Histoire de la ville de Saint-Brieuc/4

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CHAPITRE IV.


LE XVIe SIÈCLE.


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I. Avant la Ligue. — Les évêques Olivier Du Chastel, Jean de Rieux, Jean Du Tillet, Nicolas Langelier. — La Cour royale à Saint-Brieuo. — Essai de réformes. — II. La Ligue. — Le duc de Mercœur. — La tour de Cesson.— Épisodes de guerre, de 1589 à 1598. — Démolition de la forteresse. — La peste. — III. Organisation intérieure. — La noblesse et la bourgeoisie. — La fabrique et l’assemblée de ville. — Les procureurs-syndics et les députés aux États. — Le Légué.

I. — AVANT LA LIGUE.


Pendant les siècles que nous venons de parcourir, l’évêque de Saint-Brieuc avait joui, dans la ville épiscopale, d’un pouvoir considérable, non seulement au spirituel, mais au temporel, dans les affaires du fief et de la juridiction. Au xvie siècle, ce pouvoir va subir une sérieuse transformation, dont les causes ne tarderont pas à se manifester.

Le successeur de Christophe de Penmarch fut Olivier Du Chastel (1506-1525). Rigoureux observateur de la discipline ecclésiastique, il fit, pour la maintenir, de nombreux règlements. On lui doit aussi la restauration du principal corps de logis du palais épiscopal, et le grand portail qui faisait face à la chapelle du Saint-Sacrement. Entre ce portail et la cathédrale, il y avait un passage. Est-ce en souvenir des guerres civiles du xive siècle, et en prévision de celles du xvie, qu’on le ferma, pendant la nuit, par deux solides portes, d’où lui vint le nom d’Entre les Portes ?

La période qui s’écoula de 1525 à 1565 fut, l’une des plus malheureuses pour l’évêché de Saint-Brieuc, au point de vue religieux. Le régime de la commende y reparut, avec des effets plus désastreux que la première fois. Jean de Rieux, qui fut nommé évêque à l’âge de dix-huit ans, garda ce titre pendant dix-neuf ans, sans avoir reçu les ordres sacrés, et sans résider, bien entendu, dans son diocèse. Le coadjuteur qu’on lui donna ne s’en occupa point davantage. Cette situation déplorable fut la première cause du relâchement de la discipline et de l’affaiblissement de l’autorité épiscopale. Jean de Rieux, étant devenu chef de sa famille par la mort de ses frères, résigna, heureusement, son bénéfice pour se marier, et du moins un pareil scandale ne se renouvela plus à Saint-Brieuc.

Cependant l’ordre ne fut pas rétabli sur le champ. L’ancien système de l’élection par le chapitre n’existant plus, il s’éleva des conflits entre le roi et le pape, au sujet de la nomination de plusieurs évêques de Saint-Brieuc. Chacun eut ses candidats. Parmi ceux du pape figurèrent des cardinaux, qui n’auraient été sans doute que des évêques commendataires, s’ils avaient été reconnus par le roi. Ce conflit se prolongea, malgré les dispositions du concordat de 1516, auquel on finit par revenir. Le pape conserva l’institution canonique, mais le roi eut la nomination des évêques, et dès lors on ne vit plus guère que des étrangers sur le siège de Saint-Brieuc.

Jean Du Tillet, qui fut agréé par Henri II, après le désistement du cardinal Du Bellay, est qualifié par Ruffelet : savant et zélé prélat. Savant ! Il le fut, si l’on en juge par ses nombreux ouvrages et par le rang qu’il occupait dans l’université de Paris ; mais il n’eut guère l’occasion de montrer son zèle à Saint-Brieuc. Il commit même la faute de traiter avec le titulaire de Meaux, qui devait échanger ce siège avec celui de Saint-Brieuc, en retour d’une pension. Le pape n’ayant pas ratifié une pareille convention, il s’ensuivit, entre les deux évêques, un procès qui ne finit qu’au bout de six ans, à la mort de Jean Du Tillet.

Au milieu de ces fréquents changements d’évêques, aucun événement important ne s’était passé à Saint-Brieuc ; aussi les chroniqueurs se bornent-ils à mentionner l’organisation du papegault, ou tir à l’arquebuse, par lettres de François Ier, en date du mois d’octobre 1539. C’était un souvenir de l’ancien tir à l’arbalète, qui avait été usité en Bretagne, puisque le duc Jean V, prescrivant, en 1424, une levée d’hommes dans les paroisses, réglait l’armement de ceux qui savaient tirer de l’arc[1]. Depuis cette époque, l’appel des milices paroissiales devint plus fréquent, à mesure que celui du ban et de l’arrière-ban de la noblesse l’était moins. François Ier, qui s’occupait de former une infanterie nationale, devait encourager tout exercice, tel que le papegault, ayant pour but de développer les habitudes militaires au sein de la bourgeoisie. Il permit donc aux habitants de Saint-Brieuc de s’assembler en compagnie, sous le nom de chevaliers du papegault ou du joyau, pour tirer à l’arquebuse, sur un perroquet de carton ou de bois peint. L’abatteur prenait le titre de roi et avait, entre autres privilèges, la permission de vendre en ville trente tonneaux de vin exempts de tous droits. Les chevaliers se réunirent d’abord au jardin des Buttes, près du carrefour de la Charbonnerie. Leur premier règlement eut un caractère religieux, car l’édit d’institution porte : « Marchant en bataille pour assister le Saint-Sacrement, ils promettront et jureront de le conserver et deffendre au péril de leur vie. »[2].

Après l’organisation de notre première garde civique, à peine peut-on citer, mais sans détails, le passage, à Saint-Brieuc, de Marie Stuart, en 1548. Elle n’avait que six ans et se rendait d’Écosse à Paris pour y être élevée, en attendant qu’elle eût l’âge d’épouser le dauphin. De cette période si brillante des guerres d’Italie et de la Renaissance, qui a dû exercer, à Saint-Brieuc comme ailleurs, une heureuse influence, il n’est resté dans les Archives que de simples notes. Des lettres-patentes, adressées par Henri II au sénéchal de Rennes, le 24 novembre 1554[3], mentionnent une déclaration de l’évêque Jean Du Tillet, portant qu’il n’avait « aucuns papiers terriers, lettres ne enseignements à cause des guerres, divisions, mortalités, absence ou mauvaise administration de ses prédécesseurs. »

Cette perte est d’autant plus regrettable qu’on aurait pu suivre complètement, à l’aide des documents égarés, la transformation que nous avons annoncée dans le pouvoir de l’évêque. L’autorité royale, en effet, après avoir triomphé des Anglais et des grands seigneurs, se servait habilement des hommes de loi pour user à l’intérieur les dernières résistances de la féodalité. Ce que nous savons de l’établissement d’une Cour royale à Saint-Brieuc, va le prouver suffisamment.

Nicolas Langelier (1565-1595) venait de prendre possession du siège épiscopal. Il y avait, à cette époque, deux Cours royales dans le voisinage de Saint-Brieuc. L’une, celle de Cesson, n’ayant jamais eu dans son ressort que quelques villages, n’existait plus que de nom ; l’autre, celle de Goëllo, avait son siège à Lanvollon. L’édit de Châteaubriant, du mois d’octobre 1565, transféra cette dernière à Saint-Brieuc, en lui donnant tous droits sur la seigneurie de Cesson[4].

Les habitants de Lanvollon, ayant réclamé leur ancienne juridiction, la recouvrèrent quelque temps. Ils étaient appuyés par l’évêque, qui avait eu à se plaindre déjà des prétentions des juges royaux ; mais les habitants de SaintBrieuc ne renoncèrent pas à une institution qu’ils croyaient utile à leurs intérêts, et ils agirent, à cet effet, sur leur bon évêque, Nicolas Langelier. Celui-ci leur résistait. « Mes amis, disait-il, si je cède à vos sollicitations et que les juges de Goëllo viennent à Saint-Brieuc, vos enfants vont abandonner le commerce pour suivre le barreau, c’est-à-dire qu’ils seront gueux, glorieux et gourmands ». — « Ce qui ne manqua pas d’arriver bientôt, ajoute M. Jouannin dans ses Mémoires inédits, et ce qui fait que les Briochins ont depuis désigné les gens de justice par ces trois lettres g g g, ce qui a fait proverbe dans le pays. »[5].

L’évêque avait donc consenti au rétablissement de la Cour royale dans sa ville épiscopale. Pour triompher de ses scrupules, les habitants avaient reconnu, dans un acte officiel du 2 juillet 1580, que le seigneur évêque avait seul à Saint-Brieuc toute justice, tout droit de police et gouvernement de ladite ville ; que les appels des jugements iraient, comme par le passé, de la Cour épiscopale au Parlement de Bretagne ; que la justice de Goëllo ne serait établie à Saint-Brieuc que par souffrance et tollérance, et qualifiée non de Cour royale de Saint-Brieuc, mais de Cour royale assize à Saint-Brieuc ; que les juges royaux ne pourraient, sous prétexte de leur qualité, se trouver aux assemblées de ville ; enfin qu’aucun établissement, ni exercice de la religion prétendue réformée, n’aurait jamais lieu dans ladite ville, « comme estant ville épiscopale. »[6].

Ces articles, qui font bien connaître quelques-unes des relations établies entre l’évêque et les habitants, semblaient fort rassurants, et le dernier surtout devait satisfaire l’évêque. Un édit royal, du 23 septembre 1580, consacra ce traité et autorisa la translation définitive à Saint-Brieuc de la Cour de Goëllo, qui ne tarda pas à être connue sous le nom de Cour royale de Saint-Brieuc, Cesson et ressort de Goëllo. On avait aussi stipulé que les officiers du roi ne pourraient « entreprendre aucune chose sur la juridiction dudit evesque. » Nous verrons ce qu’il advint de toutes ces promesses. Nicolas Langelier ne fut pas longtemps à se reprocher sa faiblesse, quand il vit ses officiers inquiétés en toutes circonstances, non seulement par les juges royaux, mais aussi par les habitants et même par le chapitre.

Les chanoines, il faut l’avouer, étaient de tempérament processif. Quelques-uns d’entre eux, mécontents de plusieurs réformes ecclésiastiques, opérées par Nicolas Langelier, ne craignirent pas de déposer une plainte contre lui. Il s’ensuivit une enquête qui finit à l’honneur de l’évêque, sans enlever au chapitre les privilèges considérables qu’il avait ou prétendait avoir, tant au spirituel qu’au temporel. Cette situation, presque indépendante, ne pouvait qu’augmenter le relâchement qui s’était introduit, depuis le commencement du siècle, dans les mœurs et les habitudes du clergé. Si quelques évêques n’étaient pas engagés dans les ordres, certains chanoines ne l’étaient pas non plus, et ce n’est pas à ceux-là qu’on pouvait demander des exemples de régularité et de piété. Il résulte d’un extrait de délibérations, de la fin du siècle, que le chapitre intervenait quelquefois pour réprimander ou punir, soit un chanoine, soit un clerc du chœur de la cathédrale.

Ces écarts, dont nous avons indiqué les causes, attristaient profondément l’âme de l’excellent évêque. Dans sa sollicitude pour son troupeau tout entier, il se plaignait, en termes peut-être exagérés, de la dépravation des mœurs dans la ville de Saint-Brieuc, et, attribuant cette dépravation au nombre toujours croissant des hôtelleries et des tavernes, il demandait qu’il fût ordonné aux gens du roi de le réduire dans trois semaines pour tout délai[7], ce qui prouve qu’il n’avait déjà plus la haute main sur la police.

Bien que ce tableau ne soit pas précisément flatteur pour les habitants d’alors, ils avaient tout à gagner cependant à voir un réformateur tel que Nicolas Langelier, plutôt qu’un commendataire tel que Jean de Rieux, sur le siège de Saint-Brieuc.

Nicolas Langelier assista, en 1583, au concile de la province de Tours, qui fut tenu dans la ville d’Angers. Ruffelet dit qu’il en rédigea les actes et cite, parmi les règlements faits dans ce concile, celui qui ordonnait d’établir « des bibliothèques communes » dans toutes les églises cathédrales et collégiales. Le savant évêque ne pouvait manquer de favoriser cette institution.

Il veilla également à ce que, suivant l’ancien usage et conformément à une ordonnance de 1560, deux prébendes de la cathédrale fussent affectées à l’entretien d’un docteur en théologie, dont il tint longtemps la place, et d’un scholastique, chargé « d’instruire les jeunes enfants de la ville, gratuitement et sans salaire. » Il fut même prouvé qu’à cette époque le scholastique, tout en exerçant ses fonctions en personne, commettait un homme capable « pour enseigner les petits anffans, jusques a tant quils soient capables douyr le scholastique. » Ainsi, dès le xvie siècle, l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire étaient donnés, à Saint-Brieuc, par les soins de l’évêque[8].

Malgré ses bonnes intentions, Nicolas Langelier ne fut jamais heureux, pendant les trente années de son administration. Il aimait la paix et, par un concours fâcheux d’événements, il fut toujours en lutte. Après avoir eu des démêlés avec les gens du roi, les chanoines et un peu avec les habitants, il se trouva, vers la fin de sa vie, jeté dans les guerres de la Ligue et réduit à fuir sa ville épiscopale.


II. — LA LIGUE À SAINT-BRIEUC.


Nicolas Langelier avait fait preuve d’un grand talent, en enseignant dans sa cathédrale et en portant la parole dans plusieurs grandes assemblées ; aussi fut-il l’un des députés envoyés par les États de Bretagne aux États-généraux de Blois, en 1588. On sait comment ces États finirent par l’assassinat du duc de Guise. C’était le renouvellement de la guerre civile et, cette fois, la Bretagne allait en être profondément atteinte.

Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, avait été nommé, en 1582, gouverneur de Bretagne, à l’âge de vingt-quatre ans. Son mariage avec Marie de Luxembourg, héritière du Penthièvre, récemment érigé en duché, lui avait donné dans la province une situation exceptionnelle. Parent des Guise, beau-frère de Henri III, il semblait, par ses qualités personnelles encore plus que par ses alliances, appelé à jouer un rôle considérable dans l’histoire de son temps. Entraîné dans la Ligue par les princes de sa famille, le duc de Mercœur, après une campagne malheureuse dans le Poitou, avait dû se retirer dans son gouvernement. Ayant pris de nouveau les armes, après l’assassinat du duc de Guise, et gagné à la cause de la Ligue la plupart des villes de Bretagne, il fut destitué, le 18 avril 1589, mais il n’en tint compte et continua d’organiser la résistance.

La mort de Henri III le servit à souhait. Adversaire résolu de Henri IV, il se proposa, en le combattant, suivant les uns, d’enlever la Bretagne à la domination d’un prince hérétique ; suivant les autres, de s’en rendre maître au nom de sa femme, qui avait des prétentions sur le duché, comme héritière des Penthièvre. Ne serait-il pas plus juste de dire qu’il a poursuivi en même temps ce double but ?

Dans les assemblées religieuses et politiques qui furent réunies pour soutenir la Ligue, l’évêque de Saint-Brieuc déploya, un grand zèle et une haute capacité. Il devint bientôt l’un des plus actifs conseillers de Mercœur et se prononça ouvertement pour lui avec son clergé, tandis que les magistrats de la Cour royale et les bourgeois influents étaient favorables aux royalistes. Quant à la masse de la population, que les auteurs des Anciens Evêchés ont fait se déclarer pour la Ligue, nous croyons qu’elle n’a pas eu le temps de se former une opinion, car elle a été constamment et tour-à-tour opprimée par les deux partis.

Avant de raconter les hostilités, il importe de se rappeler la situation de Saint-Brieuc. Ville ouverte, elle se trouvait entre les places fortes de Dinan, Lamballe, Moncontour et Guingamp, qui devaient attirer l’armée du roi, et que Mercœur avait doublement intérêt à défendre, puisque les trois dernières faisaient partie de l’héritage de sa femme. Saint-Brieuc allait encore souffrir du séjour des Anglais sur la côte et du voisinage de la tour de Cesson.

Cette forteresse n’a guère figuré jusqu’à présent dans notre récit, parce qu’elle n’appartenait pas au fief épiscopal. Nous en avons trouvé le nom, pour la première fois, dans une charte du xiie siècle[9], et nous pouvons en résumer l’histoire en quelques mots.

Le donjon actuel, seul reste d’une enceinte plus considérable, a été bâti sur l’emplacement d’un castrum romain. Bien qu’on ne puisse préciser, dans l’état actuel, la date de la construction, il semble rappeler, par ses principales dispositions, un château-fort du xie ou du xiie siècle, avec des additions du xiiie et du xive ; aussi Ruffelet l’a-t-il attribué tout entier à la fin de ce dernier siècle, parce qu’il a vu sur une pierre les armes de Bretagne et de Navarre en alliance, c’est-à-dire un souvenir de Jean IV et de sa troisième femme, Jeanne de Navarre.

Si l’origine de la tour de Cesson est obscure, son histoire ne l’est pas moins, pendant les guerres du xive et du xve siècle, puisque quelques auteurs l’ont confondue, à tort suivant nous, avec la forteresse de Saint-Brieuc. Cette tour a dû être occupée par Olivier de Clisson, car le duc Jean IV la réclamait au connétable, à la suite du traité de 1388 ; mais elle rentra bientôt dans le domaine ducal. Elle faisait partie de ce domaine, en 1423, quand elle servit de prison à Morice de Ploësquellec, et du domaine royal, au xvie siècle, quand un édit réunit les juridictions de Cesson et de Goëllo et les transféra, par emprunt de territoire, à Saint-Brieuc[10].

Dès que la guerre de la Ligue eut commencé en Bretagne, la tour de Cesson prit une importance qu’elle n’avait pas eue jusqu’alors. Placée dans une situation avantageuse, à l’embouchure d’une petite rivière, elle surveillait d’un côté les arrivages de mer ; de l’autre, une ville épiscopale, qui penchait d’autant plus vers la Ligue qu’elle était au centre du Penthièvre. Dans ces conditions, la tour de Cesson devait être un danger plutôt qu’une protection pour la cité voisine.

1589. — Au début des hostilités, le duc de Mercœur était maître de Saint-Brieuc. Les habitants ne s’en aperçurent que trop à l’abondance des réquisitions de toute espèce qui s’abattirent sur eux, et à l’irruption dans leur ville des troupes commandées par M. de Guébriant, colonel de l’infanterie du duc[11]. La vieille cathédrale redevint place de guerre, comme au temps de Clisson. Les chanoines, à leur grand effroi, y virent établir un corps de garde et prirent une délibération pour faire « descendre les dais qui sont sur le grand autel et le crucifix de peure qu’il ne soient gasté par la fumée du feu des gens d’armes. » En même temps, Mercœur levait sur la ville et l’évêché de Saint-Brieuc une contribution de 5770 écus, qui fut répartie entre les paroisses par Estienne Proffit, alloué et juge ordinaire à Saint-Brieuc[12].

1590. — Les bourgeois virent se resserrer les liens qui les unissaient au duc de Mercœur. Ils promirent de vivre selon l’édit de la Sainte-Union, et de payer, à raison de 5 sous par jour, les maçons et autres ouvriers employés aux fortifications de la tour de Cesson, suivant l’ordre de M. de Guébriant. — Nouvelle répartition de 1885 écus entre les 11 quartiers de la ville[13]. — Les habitants avaient organisé déjà une force armée, puisqu’il la fin du mois de mai, le chapitre ordonnait de faire les processions des rogations « en la manière accoutumée, parce que les capitaines des bourgeois ont promis d’assister Messieurs en armes à cause de l’injure du temps. »

Jusqu’alors, le nouveau gouverneur de Bretagne, Henri de Bourbon, prince de Dombes, n’avait fait qu’une courte apparition au milieu du Penthièvre ; mais, à la fin de l’année, les royalistes succédèrent aux ligueurs à Saint-Brieuc et le procureur des bourgeois, Prégent Le Normant, se rendit aux États convoqués à Rennes par le roi. Dans cette assemblée parurent aussi plusieurs gentilshommes et magistrats réfugiés, entre autres Salomon Ruffelet, sénéchal royal de Saint-Brieuc[14]. Ruffelet se distingua aux États dans plusieurs commissions et, dans la suite de la guerre, il porta les armes ou assista de ses conseils les généraux du roi. Son nom mérite d’être signalé, car c’est le premier bourgeois de Saint-Brieuc qui ait fait honneur à sa ville natale dans un rôle officiel, et ce n’est pas la dernière fois que nous le verrons à l’œuvre.

Pendant que les bourgeois et les magistrats servaient ainsi la cause du roi, l’évêque Nicolas Langelier, dont nous avons noté les sympathies pour la Ligue, s’était retiré dans la place forte de Dinan, où il avait emporté des archives qu’on n’a jamais pu recouvrer. Le chapitre lui envoya, le 26 octobre, une députation « pour, par son moyen, obtenir une sauvegarde pour la conservation de l’église et biens d’icelle. »

1591. — Au début de la campagne d’été, la guerre prit un plus grand développement, par suite d’un traité signé, le 9 avril, entre la reine d’Angleterre, Élisabeth, et les États de Bretagne. 2 400 Anglais, sous les ordres de Noris, débarquèrent à Paimpol, le 12 mai, et vinrent rallier le prince de Dombes prés de Saint-Brieuc.

Les royalistes, ainsi établis sur la côte, de Paimpol à Saint-Brieuc, et comptant sur d’autres renforts d’Angleterre, attaquèrent les places fortes du Penthièvre. Ils s’emparèrent de Guingamp, le 11 juin, mais ils échouèrent à Lamballe, où périt Lanoue Bras-de-fer. Mercœur n’avait fait que les surveiller pendant ces sièges.

Bientôt il y eut dissentiment entre le prince de Dombes et ses alliés. Les Anglais ne voulaient pas s’éloigner de la côte, qui était leur base d’opérations, et demandaient à retourner à Saint-Brieuc pour soigner leurs malades. Le prince de Dombes, qui préférait ses plaisirs aux fatigues d’une campagne en Basse-Bretagne, se replia vers Rennes avec la plus grande partie de son armée et ne revint plus.

L’histoire de Saint-Brieuc, du mois d’octobre 1591 au mois correspondant de 1592, est tout entière dans deux comptes présentés par Henri Compadre[15], l’un, en qualité de « thesaurier » de la paroisse de Saint Michel, et l’autre, de procureur-syndic des bourgeois et habitants. Le dernier surtout, qui n’a pas été connu des auteurs des Anciens Evêchés, donne sur cette période importante de notre histoire des détails d’un véritable intérêt[16]. On y lit, jour par jour, sous une forme naïve et parfois saisissante, le récit d’angoisses qui se traduisent en dons de toute espèce aux gens de guerre. À la fin de l’année 1591, on se ressent encore du passage de l’armée royale et le syndic porte en dépenses :

« Pour auoir enuoie trois messagers lun appres lautre a Lamballe pour scauoir nouuelles de certains gens de guerre y estans, lesquelz on craignoit venir audict St Brieu pour y rauager, pour ce ... xlv s.

Pour auoir faict enterrer huict soldatz anglois de l’armée de Monseigneur le prince de Dombes, lesquelz demeurerent en ceste dicte ville malades, appres la dicte armée, pour ce ... iiii L.

Quarante ung escu trois soubz six deniers qu’il paia des le mois d’aoust dudict an mil vctz iiiixx uncze, par commandement du capitaine Chasteau, commandant pour le service du Roy en ceste dicte ville, et ce consentant les dicts habittans, pour la nouriture et entretenement de soixante lansquenetz, que furent l’espacze d’une sepmaine en garnison au dict Sainct Brieu , et ce outre ce que fut receu des cotizations pour ce faictes sur les habittans de la dicte ville, pour ce ... vixx iii L. iii s. vi d. »

Dans ce même mois d’août, le prince de Dombes avait eu aussi besoin d’argent, mais il s’y était pris d’une autre manière : il avait fait lever sur quelques particuliers, « par forme de prest et auance, la somme de mil escuz, sauff a les remplacer sur les deniers que eussent peu estre deubz au Roy sur la ditte ville en la ditte année. »

Il semble que la ville de Saint-Brieuc n’eut pas dû regretter l’armée régulière, et cependant, après le départ de cette armée, elle souffrit encore davantage, car elle fut exploitée à la fois par ceux qui étaient chargés de la défendre et par des bandes de mercenaires de tout pays.

Ces violences n’étaient pas seulement le fait des simples soldats : un gentilhomme, le capitaine Du Liscoët, qui commandait à Quintin, se rendit coupable de pillage et de perfidie dans son propre parti. « Les habitans de Saint-Brieuc, dit dom Morice, tenoient le parti du Roi. Cependant M. Du Liscoët, scachant qu’ils avoient mis de bons effets dans la tour de Cesson, demanda à y entrer, sous prétexte de s’y reposer d’une action qu’il venoit d’avoir contre quelques ligueurs. Y ayant esté receu, il fit ouvrir successivement la porte à quelques autres et se rendit ainsi maistre de la tour par mauvaise foi. On en fit des plaintes au prince de Dombes.... »

Il ne fut pas facile de se débarrasser de Du Liscoët. Il fallut auparavant payer, 6 livres, le déjeuner donné au commandeur de Carentoir, que le prince de Dombes avait envoyé « pour les afaires d’entre le dict sieur Du Liscoët et le cappitaine Chasteau, touchant la tour de Cesson » ; payer encore pour aller à Quintin faire des excuses au sieur Du Liscoët, « touchant l’entreprise faicte a la dicte tour de Cesson lorsque Du Hirant fut bleczé. »

1592. — L’installation de Du Liscoët avait eu lieu à la fin de 1591 et, le 21 mars 1592 seulement, le prince de Dombes adressait, de Rennes, un mandement au commandeur de Carentoir, pour se transporter à la tour de Cesson : « sur ce que le sieur Du Liscoët nous auroit fait entendre estre prest, suivant les reiterez commandemens que lui aurions faits, de nous remettre la tour de Cesson entre mains... » Il lui ordonnait en conséquence de s’en emparer, de la conserver avec tel nombre de gens de guerre qu’il lui conviendrait de choisir, et de dresser un bon et loyal inventaire des armes, munitions et autres choses qui s’y trouveraient[17].

Pendant que ces pourparlers avaient lieu au sujet de la forteresse, le sieur de Crapado était venu, le 17 janvier, à Saint-Brieuc, de la part du prince de Dombes, « afin de s’enquérir et faire estat des desordres et insollences que faisoint les gens de guerre en ce pais... Luy fut présenté a son logis, au nom de la dicte ville et par comandement des dicts bourgeois quattre potz de vin de Gascongne, a douze soubz le pot, et deux potz vin de Canarie a quinze soubz le pot. » De tous côtés s’élevaient les plaintes des bourgeois et des pauvres laboureurs des paroisses voisines. On fit articles de ces plaintes, suivant l’expression du syndic ; mais les désordres furent si peu réprimés que, le 8 mars, des soldats brisèrent une vitre prés de l’autel de Saint-Laurent, pour entrer dans l’église de Saint-Michel, pendant la grand’messe, et qu’ils y tuèrent un homme.

Voici le curieux détail des dépenses qu’on fit à la suite de ce meurtre :

« Plus audict Mercier et son servant, pour auoir acoustré la vittre pres l’autel de St Laurens, que les soldatz rompirent pour entrer en ladicte eglisse durant la grand’messe le dimanche huictiesme jour de Mars... xviii s.

Le dict huictiesme jour de Mars, cousta pour la collation que fut donnée a dix soldatz que fisrent esecorte a Monsieur l’alloué, son greffier et audict comptable pour aller faire visitte et proces verbal de ce que avoit esté faict en la dicte eglisse, mesmes du corps de Henry Gicquel qui fut ledict jour tué en icelle, pour ce... iiii L. x s.

Pour le disner de messieurs le grand vicaire, recteur de Sainct Michel et des autres prestres que leur aiderent a faire l’office pour la reconciliation de ladicte eglisse et du cymeterre... vi L.

Pour le vin, encens et autres choses necessaire pour asperger les ditz eglisse et cymetere[18]... x s. »

À la suite de cet événement, on mit la guette, ou garde de Saint-Michel, à l’abri d’un coup de main : « demande ledit comptable luy estre alloué soixante huict soubz qu’il paia a ung appelé Le Mercier, maczon, pour auoir faict ung esporon audeuant de l’huis de l’entrée du clocher de Saint-Michel, lequel y estoit necessaire pour la seurté de ceux qu’estoins ordonnez pour faire la sentinelle et garde ordinaire dans ledit clocher. » On fit aussi « acoustrer les barrieres de sainct pere et du pyllory » et mettre aux autres « des clefz et claueures. « Quant à la garnison, la ville préférait s’en passer, tout en payant sa part des 14 250 écus levés, dans les mêmes jours, sur l’évêché, pour l’entretien des autres garnisons.

Cependant, le 25 avril, les bourgeois de Saint-Brieuc apprenaient « qu’il estoit arrivé a Lamballe plussieurs gens de guerre lesquelz deliberoint venir rauager en icelle ; » et, le 8 mai, le capitaine La Vangine, se disant au service du duc de Mercœur, s’emparait de La Ville-Bougault, à la porte de Saint-Brieuc. L’assemblée de ville réunie, il fut avisé qu’on écrirait à l’évêque pour savoir comment se comporter en cette circonstance. Le comptable paya 4 livres, à cet effet, au messager qui fut envoyé à Dinan et fit porter, en attendant, 6 pots de vin de Gascogne au capitaine La Vangine.

Il faut croire que les sympathies des bourgeois étaient plus vives pour les royalistes que pour les ligueurs, car le capitaine Quensal, venu, le 13 mai, du Guémadeuc, au secours de Saint-Brieuc, reçut un pot d’hypocras, 8 de Gascogne, des confitures, quelques pains et des viandes. Un autre capitaine, François Du Bois, sieur de La Roche-Bagat, accourut aussi de Guingamp. Quelques soldats de sa compagnie furent blessés devant la Ville-Bougault et transportés à l’évêché ; mais la pénurie y était si grande qu’il fallut envoyer des couettes, du logis du théologal, pour coucher les blessés.

Le combat de La Ville-Bougault fut le prélude de l’occupation de Saint-Brieuc par les ligueurs. Le syndic ne semble-t-il pas arrêter la première partie de son compte en inscrivant : « Paié a Mathurin Lemoine la somme de vingt escuz pour auoir servi a faire la sentinelle, tant de jour que de nuict, dans le clocher de St-Michel, et ce depuis le huictiesme jour de mars jucqu’au dernier jour de juillet au dict an » — et ouvrir la deuxième partie, en ajoutant : « le dernier jour juillet du dict an mil cinq cens quattre vingtz douze que le sieur de St Laurens, maréchal de camp de l’armée de Monseigneur le duc de Mercœur, arriva audit St Brieu avec ses troppes » ?

Ce M. de Saint-Laurens, dit Avaugour, demande des pionniers et « trante trois fustz de pippes » pour servir de gabions devant la tour, des chevaux pour traîner le canon ; on travaille, près de Saint-Michel, pour abattre des murs et des fossés et dresser un champ de bataille ; on voit s’installer des corps de garde dans la grande église et au logis du général. Celui-ci, en homme prudent, pour éviter, dit-il, les réquisitions de ses soldats, ordonne aux bourgeois de faire « ung magazin de trante pippes vin, bon et net, pour fournir l’armée d’icelluy sieur et euitter la grande foulle et oppression du pauure peuple de la dicte ville, que les soldatz contragnoint journellement leur en fournir. »

Cette occupation de Saint-Brieuc par les ligueurs amena le départ d’un certain nombre d’habitants et de la Cour royale, qui alla s’établir provisoirement à Guingamp[19].

René de Rieux, marquis de Sourdéac, qui commandait pour le roi en Basse-Bretagne, ayant rassemblé ce qu’il put trouver de troupes, vint livrer bataille au chef ligueur devant Saint-Brieuc, près de la Corderie, le samedi, 8 août 1592, resta vainqueur et fit son ennemi prisonnier. « Le dit sieur de Saint-Laurens, dit Dumatz dans ses Mémoires, fut pris prisonnier de la main du boureau des lansquenets qui luy saisit la bride de son cheval, plusieurs gentils-hommes furent aussi pris prisonniers, l’infanterie fut malmenée et ce qui se peut sauver se jetta dans l’église dudit Saint-Brieu, là où ils furent pris par composition. »

Le lendemain, en effet, Sourdéac exigea « trois barres de fer pour sapper le fort de la grand’Eglisse du dict Sainct-Brieu encores occupé par ceux du party de l’union. » Cette occupation n’avait pas eu lieu sans dommages pour la vieille catthédrale. Un procès-verbal dressé, le 11 août, par le juge des Regaires, à la requête de trois délégués du chapitre, constate le pillage des archives par les gens de Saint-Laurens qui s’étaient retirés dans la cathédrale, « en laquelle ilz auroient tenu le fort par l’espace de troys jours… et estantz entrez au dict chapitre, avons veu plusieurs coffres et armoires effoncées et les claveures levées et plusieurs lettres lacérées et rompues, espandues parmy la place, paroissant avoir esté foulées avec les piedz. »[20].

L’évêché, les hôtels de la noblesse, entre autres celui des seigneurs de Boisboissel, avaient été pillés également. Les bourgeois n’avaient pas été plus épargnés. Après avoir payé cinq écus pour enterrer les morts, le syndic fut encore chargé d’aller à Dinan trouver l’évêque et le prier d’écrire au duc de Mercœur, au sujet des misères supportées « tant de l’un party que de l’autre. » Ce voyage ne se fit pas sans encombre. La route par terre n’étant pas sûre, il fallut se rendre par mer à Saint-Malo, poursuivre en bateau jusqu’à Dinan et revenir par la même voie.

Au milieu de tels bouleversements, la charge de syndic n’était pas une sinécure. Les 30 livres de gages, qui furent allouées à Compadre « en maniere acoustumée », étaient bien insuffisantes pour couvrir les pertes qu’il avait essuyées ; aussi est-ce avec une simplicité pleine d’émotion que le malheureux syndic, en achevant son compte, supplie de considérer ses peines et les ravages faits trois fois en sa maison, pendant qu’il était en fonctions[21]. Le nom de Compadre n’ouvre-t-il pas avec honneur, dans cette histoire, la Liste des honnêtes bourgeois, appelés à gérer les affaires de la ville de Saint-Brieuc ?

Au mois de novembre, Mercœur reprit la tour de Cesson, qui reçut 400 coups de canon, suivant le manuscrit de M. de Piré. Il la conserva presque jusqu’à la fin des hostilités. Dans ses lettres « donne au camp a St Brieu le douziesme jour de novembre mil cinq centz quatre vingtz douze, » Mercœur reçut, avec de curieux considérants[22], les bourgeois dans le parti de l’Union et leva la saisie qu’il avait fait apposer sur leurs biens.

Parmi les recettes assez légères du compte de la fabrique, il est question de 12 justes de froment, dont le payement avait été retardé jusqu’au mois de novembre, à cause de la guerre. Elles furent saisies par le commis aux vivres de l’armée de Mercœur, qui assiégeait la tour.

Le chapitre de la cathédrale n’était pas mieux traité. Des notes, rédigées après la guerre pour suppléer aux registres des délibérations, font connaître qu’aux mois de novembre et de décembre, le service divin avait été suspendu et que les coffres des archives avaient été de nouveau fracturés.

1593. — Au mois de juin, Mercœur ordonnait encore d’égailler sur les habitants de Saint-Brieuc 500 écus, « pour le deffault par eux commis aux fortifications de la tour de Cesson. »

Les mêmes habitants qui s’étaient fait représenter aux États de la Ligue, tenus à Vannes au mois de mars, n’en députèrent pas moins Prégent Le Normant, leur procureur, aux États que le roi avait convoqués à Rennes, au mois de septembre. Depuis 1590, il n’y avait pas eu, dans le parti royaliste, de session importante. Une simple commission de membres des trois Ordres avait même, en 1591, enregistré les lettres et les mandements, « sans préjudice des libertés de la province. » En 1593, les États furent assez nombreux : il s’agissait d’obtenir du roi de bons généraux et de négocier, avec la reine d’Angleterre et les États des Pays-Bas, des emprunts qu’on déclarait indispensables pour continuer la guerre. On les vota en principe, mais on eut bientôt la preuve qu’il ne fallait d’aucune manière compter sur les étrangers. Du reste, un événement plus important pour le parti royaliste venait de s’accomplir, bien qu’il n’ait pas eu de conséquences immédiates en Bretagne : c’était la conversion de Henri IV.

1594. — Il fallut néanmoins combattre. Cette fois, les troupes royales avaient à leur tête un homme de guerre expérimenté, le maréchal d’Aumont. Il rétablit d’abord la discipline dans son armée, réprima quelques chefs de bandes, qui étaient de véritables bandits ; puis, il s’avança par Saint-Brieuc vers Guingamp et, de là, il dirigea d’heureuses opérations en Basse-Bretagne.

1595. — Cette année se passa presque tout entière en escarmouches. Les habitants de Saint-Brieuc n’en furent pas moins obligés de négocier avec les deux partis. Tantôt, c’était le maréchal d’Aumont qui leur accordait une sauvegarde, à son retour de Basse-Bretagne ; tantôt, c’était Mercœur qui les prenait sous sa protection, leur permettant d’arborer ses armoiries à l’entrée de la ville, les autorisant à trafiquer librement par terre et par mer, en Espagne ou partout ailleurs. Tout cela se payait en argent et en nature. Les archives de Saint-Brieuc mentionnent, en effet, un ordre envoyé par Mercœur pour ravitailler la garnison de la tour de Cesson, dans cette même année 1595.

On a quelquefois accusé les bourgeois de Saint-Brieuc d’avoir crié, suivant les circonstances : Vive le Roi ! vive la Ligue ! Le récit impartial des faits prouve qu’ils ont eu beaucoup à se plaindre des deux partis, peut-être un peu plus des ligueurs, parce qu’ils les ont eus plus longtemps pour voisins. D’ailleurs, la foi religieuse n’agissait pas sur eux, en faveur de la Ligue, comme dans certaines provinces, puisque presque tous les royalistes étaient catholiques en Bretagne, aussi bien que les Ligueurs. On comprend donc, surtout après la conversion de Henri IV, que les pacifiques bourgeois de Saint-Brieuc se soient peu intéressés aux projets politiques de Mercœur. Le clergé de la ville épiscopale lui-même commençait à penser comme les bourgeois ; aussi, dès qu’on apprit que le pape avait absous Henri IV, on fit, le 29 décembre, une procession générale pour célébrer cet événement, qui semblait promettre la fin de la guerre civile.

L’évêque Nicolas Langelier n’avait pas eu à se séparer de Mercœur : il était mort à Dinan, le 24 septembre. Suivant son désir, son corps fut apporté à Saint-Brieuc et inhumé au milieu du chœur de la cathédrale[23]. Après lui, l’évêché resta vacant pendant plus de cinq ans.

Au lieu de la paix à laquelle tout le monde aspirait en Bretagne, on n’eut qu’une trêve. De tous les chefs ligueurs, Mercœur fut le dernier à céder. Deux uns après la soumission de Mayenne, il négociait encore. Ce fut la plus grande faute de cette vie, glorieuse à d’autres titres.

Il faut savoir, en effet, quelles furent les conséquences de ces ajournements pour les habitants des villes ouvertes et des campagnes. Un compte des dépenses faites par le syndic Bagot, d’octobre 1595 à octobre 1596, le prouve trop éloquemment[24]. Avant la trêve, on assiste à un pillage en régie, organisé par les capitaines voisins, notamment par un certain La Fontaine, commandant à Corlay. Tantôt, c’est une demande de barriques de vin, pour dispenser les habitants de Saint-Brieuc des corvées aux fortifications de Corlay ; tantôt, c’est l’apparition de La Fontaine qui vient, en bonne compagnie, prélever une contribution et aussi enlever le comptable, qui reste en prison à Corlay jusqu’à parfait payement. C’est encore le commandant du château de La Coste, qui fait payer au syndic un droit de passage et vient ensuite explorer les celliers des bourgeois ; c’est le capitaine de la tour de Cesson qui, jaloux des succès de ses collègues, lance ses soldats en ville pour y faire des visites domiciliaires, en partageant avec eux les profits.

Nous en passons forcément, car aussi bien n’y avait-il pas un seul des tyranneaux commandant un petit fort, de Corlay à Paimpol, qui ne se crût autorisé à lever la dîme sur ces pacifiques bourgeois. Tout cela, bien entendu, sans préjudice des contributions réclamées tour-à-tour par le roi et par le duc de Mercœur et des confiscations prononcées des deux côtés. À la saisie de l’évêché de Saint-Brieuc en 1591, par ordre du roi, avait succédé, à partir de 1592, la saisie, par ordre de Mercœur, des biens des bourgeois et de ceux « du party contraire à l’Union. » Avec les royalistes, on avait vu les Anglais ravager le pays ; avec les ligueurs étaient venus les Espagnols. Pour ces derniers, la Bretagne était le Petit-Pérou : c’est ainsi qu’ils l’appelaient.

1596. — Heureusement l’occupation espagnole touchait à sa fin et don Juan d’Aquila se repliait de la Basse-Bretagne vers la Loire, en passant par le centre. Quelques-unes de ses bandes s’avancèrent, en maraudant, jusqu’à Saint-Brieuc et y reçurent à la fois des vivres et de l’argent. Pour éviter la visite du général en chef, les bourgeois renouvelèrent à son égard les politesses que certains capitaines avaient appréciées en 1592. Cette fois, on essaya de flatter les goûts du général, en lui offrant du poisson le meilleur, saumons, turbots, soles, mulets, avec des huîtres et du vin de Gascogne. Le cadeau fut bien reçu ; mais il parait, d’après le compte du syndic Bagot, que la quantité fut jugée insuffisante et que don Juan formula lui-même ses réquisitions.

On se demande comment, après avoir si longtemps abreuvé les deux partis, les bourgeois de Saint-Brieuc avaient encore du vin dans leurs celliers. Ils en présentèrent cependant au trop fameux Guy Eder, plus connu sous le nom de La Fontenelle, quand ce terrible partisan vint voir son père aux Villes-Doré. Nous ne citons La Fontenelle qu’en passant, car il n’a été mêlé qu’accidentellement à l’histoire de notre ville. Les auteurs des Anciens Evêchés ont cru, il est vrai, retrouver La Fontenelle dans le La Fontaine, persécuteur du syndic Bagot ; mais il n’y a là qu’une supposition, qu’on admet d’abord, parce que La Fontenelle a réellement occupé Corlay, mais qu’on rejette ensuite, quand on remarque que, dès 1594, le maréchal d’Aumont avait « chassé ledict sieur de La Fontenelle dudict chasteau de Corlay »[25] et que le compte où il est question de La Fontaine ne commence qu’à la fin de 1595.

Quoi qu’il en soit, après avoir été ravagée par de pareils hommes, la Bretagne n’avait plus de ressources. Les États de Rennes, de 1596, le constatèrent en répondant aux demandes d’argent faites par les commissaires du roi : « Les desordres mauvais mesnaige et viollances ont tellement epuise le sang de votre peuple quil ne sy est trouve aulcun moyen de plus fere de fons. »

1597. — Cependant, il fallait de l’argent à tout prix pour mettre fin à une situation qui, sous l’apparence d’une trêve, était aussi désastreuse qu’une guerre déclarée. Les États se résignèrent à lever une somme de 200,000 écus, sous forme d’emprunt remboursable à la paix. Dans cette somme, les habitants de Saint-Brieuc, nobles et non nobles, exempts et non exempts, furent taxés à mille écus.

1598. — Pendant cette longue guerre dont nous allons raconter le dernier épisode, la tour de Cesson n’avait point été pour la ville de Saint-Brieuc le rempart qui abrite la liberté et la vie des citoyens, elle n’avait été qu’un instrument d’oppression ; aussi, quand la paix eut été signée définitivement entre le roi et Mercœur, le 20 mars 1598, la première pensée de nos pères fut de se débarrasser d’un voisin détesté, qui ne leur rappelait que les souvenirs de la guerre civile. Sur la demande des bourgeois, la destruction de la tour fut ordonnée par le roi. Le maréchal de Brissac, lieutenant-général au gouvernement de Bretagne, venait de s’en emparer et se trouvait encore le 2 avril, « au camp de Cesson, » quand il enjoignit de lever 2578 écus 30 sous dans l’évêché de Saint-Brieuc. De là, il se rendit à Morlaix, d’où il envoya, le 17 et le 18 avril, deux ordonnances à M. de Précréhant, gouverneur de Cesson : la première, pour « faire démolir entièrement ladite tour de Cesson, icelle abattre, ensemble les nouvelles fortifications et le tout rendre en tel estat que personne ne s’y puisse plus désormais loger... vous servant a cet effet des paroisses de ladite tour auxquelles nous mandons de s’y trouver » ; — la seconde, pour « délivrer et mettre entre les mains des commissaires de l’artillerie et autres gens de mestier servant en icelle, toutes les munitions de guerre comme poudres, balles, mèches, canons et autres choses qui se trouveront leur appartenir estant dans ladite tour. » Enfin, le 3 mai, le roi étant à Nantes et voulant reconnaître les fidèles services de M. de Précréhant, lui donna par brevet spécial « tous les matériaux de pierres, poutres, merains, ardoises, plomberies et autres qui proviendront du bris et demantellement ordonné par sadite Majesté, tant du corps de la tour de Cesson que des bâtimens qui lui appartiennent en icelles fortifications anciennes et récentes. »[26].

Rien ne semblait s’opposer à la démolition de la tour de Cesson et cependant, le 25 mai, les États de Bretagne recevaient les plaintes très vives des bourgeois de Saint-Brieuc contre le sieur de Précréhant et ordonnaient à celui-ci, ou à son défaut aux juges de Saint-Brieuc, de faire cette démolition dans six semaines, pour tout délai[27].

En s’appuyant sur cette délibération, le sénéchal de la Cour royale, Salomon Ruffelet, eut raison des dernières résistances, mais seulement au bout de cinq mois. Enfin, le 11 octobre 1598, accompagné des juges, d’un grand nombre de notables et d’habitants, il vint recevoir, de M. de Précréhant, livraison de la tour et en dressa procès-verbal[28]. Le procureur syndic et quelques membres de la communauté furent préposés à la démolition et rendus responsables. Le 7 novembre, le sénéchal Ruffelet ordonnait encore aux paroissiens de Plérin d’envoyer à la tour de Cesson 46 hommes, le jeudi de chaque semaine, « jusques a l’entiere ruine de la ditte Tour », et cela, sous peine d’amende, « attendu que cest pour le repos et bien du pais. »[29].

La tour de Cesson est restée, depuis cette époque, à peu près telle qu’on la voit, coupée en deux, à sa base, par une explosion violente de mine, et offrant un aspect à la fois triste et grandiose. La partie qui regarde le nord présente aux marins une masse encore imposante, quoique découronnée. Le côté du midi a disparu presque entier et laisse apercevoir des murs d’une épaisseur énorme, à l’intérieur desquels se développent, suspendues dans l’espace, quelques volées élégantes d’un escalier en granit. Des ouvrages avancés qui défendaient les abords de la forteresse, des casernes établies dans la partie orientale du plateau, il ne reste plus rien. Le dernier gouverneur et les habitants d’alentour ont exécuté à la lettre les ordonnances de démolition de M. de Brissac, et n’ont été arrêtés que par l’extrême dureté de cette dernière masse de pierre et de ciment.

Les guerres de la Ligue ont eu pour résultat, à Saint-Brieuc, comme dans beaucoup d’autres villes, de ruiner pour longtemps la population. Les comptes, analysés plus haut, nous ont fait connaître la situation de Saint-Brieuc pendant les années les plus tristes de cette période. Après la guerre, on eut la famine et la peste. On apprend, en effet, par quelques anciennes notes du chapitre, que le 10 juillet 1598, le trésorier reçut l’ordre de fermer l’église après le service divin, « à cause de la maladie qui commence » et que, le 17 juillet, on fit « à cause de la contagion » une procession générale, où l’on porta les chefs de saint Brieuc et de saint Guillaume. En vain le sénéchal Ruffelet défendit-il, cette même année, sous peine d’amende et du fouet, de vendre et d’acheter les lins et filasses « venant des villes de Lanvollon, Pontrieux, Quintin, Estables, Chatelaudren et aultres lieux infectez », il fut impossible de maintenir ce cordon sanitaire, par suite du renchérissement des denrées, et il fallut, dès 1599, faire appel aux étrangers, au lieu de les repousser.

Ainsi finissait ce xvie siècle, si brillamment commencé, si bien continué jusqu’aux guerres de la Ligue.


III. — ORGANISATION INTÉRIEURE.


Il serait injuste de ne pas noter ici quelques-uns des éléments nouveaux que la population de Saint-Brieuc a trouvés au cours de cette période, et qui lui ont permis de résister aux désastres de la fin.

L’aisance avait augmenté sous l’influence de la paix intérieure ; le prix des terres était devenu plus élevé, celui des céréales également, tout en subissant des variations considérables. Ainsi, en 1525, le froment le plus beau valait 10 sous, la perrée ; le seigle, 6 sous ; en 1538, le froment, 25 sous ; le seigle, 22 sous 6 deniers ; l’avoine grosse, 10 sous ; l’avoine menue, 5 sous ; en 1550, le froment, 16 sous 8 deniers ; le seigle, 13 sous 4 deniers ; l’avoine grosse, 8 sous 4 deniers ; la menue, 4 sous 2 deniers. Pendant les guerres de la Ligue, le prix du boisseau, ou de la demi-perrée de froment, ne dépassait pas 20 sous.

À la même époque, le pot de vin de Gascogne coûtait de 10 à 12 sous ; celui de Canarie, 15 sous ; l’hypocras, 40 sous ; — la livre de cire était estimée 10 sous ; la chandelle, 12 sous, la douzaine ; — le fer œuvré valait 3 sous 6 deniers, la livre ; le plomb en saumon, 1 sou et demi ; — les maçons étaient payés 5 sous par jour[30].

Les œuvres d’art de ce temps ne sont pas nombreuses dans notre ville et ce n’est pas à l’architecture religieuse qu’il faut les demander. Le xvie siècle n’a donné à notre vieille cathédrale que quelques-unes des chapelles qui entourent le chevet et qui, à l’extérieur surtout, produisent un effet disgracieux. Il n’en est pas de même du magnifique buffet d’orgues, où l’art de la renaissance apparaît avec tous ses caprices d’imagination et une délicatesse d’exécution qu’on ne saurait surpasser.

L’architecture civile a été plus féconde et nous a laissé quelques habitations qui méritent d’être remarquées : le corps de logis principal de l’ancien évêché ; une partie de l’évêché actuel, qu’on appelait alors Quincangrogne ; quelques maisons de la Grand’Rue-ès-Marchands ; une maison de la rue Fardel, dite autrefois l’hôtel des ducs de Bretagne et aujourd’hui le Chapeau rouge, portant sur son pilastre occidental cette inscription : ce : présent : bastiment : fut : comencé : par : Yvon : Couffon : le 7 mars 1572 ; au-dehors, à peu de distance de la ville, quelques manoirs convertis en fermes, notamment Robien et la Ville-Doré.

À la fin du xvie siècle, la ville était circonscrite par plusieurs portes ou barrières : Saint-Guillaume, la croix Guibour, la porte Thomase, Saint-Pierre, la porte Morlaise, de Gouët et Saint-Michel. À l’intérieur de ce périmètre, on avait encore établi, à cause de la guerre, les barrières du Pilori, de la Vicairie, de la rue Jouallan, de la venelle du Chapitre, qui devaient ressembler à autant de barricades. À l’extrémité des faubourgs et aux principaux carrefours, s’élevaient des croix en pierre, suivant l’ancien usage.

Les comptes prouvent que la ville était divisée en 11 quartiers, dans chacun desquels il y avait un rôle pour la perception de l’impôt : Martrai, Fardel, Quinquaine, Gouët, Grand’Rue, Saint-Michel, Saint-Guillaume, Saint-Gouéno, Joualan, Saint-Pierre et, au-dehors, les Villages.

Les réformations de la noblesse, de 1513 et de 1535, mentionnent, à Saint-Brieuc, les nobles d’ancienne extraction, tels que les Du Rouvre, les Dolo, les Ploufragan, Les Néant, les Moro, les Le Mintier, auxquels on peut ajouter, vers la fin du xvie siècle, les Tanouarn, à Cardenoual, et les Brehan de Lisle, successeurs par mariage des Du Rouvre, dans la seigneurie de Boisboissel et à Quincangrogne. On n’oublie pas de citer dans les réformations les anoblis, devenus gens de robe ou d’église, tels que les descendants de Jean Le Bigot, et les membres suspendus, mais non déchus, de la noblesse, un Turnegouet, par exemple, « qui avait tenu maison, hôtellerie et ferme d’impôts. »

Dans la banlieue, on remarque surtout les Eder et les Budes. Les Eder étaient devenus seigneurs de La Ville-Ginguelin, de La Ville-Doré et de La Fontenelle, par le mariage de Robert Eder, sieur de Beaumanoir, avec Moricette de Penmarch, héritière de ces biens. De ce mariage naquit René, père du fameux Guy, si connu sous le nom de La Fontenelle, qui se rattache ainsi par son origine au territoire de Saint-Brieuc. Ses parents ayant habité, vers l’époque de sa naissance, L’Ongle, au diocèse de Nantes ; Beaumanoir, près de Quintin ; La Ville-Doré, près de Saint-Brieuc, chacun de ces pays le revendique sans apporter de preuve véritable. Nous avons donc cru suffisant de citer une fois, pendant la Ligue, le nom de La Fontenelle, puisqu’il est resté presque toujours en dehors de l’histoire de Saint-Brieuc.

Une branche de l’illustre famille des Budes s’établit, au commencement du xvie siècle, au Tertre-Jouan, on Ploufragan. À cette branche appartenait François Budes, sénéchal des Regaires, député de la noblesse de Saint-Brieuc pour la réformation de la coutume de Bretagne, en 1580[31]. Les Budes du Hirel eurent aussi des intérêts dans le territoire de Saint-Brieuc, par le mariage de l’un d’eux, Jacques, procureur-général au Parlement de Bretagne, avec une descendante des Couvran. L’un de ses fils, Charles Budes, également procureur-général et zélé royaliste pendant la Ligue, a été le père du maréchal de Guébriant.

Sur les confins de la noblesse et de la bourgeoisie, nous trouvons, à la même époque, un parvenu du parti royaliste, François James, sieur de La Ville-Carre, qui s’intitulait grand-prévôt de Bretagne, capitaine et gouverneur des villes et places de Ploërmel et de Saint-Brieuc. C’est sans doute à cause de toutes ces qualités qu’il assista le sénéchal Ruffelet lors de la démolition de la tour de Cesson, en 1598. François James habitait, à Saint-Brieuc, le manoir de la Grande-Grenouillère et se disait issu des Couvran par sa mère ; mais il est probable qu’il en était de son titre de capitane de Saint-Brieuc comme de sa noblesse, que ses descendants perdirent à la réformation de 1669[32]. On pourrait citer, à cette époque de troubles, bien des exemples de pareilles usurpations.

Les familles bourgeoises ont beaucoup gagné en nombre et en influence. Dans les deux siècles précédents, nous avons signalé l’apparition des bourgeois de Saint-Brieuc dans plusieurs assemblées des États de Bretagne, mais sans pouvoir nous prononcer sur l’importance qu’ils avaient dans l’administration de la cité. Au xvie siècle, leur place commence à y être bien marquée. On les voit souvent, et notamment en 1579, se réunir dans l’église paroissiale, le dimanche, pour assister au service divin et délibérer ensuite des affaires de la ville et de la paroisse. Et ce ne sont pas seulement les notables, mais tous les paroissiens, bourgeois, manants et habitants : voilà les expressions consacrées. Le souvenir de ces anciennes libertés a été rappelé par les États de Bretagne dans leurs remontrances au roi, en 1781 : « Autrefois, y est-il dit, l’entrée de l’hôtel de ville était permise à tous les habitants et l’assemblée de la communauté était véritablement l’assemblée générale de la commune. » Le lieu choisi pour ces réunions indique aussi qu’elles ont eu, au début, un double caractère : c’était en même temps une fabrique et une communauté de ville, vivant à l’ombre de l’église. Cette origine, simple et libérale à la fois, dérange bien un peu nos idées sur l’émancipation des communes par la révolte ; mais, quand on fait l’histoire sans esprit de parti, on est bien forcé de reconnaître que l’organisation de la cité a eu lieu lentement et pacifiquement à Saint-Brieuc, comme dans la plupart des villes de Bretagne. Essayons de suivre, dans quelques-unes de leurs manifestations, la paroisse et l’assemblée de ville.

En ce qui concerne la paroisse, il faut se rappeler qu’elle était, dans le principe, desservie à la cathédrale par le chapitre et que, si l’on avait établi, en 1233, un vicaire et deux chapelains, c’était uniquement dans l’intérêt du service[33]. La population de la ville ayant augmenté et le service de la paroisse troublant l’office, le chapitre en transporta une partie dans l’église de Saint-Michel, mais en gardant la qualité de curé primitif, les fonts baptismaux, les registres des baptêmes, mariages et sépultures et quelques fonctions importantes[34].

Cette translation eut lieu vers la fin du xve siècle, et l’église de Saint-Michel fut agrandie ou rebâtie à cette occasion, car on a retrouvé, dans notre siècle, en démolissant la tour, une pierre portant la date de 1498, avec le nom du trésorier, Thomas Dutays, date qui se rapproche beaucoup de celle de 1490, assignée par M. Lymon de La Belleissue à la reconstruction de l’église.

Le même chroniqueur a laissé des notes contenant les noms de plusieurs trésoriers et administrateurs de la fabrique et quelques renseignements sur les comptes, de 1537 à 1549. Il en résulte que ces comptes étaient rendus, à part, à l’évêque ou à ses commissaires. Le premier compte complet, de 1591 à 1592, que nous avons cité à propos de la Ligue, contient d’assez curieux détails sur la paroisse.

Quatre trésoriers étaient nommés à la fois, pour entrer successivement en fonctions, chaque année. Le compte, que rendait le trésorier sortant à son successeur, était examiné par le juge des Regaires, en présence de commissaires ecclésiastiques et de commissaires civils, députés par le général des paroissiens.

On y voit allouer : 2 écus au comptable, lors de sa réception, pour les frais du banquet, auquel assistent le recteur, son vicaire et plusieurs bourgeois ; 25 sous, aux prêtres qui célèbrent les vêpres, la veille de la Saint-Michel, et 20 sous, pour « la potation » des dits prêtres ; 20 sous pour un boisseau de froment « mis en fleur » et 12 écus 1/2 pour une barrique de vin, le tout « pour acomunier » le peuple aux fêtes de Pâques[35] ; 11 sous 11 deniers aux 11 « tesmoigns sinodaux » qui assistent à la visite de l’église ; 6 livres, pour la dépense faite tant avec les visiteurs délégués qu’avec les témoins synodaux ; 18 sous, pour mettre une corde à la cloche du vicaire, « estant en la grand’eglisse (la cathédrale) » ; 12 écus, à un religieux de Saint-François, pour avoir annoncé la parole de Dieu, pendant l’avent et le carême ; 4 livres 10 sous, au porteur de la cloche du réveille-matin ; 2 écus, à une nourrice de Ploufragan, pour avoir allaité, pendant trois mois, « ung enffent trouué et abandonné sur ung autel. » On voit, par cet aperçu, que la fabrique avait une administration spéciale et qu’elle pourvoyait à des dépenses bien déterminées.

L’assemblée de ville ne paraît pas, au premier abord, distincte de celle de la paroisse, pendant la plus grande partie du xvi siècle, parce qu’elles se réunissaient également à l’église paroissiale : la délibération de 1579, mentionnée plus haut, le dit nettement. Nous avons aussi remarqué, en relevant quelques noms de procureurs-syndics depuis 1532, et de trésoriers de la fabrique depuis 1537, que le même individu occupait quelquefois ces deux fonctions ; mais, d’autre part, nous avons facilement reconnu que les comptes étaient déjà séparés et n’étaient pas rendus aux mêmes commissaires.

Il ne serait pas impossible que cette séparation eût eu lieu dès le xive siècle, lorsque les procureurs des bonnes villes furent appelés aux États pour traiter des affaires générales et consentir l’impôt. Ces villes prirent vite de l’importance et obtinrent de payer, à la place de l’impôt roturier des fouages[36], une contribution fixe, connue sous le nom d’aides. Tout cela supposait une certaine administration, qu’il eût été dangereux de confondre avec celle de la paroisse. Nous allons en trouver les principaux éléments dans le compte du syndic, de 1591 à 1592, qui nous a fourni tant de détails historiques.

Ce compte est présenté par Compadre à son successeur, par devant des commissaires élus par le général des bourgeois et habitants, en attendant une vérification supérieure. Si le syndic se rend pour certaines affaires à l’église paroissiale, il parle aussi de l’assemblée de ville, de l’assemblée des bourgeois et habitants, qu’il réunit quelquefois en son logis, pour conférer, quand il y a urgence. Les délibérations portent sur les emprunts, les dépenses particulières à cette époque, telles que la défense de la ville, les achats de vin ; sur la nomination des égailleurs des impôts dans les différents quartiers, et toutes les affaires d’intérêt général.

En comparant les deux comptes, rendus, la même année, par Henri Compadre, on doit en conclure, ce nous semble, que dans l’assemblée générale des paroissiens, qui se réunissait encore dans certains cas, il s’était formé une petite assemblée des bourgeois influents, qui dirigeait simultanément les affaires de la ville et celles de la paroisse, tout en séparant les comptes. Il n’y avait pas encore antagonisme entre l’élément civil et l’élément religieux, mais une simple tendance à faire prédominer le premier. L’influence de la Cour royale, établie à Saint-Brieuc, n’avait point dû rester étrangère à ce mouvement ; la richesse acquise par la bourgeoisie dans le commerce, les guerres de la Ligue et l’absence de l’évêque Langelier en favorisèrent le développement.

Le procureur-syndic ayant été, à cette époque, non seulement le comptable, mais le véritable représentant de la ville, nous croyons utile de donner la liste des syndics du xvie siècle que nous avons retrouvés, et de présenter en regard celle des trésoriers de la fabrique, qui ont dû être aussi, suivant toute apparence, procureurs-syndics. Ainsi disposées, ces deux listes se compléteront.


Trésoriers de la fabrique.
Procureurs-syndics.

1498. Thomas Dutays.
1536. Jean Meheut.
1537. ThoQias Le Ribault.
1538. Yves Gendrot.
1539. Jean Guillou.
1544. Roland Le Cheny.
1549. Pierre Compadre.

1590. Pregent Le Normant.
1591. Heuri Compadre.
1592. René Georgelin.
1593. Alain Bédel.
1594. Olivier Le Moenne.


1532. Bertrand Blanchard.
1535. Jehan Jorel.

1540. Normand Pommeret.

1559. Jean Pommeret.
1579. Jean Bagot.
1580. Olivier Guyto.
1590. Pregeut Le Normant.
1591. Henri Compadre.
1592. René Georgelin.
1593. Alain Bédel.
1594. Olivier Le Moenne.
1595. Lorent Bagot.
1597. Roland Guillou.
1598. Jean Leclerc.
1599. Baptiste Dujardin.


La ville de Saint-Brieuc était aussi représentée aux États de Bretagne. Nous avons relevé, dans les procès- verbaux manuscrits des États, les noms de nos députés, qu’on a continué d’appeler procureurs des bourgeois jusqu’à la fin du xvie siècle. Cette liste, que nous croyons complète et inédite, est établie régulièrement depuis 1567, date du plus ancien de ces procès-verbaux. Le chiffre 2, porté à côté de la date, indique qu’il y a eu deux sessions dans la même année.


Procureurs aux États.


1451 Vannes Guillaume Guynyeou.
1455 Vannes Pierre Plufragan.
1567 Vannes Jacques Ruffelet.
1571 (2) Rennes Jean Damar,— G. Le Maczon et Michel Pommeret.
1572 (2) Vannes, Nantes. Guillaume Jan, — Michel Pommeret.
1573 (2) Rennes, Dinan. Michel Pommeret.
1574 (2) Rennes, Nantes. Michel Pommeret, — Olivier Le Pape.
1575 Nantes Olivier Le Pape.
Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/105 étaient alors le plus en vue, il faut ajouter, d'après ce registre, la famille Favigo, dont les membres avaient une situation avantageuse dans l'église et dans le commerce. À côté du chanoine Guillaume Favigo, qui semble exercer une certaine influence, au milieu du xvie siècle, on voit figurer, parmi les riches bourgeois, Jean Favigo, sieur du Clos, et, après lui, son fils Maurice.

Au nom des Favigo se rattache un certain développement du commerce maritime, au Légué. Ce port n'avait encore, il est vrai, ni cales ni quais sur les deux rives. Quelques souilles pour recevoir les navires et un petit embarcadère suffisaient aux besoins du commerce. Et cependant les comptes du temps de la Ligue prouvent qu'on ne se contentait pas du vin récolté en Bretagne et qu'on en faisait venir de fortes quantités de Gascogne et d'ailleurs. D'autre part, on exportait par le Légué les blés du pays, dans un rayon assez étendu, puisqu'au commencement de la Ligue, le seigneur de Buhen, Guillaume de Rosmadec, y avait des magasins. Dès cette époque, le mouvement commercial avait dû se porter sur la rive gauche jusqu'à ces vieux magasins, du xve ou du xvie siècle, qu'on voit encore près de la cale de carénage ; mais il avait lieu surtout, sur la rive droite, au pied du chemin conduisant de Saint-Brieuc au port Favigo. Les Favigo y avaient élevé un hôtel qui a conservé leur nom. Ils avaient aussi en ville une vaste demeure qui s'étendait de la rue actuelle des Petites-Forges au haut de la Grand'-Rue-ès-Marchands. C'est dans celle-ci qu'habitaient de préférence les bourgeois, enrichis par le commerce, qui se disaient nobles bourgeois, quoique appartenant au Tiers-État, et qui faisaient graver leur armoiries sur la porte de leurs maisons ou sur les murs de l'église paroissiale[37].

Cette situation de la bourgeoisie n’était pas du reste une nouveauté. Dès le xive siècle, il était fait mention, dans la Très-Ancienne Coutume, « des bourgeois de noble ancesourie qui ont acoustumé à vivre honestement et tenir noble table franche come gentilshommes. » Le principe celtique de l’égalité des partages en fait de succession, modifié profondément dans les familles nobles par l’esprit féodal, s’était à peu près conservé dans les familles bourgeoise[38], qui méritaient, a tous égards, l’influence et la considération.

L’assemblée de la ville et paroisse de Saint-Brieuc était donc formée sur une large base, puisqu’elle comprenait tous les habitants, ayant à leur tête les personnages marquants du clergé, de la noblesse et surtout de la bourgeoisie. On est porté à croire qu’elle avait dès lors les armoiries qu’elle a conservées : d’azur, au griffon d’or, armé et lampassé de gueules. Si l’on veut se rendre compte de l’origine de ces armoiries, on peut remarquer, avec les auteurs des Anciens Evêchés qu’il y a également un griffon ou dragon sur le sceau du chapitre de saint Guillaume et sur celui de la Cour séculière de l’évêque de Saint-Brieuc; mais, dans ceux-ci, le griffon, symbole de l’idolâtrie, est terrassé par une main tenant une crosse, tandis que, dans les armes de la ville, le griffon est debout et la crosse a disparu. En admettant cette origine, il faudrait donc en conclure que l’élément civil a voulu s’émanciper de l’élément religieux et exprimer cette pensée dans son blason.

Résumé. — Au xvie siècle, le pouvoir de l'évêque est discuté, au temporel et au spirituel. Les causes de cet affaiblissement sont, d'une part, la commende ecclésiastique et l'esprit d'indépendance qui pénètre partout ; d'autre part, l'établissement d'une Cour royale à Saint-Brieuc, l'influence croissante de la bourgeoisie dans la paroisse et les guerres de la Ligue. Le siècle, ouvert au milieu de la prospérité, finit par une crise terrible, qui laisse la population ruinée, mais non découragée.










  1. « Voulons et ordonnons que des gens de commun de nostre pays et Duché, en oultre les nobles, se mettent en appareil promptement et sans délay, scavoir est de chaque paroisse trois ou quatre, cinq ou six ou plus, selon le grand ou qualité de la paroisse, lesquels ainsin choisis et esleus soient garnis d’armes et habillemens qui ensuivent, quels les Fabriqueurs de chaque paroisse seront tenus faire quérir aux dépens d’icelle. » Suit le détail. (Dom Morice, Preuves, t. ii, 1166. — Mandement de Jean V, du 20 mars 1424, sur les milices.)
  2. Archives du département et Archives municipales.
  3. Ces lettres-patentes avaient pour but de former un nouveau papier terrier, en provoquant les déclarations des tenanciers, et d’en confier le soin au sénéchal de Rennes.
  4. « A Saint-Brieu unissons et voulons la jurisdiction de Guello estre transférée avec tous drois et prérogatives sur la Baronie d’Avaugour et la seigneurie de Cesson. » (Dom Morice, Preuves, t. iii, 1346.)
  5. Notions historiques, t. ii, p. 310.
  6. Archives du département.
  7. Anciens Evêchés de Bretagne, t. i, p. 52.
  8. La prébende de scholaslique fut conférée par Nicolas Langelier à Alexis Dupin, à Jean Lestrelin et à Jean Sauvé, maîtres-ès-arts. Dans les provisions de ce dernier, il est fait mention du consentement donné par le chapitre et les habitants à sa nomination : « Dum assidue in schola dictæ nostræ civitatis, a mense octobri in huuc usque diem, docuisti ac juventutem instituisti cum omni favore et plausu, de predictorum capituli et habitantium consilio et consensu, te nunc præsentem rectorem dictæ scholæ et juventutis moderatorem nominavimus et elegimus. » (Voir notre étude sur le Collège de Saint-Brieuc, dans les Mémoires de la Société d’Emulation, de 1866).
  9. Voir la 2e note de la page 24.
  10. Voir ci-dessus pages 43, 47 et 61.
  11. Il résulte d’une information faite, en 1613, devant la Cour de Lamballe à la requête de messire Jean Du Gouray, sieur de La Coste, héritier de son frère Olivier, que « au caresme de lan mil cinq cents quattre vingts neuf, les troubles de guerre derniers qui ont régné eu cette province de Bretaigne commenserent et que le dict feu sieur de La Coste se retira au party du Roy, qui fut la cause quil ne peult jouir de la dicte maison du fort dont est cas au procès, tant a raison que la ville de Sainct-Brieuc, au commencement des dicts troubles tenut le party de Monseigneur le duc de Mercueur et Monsieur levesque dudict lieu retiré en la ville de Dinan qui tenoict aussy le party de moudict seigneur le duc de Mercueur, et aussi que des la mesme année, le sieur du Guebriant avecq son regyement et aultres gens de guerre se retirèrent en ladicte ville de Sainct-Brieuc, qui ravagèrent et pillèrent tous ses meubles. » (Archives de M. H. du Cleuziou.)
  12. Archives du département des Côtes-du-Nord.
  13. Archives de la ville de Saint-Brieuc.
  14. Salomon Ruffelet, sieur de La Ville-Beau, était fils de Guillaume Ruffelet et de Barbe Gendrot, issus tous les deux d’anciennes familles bourgeoises. Il a été, pendant plus de 30 ans, sénéchal des Regaires et de la Cour royale. Dépouillé de sa charge et de ses biens en 1589, il se réfugia dans la ville de Rennes, puis il suivit, en qualité de maître des requêtes, le prince de Bombes, le maréchal d’Aumont, M. de Saint-Luc, le maréchal de Brissac, et assista même aux sièges d’Hennebont, de Lamhalle, Moncontour, Guingamp, Morlaix et Corlay. De retour à Saint-Brieuc, il présida, comme sénéchal, à la démolition de la tour de Cesson.
  15. Henri Compadre, sieur de La Ville-Gicquel, était fils de Guillaume Compadre et de Moricette Lochet. Il naquit à Saint-Brieuc en 1546, épousa Jeanne Rohan et mourut en 1621. Il habitait, dans la rue Clinquaine, ou Quinquaine, une maison à laquelle étaient attachés des droits et des devoirs singuliers, dont nous parlerons en traitant du fief épiscopal, au xviie siècle.
  16. Archives Du Bois de La Villerabel.
  17. Dom Morice, Preuves, t. iii, 1542.
  18. Compte du trésorier de la fabrique. Les autres extraits, concernant l’année 1591-92, proviennent du compte du procureur-syndic.
  19. Notions historiques, p. 311.
  20. Archives du département des Côtes-du-Nord.
  21. Le règlement du compte de Compadre ne se fit pas sans de grandes difficultés. Des commissaires furent élus pour ouïr ce compte, tant à la paroisse qu’à l’assemblée de ville. Il fut reconnu qu’on devait au syndic 1803 livres. Les bourgeois et habitants assemblés en corps politique, le 24 septembre 1595, demandèrent qu’on fit égail sur eux de ladite somme ; le roi y consentit par lettres données à Rennes, le 29 février 1596. En 1604, le commissaire délégué par le roi pour la recherche des abus « aufaict de ses finances » déchira qu’il n’y trouvait aucune malversation. En 1609 cependant, on réclamait encore à Compadre des pièces justificatives.
  22. Philipes Emanuel de Lorraine... ayant puis nagueres pris reduict et remis en lobeissance de notre St party et notre aucthoritte la Tour de Cesson et ville de St Brieu qui estoinct tenues et occupees par les ennemys de notre dit party et obeissance du roy de Navare, Tellement que pour raison de ce les juges et officiers en ma juridiction de Lamballe auroient faict mettre et aposer les saesies sur tous et chacuns les biens ou de la plus grand part des bourgeois dudit St Brieuc, Nous ayant iceulx bourgeois et habitans dict et remonstre que ce quils avoient tenu ledit party contraire navoict este que a leurs tres grand regret et par la force et violance des dits ennemys et quaujourdhuy ils nont rien sy cher ny en plus grande recommandation que embrasser notre dit St party et vivre soubz notre authorite et obéissance et a ceste fin jurer le serment de ladite Ste Union en tel cas requis et acoustume, Nous suppliant de leur voulloir acorder main levee de tous et chacuns leurs dits biens pour ladvenir, A ces causes, etc. (Copie collationnée à l’original, le 28 novembre 1592, par le greffier de la Cour royale de Saint-Brieuc. — Archives Du Bois de La Villerabel).
  23. Nicolas Langelier a expliqué sa conduite dans un livre intitulé : « Escript de l’évesque de Sainct-Brieu contenant les raisons qui l’ont retenu en l’union des catholiques contre la partialité des hérétiques et schismatiques, leurs associez et fauteurs. A Monsieur, Monsieur levesque du Mans, par N. L. E. d. S. B. (Nicolas Langelier, évêque de Saint-Brieuc). — Dinan, Aubinière, 1593. » — Ce livre, qui a fait partie de la bibliothèque Odorici, vendue en 1882, avait été signalé dans les notes manuscrites de Ruffelet, d’après Du Pas : « Nicolas L’angelier éveque de St Brieu est auteur d’un livre imprimé à Dinan en 1593, dédié à reverend pere en Dieu Claude d’Agennes évêque du Mans. Il y detail les raisons pourquoi il avoit pris le parti de la ligue. »
  24. Nous nous bornons à donner un résumé de ce compte, les auteurs des Anciens Evêchés l’ayant fait connaître par extraits (t. ii, ch. 1).
  25. Choix de documents inédits sur l’histoire de la Ligue en Bretagne, par M. A. de Barthélemy, 1880 (p. 237 et 243.) Le même volume contient un état des garnisons royales, dans lequel le sieur de La Mouche figure comme commandant de Corlay, au mois de février 1595. — Il résulte également d’une enquête faite à Saint-Brieuc, en 1617, pour constater les services d’Abel Gouyquet pendant la Ligue, que La Fontenelle avait été chassé de Corlay par l’armée du maréchal d’Aumont et que le capitaine Gouyquet avait tenu garnison dans cette ville, en 1595, sous les ordres du sieur de La Mouche. (Archives de M. H. Du Cleuziou.)
  26. Dom Morice, Preuves, t. iii, 1685.
  27. « Sur la requeste presentee en lassemblee des gens des trois estats des pays et duche de Bretaigue par les nobles bourgeois manans et habitans de Sainct-Brieuc par laquelle ils remonstroient combien quil aict pleu au Roy et a Monsieur le Mareschal de Brissac son lieutenant general en ce pays ordonner que la tour de Cesson et le fort des environs eust este ruyne et desmoly en laquelle commande a present le sieur de Precrean, Ce neantmoins et que la dicte ordonnance luy eust este denoncee et signiffiee il n’y auroit voullu obeyr ny permectre que les juges et officiers royaulx y eussent procedde au grand prejudice des dits de Sainct Brieuc et des environs, Au moien de quoy ilz requeroient qu’en consequence de la volonté du Roy bien et utilite du pays il eust este ordonne que la dicte Tour et forteresses seroient desmolis promptement et sans delay, Et a ce faire que les juges et officiers royaux et du Regaire dudict Sainct Brieuc et generallement tout le peuple y eust mis la main. » — Le sieur de Précréhant ayant de son côté rejeté toute la faute sur les officiers de Saint-Brieuc et offert de s’exécuter dans six semaines, « le faict mis en deliberation ont les dictz des Estatz conformement a la volonté du Roy declare quilz entendent que la dicte demolition et ruyne de la Tour de Cesson et forteresses des environs soict faicte dans ledit temps de six sepmaines, A quoy ledit sieur de Precrean fera dilligence de jour en autre et a ce faire sera ayde de la commune des environs de la dicte Tour par les ordonnances des dicts juges royaulx et du Regaire de Sainct Brieuc en absence des dicts Royaux, Et a son refuz ou delay permis auxdicts juges faire la dicte demolition sans toutes fois empescher que le dit sieur de Precrean ne puisse jouir des atraictz (choses arrachées, démolitions et umrans de ladicte Tour. » Archives des Côtes-du-Nord. — États de Bretagne, C. 3).
  28. Archives de la ville de Saint-Brieuc.
  29. Liste des capitaines et gouverneurs de Cesson : 1144, Gaufredus ; — 1350, Adam Hoult ; 1355, Guyon de Kermalkeyn ; 1392, Louis de Robien ; 1399, Etienne Gouéon ; — 1402, Alain de La Houssaye, Jean Du Juch, Jean de Lannion ; 1404, Yon Marquier ; 1433, Pierre Provost ; 1453, Pierre Du Cellier ; 1457, Jean Bastard de Pont ; 1463, Jean de Malecanelle ; 1468, Raoul de Keronay ; 1487, Jean de Visdelou ; 1488, Guillaume Le Moenne de Beauregard ; — 1507, Jean Du Cambout ; 1522, Alain Du Cambout ; 1542, Pierre de Couvran ; 1592, le commandeur de Carentoir ; 1598, François Conen de Précréhant, dernier gouverneur. (D’après d’anciens titres et divers auteurs, entre autres M. de Kerdanet).
  30. Archives du département des Côtes-du-Nord et comptes déjà cités.
  31. La Bretagne était un pays de droit coutumier, dont les institutions et les usages ont été rédigés aux époques suivantes : la Très-Ancienne Coutume, vers 1330, d’après la plupart des juristes ; l’Ancienne Coutume, en 1539 ; la Nouvelle Coutume, ou simplement la Coutume, en 1580.
    Cette dernière fit triompher définitivement le principe féodal sur le droit celtique dans le partage des successions des nobles. Dans la noblesse de second rang, la seule qui fût alors connue à Saint-Brieuc, on reconnut à l’aîné plusieurs privilèges, notamment la réserve des deux tiers, mais seulement dans le partage des biens nobles possédés par des nobles. Quant aux biens roturiers appartenant à un noble, ils étaient partagés également. Les nobles ayant dérogé par le commerce étaient considérés comme des roturiers, du moins pendant le temps du trafic. Les descendants d’un anobli ne commençaient à partager noblement qu’à partir des petits-enfants. (Voir notre étude sur L’Esprit du droit breton en matière de succession, dans les Mémoires de la Société d’Emulation, de 1868).
  32. François James mourut en 1610. Sa veuve, Louise Le Carme, lui fit élever dans la chapelle des Cordeliers un tombeau en marbre, sur lequel elle fit graver tous les titres de son mari et ces mots : « l’amour des bons et l’honheur de sa patrie. » Charles Budes ayant prétendu que les James entreprenaient sur les droits des Budes dans la chapelle, il s’ensuivit un procès qui dura un siècle. Ce procès, peu important quant au fond, fournit d’intéressants détails sur les Budes, les James et les Cordeliers. (Voir une Notice sur les Cordeliers, par M. Du Cleuziou, dans le tome iii des Mémoires de la Société archéologique).
  33. Voir ci-dessus, page 33.
  34. Extrait d’un curieux factum, produit au Conseil dans un procès engagé, an xviie siècle, entre le chapitre et le vicaire perpétuel. (Archives Du Bois de La Villerabel).
  35. Il ne faut pas en conclure que les fidèles communiaient sous les deux espèces, car, dans un autre article, il est question du « sallaire des hommes que seruirent le peuple pour acomunier ausdites festes de pasques. » Cette distribution de pain et de vin, qui avait lieu aux grandes fêtes, était sans doute un souvenir des agapes primitives.
  36. Les fouages ordinaires étaient une espèce de taille levée sur les biens roturiers qu’on divisait par feux (étendue de terre plutôt qu’habitation). C’était une taxe foncière, mais de plus personnelle, parce que le noble qui faisait valoir sa terre roturière n’y était pas soumis.
  37. Les Bagot portaient : d'azur, à la bague ou annelet d'or ; — les Compadre : d'argent, à 3 chevrons d'azur ; — les Ruffelet : de gueules, au sautoir d'argent ; — les Damar : d'azur, à la croix engrelée d'argent, cantonnée de 4 roses de même ; — les Favigo : d'or, à la fasce d'azur, chargée d'un croissant d'or accosté de 2 roses de même et accompagné de 3 grenades de gueules.
  38. L’article 587 de la coutume de 1580 consacre le principe: « Les enfants et autres héritiers des bourgeois et autres du tiers état partageront également, tant en meubles qu’héritages, en succession directe et collatérale. » Les articles 586, 588 et 589 accordent, il est vrai, trois préciputs à l’ainé roturier, savoir : un sou par livre à prélever sur les héritages nobles, dans la succession directe ; les livres de la profession du décédé, quand l’aîné suivait la carrière des lettres ; « la principale maison et logis suffisant, soit en ville ou aux champs, à son choix, faisant récompense aux autres ; » mais ce droit, dit de prélation, est qualifié d’odieux par les jurisconsultes bretons. (Mémoire sur l’Esprit du droit breton en matière de succession, cité à la page 87).