoospores : à gauche, partition du plasma dans deux zoosporanges ; au centre, sortie des zoospores ; à droite, deux zoospores ciliées, vues de côté et de face. (Gross. 400/1) D’après de Bary. Fig. 126 à 131. — Phytophtora infestans. Germination, dans l’eau, des zoospores. Degrés successifs du développement de filaments de mycélium. (Gross. 400/1.) D’après de Bary.

Plusieurs mycologues, et non des moins habiles dans ces expériences de germinations mycologiques, avaient essayé, mais en vain, de vérifier expérimentalement les assertions de Bénédict Prévost. Il était réservé à un savant biologiste allemand, Antoine de Bary, de réussir là où d’autres avaient échoué, et du même coup à obtenir la germination de ce même Cystopus candidus, et celle plus inattendue du Peronospora infestans. De Bary a publié ses observations, en 1860, dans les Actes de la Société naturelle de Fribourg-en-Brisgaw : elles ont été traduites dans les Annales des Sciences naturelles de la même année, sous le titre : Sur la formation de zoospores chez quelques Champignons. Dans ce mémoire, les animalcules de B. Prévost sont appelées des Zoospores (spores animées ou spores motiles), et l’ancienne spore devient un Zoosporange ou conceptable contenant les Zoospores. Voici ce que De Bary a pu constater.

« On place les zoosporanges (du Peronospora) dans une goutte d’eau sur le porte-objet du microscope et sous une lame de verre. Au bout de 3 heures quelquefois, mais plus souvent après environ 5 heures, on voit tout le contenu du zoosporange partagé par des lignes fines et transparentes en un certain nombre (9 à 16) de portions polyédriques dont chacune possède une vacuole centrale, arrondie et transparente. Bientôt après les parties du plasma les plus voisines de la papille terminale se contractent tout à coup et s’isolent de la membrane enveloppante générale, pour s’appliquer de nouveau presque aussitôt contre la papille. Celle-ci est poussée en dehors, puis devient promptement méconnaissable ; à sa place se forme dans la membrane du sporange un pertuis arrondi par lequel passent rapidement, les unes après les autres, toutes les parts plastiques emprisonnées, et chacune de celles-ci devenue libre prend aussitôt la forme d’une zoospore parfaite et commence de s’agiter. En peu d’instants toute la cavité du sporange est vide et les Zoospores sont toutes disparues du champ visuel du microscope. La Zoospore parfaite est ovale ; elle est peu aplatie d’un côté, pointue par le bout qui se dirige en avant quand elle se meut, et largement arrondie à l’extrémité opposée. Près de la pointe rostrale et immédiatement sous la surface du côté aplati existe une vacuole arrondie, des bords inférieurs de laquelle naissent en un même point deux cils inégaux, l’un, le plus court, dirigé en avant dans la marche du corpuscule, l’autre qui traîne après lui. Son mouvement dure environ une demi-heure et s’éteint dans les cercles que, avant d’entrer au repos, elle ne décrit plus qu’avec lenteur. Devenue immobile, la Zoospore prend une forme régulièrement arrondie et s’allonge par un côté en un tube-germe ténu et courbé qui, en peu d’heures, acquiert une longueur égale à 3 ou 4 fois le diamètre de la Zoospore…

» Sème-t-on les Zoosporanges sur des portions de la plante nourricière, alors si les autres circonstances sont également favorables, les Zoospores s’appliquent et se fixent sur l’épiderme de ces fragments, elles donnent leurs germes accoutumés, et ceux ci, après avoir rampé un instant au dehors, pénètrent dans les cellules épidermiques. Leur extrémité ainsi engagée acquiert aussitôt une épaisseur considérable et s’accroît ensuite en un tube qui ressemble parfaitement aux filaments du Mycélium adulte du Peronospora, et s’insinue bientôt dans les profondeurs des tissus de la plante hospitalière.

» Tous ces phénomènes s’observent parfaitement, si les Zoosporanges du Peronospora sont placés dans l’eau sur une grande plaque de verre, en même temps qu’on dépose au milieu du liquide un petit fragment bien vivant d’un turion de Pomme de terre. Dans ces circonstances on constate sans difficulté si, et à quel instant, la formation des Zoospores a lieu ; puis, lorsque après 18 heures environ on vient à enlever au fragment qui est plongé dans l’eau un lambeau de son épiderme, on y reconnaît aisément les germes pénétrant dans ses cellules. Les choses ne se passent pas autrement, mais d’une manière plus constante encore, si les Zoosporanges sont répandus sur un sol convenablement humide ; la pénétration des germes s’effectue en ce cas aussi bien dans les tiges normalement souterraines de la Pomme de terre que dans les portions enfouies de ses tiges aériennes ou foliifères…

Fig. 132 à 134. — Phytophtora infestans. À gauche, deux conidies produisant, en germant, un filament de mycélium ; à droite, une autre conidie ayant produit une conidie de seconde formation. (Gross. 400/1.) D’après de Bary. Fig. 135. — Phytophtora infestans. Deux zoospores semées sur un épiderme de tige saine de Pomme de terre et ayant développé, au bout de 17 heures, un commencement de Mycélium. (Gross. 400/1.) D’après de Bary.

» Les zoospores s’engendrent aussi bien dans l’obscurité qu’à la lumière diffuse ; elles ne se produisent pas, au contraire, ainsi que je m’en suis convaincu par mainte expérience, si le semis reçoit directement la lumière des rayons solaires, ou si, étant fait sur une lame de verre blanc, il est éclairé par la lumière que réfléchit le miroir concave du microscope. Les semis, préparés dans ces dernières conditions, bien que protégés contre la dessiccation, ne donnent jamais de zoospores. Place-t-on, au contraire, ces mêmes semis sous une cloche noircie, les zoospores se produisent en abondance…

» Enfin, il y a un autre mode de germination qu’offrent les conidies du P. infestans, et qui consiste en ce que la conidie émet de son sommet un tube-germe simple ou ramifié. Je ne peux pas indiquer les conditions qui déterminent cette germination, car elle se rencontre quelquefois sur des semis dans lesquels la plupart des conidies fournissent des zoospores. Cette circonstance, cependant, me paraît prouver que ce n’est qu’un état particulier et en quelque sorte anormal des conidies elles-mêmes qui couvre le phénomène en question ».

Relativement à ce dernier mode de germination signalé par cet habile observateur, il convient de faire remarquer que c’est le mode le plus habituel de germination que l’on voit les conidies ou spores manifester. C’est dans tous les cas le mode germinatif de presque toutes les autres Péronosporées et qui n’exige que l’action de l’air humide pour se produire. Le Peronospora infestans a donc deux moyens de propagation, soit par l’humidité de l’air seule, soit plus ordinairement au moyen de l’eau.

Quoi qu’il en soit, on peut conclure de ces importantes constatations que l’eau est nécessaire à la production de ces zoospores-germes, qu’elles peuvent pénétrer dans le sol pour infecter les parties souterraines de la plante nourricière, enfin qu’elles peuvent surtout la nuit pénétrer dans les tiges et les tissus foliaires.

Dans un opuscule qu’il publia à Leipzig, en 1861, De Bary ajouta à ces observations des détails très circonstanciés soit historiques, soit biologiques. Cet opuscule est intitulé : La maladie actuelle des Pommes de terre, ce qui la cause et ce qui peut la prévenir. Nous trouvons dans la suite des travaux de cet habile observateur des résultats plus nouveaux à signaler.

Ainsi, en 1863, les Annales des Sciences naturelles publièrent un grand Mémoire d’une importance capitale pour l’étude des Peronospora, dans lequel De Bary traite non seulement d’une manière complète de plusieurs groupes de Champignons entophytes, mais crée la famille des Péronosporées dont il donne la diagnose et la description complète des espèces connues jusqu’à lui. Ce mémoire est intitulé : Recherches sur le développement de quelques Champignons parasites. Nous en citerons ici quelques extraits qui se rapportent plus spécialement au Peronospora infestans.

« Ayant semé, dit De Bary, le P. infestans sur la Douce-amère (Solanum Dulcamara), je vis le mycélium s’étendre dans le parenchyme, mais les rameaux conidifères ne vinrent que rarement et furent très ténus et très pauvres. Sur la Morelle noire (Solanum nigrum), je n’obtins pas de zoosporanges du tout, quoique le mycélium du parasite eût pris possession du parenchyme des feuilles…

» Les tubercules malades de la Pomme de terre contiennent toujours le mycélium du Peronospora infestans, qui n’y fructifie jamais tant que la pelure du tubercule est intacte. Mais quand, en coupant le tubercule, on expose le parenchyme occupé par le mycélium au contact de l’air, il se recouvre de rameaux conidifères au bout de 24 à 48 heures. Des résultats analogues s’obtiennent avec les tiges de la Pomme de terre…

» Les conidies (ou zoosporanges) possèdent la faculté de germer dès le moment de leur maturation. Plus elles sont jeunes, plus elles germent promptement. Elles peuvent conserver la faculté de germer pendant quelques jours ou pendant quelques semaines, quand elles ne sont pas entièrement desséchées. J’ai vu des conidies du P. infestans produire des zoospores environ trois semaines après leur maturation ; elles avaient été conservées sur les feuilles de la plante hospitalière qui ne se desséchaient que lentement.

» Le 9 Février, à cinq heures du soir, des conidies furent semées dans de l’eau répandue sur des lames de verre. On y mit des tiges coupées de Pomme de terre et on les plaça dans une chambre chauffée. À sept heures quinze minutes, les zoospores étaient développées, et avaient poussé des tubes. Le matin du 10 Février, on les trouva pénétrées dans le tissu de la Pomme de terre ; le 11 Février, le mycélium était répandu abondamment dans les canaux intercellulaires du parenchyme : on l’y trouve à une profondeur de six couches de cellules. Le 14 Février, le mycélium a parcouru le parenchyme entier ; de nombreux rameaux conidifères s’élèvent à la surface. Beaucoup d’expériences semblables ont donné le même résultat. Je n’en citerai que deux. Des sporanges, semés à midi, émettent les zoospores à une heure. À trois heures, on voit celles-ci fixées sur l’épiderme et les tubes-germes déjà enfoncés dans la paroi des cellules. Le 4 Février, on sema des conidies sur des feuilles de Pomme de terre. Le 5, la pénétration des germes est accomplie ; le 8, l’une des feuilles ensemencées offre l’éruption des rameaux fertiles ; le 9, ceux-ci paraissent sur les autres feuilles…


Fig. 136. — Phytophtora infestans. Ramuscule à conidies sortant d’un morceau de Pomme de terre malade, conservé sous cloche pendant 30 heures. (Gross. 200/1). D’après de Bary.

» Le Peronospora infestans est également vivace au moyen du mycélium contenu dans le tissu des tubercules malades. Quand, au printemps, une Pomme de terre malade pousse des tiges, le mycélium monte dans celles-ci et se trahit bientôt par des taches noirâtres, qui, isolées d’abord, s’étendent bientôt sur la surface entière de la pousse. La longueur des pousses occupées par le parasite, que j’ai obtenues en cultivant des Pommes de terre malades, ne dépassait pas 8 à 12 centimètres. Cependant, je crois que, dans des conditions favorables, elles peuvent s’allonger davantage. Quoi qu’il en soit, le parasite peut fructifier abondamment sur ces petites tigelles, et, par conséquent, se propager dans la nouvelle saison par des conidies provenant du mycélium vivace. La faculté du mycélium d’être vivace explique donc comment le Peronospora qui en est doué peut revenir au printemps ou en été, quand même ses organes reproducteurs sont incapables de vivre pendant l’hiver…

» Quand on sème le Peronospora infestans sur des feuilles saines de Pommes de terre, les germes entrent au travers de l’épiderme, le mycélium se répand dans le tissu du point ensemencé, et, au bout de quelques jours, il y produit des fruits. Le tissu envahi par le parasite conserve d’abord son vert gris, plus tard il devient un peu jaunâtre ; quand les conidies ont atteint leur maturité, le tissu se teint en vert sale, se ramollit, puis prend une couleur noirâtre et se dessèche ou se pourrit. La tache noirâtre est ainsi formée. Les tubes du mycélium qui y sont contenus meurent avec l’altération signalée du parenchyme ; mais ceux qui, dans la périphérie de la tache, touchent le parenchyme sain, s’étendent dans celui-ci pour lui faire subir les mêmes altérations qui viennent d’être indiquées. C’est ainsi que le mycélium prend un développement centrifuge, et que ce développement détermine une extension pareille des taches noirâtres. Quand on examine des fanes prises d’un champ quelconque, on y trouve toujours le même développement du parasite et la même extension des taches. Toujours le mycélium occupe d’abord le tissu vert et sain, qui, la fructification du parasite étant achevée, se ramollit et brunit. On ne peut donc pas douter que les taches des feuilles ne soient produites par le parasite qui y est entré. Et quant à la propagation rapide de la maladie, elle s’explique d’elle-même par la grande quantité de sporanges que le parasite produit et par la rapidité de son développement, ainsi qu’il a été dit plus haut… Il est vrai que les sporanges et les zoospores du parasite ont besoin d’eau pour prendre leur développement normal ; mais ces résultats de l’expérience s’accordent très bien avec ce qu’on observe dans les grandes cultures, où les progrès de la maladie sont toujours d’autant plus rapides que le temps et l’exposition du champ favorisent mieux les précipitations aqueuses de l’atmosphère, tandis que la sécheresse arrête le développement du parasite et les progrès de la maladie….

» Le Peronospora détermine immédiatement la maladie des tubercules aussi bien que celle des fanes, et cette supposition est parfaitement prouvée par l’expérience. Quand on sème le Peronospora sur un tubercule sain, on voit les germes du parasite pénétrer dans les cellules superficielles, se répandre dans le parenchyme périphérique, et produire les mêmes altérations qu’on observe sur les tubercules retirés du sol d’un champ…

» Comment le mycélium du parasite peut-il parvenir aux tubercules dans les cultures ordinaires de la Pomme de terre ? Il n’y a pas de doute que cela peut avoir lieu à l’aide des sporanges. Quand on place des tubercules sains dans du terreau, à une profondeur de 1 à 2 centimètres ou de 1 décimètre et davantage, et quand on sème des conidies du Peronospora à la surface du terreau arrosé de temps en temps, on voit, au bout de 8 à 10 jours, les tubercules atteints de la maladie. Celle-ci commence dans le tubercule du côté qui est tourné vers le sol. Elle offre tous les symptômes qui viennent d’être exposés. Il n’est pas nécessaire, dans ces expériences, d’humecter le terreau excessivement ; un arrosement modéré suffit. Quand on examine le terreau qui sert à l’expérience, ou le sol d’un champ dont les fanes sont envahies par le Peronospora, on trouve aisément les conidies à une profondeur considérable. Ces faits prouvent donc que les conidies sont amenées aux tubercules par l’eau qui pénètre dans le sol, que ce liquide détermine le développement des spores et des germes dans le sol même, et que ceux-ci envahissent les tubercules pour y produire les altérations connues ».

Il pouvait sembler, après la lecture de cette savante description de la Maladie, que son histoire était bien connue. Mais un nouveau débat devait surgir peu d’années après, au sujet des spores dormantes ou fructifications conservatrices du germe du Peronospora, que De Bary n’avait pas signalées sur le P. infestans, alors qu’il les avait, après Tulasne, observées sur presque toutes les espèces des Péronosporées. Le 22 Juillet 1875, dans le Journal Nature, M. Worthington Smith publiait une Note de laquelle il résultait qu’il avait réussi à découvrir ces spores dormantes, dans des tissus de la Pomme de terre altérés par la Maladie et conservés en macération pendant une année entière. Plusieurs mycologues anglais avaient répété les expériences de M. Worthington Smith et avaient été de son avis. Des dessins très nets furent publiés par l’auteur de la découverte dans le Gardener’s Chronicle, et des discussions assez vives s’engagèrent à cette occasion à la Société Linnéenne de Londres, lesquelles furent en partie favorables à M. Worthington Smith. Ce serait sortir de notre sujet que de reproduire les débats de cette polémique, et même de faire connaître ici les résultats des observations purement mycologiques de cette découverte, d’autant plus qu’il fut reconnu par la suite que les spores dormantes en question, attribuées du Peronospora infestans, n’étaient en somme que des fructifications normales d’une tout autre espèce de Champignon. Mais De Bary, en prenant une part active au débat, fut amené à publier en 1876 un fort intéressant Mémoire dans le Journal de la Société royale d’Agriculture de Londres. Nous laisserons de côté tout ce qui, dans ce Mémoire, se rapporte à la réfutation du travail de M. Worthington Smith[29], pour en extraire certains passages qui viendront compléter ceux que nous avons cités plus haut du Mémoire de De Bary, paru en 1863. Nous ajouterons que, d’après une étude nouvelle du Peronospora infestans. De Bary avait reconnu que cette espèce présentait un caractère particulier qui ne se rencontrait pas sur les autres espèces de Peronospora. Il s’agissait du mode de formation des conidies ou sporanges à l’extrémité des rameaux fructifères de l’appareil reproducteur, lesquels montrent en effet une sorte de renflement allongé, qui est étranglé près du rameau, et se termine par le sporange. Cette production, préalable à la formation de ce dernier, a paru à De Bary avoir une assez grande importance dans la Classification des Péronosporées pour motiver la création d’un nouveau genre, qu’il a appelé le genre Phytophtora, On ne sera donc pas surpris de lui voir désormais désigner le Champignon parasite de la Pomme de terre sous le nom de Phytophtora infestans. De plus, l’étude de la formation des spores dormantes ou secondes fructifications des Péronosporées avait fait de nouveaux progrès. On avait reconnu que les conceptacles globuleux, signalés par Tulasne, n’était rien autre qu’une utricule sphérique femelle, que le filament végétatif qui lui donnait naissance émettait une autre branche plus ou moins claviforme qui venait y adhérer, et que ce renflement claviforme constituait une anthéridie, dont le contenu représentant l’élément mâle venait en se déversant dans celui de l’utricule femelle produire une fécondation. Le résultat de cette fécondation était la formation d’un corps sphérique plus ou moins verruqueux, à membrane épaisse » pouvant par suite résister aux intempéries de l’hiver pour en laisser sortir au printemps le germe ainsi conservé. C’était, autrement dit, un véritable œuf. On a, par suite, appelé oogone, organe de formation de l’œuf, l’utricule femelle, et oospore, l’œuf fécondé jouant le rôle de spore dormante jusqu’au réveil du printemps. C’étaient des oogones, renfermant des oospores, que M. Worthington Smith avait cru avoir découverts dans les tissus de la Pomme de terre malade, et qu’il avait rattachés au Peronospora infestans, alors que ces organes appartenaient à une autre espèce de Champignon. Ces explications feront mieux comprendre les passages suivants du Mémoire de De Bary, de 1876, que nous traduisons en ces termes.

«… Il est évident que nous ne sommes pas beaucoup plus avancés aujourd’hui que nous ne l’étions, il y a quinze ans, dans la connaissance de l’histoire mycologique du parasite de la Pomme de terre. Les corps verruqueux en question pourraient-ils être ses oospores ? En vérité, leur apparition dans les tissus de la Pomme de terre en Europe serait si extraordinairement rare, qu’on pourrait se demander si elles ne se rencontreraient pas plus fréquemment sur d’autres plantes nourricières que la Pomme de terre, ou bien si cela n’a pas lieu dans d’autres climats que le nôtre. Il ne serait pas impossible, en effet, que le fait eût lieu dans d’autres contrées ou sur d’autres espèces, et ce que nous savons d’après d’autres Champignons pourraient même rendre cela probable. Mais en posant ces questions, je sors du domaine de la morphologie pour étudier les phénomènes de l’adaptation.

» Si l’on me demandait quelle pourrait être cette plante hospitalière, il me serait aussi peu permis de le dire maintenant qu’il y a quinze ans. On a observé le parasite de la Pomme de terre sur d’autres espèces de la famille des Solanées qui croissent dans les jardins, mais sans que celles-ci présentent des particularités différentes de celles qui se montrent sur la Pomme de terre ; de plus, le parasite s’y observe moins fréquemment. Sur le Solanum Dulcamara ou Douce-Amère, il ne croît que dans une condition famélique, et on ne l’a pas encore remarqué sur d’autres espèces indigènes. Berkeley a signalé ce fait que le Phytophtora infestans se rencontrait sur l’Anthoceris viscosa, une plante de la Nouvelle-Hollande qui appartient à la famille des Scrophulariacées, très voisine de celle des Solanées. En s’appuyant sur cette observation, on pourrait se demander si la plante, sur laquelle le parasite de la Pomme de terre formerait ses oospores, ne serait pas une de nos Scrophulariacées européennes, une des herbes sauvages de nos champs, telles qu’une Véronique ou une Linaire. Les recherches spéciales qui ont été faites à ce sujet, pas plus que l’examen et la comparaison de tous les nombreux échantillons mycologiques recueillis, depuis longtemps, n’ont jamais abouti qu’à un résultat purement négatif. Le Phytophtora n’a été observé sur aucune espèce indigène de Scrophulariacées.

» Toutefois, je puis ajouter ici que j’ai trouvé, cette année, le parasite de la Pomme de terre sur une espèce exotique de cette famille, le Schizanthus Grahami, sur lequel, si je ne me trompe, il n’avait pas encore été observé jusqu’ici. Il s’est montré sur cette plante ornementale, dans un jardin près de Strasbourg, appartenant au Dr  Stahl, vers la fin de Juillet, alors que les champs de Pomme de terre étaient excessivement attaqués par le parasite. On remarquait, sur cette plante, les mêmes phénomènes de destruction des tiges, des feuilles, des bourgeons ; le développement du Champignon y était extraordinairement luxuriant. Mais là, non plus, on ne découvrit point d’oogones. Cet exemple, de quelque valeur qu’il soit, nous fait connaître une nouvelle plante hospitalière pour le Phytophtora, et nous indique en même temps la possibilité de retrouver d’autres espèces sur lesquelles il pourrait vivre tout aussi bien, et même former des oospores. Le fait que le Schizanthus Grahami est une plante chilienne, et par suite indigène dans la même région que le Solanum tuberosum et ses espèces affines, peut en lui-même ne pas être de grande importance ; toujours est-il qu’il y avait lieu de le signaler[30].

» Il n’est peut-être pas non plus très improbable que les oospores du Phytophtora, dans un climat différent de celui de l’Europe centrale, puissent être observées sur des plantes nourricières qui ne les produiraient pas chez nous. Il conviendrait, étant donné cette supposition, de faire de nouvelles recherches dans la patrie même de la Pomme de terre. Mais en attendant, nous ne pouvons émettre sur ce sujet que de pures idées spéculatives.

» Dans une publication précédente, j’ai peut-être été le premier à appeler l’attention d’une manière spéciale sur ce fait que le mycélium du Phytophtora, de même que celui d’autres parasites vivant sur certaines plantes vivaces, pouvait être vivace lui-même dans les parties survivantes de la plante hospitalière, c’est-à-dire pour la Pomme de terre, dans ses tubercules. J’ai plusieurs fois parlé de ce fait qui se prouve facilement par des expériences fort simples et bien connues ; je n’en dirai donc ici que quelques mots.

» Sur de grandes quantités de Pommes de terre, on n’en trouve très souvent que quelques-unes qui soient malades, je veux dire renferment le mycélium vivant du Phytophtora. Il n’y a pas lieu ici de discuter sur la préexistence du Champignon dans le champ où l’on aurait planté de ces tubercules malades. Je ne dis pas que ceci ne peut pas arriver assez souvent ; mais, dans le cas même où il n’en serait pas ainsi, le Champignon pourrait encore, sans qu’on le sût, se trouver dans les champs conservé dans des tubercules malades, parce que, comme je l’ai déjà dit, le mycélium forme directement dans le tubercule des sporanges lorsqu’il est placé dans une atmosphère humide, et cette condition se trouve remplie pendant la température ordinaire du printemps. Ce fait se vérifie aisément sur des sections fraîches ou sur des parties blessées d’un tubercule malade. Dans les celliers humides, les filaments qui développent les sporanges peuvent se frayer un chemin à travers la pelure restée entière, et en particulier par les yeux. Il suffit que cette éruption se produise sur une seule Pomme de terre, dans le cellier ou dans le magasin, pour que les sporanges une fois produits tombent sur d’autres Pommes de terre et y demeurent adhérents. Si donc l’on plantait dans le sol ces tubercules tout à fait sains, les sporanges produiraient leurs germes, ceux-ci pénétreraient dans quelques-uns de ces tubercules, et le mycélium se développerait lui-même dans leur intérieur. On en a la preuve au moyen d’expériences fort simples et depuis longtemps bien connues.

» C’est ainsi que le Champignon vivant qui a survécu l’hiver a deux voies à suivre pour se développer, et qu’il peut se trouver dans les champs, avec la semence. La dernière que nous venons d’indiquer est peut-être la plus ordinaire ; en tous cas, c’est la plus à redouter, parce que, malgré le plus grand soin qu’on peut apporter dans le choix de la semence, on ne peut avoir la certitude d’avoir évité les germes de la maladie.

» Dans les deux cas, le Champignon est placé dans la terre avec le tubercule, et là il ne peut plus le quitter : le Champignon doit cesser de vivre et se détruire dans et avec le tubercule, à moins qu’il n’ait réussi à monter dans la tige jusqu’au feuillage et à attaquer celui-ci…

» J’ai déjà appelé l’attention sur cet autre fait que les tubercules renfermant le Phytophtora, lorsqu’ils germent, émettent assez souvent des pousses dans lesquelles passe le Champignon en sortant du tubercule. Dans ce cas, le Champignon, d’une croissance assez lente, finit par tuer les pousses qui, du reste, pour la plupart, dénotent toujours qu’elles se trouvent dans un état maladif. Or, ces mêmes tubercules, comme on le sait, peuvent également émettre des pousses saines. J’ai fait connaître de plus que, dans des circonstances spéciales, le Champignon dans ces pousses malades peut développer des sporanges qui deviennent ultérieurement des centres d’infection de la maladie. Et ceci ne résulte pas de simples conjectures, mais de faits réels constatés dans des expériences. Cependant, ces observations n’avaient pas été faites dans les champs, en plein air, mais dans le laboratoire, et je n’avais pas pu les confirmer, pas plus qu’elles ne l’avaient été par d’autres, en plein air, dans les champs. La question était donc de savoir si ces résultats ne pouvaient être obtenus qu’artificiellement, ou bien s’il était possible de les constater réellement enr plein champ, question qui ne devait se résoudre que par expérience. En conséquence, en 1874, en poursuivant les recherches que j’avais entreprises à l’instigation du Conseil de la Société royale d’Agriculture de Londres, j’ai expérimenté dans le jardin. Une Pomme de terre, avec une pousse assez bien développée et contenant le Phytophtora, y fut plantée au milieu d’autres Pommes de terre qui présentaient un feuillage vigoureux et sain. La pousse malade était décolorée en de certaines places le long de la tige, mais elle n’en continua pas moins à croître pendant quelque temps ; les parties brunes périrent peu à peu et graduellement, et se desséchèrent complètement ; mais l’infection ne se propagea pas sur les plantes voisines, qui demeurèrent saines pendant tout l’été, bien que plusieurs tiges saines se fussent trouvées en contact direct avec la pousse malade. L’examen microscopique fit voir que cette pousse malade contenait cependant le Phytophtora : placée dans un air humide sous une cloche de verre, elle développa des sporanges, alors qu’en plein air on n’en avait observé aucun. Et pourtant, durant cette expérience, le temps ne fut pas trop sec.

» Ce résultat négatif ne laissa pas que de me faire douter de la valeur de ma première assertion, et je fis part de ce doute à M. Jenkins, secrétaire de la Société.

» Toutefois, cet insuccès dans une expérience si délicate ne pouvait servir de base pour juger définitivement la question. Je me décidai, en conséquence, à répéter l’expérience, cette année (1875). Dans le mois de mars, cinquante Pommes de terre saines environ furent inoculées sur les yeux avec des sporanges frais. Aucune preuve certaine ne permit de constater si l’infection avait eu lieu : le résultat final montra toutefois qu’elle avait réussi dans beaucoup de cas, mais non dans tous. Le 2 avril, on planta les tubercules dans de la terre ordinaire de jardin, disposée dans un châssis ouvert à l’air, c’est-à-dire dans une sorte de jardin minuscule qui, pour la facilité des soins à lui donner, se trouvait ainsi clôturé. Les tubercules émirent des pousses d’une manière normale ; certains mêmes, reconnus pour être malades, produisirent sans aucun doute un feuillage sain. L’un d’eux, un Kidney rouge, se distinguait particulièrement des autres, car les six pousses qu’il avait émises au-dessus du sol restaient dans un état pitoyable. Le 12 mai, ces pousses avaient bruni : je coupais l’une d’elles et l’examen microscopique me permit de constater qu’il renfermait le champignon vivant ; du reste, la présence du parasite dans le tubercule se trouva aussi confirmée plus tard. Les cinq autres pousses furent conservées telles quelles : elles ne manifestèrent aucun changement jusqu’au 17 mai, sans qu’il y eût apparition de sporanges. La nuit suivante, il tomba une pluie chaude : dès le matin du 18, les tiges et les pétioles des feuilles des cinq pousses étaient abondamment couverts de filaments portant des sporanges mûrs. Sur le feuillage sain des autres pieds de Pommes de terre, on ne vit pas trace du Champignon jusqu’au 20 mai ; mais le lendemain, au matin, deux folioles d’une feuille qui se trouvait à l’extrémité d’une branche, près des cinq pousses malades, présentaient les taches caractéristiques du Phytophtora, et sur la face inférieure de ces folioles, aux endroits mêmes où se trouvaient ces taches, il se produisit des sporanges. Aucun autre indice de la Maladie n’était visible à l’œil nu. À partir du 25 mai, les taches révélatrices du Champignon se montraient en très grand nombre et çà et là sans ordre sur les tiges, les pétioles et les feuilles de toutes les plantes. Vers le même temps, plusieurs tubercules malades émirent également de jeunes pousses, dans lesquelles monta le mycélium du Champignon : toutefois on ne put en suivre ultérieurement le développement, parce qu’alors la Maladie avait fait partout de grands progrès. Certaines pousses étaient encore complètement saines à la base : ils n’avaient donc pu recevoir l’infection de leurs tubercules, et cette infection n’avait pu se produire qu’au moyen des sporanges développés sur les cinq pousses malades. Pour éclaircir tous les doutes sur ce point, on arracha entièrement plusieurs tiges et on les examina attentivement dans toutes leurs parties. Deux Kidney rouge avaient leur tubercule-mère encore turgescent et libre de toute atteinte du Champignon ; la base des tiges l’était également, tandis que sur leur partie supérieure on voyait les taches du Phytophtora apparaître en très grand nombre. Depuis lors jusqu’à la fin de Mai, il n’y eut rien de remarquable dans le temps ; il était, en général, modérément humide. La période pluvieuse, sous l’influence de laquelle les champs ont ici tant souffert du Phytophtora, ne vint que beaucoup plus tard. Or, au moment où cette expérience était terminée, je n’ai pu, dans de nombreuses excursions faites spécialement en vue de constater la présence du Phytophtora dans les champs, en découvrir la moindre trace. Le jardin dans lequel avait été faite l’expérience était situé dans la ville, loin des champs : c’était dans l’espoir qu’elle ne contribuerait pas à étendre l’infection jusque dans les cultures.

» Les résultats que je viens de faire connaître, ayant été constatés avec soin, le problème en question me semble aussi bien que possible résolu ; c’est-à-dire que j’ai montré que les oospores n’ont pas été découvertes dans toute la région, et que le mycélium vivace doit faire écarter toute idée de la nécessité de l’hivernage, qui est propre aux oospores chez d’autres espèces.

» Je puis en peu de mots appeler l’attention sur ce fait, que les phénomènes généralement connus et connexes à la présence du Champignon, correspondent parfaitement avec les résultats auxquels je suis arrivé. Ceci peut ne pas paraître très net à première vue : en effet, tandis que la première infection des plantes, dans les cultures, a lieu, comme nous le voyons, au printemps, la présence du Phytophtora n’est bien visible qu’en Juillet. Mais il faut se dire que, dans la vaste étendue des champs, il peut n’y avoir qu’un fort petit nombre de foyers originels d’infection, puisqu’il y a comparativement peu de Pommes de terre malades de plantées, et que, de plus, nombre de tubercules malades, qui ont été plantés en même temps, peuvent rester en dehors de l’envahissement du Champignon qui ne développe alors de sporanges, ni sur eux, ni sur leurs pousses. Il faut évidemment une très grande quantité de sporanges pour permettre au parasite de se répandre sur de très grandes surfaces. Il ne s’en produit d’abord qu’un nombre relativement petit dans le premier foyer d’infection. Il en résulte que la première apparition du Champignon et la production de foyers secondaires d’infection peuvent se faire lentement et sont difficiles à observer. Ce qui revient à dire que le Phytophtora a besoin d’un certain temps pour développer la quantité de sporanges reproducteurs qui est nécessaire pour infecter de grands espaces. S’il n’en était pas ainsi, la Pomme de terre, dans les terrains humides ou dans les années pluvieuses, aurait été attaquée au printemps et serait morte. Il n’est peut-être pas superflu de dire aussi que le cas serait presque le même, si le Champignon avait pu hiverner au moyen d’oospores qui auraient germé au printemps. Si bien, qu’en supposant que leur présence fût rare, l’état de choses actuel ne se modifierait pas ; si, au contraire, elles se montraient très fréquemment, une attaque générale et immédiate de la Maladie au printemps deviendrait inévitable.

» Je n’ai plus à ajouter à ce que je viens de dire, que de faire remarquer que la végétation du Phytophtora est connue pour être grandement hâtée et accrue par l’humidité, et d’un autre côté pour être retardée par la sécheresse. C’est une règle, cependant, que la période de sa première apparition soit suivie par la saison sèche de l’été. La période de sa grande extension coïncide ordinairement avec les premières pluies de l’automne, ou bien, comme on pouvait le voir ici en 1875, avec une saison humide au milieu de l’été. Dans certaines localités, on constate même que les Pommes de terre sont infectées beaucoup plus tôt, comme dans les vallées des régions montagneuses, où il y a régulièrement d’abondantes rosées et d’incessantes ondées. En conclusion, je crois que l’on devra aussi porter l’attention sur les rapports étroits qui peuvent exister entre les phénomènes en question et ce fait que la Pomme de terre, dans ses divers états de développement, fournit un substratum varié pour nourrir le Champignon. Je considère comme probable que le Phytophtora croît plus aisément sur une plante adulte que sur de jeunes tiges et de jeunes feuilles. Il serait intéressant, mais difficile, de l’établir clairement par expérience. C’est une question, toutefois, qui me conduirait au-delà des limites de la tâche que je m’étais imposée ici ».

Ces belles recherches et ces curieuses expériences de De Bary ont eu pour résultat de nous faire connaître pour ainsi dire complètement l’histoire du Champignon parasite de la Pomme de terre. Peut-être cet habile observateur eut-il pu nous expliquer dans quel état particulier doit vivre le mycélium vivace de son Phytophtora, lorsqu’il végète l’hiver dans les tissus du tubercule de la Pomme de terre sans les détruire complètement, car ce mode de vivre ne lui est pas habituel, et le doute que l’on pouvait avoir sur cet état de repos inconnu avait excité les mycologues à en découvrir les oospores.

D’un autre côté, les causes de la Maladie étant connues, il restait à trouver les moyens de la combattre, ou plutôt de prévenir autant que possible les attaques du Phytophtora. Le procédé le plus simple consista à cultiver des variétés de Pommes de terre précoces, c’est-à-dire dont la récolte pouvait être faite en Juillet ou en Août avant la grande apparition du parasite. Mais ce procédé ne pouvait guère convenir que pour des variétés horticoles. Les variétés à grand rendement, recherchées par l’Agriculture et l’Industrie, ont besoin de plus de temps pour mûrir leurs gros tubercules, et les récoltes ne peuvent s’en faire utilement avant les mois de Septembre et d’Octobre. Il fallait donc tenter de combattre le parasite, d’en prévenir le développement.

Dans un Mémoire qui a pour titre : Moyens de combattre et de détruire le Peronospora de la Pomme de terre, et qui a été publié par la Société d’Agriculture de France en 1887, un agronome danois, M. Jensen, fit connaître divers moyens d’arrêter les ravages de la Maladie. S’inspirant des travaux de De Bary, il chercha d’abord à empêcher les sporanges du Phytophtora infestans de pénétrer dans le sol jusqu’aux tubercules. Il constata que, dans une terre forte, sur 100 000 sporanges, 600 ne pénétraient que jusqu’à 5 centimètres, et qu’aucun ne dépassait 15 centimètres. Il proposa donc de protéger les plants de Pommes de terre au moyen d’un buttage de protection, c’est-à-dire en recouvrant les pieds avec une couche de terre d’environ 12 à 15 centimètres d’épaisseur. Des expériences pratiques, faites dans les champs, en attestèrent les très bons résultats, et prouvèrent que ce buttage ne nuit pas au rendement. M. Jensen conseilla de pratiquer le buttage dont il s’agit avec inclinaison des fanes d’un seul côté, plutôt que de le faire sur les deux côtés, sans inclinaison de fanes, ce qui laisserait les tiges dressées. S’occupant des soins donnés à l’arrachage, M. Jensen, dans le but de faire perdre aux sporanges qui restent sur les feuilles toute leur vitalité, donna aussi le conseil de n’arracher que deux semaines environ après que les fanes ont séché, et de ne le faire que par un temps sec et plus spécialement dans l’après-midi. Cet agronome fit en outre quelques expériences pour arriver à connaître l’influence exercée par diverses températures sur le développement du Phytophtora. Il reconnut ainsi que les sporanges en étaient tués en général par une température de 25° C, et sans exception par celle de 40° C, agissant sur eux pendant deux heures ; enfin qu’il ne se produit pas de sporanges à une température de 5° C et au dessous. Quant au mycélium, il était tué dans les tubercules malades qui restaient exposés pendant quatre heures à une température de 40° C, laquelle ne nuit en aucune façon à leur propre faculté germinative. M. Jensen recommanda, par suite, de désinfecter par ce procédé les tubercules de semence, et montra par des expériences comparatives que cette désinfection pouvait être complète, que le nombre des pousses produites par les tubercules désinfectés était égal, sinon supérieur à celui des pousses des tubercules non désinfectés, et qu’enfin les tubercules chauffés étaient ceux qui poussaient le plus rapidement. Ainsi, d’après l’agronome danois, grâce à l’emploi du buttage de protection, à l’arrachage tardif, à un emmagasinage convenable, on obtiendrait une bonne conservation des Pommes de terre, et par la désinfection on réussirait à ne plus voir les tubercules développer le parasite. « Mais rappelons-nous, dit M. Jensen, qu’à l’arrachage, en automne, on laisse toujours dans la terre, par mégarde ou par négligence, quelques tubercules parmi lesquels il restera certainement quelques malades, et ces malades formeront de nouveaux foyers d’infection. D’ailleurs, la maladie pourrait être introduite par les pays voisins. Nous ne saurions donc compter sur l’anéantissement complet du mal, même si la désinfection était pratiquée d’une façon absolue et générale ».

Soit que les procédés de M. Jensen aient paru peu réalisables ou coûteux, ils ne furent guère mis en pratique par les cultivateurs, qui, du reste, n’aiment pas les innovations utiles, qu’on leur conseille d’introduire dans leurs cultures. Puis bientôt, on chercha à se mettre à l’abri des premières attaques du Phytophtora. On fit d’abord divers essais avec différents produits chimiques, dont les résultats furent presque insignifiants. Mais un autre parasite, très redouté sur la vigne, le Peronospora viticola qui cause le Mildew avait été arrêté dans son extension par l’emploi d’un mélange de chaux et de sulfate de cuivre. C’était presque, si l’on se le rappelle, le procédé chimique conseillé jadis par Charles Morren. Ce mélange employé soit à sec, soit délayé dans une certaine quantité d’eau, et connu sous le nom de bouillie bordelaise, produisit de très bons effets préventifs contre les attaques du Mildew. Mais la substance agissante, dans le mélange, fut reconnue comme étant surtout le sulfate de cuivre, à ce point que des échalas, badigeonnés avec des solutions du sulfate seul, produisirent une sorte de protection, sur les ceps qui les entouraient, contre les attaques du Peronospora viticola.

Le 20 Août 1888, M. Prillieux faisait part à l’Académie des sciences des observations suivantes. « Depuis que l’on a bien constaté l’efficacité des traitements au cuivre pour arrêter le développement du Peronospora de la Vigne, on a pensé que les mêmes remèdes pourraient probablement être utilisés pour combattre la maladie de la Pomme de terre. Dès 1885, M. Jouet employait la bouillie bordelaise au traitement des Tomates malades qui sont, on le sait, attaquées par le même Peronospora que la Pomme de terre… Aujourd’hui ce remède est d’un usage général dans les grandes cultures de Tomates du Midi. Quant au traitement de la Maladie de la Pomme de terre, je ne connais pas encore d’expérience précise. À plusieurs reprises on a fait quelques essais et l’on a pu citer des faits tendant à établir l’efficacité des sels de cuivre, mais les conditions des expériences n’avaient pas été déterminées de façon à leur donner une valeur certaine… Cette année, la Maladie de la Pomme de terre s’est développée dans les champs de l’Institut agronomique, à Joinville-le-Pont. Dès que j’en ai constaté l’apparition, j’ai résolu de profiter de l’occasion pour étudier dans une expérience en petit, mais faite avec précision et dans des conditions exactement déterminées, l’action de la bouillie bordelaise sur la Pomme de terre malade. Le traitement fut fait le 5 Août, sur des pieds d’une variété hâtive, la Quarantaine des Halles ; le mal était tout à fait à son début et cependant les taches noires apparaisaient déjà nombreuses sur les feuilles : 9 pieds furent traités avec de la bouillie bordelaise contenant, pour 100 d’eau, 6 de sulfate de cuivre et 6 de chaux. Le liquide fut répandu avec grand soin à l’aide d’un pulvérisateur, de façon à mouiller toutes les feuilles ; 6 pieds voisins furent réservés pour servir de témoins. L’arrachage des Pommes de terre eut lieu le 10 août. L’examen attentif des tubercules à leur sortie de terre a donné les résultats suivants :

Nombre de pieds : Nombre de tubercules :
Récoltés. Malades. Malades p. 100
9 pieds traités 115 0 0
6 pieds non traités 53 17 32,07

… Bien que restreinte à un petit nombre de pieds, cette expérience me semble tout à fait démonstrative. Elle devra encourager les cultivateurs à recourir à l’emploi des traitements au cuivre pour se mettre à l’avenir à l’abri de la Maladie de la Pomme de terre. Je ne doute pas qu’ils n’obtiennent en grand un succès complet, à condition d’appliquer le remède préventivement, ou du moins dès la première apparition du mal. »

Des essais n’ont pas tardé à se faire dans de grandes cultures et ces essais donnèrent également d’excellents résultats. Mais il n’est pas facile de faire prévaloir une bonne idée, même appuyée sur des faits certains, et l’Histoire de la Pomme de terre n’est pour ainsi dire que la constatation de faits de ce genre, résultant le plus souvent de la méfiance et de l’obstination des cultivateurs, réfractaires même aux résultats de l’expérience. Cependant, divers expérimentateurs ne laissèrent pas de préconiser cette méthode préventive de combattre les attaques du Phytophtora, par des aspersions cuivriques sur la tige et les feuilles de la Pomme de terre. On employa le sulfate de cuivre, soit, comme réactif précipitant, avec des cristaux de soude, pour produire la bouillie cupro-sodique, soit avec de la chaux délitée, pour obtenir la bouillie cupro-calcaire, soit avec de la mélasse, pour composer la bouillie sucrée de M. Michel Perret[31].

C’est M. Aimé Girard qui s’est le plus ardemment occupé de cette question. Il a publié, en 1892, dans son Mémoire intitulé : La lutte contre la Maladie de la Pomme de terre au moyen des composés cuivriques, des résultats d’un grand intérêt. Nous en citerons ici plusieurs passages, pour mieux faire comprendre les idées de l’auteur sur ce sujet tout d’actualité.

« Lorsque, à la suite de la campagne de 1889, j’ai publié les résultats que venaient de me fournir les premiers essais comparatifs, faits en grande culture, sur l’emploi, qu’avait conseillé M. Jouet, des composés cuivriques pour combattre la maladie de la Pomme de terre, j’ai signalé un fait important et inattendu dont les lois de la physiologie végétale ont aussitôt fourni l’explication. Ce fait, c’est celui de l’augmentation du poids de la récolte lorsque en face de la maladie, les cultures ont été soumises au traitement cuivrique.

» Dès 1889, j’ai pu voir cette augmentation s’élever, en certaines circonstances, jusqu’à 22 pour 100.

» La cause en est simple. C’est sur les feuilles que le Phytophtora infestans se développe d’abord ; bientôt il en détermine l’atrophie ; et, comme c’est au milieu de celles ci que prennent naissance les sucres solubles qui plus tard doivent, dans les tubercules, se transformer en matière amylacée, on voit bientôt, du fait de cette atrophie, se tarir la source où s’approvisionnent ces tubercules et le magasin cesser de se remplir par conséquent.

» Protégées, au contraire, contre le développement du parasite par les composés cuivriques dont le traitement les a couvertes, les feuilles restant vertes, continuent à végéter, à former des matières sucrées, à grossir par conséquent les tubercules…

» J’ai pu comparer, en présence et en l’absence de la maladie, un certain nombre de variétés, et j’ai, dans ces conditions, établi expérimentalement que : 1o Lorsque la culture est atteinte sérieusement par la Maladie, le poids de la récolte sur les parties traitées est toujours supérieur au poids récolté sur les parties non traitées. 2o Lorsque, au contraire, la culture reste indemne, le traitement, pour certaines variétés résistantes, au lieu d’augmenter le poids de la récolte, le diminue dans une légère mesure : 5 à 6 pour 100 en général. La préservation de la feuille, en un mot, doit se payer d’une légère atténuation de ses facultés productives. La nécessité de traiter préventivement les feuilles de la Pomme de terre par les composés cuivriques, n’en subsiste pas moins… En effet, l’augmentation du poids de la récolte, du fait du traitement en face de la maladie, peut, dans certaines circonstances, atteindre des chiffres d’une importance inattendue…

» Il n’y a pas, je crois, de variété de Pomme de terre absolument réfractaire à la maladie ; il n’y a que des variétés plus ou moins résistantes, et telle variété qui résiste dans certaines conditions météorologiques, ne résistera pas si ces conditions changent à l’avantage du développement du Phytophtora infestans

» La Maladie de la Pomme de terre, excepté peut-être dans quelques régions privilégiées, menace toujours nos cultures. Les pertes qu’elle peut causer atteignent souvent la moitié de la récolte ; à aucun prix le cultivateur ne doit s’exposer à un pareil danger ; il ne doit pas se laisser séduire par le léger bénéfice qu’il pourrait réaliser sur quelques variétés résistantes, si la Maladie ne les atteignait pas ; il doit toujours se garder contre elle, il doit toujours traiter ses champs de Pommes de terre jusqu’au jour où la Maladie, incessamment combattue, aura complètement disparu des régions où elle sévit actuellement. »

Si l’on songe que, lors de l’arrachage des Pommes de terre, on laisse d’ordinaire dans les champs des tubercules plus ou moins malades, il faudrait s’attendre, l’année suivante, à voir ceux de ces tubercules restés enfouis et malades en partie, reproduire le Phytophtora sur les tiges qu’ils émettraient. Or c’est ce qu’aucune observation précise n’a permis de constater. Du reste, les expériences de De Bary sont loin d’être probantes à ce sujet. Ses infections faites au printemps sur plusieurs bourgeons des tubercules sains ne prouvent que la possibilité du fait de la montée dans la tige de la Pomme de terre du mycélium du Phytophtora, qui s’éléverait ainsi dans la tige sortie de ce même bourgeon infecté. D’autres observateurs ont aussi fait remarquer que le Phytophtora peut difficilement se conserver vivant dans les tubercules restés enfouis dans les champs, puisqu’il est tué à une température de zéro.

Quoi qu’il en soit, il convient de répéter ces traitements cupriques, si l’on désire mettre les cultures de Pommes de terre à l’abri des premières atteintes de ce parasite. Mais, lors des récoltes, il ne faudra pas trop s’étonner de se trouver nonobstant en présence d’un certain nombre de tubercules malades, dont on croit pouvoir rendre responsable le Phytophtora, tandis que ces tubercules ne sont aussi tachés et ramollis, que par le fait de la pénétration des Microcoques ; il est difficile de se mettre à l’abri de ces derniers, attendu qu’ils ont la faculté de se conserver dans le sol, par une sorte de vie latente, et de contaminer la terre dans laquelle on plante des tubercules qui en seront infectés. Le remède à employer contre ces Microcoques ne peut consister, en effet, que dans le choix d’un nouveau sol, non déjà contaminé, pour les cultures de tubercules sains de Pommes de terre, et ces tubercules-semence ne pourront être acceptés comme sains, que si le lavage ou le mouillage (lorsqu’ils ne sont pas trop couverts de terre) aura fait rejeter, avant la plantation, tous ceux qu’un œil exercé reconnaîtra comme non tâchés ou non atteints d’une maladie quelconque.


Fig. 137 à 142. — A. Amylotrogus ramulosus, 1, Forme discoïde superficielle ; 2, Forme rayonnante à demi superficielle ; 3, forme pénétrante, produisant des arborisations. B, A. discoideus. 4, Forme discoïde ou pluridiscoïde superficielle ; 5, Forme discoïde pénétrante ; 6, Reste d’un grain de fécule envahi par le parasite. (Grosst. 300/1.)

À ce propos, nous croyons pouvoir compléter ici ce que nous avons fait connaître plus haut sur les résultats de l’action nocive des Microcoques dans les tubercules de Pommes de terre. Nous y avons découvert deux genres nouveaux de parasites, vivant à l’état de Champignons muqueux ou Myxomycètes, qui s’attaquent, mais seulement après le passage des Microcoques dans le parenchyme, et tout particulièrement, aux grains de fécule respectés, soit par ces premiers occupants, soit par les filaments mycéliens des Mucédinées, qui leur succèdent d’ordinaire. Nous avons créé, pour ces deux nouveaux genres, les noms Amylotrogus (rongeur de fécule) et de Xanthochroa. Ce dernier ne s’est montré à nous que sous la forme d’un mucus d’un beau jaune, qui forme ensuite des kystes d’un brun rougeâtre, entourant les grains de fécule déjà attaqués par un Amylotrogus, et les absorbant. Nous ne lui connaissons qu’une seule espèce, le X. Solani. Le genre Amylotrogus, au contraire, dont le mucus ou plasmode est coloré en rose pâle, nous a présenté cinq espèces, savoir : deux à plasmodes superficiels, les A. lichenoides et vittiformis, et trois à plasmodes pénétrants, les A. filiformis, discoideus et ramulosus. Cette dernière espèce, la plus commune de toutes, avait été entrevue par Payen (1853) et par Schacht (1856). Son mucus plasmodique débute par un très petit disque ponctiforme, qui s’insinue dans le grain de fécule et y pénètre en développant des ramifications allongées, enchevêtrées les unes dans les autres, lesquelles dissolvent la fécule en se l’appropriant, de telle sorte que le grain qui a hospitalisé ce parasite apparaît bientôt perforé en tous sens dans son intérieur. Nous avons obtenu, par des cultures spéciales, de faire attaquer de même des grains de fécule de Blé par cet Amylotrogus. Ces grains, plus petits que ceux de la fécule de Pomme de terre, n’en étaient pas moins rongés de même. Seulement, les plasmodes ont des ramifications plus ténues, ce qui paraît dû à une densité plus grande de la fécule[32]. Celle du Maïs a été semblablement attaquée.

Mais, pour en revenir à l’histoire du Phytophtora infestans, il nous paraît utile d’ajouter ce qui suit à ce que nous avons dit plus haut.


Fig. 143 à 145. — Bacterium lactescens, fixé par une matière colorante. a, cellule libre, d’autres en voie de scissiparité ; b, chaînette de six cellules végétatives, c, cellules sporigènes. (Grosst. 800/1.)

Le résultat obtenu par De Bary, dans sa dernière expérience, de pouvoir constater le développement du Phytophtora sur un seul tubercule planté avec une cinquantaine d’autres, dans un châssis, alors que toutes ses Pommes de terre avaient été artificiellement infectées au moment de la plantation, les soins mêmes qui avaient pu être donnés à cette culture, ce résultat, disons-nous, ne laissait pas que de laisser du doute dans notre esprit, parce que ce savant observateur en avait conclu que cela devait se passer ainsi dans les champs, en plein air. Le Phytophtora est, en effet, un parasite destructeur des tissus qu’il envahit ; si les germes de son Kidney rouge n’avaient pas été tués, cela ne pouvait être dû qu’à leur développement rapide, assez rapide même pour que le parasite n’eût que le temps de mortifier en longueur une légère surface de l’épiderme des germes en croissance. C’était ce que De Bary obtenait d’ordinaire dans son laboratoire.

Nous désirions donc répéter cette expérience ou en faire d’autres semblables en plein champ. Mais nous n’avons pu mettre ce projet à exécution, par suite d’une difficulté que nous n’avions pas prévue : c’est qu’il nous a été impossible de conserver, plus d’un mois après la récolte, des Pommes de terre attaquées par le Phytophtora, et cela pendant deux années consécutives, en 1896 et en 1897. Les tubercules, dans lesquels ce parasite a pénétré, se présentent dans un état particulier de ramollissement : l’épiderme se plisse en se rabattant sur la chair devenue pâteuse, humide, mais non déliquescente, ce qui provient d’un affaissement du tissu parenchymateux parcouru par les filaments du mycélium du Champignon, qui exercent une action dissolvante sur les grains de fécule et perforent les membranes cellulaires.


Fig. 146 — Tyroglyphus echinopus Robin. (Grosst. 100/1.)

En examinant, un mois après la récolte, des tubercules où nous avions remarqué la présence du Phytophtora, nous fûmes surpris de ne plus en trouver çà et là que des traces. La chair pâteuse des Pommes de terre contenait, à la place, d’autres filaments mycéliens qui appartenaient à deux autres Champignons, signalés déjà par De Bary : son Pythium vexans et l’Artotrogus hydnosporus de Montagne. Avec eux, se montrait, dans la plupart des cellules, une très petite Bactérie, plus ou moins animée de mouvement, que nous avons appelé Bacterium lactescens, parce qu’elle vient constituer, à la surface de la chair pâteuse du tubercule, un liquide laiteux qui simule un mucus de Microcoque. Cette Bactérie est d’abord sphérique (diam. 1/2 μ), puis elliptique (long. 3/4 μ), et devient immédiatement scissipare. Elle forme ensuite des chaînettes de 4 articles ou davantage, où se laissent voir très rarement ses spores. Nous l’avons retrouvée plus tard, dans les tissus en décomposition, à l’état de zooglées, c’est-à-dire s’enveloppant d’une sorte de mucus protecteur, pareil à celui des Microcoques, et qui doit en assurer la conservation.

D’autres espèces de Champignons apparaissent bientôt sur la chair pâteuse, de plus en plus ramollie, notamment de petits conceptacles d’une Sphériacée noirâtre. Il s’y montre également, en très grand nombre, comme dans le parenchyme mortifié par les Microcoques, des Anguillules et des Acariens (Tyroglyphus echinopus) de Robin. Mais, quant au Phytophtora, il n’en reste plus de traces. Si cette constatation de la disparition du mycélium de ce parasite, dans les tubercules qu’il avait attaqués, se généralisait, il conviendrait de chercher une autre explication que celle donnée par De Bary à la possibilité de la reproduction du Phytophtora par les Pommes de terre malades, plantées dans les champs. Nous sommes très porté à croire que ce qui assure l’existence du parasite, c’est la facilité qu’il se trouve avoir, toute l’année, de pouvoir contaminer les cultures de Pommes de terre, l’été dans les régions froides, l’hiver dans les régions chaudes de l’Europe et de l’Algérie.

Quoi qu’il en soit, s’il nous était permis de revenir en arrière et de nous demander quels étaient les effets produits, en 1845, par l’apparition soudaine du Phytophtora dans les cultures de Pommes de terre, nous serions étonné de constater que ce nouveau parasite était loin, cette année-là, de causer à lui seul la perte de tous les tubercules, plus ou moins atteints de pourriture. Lorsqu’on se reporte aux publications de l’époque et qu’on cherche à se rendre compte de ce qui avait réellement eu lieu, en 1845, d’après les descriptions de ce que l’on appelait alors les caractères de la Maladie spéciale, on est surpris de la divergence des opinions des auteurs sur ce sujet. Nous avons essayé d’éclaircir quelque peu cette question rétrospective et nous sommes arrivé à reconnaître que les autres maladies internes des tubercules avaient dû, dans cette année désastreuse, causer autant de dommages que le Phytophtora. Le Pseudocommis, les Microcoques et les Bacilles avaient produit en même temps de très grands effets destructeurs, lesquels venaient s’ajouter à ceux tout nouveaux du Phytophtora : cela explique fort bien le triste état dans lequel se trouvaient les récoltes de 1845. Depuis lors, ces différentes maladies, par suite de précautions prises, ont moins fait sentir leurs effets dans les cultures de Pommes de terre ; mais comme on n’était pas instruit de ce qu’il en était en réalité, on s’est habitué à considérer le Phytophtora comme l’unique agent de destruction des tiges et des tubercules, et à confondre toutes les altérations diverses de ces tubercules sous la seule dénomination de la Maladie des Pommes de terre. Or il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, comme en 1845, les cultures peuvent tout aussi bien subir les attaques de ces parasites très différents (Pseudocommis, Microcoques, Bacilles et Phytophtora) dont l’action destructive caractérise autant de maladies distinctes, et qu’il n’est pas sans intérêt de savoir qu’ils sont réellement les causes de ces maladies pour chercher à les combattre[33].

Maintenant, si nous tenons compte de ce que nous avons dit plus haut sur les effets produits dans les tubercules par l’action parasitaire du Pseudocommis Vitis de Debray, ou Champignon muqueux de la maladie de la Brunissure, à laquelle il faut attribuer ce que l’on appelle les Pommes de terre piquées, ainsi que les taches roussâtres éparses çà et là dans tout le parenchyme, qui cause dans les cultures l’ancienne maladie de la Frisolée, les différentes maladies internes dont peuvent être affectés les tubercules de Pommes de terre se classent de la façon suivante :

Gangrène sèche, produite : 1o  par le Pseudocommis Vitis de De Bary ; 2o par les diverses espèces de Microcoques (Micrococcus Imperatoris, albidus, Delacourianus) que nous avons fait connaître.

Gangrène humide, produite : 1o par le Micrococcus albidus associé au Bacillus subtilis de Cohn ; 2o par le Phytophtora infestans de De Bary.

Si nous essayons ensuite d’établir l’importance du rôle que jouent tous ces parasites dans les cultures de Pommes de terre, d’après les observations que nous avons pu faire sur tous les tubercules malades qui nous ont été obligeamment communiqués et que nous avons reçus de plusieurs provenances, ainsi que sur ceux recueillis dans nos propres récoltes, nous serons conduit à ne pas estimer à moins de 50 pour 100 les tubercules attaqués par les Microcoques, et à environ 25 pour 100 ceux envahis par le Pseudocommis. Le plus faible pourcentage est certainement celui du nombre des tubercules attaqués par le Phytophtora, soit que cela provienne de l’effet dû aux traitements cupriques ou de celui du buttage, soit d’une atténuation dans les attaques des tubercules par ce parasite, qui n’en persiste pas moins à se montrer, chaque année, sur les feuilles et les tiges de nos Pommes de terre. Les remèdes à appliquer contre ces diverses maladies peuvent se résumer ainsi : Alternance des cultures ; Destruction de tous les tubercules malades après la récolte ; Plantation de tubercules sains ; Traitements des tiges et feuilles par les composés cupriques.

On trouvera, dans le résumé qui suit, les caractères différentiels qui permettent de distinguer en examinant extérieurement et intérieurement les tubercules malades, ceux qui sont affectés par l’une ou l’autre de ces quatre sortes de maladies. L’ensemble de ces altérations constitue ce que les Cultivateurs appellent la Pourriture des Pommes de terre.


MALADIES INTERNES DES TUBERCULES DE POMMES DE TERRE REPRÉSENTÉES PAR LES FIGURES DE LA PAGE CI-CONTRE


Gangrène sèche.

1o Produite par le Pseudocommis. — Tubercules inodores, restant fermes et présentant des taches déprimées, sombres, ou des perforations entourées dans le parenchyme d’une petite zone brunâtre (Pommes de terre piquées). Sous l’épiderme taché, dans la chair non ramollie, des macules plus ou moins brunes ou roussâtres, qui se montrent parfois çà et là, avec une teinte plus claire dans tout le tissu. Ces tubercules portent au printemps des germes noircis à leur sommet ou marqués de taches brunâtres. À noter que cette altération est souvent associée aux trois suivantes. (Fig. 147. Extérieur d’un tubercule. — Fig. 148. Le même tubercule coupé longitudinalement.)

2o Produite par les Microcoques. — Tubercules inodores, assez fermes, plus ou moins tachés, mais présentant sur certains points un épiderme flasque, qui ne résiste pas à la pression des doigts. Sous cet épiderme, et dans le parenchyme, îlots blancs, gris ou brunâtres, laissant voir, lorsqu’ils sont secs, les grains de fécule brillants et pulvérulents. Quelquefois des cavernes, ou bien, dans les îlots gris, de petites masses noirâtres (Sclérotes de Rhizoctone), et plus tard un grand développement de Moisissures (Fusisporium et spicaria). Desséchés, ces tubercules deviennent parfois très légers, ou bien durcissent et deviennent cassants. Conservés dans une humidité constante, les tubercules, partiellement attaqués, permettent aux Microcoques de se développer et de sortir même de leur épiderme. Donc, contact à éviter, dans les celliers, avec des tubercules sains. (Fig. 149. Extérieur d’un tubercule. — Fig. 150. Le même tubercule coupé longitudinalement.)


Gangrène humide.

1o Produite par le Micrococcus albidus associé au Bacillus subtilis. — Tubercules mous, en partie ou en totalité, exhalant une odeur désagréable. Sous l’épiderme, liquéfaction blanchâtre du parenchyme avec dégagement infect d’acide butyrique. Destruction lente et progressive, puis totale, des tubercules en raison de l’humidité plus ou moins grande des milieux. Contact à éviter également avec les tubercules sains. (Fig. 151, Un de ces tubercules coupé longitudinalement.)

2o Produite par le Phytophtora infestans. — Tubercules inodores, présentant en partie ou en totalité un ramollissement humide très caractéristique. Épiderme flétri se repliant sur le parenchyme déprimé, affaissé, pâteux, mais non déliquescent. Ce parenchyme reste ainsi pâteux sans se dessécher entièrement. (Fig. 152. Portion d’un tubercule vue à l’extérieur. — Fig. 153. Cette même portion, coupée longitudinalement.)


  1. — Le mot de viande, au XVIe siècle, était pris dans le sens d’aliment, de nourriture.
  2. — Nous craignons qu’on n’ait pris ici l’effet pour la cause, car nous avons constaté la présence d’Anguillules dans beaucoup de tubercules ramollis par diverses maladies, ce qui nous fait croire que ces Anguillules ne peuvent pénétrer que dans les tissus mortifiés des Pommes de terre, et non dans les tissus sains.

    Il en est de même de l’Acarus Solani (ou Tyroglyphus echinopsus Robin) qu’on ne rencontre que sur les tubercules complètement malades.

  3. — Par contre, une petite Limace noire a la faculté de pouvoir descendre dans le sol, jusqu’aux tubercules presque superficiels, et de les ronger au point d’y pratiquer d’assez profondes cavités.
  4. Encyclopædia of Gardening.
  5. — Le parasite se conserve ainsi, l’hiver, dans les tubercules pour monter, au printemps, dans les germes, lorsqu’ils commencent à se développer.
  6. — Nous avons fait connaître tous les résultats de nos recherches sur le Pseudocommis dans le Bulletin de la Société mycologique de France (1897-1898).
  7. Encyclopædia of Agriculture, Londres, 1825.
  8. Ann. des Sc. nat., 2e Série, t. XVIII.
  9. Die Krankheiten der Kultur-Pflanzen (1864).
  10. — Voir, pour plus de détails, ce que nous avons publié en 1896 : Comptes rendus de l’Académie des sciences, Bulletin de la Société nationale d’Agriculture de France et en 1896-97 dans le Bulletin de la Société mycologique de France.
  11. — Nous avons retrouvé ce Microcoque dans de petites cavités, à fond noirci et de forme variable, qui se font quelquefois remarquer sur le collet des racines de Betteraves.
  12. Berichten der deutschen botanischen Gesellschaft, Berlin, ISOC »
  13. — Il est à remarquer toutefois que ce Champignon a été également observé sur des Pommes de terre dont le tissu était déjà mortifié par la Maladie spéciale, ce qui ne laisse pas de faire naître des doutes sur les résultats des expériences de De Martius. Nous y reviendrons plus loin.
  14. Die Krankheiten der Kulturgewächse (1859).
  15. — Il ne faut pas confondre cette maladie avec le ramollissement des tubercules, qui est dû à l’action parasitaire du Phytophtora infestans ou du Pythium vexans de De Bary.
  16. — Il ne faut pas confondre ces sclérotes du Rhizoctone avec d’autres corpuscules noirâtres, plus petits, formés par une anastomose de filaments de mycélium (ou stroma) appartenant à un autre Champignon que nous appellerons provisoirement Helminthosporium nigrum. Sur son stroma noir, presque opaque, s’élèvent des filaments rigides, noirs, stériles, et parfois d’autres filaments noirâtres, plus délicats, se terminant à leur extrémité en une spore obovoïde, allongée, noirâtre, à 4-5 cloisons. Ce petit Champignon paraît vivre en parasite sur les cellules superficielles de l’épiderme des tubercules de Pommes de terre.
  17. — Ces filaments qui paraissent noirs sur les tubercules, vus par transparence au microscope, sont d’une couleur d’un brun rougeâtre.
  18. — Ceci laisse supposer que la manifestation de l’existence du parasite était concomitante en Amérique et en Europe, en 1842. Mais les désastres que la maladie a occasionnés aux États-Unis, deux ans avant qu’on la redoutât en Europe, nous conduisent à croire que ce parasite, probablement originaire des Andes, a dû commencer à se répandre dans l’Amérique du Nord avant de se répandre en Belgique.
  19. — Ce nom n’était pas heureusement choisi, parce qu’il caractérîsait déjà une maladie connue depuis longtemps. Puis Ch. Morren oubliait que les tiges et les feuilles étaient aussi bien malades que les tubercules, sans pour cela se ramollir comme ces derniers.
  20. — Il y a lieu de faire remarquer que rien ne prouve que cette contamination soit due au Champignon parasite qui cause la maladie spéciale dont parle Ch. Morren. Certaines Bactériacées produisent le même résultat.
  21. Ce qui explique la divergence des opinions émises en 1845, c’est qu’on ne connaissait pas les causes efficientes des autres maladies (Frisolée, Gangrènes sèches et humides) qui sévissaient en même temps que la maladie nouvelle. Decaisne, en étudiant des tubercules malades, n’avait pu y découvrir les filaments mycéliens du Botrytis. Il se refusait donc à croire, avec raison, à l’action nocive de ce Champignon. Les Mycologues contemporains ont fini de même par se ranger à son opinion. Il a fallu que des observations précises aient permis plus tard de constater le rôle parasitaire : 1o de ce Botrytis ou Phytophtora ; 2o des Bactériacées ; 3o enfin de ce Pseudocommis, parasite tout récemment connu, pour distinguer nettement les différentes altérations que peuvent subir les tubercules de Pommes de terre. Cette distinction a une grande importance aux points de vue scientifique et économique, car ce serait vainement chercher des remèdes au mal que de le faire sans en connaître d’abord les véritables causes.
  22. — Bonjean, Monographie de la Pomme de terre (1846).
  23. — Cette méthode de culture automnale ou hivernale avait été préconisée par Ch. Morren dans ses Instructions populaires précitées. Nous y reviendrons dans un autre Chapitre.
  24. — Cependant, nous avons déjà fait remarquer que les résultats acquis par cette ancienne culture n’étaient pas brillants, eu égard à la petitesse des tubercules introduits en Europe au XVIe siècle.
  25. — Il est vrai que Payen reconnaissait aussi une autre cause à la maladie des Pommes de terre, car il l’attribuait plus loin à une substance rousse parasite, assez mal définie, qu’il devait mieux caractériser à propos d’une grave maladie des Betteraves, laquelle avait fait perdre 20 millions de kilog. de sucre, en 1851, aux environs de Valenciennes, et dont il parlait dans le même ouvrage. C’était, suivant lui, une substance organique, rousse orangée, d’une consistance muqueuse, qui produit les effets du parasitisme. Or, cette substance parasitaire, qu’il signalait ainsi dans les Pommes de terre et les Betteraves, n’était rien autre que le Pseudocommis. Il se trouve ainsi être le premier auteur qui ait signalé, sans en avoir une idée bien nette il est vrai, ce Champignon muqueux ou Myxomycète dont nous commençons seulement à connaître les effets destructifs dans nombre de végétaux.
  26. — Les spores du Botrytis se nommaient aussi des conidies.
  27. — C’est-à-dire les rouilles, comme celle du Blé.
  28. — Nous avons observé identiquement les mêmes phénomènes, au mois d’Août 1895, aux environs de Paris.
  29. — Il a été question, dans ce débat mycologique, d’un Champignon parasite que De Bary avait nommé Pythium vexans, et qui dans ses cultures apparaissait parfois à la place du Phytophtora. Nous avons constaté plusieurs fois que, dans des tubercules ramollis, ce Pythium se trouvait associé à ce dernier, dans les tissus malades. Il en sera, du reste, question plus loin.
  30. — Plus récemment, M. de Lagerheim (Revista Ecuatoriana, 1891) a signalé le Phytophtora comme attaquant, dans l’Équateur, les fruits comestibles du Solanum muricatum Ait. Il l’a observé sur le Solanum caripense Kunth, à Quito, et sur le Petunia hybrida, à Upsal.
  31. — Voici les proportions indiquées :

    Bouillie bordelaise : Eau, 100 litres ; sulfate de cuivre, 2 kilos ; chaux, 2 kilos.

    Bouillie bourguignonne : Eau, 100 litres ; sulfate de cuivre, 2 kilos ; cristaux de soude, 3 kilos.

    Bouillie Michel Perret : Eau 100 litres ; sulfate de cuivre, 2 kilos ; chaux, 2 kilos ; mélasse, 2 kilos. Cette dernière paraît résister mieux que les autres à l’action des pluies.

  32. — Voir, pour plus de détails : Bulletin de la Société mycologique de France (1897-1898).
  33. — Nous avons traité cette question rétrospective, avec tous ses détails scientifiques, dans le Bulletin de la Société mycologique de France (1898).