Histoire de la ville de Saint-Brieuc/5

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CHAPITRE V.


LE XVIIe SIÈCLE.


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I. Avant Louis XIV. — Les évêques Melchior de Marconnay, André Le Porc de La Porte, Etienne de Villazel. — La peste. — Salomon Ruffelet. — Sessions des États. — L'Hôtel de Ville. — Les fortifications. — Droits d'octroi. — Le collège. — Les Ursulines. — II. Du temps de Louis XIV. — Les évêques Denis de La Barde, Hardouin de La Hoguette, Marcel de Coëtlogon. — Combat de Roselier. — Les calvinistes. — Règlement municipal de 1681. — Vénalité des charges. — Impôts de guerre. — III. Mœurs et usages. — L'évêque et le chapitre. — Droits féodaux. — Les nobles et les bourgeois. — Le commerce. — Personnages marquants.

I. — AVANT LOUIS XIV.


À la fin des guerres de la Ligue, la peste, qui sévissait dans les campagnes voisines, avait inspiré aux habitants de Saint-Brieuc de sérieuses inquiétudes et provoqué quelques mesures sanitaires. En 1601, la ville fut envahie par le fléau. Ce fut alors un triste spectacle. Le siège épiscopal était vacant au moment où la présence du chef et du pasteur était si nécessaire. Beaucoup d'habitants prirent la fuite et la Cour royale elle-même transporta ses audiences au Légué. Heureusement, le sénéchal Salomon Ruffelet comprit mieux son devoir et, aidé de quelques membres du chapitre et de la communauté de ville, il fit face au danger. Des fonds furent votés pour secourir les pestiférés, et des baraquements, établis prés de Saint-Michel, en reçurent jusqu'à 160 ; mais ce local ne suffisant pas, les maisons furent bientôt remplies de morts qu’on osait à peine enterrer. Dans ce moment critique, le dévouement de Ruffelet et de ses auxiliaires n’eut pas besoin d’être stimulé, tandis que, si la Cour royale revint à Saint-Brieuc, le 4 septembre, ce fut par l’ordre du Parlement.

La crise diminua vers la fin de l’année. Melchior de Marconnay, nommé à l’évêché de Saint-Brieuc en 1601, en prit possession le 18 mars 1602, et dès son arrivée, il s’occupa, de concert avec le chapitre, de travaux d’agrandissement à l’hôpital de la Madeleine.

La même année, du 17 au 23 octobre, la ville de Saint-Brieuc donna l’hospitalité, pour la première fois, aux États de Bretagne. La peste avait donc tout à fait disparu. Le chapitre, qui avait le privilège de faire les honneurs de la ville aux étrangers de distinction, envoya trois de ses membres présenter le pain et le vin à MM. des États et faire visite aux présidents des ordres et aux principaux commissaires du roi. Ses députés, Jean Charpentier, doyen, Jean Auffray, trésorier, et Adrien Le Sueur, archidiacre de Goëllo, siégèrent dans l’assemblée, suivant leur droit, car, à côté des nobles et des délégués de quelques villes, l’église était représentée par ses évêques, les députés des chapitres et les abbés ou titulaires d’abbayes.

Les séances se tinrent dans la cathédrale, dont la fabrique reçut cent livres, à titre d’indemnité, pour frais d’occupation. La présidence des trois ordres réunis revenait au président de l’ordre de l’église, mais il n’était point encore admis que ce dernier honneur appartînt à l’évêque dans le diocèse duquel siégeaient les États. Melchior de Marconnay ne présida point la session, comme l’ont écrit tous nos chroniqueurs. Le procès- verbal de la première délibération nous apprend, en effet, qu’une contestation s’étant élevée à ce sujets « il a été résolu que ledit sieur de Nantes préférera ledit sieur de Saint-Brieuc. » On ajoute même que l’évêque de Nantes retourna dans l’assemblée pour présider, « et celui de Saint-Brieuc, en sa maison. »

À la session de 1605, qui eut lieu également à Saint-Brieuc, du 19 au 29 octobre, Melchior de Marconnay prit part aux travaux des États, mais ce fut l’évêque de Dol qui présida. Ces deux sessions, assez courtes, furent employées à signaler la détresse de la Bretagne et à diminuer les impôts[1].

En 1607, la peste reprit avec une nouvelle intensité. Cette fois, on s’aperçut qu’il y avait un évêque à Saint-Brieuc, car il fut toujours au premier rang, soit pour grouper autour de lui les principaux habitants et aviser avec eux aux mesures à prendre, soit pour bénir une maison de santé sur la côte de la Fontaine-à-Loup et visiter les pestiférés. Le sénéchal Salomon Ruffelet agit encore avec le même calme, la même intrépidité que pendant la première invasion du fléau. Quand la peste lui fut de nouveau signalée dans le quartier Saint-Michel, il s’empressa d’aller, avec quelques courageux habitants, en reconnaître les affreux symptômes. Il en décrivit la marche sur les registres de la juridiction des Regaires, y consignant les décès à la place des jugements ou, s’il rendait des sentences, c’était, cette fois, pour forcer à s’éloigner de la ville les malheureux qu’on espérait sauver. De tels hommes sont l’honneur d’une cité, et ce serait justice de consacrer par un témoignage public le nom de Ruffelet dans une ville qu’il a si vaillamment défendue[2].

Les deux exemples que nous venons de citer n’arrêtèrent pas seulement les défaillances, ils provoquèrent les dévouements ; aussi convient-il de placer dans la même liste d’honneur, à côté de Melchior de Marconnay et de Salomon Ruffelet, le vicaire de Saint-Michel, François Bourel, et les commissaires des onze quartiers, parmi lesquels nous trouvons des noms déjà connus : Bagot, Compadre, Pommeret, Guitto, Dujardin, Bédel, Launay, Desbois, Jouy, Josse, Rouault, Guimart, Hamon, Maulnay, Louzonier, Quenaluy, Lamarche, Lecan, Couvré et Donguy[3].

La conduite tenue par les bourgeois de Saint-Brieuc dans ces circonstances critiques prouve qu’ils méritaient de prendre une plus large part à l’administration de la cité. C’est du reste le moment d’aborder l’histoire de ce développement, tout en indiquant la transformation qu’a subie par contre-coup l’autorité du suzerain, c’est-à-dire de l’évêque. Nous ne pourrons le faire sans montrer en même temps l’influence que le pouvoir royal a exercée, à plusieurs reprises, sur les institutions municipales.

Les guerres de la Ligue et les dépenses occasionnées par la peste avaient forcé la ville de Saint-Brieuc de contracter des dettes. L’état qui en fut dressé, en 1605, s’élevait à 31,010 livres 11 sous 9 deniers et, pour les solder, on percevait déjà un droit d’octroi sur le vin, le cidre et la bière. Avant que le passé fût liquidé, les bourgeois formèrent un projet audacieux, mais ils mirent plus d’imagination à le concevoir que d’esprit de suite à l’exécuter. Ils demandèrent, en effet, en 1608, l’établissement d’un nouveau droit d’octroi « pour bâtir un collège, une maison commune, un auditoire, une maison de santé, pour accroître les églises, l’hôpital de la Madeleine et acquitter les dettes. » Il est probable qu’ils n’avaient présenté ce magnifique programme que pour répondre, d’une manière éclatante, à un arrêt du Parlement qui les condamnait à fournir un auditoire, une chambre du conseil et des prisons en lieu commode pour l’exercice de la juridiction. Ils se pressèrent néanmoins si peu d’obéir, que Pierre Briand, procureur du roi, acheta pour eux, le 12 mai 1609, le manoir de la Grange, appartenant aux héritiers Damar, et les contraignit à en payer le prix, s’élevant à 7,800 livres. Cette vaste demeure put contenir non seulement la Cour royale, mais les assemblées des habitants. On y annexa dans la suite deux maisons contiguës, qui coûtèrent 9,500 livres, ce qui permit d’y loger le gouverneur et toute l’administration civile.

Les bourgeois ne comprenaient pas encore combien il était important pour eux d’avoir un hôtel de ville, et cependant ce n’est qu’à partir de ce moment que leur communauté s’organisa sérieusement. En 1614, ils obtinrent du roi « les sauvegardes et sûretés nécessaires pour la conservation de cette communauté. » Ils se regardaient si bien comme les représentants de l’ancien général de la paroisse qu’ils continuèrent d’en nommer les trésoriers, d’en garder les archives et d’en porter le nom. On lit en effet, en tête du premier registre des délibérations, daté de 1618, que « l’assemblée du général des nobles bourgeois et habitants de Saint-Brieuc se réunit en forme de corps politique, à la diligence d’André Du Val, sieur de La Ville-Calmet, procureur-syndic. »

La constitution de ces assemblées est curieuse à étudier[4]. On distingue déjà les ordinaires, tenues une fois par mois, et les extraordinaires. On nomme à l’avance, comme par le passé, quatre procureurs-syndics, qui doivent entrer en charge successivement, le 1er octobre de chaque année. Sur les réquisitions du procureur-syndic, on arrête la liste de ceux qui auront voix délibérative : le syndic en charge ; les anciens syndics ; les trésoriers de la fabrique et de l’hôpital ; vingt habitants nommés, tous les six mois, par l’assemblée, suivant les règlements de la Cour ; « en plus, des chefs et enfants de bonne et ancienne famille, ayant excédé l’âge de 25 ans. » Si le syndic convoquait les assemblées, le sénéchal de la Cour royale les présidait le plus souvent, ce qui ne pouvait manquer d’amener entre eux des conflits. On y voit assister l’alloué, ou premier juge du siège royal, le procureur du roi et quelquefois le sénéchal des Regaires ; on y admet deux chanoines, députés du chapitre, sans déroger, dit-on, à l’arrêt de la Cour.

Cette organisation eut lieu, en vertu de plusieurs arrêts et règlements, de 1609 à 1630. Il en résulte que l’ancienne assemblée des habitants se trouva réduite à un certain nombre de représentants des trois ordres, investis par le pouvoir royal d’attributions qui n’avaient appartenu jusqu’alors qu’au général de la paroisse. Les bourgeois y dominaient, mais leur influence allait être contrôlée et quelquefois combattue par celle des officiers du roi.

C’est encore au roi que la ville de Saint-Brieuc s’adressait pour obtenir l’établissement d’un octroi, la seule ressource dont elle pût disposer. En 1617, des lettres-patentes permirent d’affecter à des travaux publics, pendant six ans, « un droit d’un sol par pot de vin et de trois deniers par pot de bierre et sildre qui sera vendu et débité en détail (sic), tant en notre ville de Saint-Brieuc que faubourgs. » En possession de ce droit, les bourgeois auraient bien voulu ne l’appliquer qu’au paiement de leurs dettes ; mais le roi ordonna, par ses lettres de jussion du 27 juin 1618, de l’employer conformément à la demande qui lui avait été faite. On sentait la main de la royauté dans les affaires des villes, malgré la résistance des États de Bretagne qui s’opposaient à ce que la levée des octrois eût lieu sans leur consentement, et qui firent plusieurs fois reconnaître leur droit.

À ces actes on s’aperçoit que la période de la monarchie, dite des États, venait de finir. Les États généraux de 1614 en furent la dernière et libérale manifestation. Les États de Bretagne s’étaient réunis auparavant à Nantes, pour recevoir le roi et la reine régente, à la suite de quelques troubles survenus dans la province. Ils désavouèrent les fauteurs de ces troubles et envoyèrent, aux États-généraux, suivant l’usage, des représentants des trois ordres. Parmi ceux du Tiers, on remarquait Raoul Marot, sieur de La Garaye, sénéchal de Dinan, et Mathurin Rouxel, sieur de Beauvoir, procureur-syndic des habitants de Saint-Brieuc. Le prévôt des marchands de Paris, Robert Mirou, réclama dans cette assemblée plusieurs réformes, notamment la liberté des élections municipales. On sait comment ces demandes furent écartées. Si l’habile et sage politique que Henri IV avait essayée, quelques années auparavant, dans l’administration intérieure, avait été suivie, nul doute que les provinces et les villes n’eussent réparé bien vite les maux de la guerre, en conservant leurs libertés ; mais, dans la période de monarchie absolue où nous allons entrer, Richelieu et Louis XIV, ne se préoccupant que d’assurer l’ordre et l’unité du pouvoir, vont appliquer aux villes un autre système de gouvernement, dont nous verrons les effets en poursuivant ce récit.

L’année 1615 fut marquée par l’établissement à Saint-Brieuc d’un couvent de capucins. Ces religieux, dont le ministère était spécialement consacré aux pauvres, furent appelés par le seigneur de Boisboissel, Jean de Bréhand, qui leur donna la maison de la Grange-Bannerye, avec ses dépendances, près du faubourg de Quintin. La communauté de ville, trouvant cette fondation utile au milieu des épreuves que traversait la population, y contribua pour 2,600 livres. L’évêque l’approuva, mais il n’en eut pas l’initiative, comme on l’a prétendu.

Le successeur de Melchior de Marconnay fut André Le Porc de La Porte (1619-1631), d’une famille noble de Pordic. Bien qu’il n’eût que 25 ans à l’époque de sa nomination, il fut accueilli avec faveur, à cause de ses manières aimables, et, quand il fut plus connu, il se fit aimer et respecter.

En 1620, il eut l’honneur de présider sans contestation les États de Bretagne à Saint-Brieuc, « en la grand’église.» Cette session ne fut ni longue ni importante. Bientôt de plus graves soucis occupèrent l’évêque et les habitants. Au mois de juillet 1622, il est fait mention, dans le registre de la communauté de ville, de « la maladie pestilencieuse, » et d’une demande d’argent, de la part du syndic, pour traiter les malades, payer les chirurgiens et construire « des loges vers la côte au-dessous des champs Chevillon.» On fit ensuite, avec le sieur Du Val, un bail de la maison et du jardin de La Mare-au-Coq, pour y loger le chirurgien de la santé et les malades. Le nombre des pauvres atteints de la contagion était alors d’environ 80 par jour.

Entre deux invasions de la peste, les habitants se crurent menacés d’une autre invasion venant de La Rochelle. À la nouvelle que des vaisseaux rochellois avaient surpris le château de La Latte, ils s’armèrent et firent des corps de garde. Cette alerte leur parut un motif suffisant pour fortifier leur ville, et ce prétexte fut facilement admis, puisque des lettres-patentes du mois de juin 1623 leur accordèrent l’autorisation nécessaire, en s’appuyant sur de nombreux considérants : à cause de l’importance de la ville, de son commerce par terre et par mer, de l’affection si reconnue des habitants au service du roi « que nottoirement il en sortit au commencement des troubles de la Ligue plus de soldats et capittaines quy se jetterent dans nos armées que des quattre meilleures villes de nostre dite province » ; enfin, parce que les habitants avaient été menacés de ruine, et que « pendant les derniers mouvements ils ont couru fortune d’estre la proye des Rochellois rebelles... comme ils ont essayé plusieurs fois avecq leurs armees navalles. »

Les bourgeois de Saint-Brieuc commencèrent les préparatifs avec une grande ardeur, mais cet élan tomba bien vite avec les craintes qui l’avaient fait naître. Le maréchal de Themines, gouverneur de Bretagne, fut obligé d’intervenir et, comme il trouvait trop vaste l’enceinte projetée, on lui demanda un ingénieur et un plan. Enfin, dans une conférence tenue, dans le mois de mai 1627, au palais épiscopal, il fut décidé que les habitants se contenteraient d’avoir une muraille à créneaux, de 24 pieds de hauteur, de 7 pieds d’épaisseur dans les fondations et de 5, au sommet. Le fossé devait avoir 20 pieds de largeur et 9 de profondeur. D’un autre côté, Richelieu se chargeait de rassurer les habitants, en faisant le siège de La Rochelle[5].

La pose de la première pierre des fortifications, fixée au 29 juillet 1628, fut retardée par un différend survenu entre le sénéchal et le syndic, au sujet de la nomination de « l’enseigne colonelle. » L’affaire alla devant le Parlement, qui chargea le sieur de Cargrescq, conseiller, de la régler sur place. Enfin, la cérémonie eut lieu sous la présidence de l’évêque et les premières difficultés s’évanouirent au milieu d’un festin donné à l’Hôtel-de-Ville.

Il y avait une difficulté, cependant, qu’on ne devait pas surmonter, c’était le manque d’argent. Le roi avait bien accordé, du consentement des États, pour 9 ans, à partir du 1er octobre 1624, « la levée sur tous les habitants, exempts et non exempts, d’un sou par pot de vin, de 3 deniers par pot de cidre et autres breuvrages vendus en détail dans la ville, faubourgs et havre du Légué et de 20 sous par pipe de vin y consommée » ; mais qu’était-ce que cela en regard des dépenses à faire ? On bâtit seulement, à diverses reprises, jusqu’à 1641, quelques toises de murailles, sur l’emplacement actuel des Grandes-Promenades[6]. De ce rêve étonnant, il ne resta plus bientôt que des ruines et le souvenir de sacrifices inutiles.

À ces travaux entrepris à la légère il est juste d’opposer quelques fondations durables, dues à l’accord de l’évêque et de la communauté de ville. De ce nombre est le collège.

Dès 1609, la communauté avait acheté, au prix de 1,890 livres, la maison dite du Paradis, dans l’emplacement occupé aujourd’hui par la caserne de gendarmerie. Elle y établit un collège ; mais la maison était en si mauvais état que, le 7 janvier 1619, le procureur-syndic, Jacques Hervé, vint remontrer à l’assemblée de ville que « la maison ou se font les classes du collège, par vieillesse et caducité menace ruine, en sorte que les regens et les escoliers ny ozent plus tenir, recquerant quil soit avizé à la réparation, dautant mesme que, a ladite cause, les enfans de bonne maison pensionnaires en cette ville en sont retirés par leurs pères et mères, ce qui emporteroit avec le temps la perte et diminution audit collège, ou ordinairement il y a cinq à six cents escoliers. » Quand les bourgeois connurent le chiffre du devis, ils trouvèrent qu’il y aurait « grande économie et grand avantage » à céder le collège aux jésuites et prièrent l’évêque de s’entendre avec eux ; mais les juges royaux avaient hâté l’adjudication et, bon gré mal gré, les bourgeois durent accepter environ 10,000 livres à payer et les procès qui furent la suite presque naturelle des travaux. Les registres des délibérations font connaître que la communauté participait avec le chapitre et l’évêque au choix du principal ; mais les lettres de collation étaient délivrées par l’évêque, qui avait conservé la haute direction du collège. En nommant maître Jacques Durand principal en 1627, il le chargeait de former la jeunesse « in fide ac religione catholica, bonis moribus, litteris græcis atque latinis. » Quelque temps après, le pouvoir royal intervint pour assigner à la communauté de ville une part fixe dans l’entretien du collège et le modeste budget de cet établissement fut réglé de la manière suivante :

Une prébende canoniale, environ 1.500 livres.
La contribution de la communauté de ville 600
La rétribution des élèves, à 5 livres environ      1.500
Total 3.600 [7].

L’évêque Le Porc de La Porte, le chapitre et la communauté de ville furent également favorables à la fondation de la première imprimerie à Saint-Brieuc, en 1620, par Guillaume Doublet, puisque chacun d’eux lui donna 200 livres. De 1621 à 1627, on vit sortir de ses presses, sous l’inspiration de l’évêque, l’Office de saint Brieuc et de saint Guillaume, la Vie de ces deux saints par La Devison, et des Statuts fort sages, qui ont servi de modèle à ceux qu’on a faits dans la suite.

Le même évêque ouvrit des conférences religieuses dans la chapelle de son palais, décora le chœur de la cathédrale d’une tapisserie représentant, d’après la tradition, des scènes de la vie de saint Brieuc, et commença une collection de portraits des évêques de Saint-Brieuc, qui fut continuée par quelques-uns de ses successeurs. « Il aimait fort la peinture, dit un chroniqueur, et les peintres l’aimaient fort aussi, et pour leur marque de respect, ils ne faisaient guère de travaux dans les églises et chapelles du diocèse qu’ils y faisaient sa ressemblance au naturel. »

C’est sous son épiscopat que s’établirent à Saint-Brieuc les premiers couvents de femmes. Il est probable qu’il autorisa simplement les Bénédictines du Calvaire, en 1625, car, l’année précédente, il avait appelé les Ursulines, du consentement de la communauté de ville. Ces religieuses s’occupaient avec succès de l’instruction des jeunes filles. Il leur fit bâtir à ses frais, et en se réduisant au strict nécessaire, un monastère et une chapelle magnifique, dont on peut lire la description au Déal manuscrit du couvent[8].

Les Ursulines y étaient à peine installées que la peste reparut. Elle dévasta la ville presque sans trêve, pendant plusieurs années, notamment en 1628 et en 1629. La communauté de ville ordonna de construire une maison de santé et, en attendant, des loges prés du moulin à vent et de l’église Saint-Michel. Les loges étant devenues insuffisantes, on prit des mesures plus énergiques : on frappa une contribution sur tous les habitants et on mit en réquisition, sauf indemnité, les maisons voisines de Saint-Michel, pour y loger les malades pauvres. Le retour périodique du fléau endurcissant les cœurs, on obligea de dénoncer tout pestiféré sous peine d’amende, de transporter les malades aux lieux désignés, de murer les portes, des maisons infectées et de les marquer d’une croix. Et cependant, chose étrange ! cette population de mourants se relevait par moments pour célébrer par un feu de joie la prise de La Rochelle, ou pour entendre la relation d’une victoire en Savoie. C’est sur l’inscription de cette victoire que se ferme le premier registre de nos délibérations municipales.

Quand Etienne de Villazel vint succéder à André de La Porte, au mois de février 1632, dans l’évêché de Saint-Brieuc, il trouva la ville encore ravagée par la peste. Le couvent des Ursulines venait d’être envahi. Il y accourut. Les pensionnaires et les religieuses qui n’étaient pas atteintes durent s’éloigner de la Ville, à l’exception de deux sœurs qui demandèrent à rester et que le fléau respecta.

Plusieurs autres fois, Saint-Brieuc fut encore éprouvé par l’épidémie, mais jamais avec autant de force qu’en 1601, 1607, 1622 et de 1628 à 1632. C’est au sortir d’une de ces crises que nos pères élevèrent, près de la Fontaine-à-Loup, en souvenir de leur délivrance, une croix dite de Santé, que leurs descendants ont souvent renouvelée, toujours sous le même nom, sinon à la même place.

Etienne de Villazel avait été prédicateur de Louis XIII. Il soutint dans son diocèse la réputation d’éloquence qu’il s’était faite à la Cour. Quand il mourut, en 1641, tout semble indiquer que la ville de Saint-Brieuc réparait dans le calme et une certaine prospérité ses désastres de la fin du xvie et du commencement du xviie siècle.

II. — DU TEMPS DE LOUIS XIV.


Denis de La Barde (1642-1675) arriva précédé d’une grande réputation qu’il devait à ses voyages, à son mérite et un peu à la faveur du cardinal de Richelieu. Son entrée dans son évêché fut, au dire d’un chroniqueur, la plus magnifique que jamais eût faite un évêque de Saint-Brieuc, tant à cause de son train et de ses largesses que des honneurs qui lui furent rendus ; mais cet éclat même et quelques contestations terminées à son avantage lui aliénèrent des esprits qu’il ne put ramener qu’a force de temps, de douceur et de charité.

De nombreuses difficultés lui vinrent de son clergé. C’était tantôt le chapitre de la cathédrale qui interjetait contre lui appel comme d’abus à cause de ses ordonnances synodales ; tantôt, le théologal lui-même, le savant Noulleau, qui, sous prétexte de réformes, secouait toute discipline, procédait sans cesse contre le chapitre et l’évêque et se faisait interdire ; c’étaient surtout les ecclésiastiques aux mœurs relâchées, du genre de celui qui, sur le passage d’une procession, se tenait à la porte d’un cabaret, un verre à la main, disant tout haut : « À la santé de l’évêque qui défend de boire au cabaret ! » On comprend tout ce qu’un évêque devait souffrir d’un pareil scandale, et cependant il parvint, sans recourir aux voies de rigueur qu’on lui conseillait, à faire accepter une vie régulière aux membres du clergé qui l’avaient oubliée.

Sa conduite ne fut pas moins admirable à l’égard de l’apôtre du calvinisme dans le diocèse, Henriette de La Tour d’Auvergne, marquise de La Moussaye, sœur de Turenne. La marquise, ayant appelé au Parlement d’une sentence de l’officialité concernant les réunions calvinistes qu’elle favorisait dans ses terres de Quintin et de Lorges, rencontra Denis de La Barde à Rennes, sur les degrés du palais, et leva la main pour lui donner un soufflet. L’indulgent évêque lui répondit par un salut et refusa de la poursuivre. Mme de La Moussaye fut tellement touchée de ce procédé qu’elle alla trouver Denis de La Barde, pendant qu’il était en tournée pastorale à Quintin, et lui offrit publiquement ses excuses.

De tels actes firent enfin apprécier ce digne évêque et lui donnèrent une haute autorité en Bretagne et même à la cour. Louis XIV, qui l’estimait fort, lui conféra la présidence perpétuelle des États de Bretagne, distinction inusitée, qui fut vue de mauvais œil dans la province.

La présidence devenait d’ailleurs un poste difficile à remplir. On le vit bien dans la session qui fut tenue à Saint-Brieuc, en 1659. C’était un usage d’accorder au roi un secours, à chaque session, en dehors des fouages ordinaires qu’il percevait directement. Les États, ne pouvant couvrir leurs dépenses avec le produit des Devoirs, ou impôt sur les boissons, et des fouages extraordinaires qu’ils avaient obtenus, en 1645, auraient voulu diminuer le secours, que par un reste d’orgueil national ils appelaient le don gratuit. Les commissaires du roi exigèrent 2,600,000 livres, en 1659. Les États n’en offrirent que 1,400,000 ; mais le maréchal de La Meilleraye ayant menacé de suspendre la session, on finit par transiger à 2,200,000 livres. Comme on était loin de l’attitude fière et libre des États d’avant la Ligue !

On sait que Louis XIV avait fait, avec raison, un édit rigoureux contre les duels. Pour correspondre à la pensée du monarque, une partie de la noblesse, avec son président Armand Du Cambout, signa, dans cette même session, l’engagement de refuser tout appel en combat singulier, et de ne se battre en duel pour quelque cause que ce pût être. Cette déclaration produisit un effet salutaire, parce qu’elle émanait d’hommes qui avaient fait leurs preuves sur les champs de Bataille.

Denis de La Barde employa utilement les indemnités qu’il recevait comme président des États. Comprenant que, pour assurer la réforme de son clergé, il fallait avant tout s’occuper de l’instruction des jeunes gens se destinant au sacerdoce , il obtint en 1664 l’autorisation de fonder un séminaire à Saint-Brieuc. Il acheta dans ce but la Grande-Grenouillère et y appela, en 1666, les disciples de Saint-Vincent-de-Paul, les Lazaristes. Cet établissement lui coûta plus de 15,000 livres, et cependant la chapelle n’était pas encore terminée quand il mourut. Son testament, qui contient un grand nombre de legs charitables, achève de faire connaître les qualités de cet excellent évêque.

L’année même où les Lazaristes furent chargés du séminaire, l’hôpital de la Madeleine fut placé sous la direction des dames de Saint-Thomas de Villeneuve. Dès le xvie siècle, il existait un hôpital à Saint-Brieuc. Est-ce le même ? On ne saurait le dire. Celui de la Madeleine, dont la ville s’occupait en 1608, et dont elle nommait l’administrateur, s’étendait, dans le local consacré aujourd’hui au Bureau de bienfaisance, jusqu’à l’ancien Marché au Blé, sur lequel il avait sa principale entrée. Les dames de Saint-Thomas de Villeneuve y vinrent de Lamballe, peu de temps après la création de leur institut dans cette ville. Elles avaient à leur tête la mère de La Pommerays, l’une des trois femmes d’élite qui partagent avec le Père Le Proust l’honneur de cette fondation, si éminemment utile aux malades et aux infirmes.

De la communauté de ville, nous n’avons presque rien à dire à cette époque. Il y a une lacune dans les registres des délibérations, de 1629 à 1692, et, dans les autres documents, on ne trouve que la mention d’une levée d’hommes à Saint-Brieuc et de l’établissement de barricades aux avenues, en 1675, par l’ordre du duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne. C’était sans doute la suite des mesures de répression prises par ce gouverneur contre les paysans bretons, à l’occasion de la révolte dite du papier timbré, mesures si impitoyables sur divers points qu’elles faisaient dire à Mme de Sévigné : « Vous pouvez compter qu’il n’y a plus de Bretagne et c’est dommage. » Ce mouvement, qui n’a fait que passer à quelque distance de Saint-Brieuc, et qui est resté presque inaperçu, avait cependant tous les caractères d’une révolution sociale, si l’on en croit un manifeste dans lequel « les nobles habitants de 14 paroisses unies du pays Armorique » ne craignaient pas de rendre des décrets et d’exposer leurs griefs aux États[9].

Il peut paraître étrange que, pendant la période la plus brillante du règne de Louis XIV, nous n’ayons à citer, à Saint-Brieuc, que des faits d’une importance secondaire. C’est que, si l’histoire générale de France présente, au xviie siècle, un éclat incomparable dans presque tous les genres d’illustration, si la cour et quelques lieux choisis sont autant de phares lumineux, les habitants d’une petite ville, telle que Saint-Brieuc, privés de toute initiative, attendent, pour agir, que le mouvement leur vienne du dehors. Les bourgeois des villes, comme les hommes des campagnes, n’avaient qu’une place subordonnée dans le plan d’ensemble que Louis XIV avait conçu pour la grandeur de la France ; mais, si leur vie était obscure, elle n’en était pas moins méritoire, car ils donnaient généreusement tout ce que le roi leur demandait pour le pays.

C’est donc dans un esprit de justice que nous rappellerons, à l’honneur des habitants de Saint-Brieuc et de Plérin, un modeste fait de guerre, complètement perdu au milieu des brillantes victoires qui préparèrent le traité de Nimègue. Le 4 juin 1675, une frégate d’Ostende, poursuivant un navire marchand, vint s’échouer avec ce navire sur la grève de Roselier. Le poste n’était point armé ; mais la milice de Plérin, avertie par la cloche d’alarme, accourut sous les ordres de César Gendrot, sieur des Rosais, capitaine, et d’Yves Ruffelet, sieur de La Ville-Hellio, enseigne. Elle fut bientôt renforcée de la milice de Saint-Brieuc qui, commandée par le sieur Rouxel de Kerfichart, colonel, déboucha par le village de Sous-la-Tour avec deux pièces de canon. L’attaque fut menée vigoureusement. Les deux milices enlevèrent le navire marchand qui servait d’avant-poste aux ennemis, puis la frégate, où ils firent une résistance désespérée. On profita de cette surprise pour rappeler que, dans les dernières guerres, des écumeurs de mer, postés sous le rocher Martin, s’étaient emparés de plusieurs navires de la baie et qu’il était nécessaire d’armer la pointe de Roselier. Tout ce que la ville de Saint-Brieuc put obtenir dans le moment, ce fut six des canons du navire ennemi, que le roi lui donna, en récompense de la belle conduite de sa milice.

L’évèque Hardouin de La Hoguette, dans son court passage à Saint-Brieuc, y présida la session des États en 1677. Il fit, à cette occasion, dégager plusieurs rues trop encombrées de « ballets de bois » et de bancs de pierre placés au-devant des boutiques. De ce nombre était la rue au Beurre, qui reçut alors le nom de Saint-Jacques, à cause d’une statue de ce saint, apposée la maison du coin, du côté droit. On se demande quelle était, avant le xviie siècle, la largeur de cette rue où, naguère encore, les étages des maisons, en saillie les uns sur les autres, empêchaient presque d’apercevoir le ciel.

La duchesse de Chaulnes, femme du gouverneur, étant venue assister à la session, fut complimentée, suivant l’usage, par une députation des trois ordres. Les États durent s’entendre avec le duc de Chaulnes pour envoyer en cour des députés, chargés de demander le rappel du Parlement de Rennes, qui avait été transféré à Vannes, ce qui prouve que la Bretagne avait à se plaindre de coups d’autorité. La situation financière aussi devenait inquiétante. Un emprunt de 400,000 livres et un doublement de l’impôt des fouages, de plus d’un million, ne suffisaient point pour payer les dettes, d’autant plus que les États avaient voté, à cause de la guerre, un don gratuit de 3 millions. Et cependant tout cela n’était que le prélude des mesures fiscales que le pouvoir royal allait prendre, après le traité de Nimègue.

Dans la troisième période du xviie siècle, le siège de Saint-Brieuc fut occupé, de 1680 à 1705, par Marcel de Coëtlogon, d’une illustre famille de Bretagne. Il fut à la fois, a-t-on dit, grand seigneur et grand évêque. La bonté et la charité qui faisaient le fonds de son caractère se manifestèrent d’une manière touchante, après la révocation de l’édit de Nantes. Il obtint du marquis de La Coste, qui était chargé d’assurer l’exécution de cet édit, le renvoi des troupes, puis il parcourut, avec lui et quelques cavaliers seulement, les points de son diocèse habités par des protestants, n’ayant recours, à l’égard de ceux-ci, qu’à la douceur et à la persuasion. La conduite prudente de l’évêque fut plus efficace que les fameuses dragonnades du midi et amena de nombreuses conversions.

L’évêque de Coëtlogon présida, en 1687, à Saint-Brieuc une session des États, où l’on ne s’occupa guère que d’élaborer un règlement. Quelques années après, il fit un magnifique accueil au roi d’Angleterre, Jacques II, qui séjourna trois jours à Saint-Brieuc. Si la date de ce passage est bien 1689, comme on l’affirme, Jacques II se rendait en Irlande pour essayer de reconquérir son trône avec le secours de Louis XIV. Le souvenir de cette hospitalité contribua sans doute, un peu plus tard, à faire quelques Irlandais réfugiés s’établir à Saint-Brieuc et dans les paroisses voisines.

Bien qu’il fût affable, populaire et ennemi des procès, M. de Coëtlogon voulait maintenir dans son intégrité la dignité épiscopale. C’est pourquoi il fit rédiger un terrier pour constater les droits et les revenus de son fief et rendit au roi, en 1690, un aveu qui contient des détails intéressants dont nous nous servirons, à la fin de ce chapitre, en traitant de l’organisation intérieure.

Des trois évêques que nous avons cités depuis l’avènement de Louis XIV, il en est deux certainement qui ont jeté de l’éclat, par leurs qualités personnelles, sur l’histoire de Saint-Brieuc ; mais bien qu’ils fussent seigneurs de la ville, ils n’ont exercé que fort peu d’influence sur son administration. Cela n’entrait pas dans les vues de Louis XIV. La communauté de ville en fut-elle plus libre ? Pas davantage. Il serait injuste, nous le répétons, de ne pas reconnaître les services rendus par le grand roi à l’unité du pays, tant par ses guerres que par ses institutions centrales ; mais il s’agit ici de l’organisation municipale et il faut bien avouer que les villes ont grandement souffert, à la fin du xviie siècle, du système financier et du défaut de liberté.

On avait assez bien supporté l’accroissement des charges pendant la période des victoires. La France était fière de son roi, et d’ailleurs Colbert suffisait aux dépenses, sans frapper d’énormes impôts. En même temps qu’il mettait de l’ordre dans les finances de l’État, il surveillait la gestion des villes. La communauté de Saint-Brieuc elle-même fut réorganisée. Elle reçut, par ordonnance royale du 18 juillet 1681, contresignée de Colbert, un nouveau règlement, dit de 1681, bien qu’il n’ait été appliqué que plus tard. Ce règlement modifiait l’ancien système municipal, en faisant du syndic un receveur municipal, sous le titre de syndic-miseur ; mais du moins il réglait les charges ordinaires[10] et semblait promettre une comptabilité régulière, en fixant des délais et une procédure pour rendre les comptes.

Deux ans après, Colbert mourut, puis vint la période des revers. Pour faire face à une situation difficile, les successeurs du grand ministre eurent recours à des expédients financiers. Ils ne craignirent pas de multiplier les fonctions municipales, de les mettre en vente et, comme elles ne se vendaient guère, ils forcèrent les villes de racheter celles qui n’avaient pas trouvé d’acquéreurs.

Sans entrer dans des détails que ne comporte pas cette notice sur les charges créées de 1690 à 1708[11], il nous suffira de parler des deux plus importantes, celles du syndic et du maire. Le syndic, cet ancien administrateur de la cité, ce dernier représentant de la liberté municipale, après avoir été réduit aux fonctions de receveur, en 1681, fut encore une fois transformé et devint, sous le titre de procureur du roi syndic, une sorte de ministère public près la municipalité. Le rachat de cette charge coûta 4,200 livres à la ville. Le maire ayant remplacé le syndic à la tête du corps de ville, il fallut payer 6,000 livres pour avoir le droit de le nommer. Après les charges municipales, celles de la milice coûtèrent 7,900 livres. Il résulta de la création de ces offices qu’à la fin du xviie siècle la communauté de ville ne se trouva plus guère composée que d’officiers municipaux. Appartenant aux vieilles familles bourgeoises de la cité, ils se mêlaient aux affaires par honneur et aussi par habitude ; mais leur zèle, loin d’être intempérant, s’affaiblit à tel point qu’il fallut plus d’une fois enjoindre aux membres de la communauté d’assister aux séances, sous peine de 10 à 20 livres d’amende, de déchéance de leurs droits et privilèges, et même d’exclusion après deux condamnations.

Voilà ce que la création de charges vénales et inutiles avait fait du corps municipal. Le tableau n’en serait pas complet, si nous ne parlions du gouverneur. Bien que Saint-Brieuc fût resté ville ouverte et qu’il n’y eût plus que des ruines à la tour de Cesson, il avait paru bon de nommer, dans la première partie du xviie siècle, un gouverneur de Saint-Brieuc et de la tour de Cesson. Les deux premiers titulaires, les sieurs Du Boislouet et d’Acigné, n’eurent pas d’attributions bien définies. Le troisième, Yves Olivier Du Plessis de La Rivière, seigneur de Plœuc, pourvu de cette charge par lettres patentes de 1667, eut, au début, de vives discussions avec le sénéchal royal, Phelipot de La Piguelaye, qui lui disputait la présidence ; mais il profita de la réorganisation de 1681 pour se mettre à la tête du corps municipal et s'y faire, pour lui et sa famille, une situation pleine d’abus et de privilèges.

Il voulut alors trancher du gouvernement militaire et fut, dès 1684, en conflit de préséance avec le marquis de La Coste,qui avait un commandement supérieur, en qualité de lieutenant de roi aux quatre évêchés de Basse-Bretagne. Le prétexte du conflit était de savoir si les écussons du roi et du gouverneur de la province, que M. de La Rivière avait ordinairement à sa porte comme symbole de l’autorité,devaient être envoyés à M. de La Coste, pendant que celui-ci logeait à Saint-Brieuc. Cette discussion donna lieu à de curieuses révélations. Il fut établi, d’après les dépositions d’officiers municipaux, que le gouverneur empêchait la communauté de communiquer avec le lieutenant de roi, qu’il supprimait à son gré les ordres supérieurs et les arrêts du conseil. On l’accusait aussi d’accabler de billets de logement, lors du passage des troupes, ceux qui lui déplaisaient. En dépit de ces accusations, un règlement de 1686 permit à M. de La Rivière, aussi bien qu’à M. de La Coste, d’arborer l’écusson du roi. Ce débat, futile en apparence, montre le désordre que des créations inconsidérées d’emplois introduisaient dans l’organisation municipale.

Jusqu’alors la Bretagne n’avait point eu d’intendant, ce chef de l’administration civile que les autres provinces connaissaient depuis plus de cinquante ans. Ce n’est qu’en 1689 que M. de Pommereu fut investi de ces fonctions. Le conflit que nous avons signalé ne fut peut-être pas sans influence sur le voyage qu’il fit à Saint-Brieuc, l’année suivante. Le 16 novembre, il ordonna d’enregistrer dans l’assemblée de ville le règlement de 1681 ; mais, s’il donna dans cette occasion une leçon nécessaire, il produisit une fâcheuse impression par sa brusquerie et par le ton despotique qui lui était habituel.

Tout en bouleversant ainsi l’ancien système municipal, le pouvoir royal appliquait à la Bretagne quelques institutions d’un ordre plus général. C’est en 1691 que furent établies à Saint-Brieuc les deux juridictions de l’Amirauté et des Traites. La première connaissait de tous faits et contrats concernant la construction des navires, la police de la navigation, les bris et naufrages, la pêche maritime. La seconde réglait les différends nés à l’occasion de la levée des droits sur les denrées et marchandises, à l’importation et à l’exportation.

L’organisation des milices n’eut pas lieu aussi rapidement, non que la Bretagne refusât le service militaire en temps de guerre, tout le monde alors s’y portait avec ardeur, — mais parce qu’elle no voulait pas en principe renoncer à ses privilèges. Nous savons d’ailleurs qu’il y avait une milice à Saint-Brieuc et dans les paroisses voisines, à l’époque du combat de Roselier. L’ordonnance de 1688 eut donc pour but, non de créer les milices en Bretagne, mais d’en former des régiments, auxquels on eut recours dans les guerres de la coalition d’Augsbourg et de la succession d’Espagne. Quelque temps auparavant, les États avaient été mis en demeure d’assurer la défense des côtes, à l’exemple des autres provinces maritimes. Ils offrirent au roi 1,500,000 livres pour les frais de premier établissement de la milice des gardes-côtes. Ce service ne fut régulièrement organisé qu’au xviiie siècle.

Telle était la situation de la ville de Saint-Brieuc dans ses rapports généraux avec le pouvoir central, à la fin du xviie siècle. Malgré des guerres continuelles, elle n’aurait pas eu vraiment à se plaindre de la part qu’elle payait dans les contributions publiques, sans les mesures de fiscalité imaginées à propos des charges municipales.

Ces expédients ne suffirent bientôt plus. On eut recours d’abord à des taxes extraordinaires (celle de 28,000 livres par exemple, qui fut répartie sur les maisons de Saint-Brieuc, en 1693), puis à des mesures plus générales. La capitation fut établie, en 1695, dans tout le royaume et abonnée, la même année, par les États de Bretagne à 1,400,000 livres et, vers la fin de la guerre de la succession d’Espagne, à 2 millions[12]. Cette période fut désastreuse, à plusieurs points de vue, pour la ville de Saint-Brieuc. Une tempête l’ayant ravagée dans la nuit du 29 au 30 décembre 1705, elle fut obligée d’exposer sa détresse aux États réunis à Vitré. Il fallut quand même continuer le paiement des impôts, et égailler, dans les années 1708 et 1709, la somme de 14,653 livres 8 sous 11 deniers. Cette somme, assez considérable pour le temps, dépassait les ressources de la population, puisque la communauté se trouva dans l’impossibilité de solder l’arriéré qu’on lui réclamait en même temps sur le prix des charges municipales. On fit encore preuve de bonne volonté pour loger des troupes et recevoir à leur passage, en 1708, le lieutenant général de Vibray, chargé de visiter les côtes de l’évêché, et le maréchal de Châteaurenaut, commandant en Bretagne. Puis vint l’année 1709, l’année du grand hiver, qui a laissé dans toute la France un si cruel souvenir. On s’exécuta tant qu’on le put, sans proférer une plainte, même quand l’intendant fit réclamer pour l’armée, au milieu de ce terrible hiver, 300 sacs de froment, 50 de seigle et 50 d’orge, de 220 livres chacun. Y a-t-il quelque chose de plus éloquent, en pareilles circonstances, que le simple exposé des faits dans le registre des délibérations ?

Une session des États réunie à Saint-Brieuc, le 16 novembre 1709, sous la présidence de l’évêque, M. de Boissieux, fut employée à trouver les moyens de venir en aide au roi. On racheta notamment, pour 140,000 livres, des charges de justice nouvellement créées. En l’absence d’un système régulier de finances, le gouvernement était réduit à faire argent de tout.

À la capitation, il fallut ajouter, à partir du 1er octobre 1710, l’impôt du Dixième, qu’on leva sur les biens fonds et les revenus de toute nature, même sur les deniers d’octroi des villes.

Après tant de malheurs, la joie de la délivrance fut telle qu’on trouva, le 19 juin 1713, une somme de 150 livres pour tirer un feu d’artifice à l’occasion de la paix.

Le xviie siècle s’est donc terminé, comme le xvie, au milieu des désastres. À un point de vue particulier, il n’a été presque constamment, pour la ville de Saint-Brieuc, qu’un temps d’épreuves douloureuses, mais c’est à l’aide de pareils sacrifices qu’on assure le salut d’une nation.

III. — mœurs et usages.

Après avoir esquissé l’histoire de la ville de Saint-Brieuc au xviie siècle, dans ses traits les plus généraux, il ne sera peut-être pas sans intérêt de donner quelques détails sur la vie intérieure de ses habitants, à la même époque. Nous les puiserons, en grande partie, dans l’aveu et le terrier de l’évêché, rédigés, en 1690, par l’ordre de M. de Coëtlogon. Ces documents font connaître la situation, considérable encore, que l’évêque occupait, en tant que seigneur temporel, au double point de vue du fief et de la juridiction[13]. Nous aurons l’occasion d’indiquer, dans un autre chapitre, l’influence qu’il avait comme seigneur ecclésiastique.

Nous avons dit que l’évêque était seigneur de Saint-Brieuc. Cela est vrai d’une manière générale, mais on ne doit pas en conclure qu’il était le seul seigneur du fief. Le chapitre de la cathédrale possédait presque les deux tiers de la ville et se disait indépendant de l’évêque. Il en résulta des débats qui relâchèrent les liens de la discipline ecclésiastique et affaiblirent l’autorité des deux parties. Les procès étaient interminables à cette époque et faisaient la joie des procureurs. On en vint, en 1484, à une transaction qui fut confirmée et complétée, en 1622, du temps de l’évêque Le Porc de La Porte[14]. Le fief du chapitre y fut parfaitement délimité, dans la ville et les faubourgs de Saint-Brieuc. Les chanoines furent reconnus indépendants de l’évêque quant au fief, mais ils se soumirent eux et leurs vassaux à sa juridiction. C’est un des rares exemples de fief constitué sans juridiction[15].

Le chapitre eut, comme par le passé, un rang considérable dans la ville, s'occupant de tous les établissements utiles, envoyant des députés aux assemblées de la communauté et à celles des États, haranguant les grands personnages et comptant parmi ses membres l’un des principaux seigneurs de Bretagne, le duc de Penthièvre. Le duché de ce nom ayant été vendu, en 1696, par Marie-Anne de Bourbon, à Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse et gouverneur de Bretagne, ce prince fit prendre possession par procureur, la même année, de la stalle qui lui appartenait en qualité de premier chanoine de la cathédrale.

Les revenus du chapitre s’élevaient, année moyenne, à 20,000 livres environ. Les chanoines ayant voulu gérer leurs biens, s’en acquittèrent si mal qu’ils ne purent quelquefois couvrir leurs charges « vu leur peu de moyens », et qu’ils furent obligés d’en confier l’administration à un receveur.

La situation du chapitre, au temporel, explique un peu les abus que nous avons déjà signalés dans la conduite de quelques-uns de ses membres. Ceux qui voulaient sauvegarder la dignité du corps poursuivaient sans relâche, à l’exemple de Denis de La Barde, leurs confrères qui ne s’acquittaient pas de leurs devoirs religieux et prenaient contre eux de très vives conclusions. Ils obtinrent quelques bons résultats ; mais ils ne pouvaient réformer de déplorables usages et empêcher, par exemple, un enfant de 13 ans d’être reçu chanoine, en 1686, par dispense d’âge.

L’évêque possédait, dans la ville de Saint-Brieuc, tout ce qui n’appartenait pas au chapitre et de plus il était seigneur suzerain des paroisses de Saint-Michel, de Ploufragan, de Trégueux, de Langueux et de la plus grande partie de Cesson. Ce territoire avait reçu le nom de Turnegouet, parce qu’il était compris entre les rivières d’Urne et de Gouët, et de Regaires, parce qu’on désignait ainsi les concessions faites aux églises par les rois[16]. À ce fief se rattachaient, dans des paroisses plus éloignées, les membres d’Hénanbihen et de Bréhand-Moncontour. Ce dernier fut aliéné en 1607.

L’évêque recevait l’aveu et l’hommage de ses vassaux qui lui rendaient certains devoirs, lui payaient des rentes en argent et en nature, et se soumettaient à sa juridiction. Ses revenus variaient de 11,000 à 18,000 livres. Ses principaux vassaux laïques étaient les seigneurs de l’Epine-Guen et du Boisboissel.

Le seigneur de Boisboissel, prévôt et écuyer de l’évêque, avait un manoir, non loin de la fontaine de Saint-Brieuc, dans la paroisse de Saint-Michel, avec de nombreuses prérogatives[17]. Nous savons qu’il possédait aussi en ville, depuis la fin du xvie siècle, un hôtel appelé Quincancrogne. Dans ce vassal, les auteurs des Anciens Évêchés ont vu le successeur de ce Rigwal qui avait accueilli et aidé saint Brieuc, de même qu’ils ont cru retrouver dans le seigneur de l’Epine-Guen le représentant de Fracan. Si cette thèse était vraie, les rôles auraient été singulièrement intervertis, puisque les anciens protecteurs seraient devenus des protégés. Le seigneur de Boisboissel, en effet, n’était, en qualité de prévôt de l’évêque, que son premier officier dans la Cour des Regaires, où il avait des devoirs assez pénibles à remplir. Il était tenu, d’après l’aveu de 1690, aussitôt que des criminels étaient condamnés à mort, « de les prendre en sa garde ou faire prendre par ses sujets pour en repondre, les garder et conduire au suplice et faire exécuter, après avoir fait les cris et proclamations accoustumées par les calefours de ladite ville de Sainct Brieuc sur peine de saisie de ce qu’il tient dudit seigneur evesque. »

En qualité d’écuyer, le sieur de Boisboissel avait à remplir un devoir qui nous amène à parler de l’entrée de l’évêque dans sa ville de Saint-Brieuc. Cette cérémonie avait lieu dans toutes les villes épiscopales et se faisait quelquefois avec un grand éclat. À Saint-Brieuc, les gentilshommes se portaient à cheval au devant de l’évêque ; le corps de ville et les magistrats le recevaient à la porte de Saint-Guillaume. Le sieur de Boisboissel tenait ensuite l’étrier, pendant que l’évêque montait sur une haquenée, conduisait celle-ci par la bride jusqu’au palais épiscopal et la gardait en récompense du devoir qu’il venait d’accomplir.

Quant au seigneur de l’Epine-Guen, qui possédait la terre de ce nom, en Ploufragan[18], il était tenu, « à cause de ladite terre, à l’entrée de chacun evesque dudit St Brieuc, de luy donner a laver la main, au festin solennel qui se fait ausdites premières entrées en ladite ville et de luy servir d’echanson, pour laquelle servitude après ledit festin, ledit sieur de l’Epinne guien a droit de prendre et emporter la coupe dans laquelle a bu ledit seigneur evesque pendant iceluy, de quelle façon et metaille qu’elle puisse estre. » Le même seigneur était chargé, en qualité de sergent féodé, de bannir ou de faire bannir tous les contrats d’héritage, d’acquêt, d’échange et autres, dans l’étendue du fief. À ces obligations constatées officiellement dans l’aveu, Ruffelet en ajoute une autre qui s’exerçait encore, dit-il, de son temps : le sieur de l’Epine-Guen devait donner hautbois, musettes et violons avec un jambon aux habitants pour se divertir, le jour du mardi gras de chaque année, sur la place du Martray, et chaque cabaretier de la ville devait aussi apporter à la table du jambon un pot de vin ou de toute autre boisson qu’il débitait.

Les devoirs que nous venons d’énumérer à la charge des seigneurs de Boisboissel et de l’Epine-Guen sont qualifiés, dans l’aveu de 1690, de « privilèges en forme de servitude deue par nobles personnes. » On trouve étonnant, aujourd’hui, que ces devoirs aient été remplis par des nobles ; mais ces usages étaient si répandus qu’à certaines époques les nobles les revendiquaient comme des droits. Ce n’est qu’au xviiie siècle qu’ils se sont transformés sous l’influence de l’opinion publique.

Quelques redevances roturières méritent aussi d’être signalées. En 1611, Henri Compadre, l’ancien syndic, rendait lui-même aveu pour la maison qu’il occupait dans la rue Clinquaine ou Quinquaine. Il y réclamait le privilège de faire moudre ses blés au moulin de l’évêque, sans rien payer, et celui « de tout temps immémorial d’avoir et jouir à sa vollonté du premier plat, vaisselle et viande deserte du disner que les dictz seigneurs evesques de Sainct Brieuc font a leur joyeusse venuë et entrée solennelle en la ville. » En retour, il se déclarait obligé de faire ferrer et déferrer à ses dépens la haquenée de l’évéque, pendant que celui-ci résidait à Saint-Brieuc, et aussi de faire ferrer et déferrer les prisonniers, moyennant paiement convenu et autorisation de garder les fers, faute de paiement.

Que dire de la fameuse servitude connue sous le nom d’obéissance des grenouilles ? Elle portait sur deux maisons de l’Allée-Menault (rue Traversière), dont les tenanciers devaient payer une rente annuelle de 12 deniers et frapper le ruisseau, la veille de la Saint-Jean, en disant trois fois aux grenouilles : « renouesselles, taisez-vous, laissez Monsieur dormir. » Nous ne prétendons pas justifier cette cérémonie bizarre, qui n’avait même pas, comme certains usages féodaux, un côté jovial ; mais, en supposant que cette coutume se fût maintenue au-delà du xviie siècle, ce qui parait douteux, la rente non plus n’avait pas changé : 12 deniers pour une maison !

Le propriétaire de la maison de la Révérence, située entre la rue Quinquaine et la Grand’Rue-ès-Marchands, était encore mieux traité, puisqu’il ne devait donner à l’évêque qu’un denier, « en lui faisant révérence ou salut. »

Pour apprécier les anciennes redevances, celles des bourgeois comme celles des nobles, il ne faut pas les isoler du milieu qui les a vues naître ; mais jugerait-on avec les idées du temps présent celles que nous venons d’indiquer, qu’elles sembleraient plutôt singulières que blessantes.

On ne saurait au contraire rappeler, sans éprouver une impression pénible, le préjugé qui pesait sur certaines familles dont les membres étaient baptisés à part, ne pouvaient transmettre leurs biens qu’à gens de leur race et étaient enterrés dans des lieux séparés. C’étaient les Caquins. Bien des hypothèses ont été faites sur les Caqueux ou Caquins. Ils descendaient sans doute de ces lépreux du moyen-âge que la frayeur populaire avait forcé d’isoler au milieu de la société et que l’Église avait pris sous sa protection. Les pestes du xviie siècle avaient dû raviver cette crainte, que les arrêts du Parlement, favorables aux Caquins, eurent beaucoup de peine à détruire. C’est ce qui explique comment l’aveu de 1690 mentionne 22 caquineries dans l’évêché, dont une à Saint-Brieuc, dans le lieu dit la Caquinerie, près du tertre Buette. En rappelant contre les Caquins des prohibitions d’un autre âge, l’aveu que nous avons cité prouve du moins que leur situation féodale était meilleure que leur situation sociale. Ceux du fief des Regaires ne payaient, tous ensemble, à l’évêque qu’une taille annuelle de 20 livres, et chaque ménage fournissait en outre un licol de corde, à la visite de l’évêque dans sa paroisse. Ceci rappelle la profession de cordier qu’exerçaient en général ces malheureux.

À la police et par suite à la juridiction, se rattachaient certains droits, tels que celui de pourvoir aux offices de roi des poissonniers et de roi des boulangers.

Le roi des poissonniers, institué le lundi de Pâques par les officiers de l’évêque, était chargé de surveiller la vente du poisson. Les poissonniers étaient obligés, il est vrai, sous peine de confiscation et d’amende, de porter leur poisson au palais épiscopal avant de l’exposer en vente, mais ils étaient libres de l’emporter, quand le prix offert ne leur convenait pas ; et, comme il arrivait souvent dans ces temps, une cérémonie joyeuse adoucissait la rigueur de l’obligation : les poissonniers, qui avaient vendu pendant le carême, devaient se trouver, ce même lundi de Pâques, sur la place du Pilori, à cheval, une gaule à la main, avec un bouquet de fleurs printanières au bout, pour rompre les Quintaines[19] et assister ensuite à l’installation du nouveau roi.

Le roi des boulangers, établi dans les mêmes formes que celui des poissonniers, avait pour mission de comparaître à l’audience des Regaires, le vendredi de chaque semaine, pour faire son rapport sur le prix des blés, afin d’établir les apprécis.

L’évêque avait, en tant que seigneur, un si grand nombre de droits qu’il serait impossible d’en donner le détail. Nous ne citerons plus que : le droit de mesurage, ou règlement des mesures de capacité et d’aunage ; le droit de coutume, qu’on levait sur la vente des bestiaux et des marchandises en gros et en détail, en y rattachant le havage, ou droit perçu sur le sel menu, et le verage de May, sur les marchandises entrant dans la ville ou en sortant pendant les huit derniers jours d’avril et les huit premiers de mai ; le droit de marché, le mercredi et le samedi de chaque semaine ; le droit de foire, le jour de la mi-carême, le premier jour de mai, le 9 et le 29 septembre ; le droit d’étanche, ou privilège qu’avait le seigneur de vendre seul ses grains, à trois marchés consécutifs, l’année de son choix ou même chaque année ; le droit de moulin et de four ; celui de cohues ou de halles (la halle aux bouchers ouvrant sur le Martray, et en arrière la halle aux draps et aux toiles et la halle aux cordonniers, chacune avec un certain nombre d’étaux, loués de 5 à 7 sous, l’un) ; le droit de lods et ventes, à l’occasion d’un contrat de vente ; le droit de haute-justice avec quatre piliers et fourches patibulaires, à la Côte au gibet, dans le voisinage de la rue de Gouët. Ce droit donnait le pouvoir de faire condamner à une peine capitale et de juger de toutes affaires civiles et criminelles, excepté des cas royaux ; mais depuis longtemps le nom seul de haut justicier était redoutable, car on sait que la juridiction épiscopale s’était vu enlever la plupart de ses prérogatives par la Cour royale, de même qu’elle fut obligée de partager la police avec des commissaires nommés par la communauté de ville. Les principaux officiers de la Cour séculière de l’évêque étaient le sénéchal, l’alloué ou lieutenant et le procureur-fiscal. L’auditoire, établi longtemps au-dessus de la halle aux draps, fut transféré, en dernier lieu, dans un bâtiment dépendant du palais épiscopal.

Le fief ayant été presque toujours, en Bretagne, uni, d’une manière intime, à la juridiction, les affaires féodales se trouvaient mêlées dans les audiences aux affaires administratives ou purement judiciaires : la réformation du rentier de la seigneurie, par exemple, à côté de travaux de voirie, du transfert d’un droit de propriété, du partage d’une succession et d’une procédure criminelle[20]. Cette réunion de tant de droits dans la personne du seigneur avait paru toute simple à l’origine, parce que les anciens Bretons regardaient le droit de rendre la justice comme inhérent à la possession de la terre. Elle avait pu s’expliquer encore au moyen-âge, alors que le seigneur était le seul protecteur de ses vassaux, mais elle n’avait plus de raison d’être depuis qu’il était réduit au rôle de grand propriétaire. Toutefois, la revendication complète par l’État des droits souverains dont jouissaient les seigneurs ne devait avoir lieu que plus tard, parce que le pouvoir royal s’occupait avant tout, au xviie siècle, d’organiser une forte administration centrale.

La royauté ne laissait pas d’ailleurs que d’exercer une influence considérable sur les seigneurs laïques, en les entraînant à la cour, dans les armées, ou dans les hauts emplois administratifs.

Nous citerons en exemple, au commencement du xviie siècle, l’héritier de ces seigneurs de Boisboissel que nous avons vus à la tête de la noblesse du pays et des bourgeois de Saint-Brieuc. Jean de Bréhand, vicomte de Lisle, ayant servi Henri IV contre Mercœur, avait obtenu le titre de gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. On doit reconnaître qu’il fît du bien à Saint-Brieuc et fonda, en 1615, le couvent des Capucins, pour secourir le peuple décimé par la peste ; mais il résida presque constamment à Paris, où il fut inhumé en 1640. Ses successeurs s’engagèrent dans d’interminables procès avec l’évêque, le chapitre et le vicaire de Saint-Michel, se firent trop souvent représenter à Saint-Brieuc par des hommes d’affaires et furent sur le point d’aliéner leur domaine. Il en fut à peu près de même des Tanouarn, propriétaires de Cardenoual, à Saint-Brieuc, et de Couvran, en Plérin ; des La Bouexière et des Guébriant, qui habitèrent successivement l’hôtel dit de Guébriant, au haut de la rue Fardel.

Il est impossible de citer le nom de Guébriant sans parler de celui qui fut la gloire de cette famille, au xviie siècle. Né à peu de distance de Saint-Brieuc, au Plessis-Budes, en 1602, Jean-Baptiste Budes, comte de Guébriant, se fit une belle réputation militaire dans la guerre de Trente ans, d’abord en prenant une part brillante aux succès du duc Bernard de Saxe-Weimar et du suédois Banner, puis en faisant avec ses seules forces, dans l’ouest de l’Allemagne, des prodiges de tactique et d’audace. Il mourut, en 1643, des suites d’une blessure, au moment où il venait de s’emparer de Rothweil, en Souabe. Ses exploits lui avaient valu, l’année précédente, le bâton de maréchal de France. Il ne laissa pas d’enfants ; mais sa femme, qui était douée de talents supérieurs, continua d’honorer son nom et fut même, par une distinction assez rare, envoyée à la cour de Pologne avec le titre d’ambassadrice.

Nous avons déjà cité un neveu du maréchal de Guébriant, qui était en même temps son filleul, et que ses fonctions appelaient souvent à Saint-Brieuc, Jean-François Du Gouray, marquis de La Coste, lieutenant de roi en Basse-Bretagne. Cette charge lui fut confiée en raison de ses services en Flandre et de ceux de son oncle le maréchal. Il fut très modéré dans l’application des mesures qui suivirent la révocation de l’édit de Nantes. Fils de Guy Du Gouray et de Renée Budes, il possédait le château de La Coste, en Saint-Julien. L’aînée de ses deux filles, Sainte, épousa Louis de Bréhand, comte de Plélo, et la cadette, Madeleine, le marquis de Langeron. C’est à l’occasion de l’un de ces mariages que Mme de Sévigné écrivait, en 1688, à sa fille. Mme de Grignan : « Votre frère est à la noce de mademoiselle de la Coste à Saint-Brieux. M. de Chaulnes y étoit. Sans ce gouverneur, le marié s’en seroit enfui. » Le marquis de Langeron hérita de l’emploi et de l’influence de son beau-père et les transmit à son fils, que nous retrouverons, au xviiie siècle, dans une situation élevée.

Les manoirs voisins de Saint-Brieuc changèrent souvent de possesseurs. Ploufragan, dépeuplé par des épidémies, perdit un grand nombre de ses familles nobles. Aux Budes du Tertre-Jouan succédèrent par mariage les Le Borgne et à ceux-ci, les Du Harlay, que leur haute position tint éloignés de la Bretagne. — À Cesson, les Moro acquirent la Ville-Bougault ; la terre des Villes-Doré vit dans Amaury Eder, frère de La Fontenelle, le dernier de son nom. L’héritière des Eder porta cette terre par mariage aux Bernard de Lisle-Aval, qui la vendirent aux La Rivière. — En Langueux, la famille Berthelot garda par exception, pendant plus de deux siècles, la terre de Saint-Ilan, qu’elle agrandit beaucoup, parce qu’elle aimait à y résider. — Les Collet et les Gendrot habitèrent Plérin et Saint-Brieuc.

Ce que la noblesse perdait en influence territoriale, la bourgeoisie l’acquérait, car elle possédait non seulement des biens roturiers, mais un grand nombre de fiefs nobles ; aussi tout bourgeois ajoutait-il à son nom celui du manoir ou de la ferme qui lui appartenait, sous cette forme : Bagot, sieur de Prévallon ; Compadre, sieur des Alleux, etc., ce qui n’impliquait nullement la noblesse. Les usurpations qui avaient eu lieu dans ce genre, furent même réprimées dans une réformation de la noblesse, ordonnée par Colbert, de 1667 à 1671. Pour ne citer que quelques exemples, Mathurin Compadre, Jean James, Vincent Josse, Charles Landays y furent déboutés de leurs prétentions et durent payer, chacun, 100 livres d’amende ; Charles Favigot, sieur du Clos, fut condamné à 400 livres. Cette réformation servit les intérêts du fisc, en même temps que ceux des nobles.

À Saint-Brieuc, la bourgeoisie occupait une assez large place, parce qu’elle était riche et qu’elle restait fidèle au pays natal. Pendant la plus grande partie du xviie siècle, elle rendit de grands services dans l’administration de la cité. Ce n’est qu’à la fin que son zèle s’affaiblit, quand elle tomba tout à fait dans la dépendance du pouvoir central. Nous avons suffisamment indiqué quelle fut alors la situation des chefs de la bourgeoisie, en parlant du syndic et du maire et de la vénalité des charges municipales ; mais nous savons aussi que la communauté de ville racheta Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/143 Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/144 Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/145 Bagot, Pommeret, Le Normant, Bédel, Damar. Quelques autres sont nouveaux, sinon dans la ville, du moins dans les charges municipales : Du Val, Lochet, Le Coniac, Quiniart, James, Rouxel, Lymon. La famille Lymon va prendre en partie la place des Compadre, avec lesquels elle s’est alliée par le mariage de Pierre Lymon, sieur de La Belleissue, et de Sébastienne Compadre, fille du syndic de 1591.

À côté de ces familles, quelques autres, dont les membres étaient investis de fonctions publiques, méritèrent le droit de cité. Un receveur général des deniers du roi dans l’évêché de Saint-Brieuc, Pierre Du Bois, rendit de tels services pendant les épidémies, que son portrait fut placé dans la salle des séances de la communauté et que les représentants de la ville signèrent, en 1688, à son contrat, quand il épousa Marguerite Le Pappe de La Villerabel.

Plusieurs magistrats se trouvèrent mêlés aux affaires de la ville par leur situation privilégiée, mais ils en profitèrent trop souvent pour amener des conflits avec le corps de ville ou les officiers des Regaires. En 1654, au moment « d’allumer conjointement le feu d’artifice préparé pour rendre la joie plus parfaicte, » à la suite de la délivrance d’Arras, le sénéchal royal Carluer fit son lieutenant arracher des mains du sénéchal des Regaires, Dujardin, le flambeau qui avait été remis à celui-ci par le syndic de la communauté. Il s’ensuivit une rixe dans laquelle le lieutenant fut renversé, puis un procès compliqué d’une saisie de biens et d’une ordonnance de prise de corps contre le sieur Dujardin. Ce procès dura huit ans et se termina par un arrêt du Parlement de Paris réglant le cérémonial à propos des feux de joie, et attribuant le premier flambeau à l’évêque ; le second, aux magistrats royaux ; le troisième, aux officiers de l’évêque ; le quatrième, au syndic de la communauté.

Bonaventure Phelipot de La Piguelaye, qui fut sénéchal de la Cour royale de 1665 à 1696, débuta en se faisant dans le conseil de ville le chef d’une faction contre le gouverneur et en suscitant de nouvelles difficultés aux officiers des Regaires. En 1667, il y eut une scène si violente au feu de joie préparé sur le Pilori, à l’occasion de la naissance du dauphin, que l’évêque fut insulté et obligé de se retirer. Cet évêque était le bon Denis de La Barde. Il avait cependant contribué largement à l’éclat de la fête : Un bûcher avait été allumé par ses ordres devant la porte principale de son manoir ; « Dans le milieu de la cour, la pompe fontenne qui avait accoustumé de randre de leau a jetté du vin abondamment et chacun en a beu à sa volonté... Pendant la nuit, les fenestres dudit manoir ont paru garnies de lanternelles allumées, décorées de fleurs de lys ». Le procès verbal qui décrit cette magnificence constate aussi qu’un chanoine, le sieur de Robien Auffray, ne la trouvant point de son goût, dit publiquement à l’évêque « que ce que faisoit ledit seigneur n’estoit que pure mommerie. »

Ces scènes, dont il ne faudrait pas exagérer l’importance, font connaître, avec les mœurs administratives, un côté de la physionomie de Saint-Brieuc au xviie siècle.

Les exercices militaires étaient toujours en usage dans la bourgeoisie, car, outre sa milice que nous avons vue à l’œuvre, elle avait conservé sa compagnie des chevaliers du papegault, dont les privilèges furent étendus par lettres du mois de juin 1635, et l’organisation fut révisée par un règlement de 1671.

Les malheurs qui pesèrent si longtemps sur Saint-Brieuc, au xviie siècle ne permirent ni à la ville, ni aux habitants d’y faire beaucoup de travaux. L’architecture religieuse ne produisit rien qui mérite d’être signalé. La chapelle des Ursulines fut moins remarquable par son architecture que par son ornementation. Elle fut peinte tout entière, aux frais de M. de La Porte, d’après le Déal du couvent, par Balthazar Thibaut, maître peintre, que le registre des délibérations municipales nous signale, en 1626, comme chargé de décorer le maître-autel de Saint-Michel. L’architecture civile, moins soucieuse des détails artistiques que de la grandeur et de la solidité, éleva plusieurs belles maisons en pierre, notamment celle qui fait face à la rue Saint-Gilles ; l’hôtel Le Noir de Carlan, dont les derniers débris disparaîtront quand on achèvera l’Hôtel-de-Ville ; quelques vastes demeures dans la rue Vicairie et à l’entrée de la rue Saint-Benoît ; et, au dehors, la Ville-Hellio et la Ville-Ernault.

La voirie publique ne fut pas améliorée dans le centre de la ville, où le terrain marécageux contribuait à développer les épidémies. Les rues n’étaient pas éclairées, ce qui favorisait le tapage nocturne. C’est pourquoi dans les fêtes publiques, en 1696, par exemple, à l’occasion de la paix avec la Savoie, on enjoignit aux habitants d’illuminer leurs maisons, sous peine de 3 livres 12 sous d’amende.

Nous savons qu’on aimait à faire des feux de joie sur la place du Pilori, bien que la plupart des maisons de la ville fussent construites en bois. Par suite d’une autre coutume aussi dangereuse, on prenait des conclusions, dans l’assemblée du chapitre, pour sonner les cloches quand il faisait du tonnerre.

Si l’on s’occupait peu de la sûreté et de la salubrité, on avait du moins renoncé à enfermer la population dans des murailles et on avait même abattu les barricades intérieures du temps de la Ligue. Les rentiers du chapitre et de l’évêché, à l’aide desquels on a pu rétablir le plan de Saint-Brieuc au xviie siècle, ne mentionnent plus que les portes Saint-Guillaume, Morlaise et la barrière de la rue de Gouët. On se décida enfin à bâtir en dehors des anciennes limites et sur les hauteurs. L’exemple en fut donné par les établissements religieux : les Bénédictines, près de Saint-Michel ; les Ursulines, à la porte Thomasse ; les Cordeliers, à la Haute-Garde ; les Capucins, à la Grange-Bannerye, dans l’enceinte actuelle de l’hôpital.

Pendant la plus grande partie du siècle, le prix des denrées de première nécessité n’augmenta pas d’une manière sensible. Dans les relevés du prix du froment, que nous avons faits aux chapitres précédents, nous avons dû, en l’absence de documents particuliers à Saint-Brieuc, recourir aux archives de Penthièvre et prendre comme type la perrée (à deux boisseaux) d’une seigneurie voisine, celle de Lamballe. Bien que la perrée de Saint-Brieuc contint un huitième environ de moins que celle de Lamballe, nous n’avons pas tenu compte de cette différence, parce que nous n’avons pas remarqué, dans le siècle suivant, qu’elle ait exercé d’influence sur les prix. Les apprécis de la juridiction des Regaires, les seuls que nous citions désormais, nous apprennent que le boisseau de froment, qui était à Saint-Brieuc le quart de la perrée, valait en 1607, 24 sous ; en 1617, 30 sous ; en 1687, 27 sous ; en 1699, de 48 à 60 sous. C’est l’écart le plus considérable que nous ayons trouvé dans le cours d’une année ; mais, comme il tenait à des circonstances spéciales, on peut dire que le prix moyen, pendant le xviie siècle, a été d’environ 30 sous.

Plus d’une fois les juges des Regaires firent vérifier le poids du pain, parce que le roi des boulangers s’acquittait mal de son office, et condamnèrent les délinquants à de fortes amendes et à la confiscation du pain au profit des pauvres ou de l’hôpital. De 1607 à 1625, il fut réglé que le pain de 12 deniers devait peser au moins 24 onces ; que le pain devait être bien cuit et assaisonné. Pour assurer les approvisionnements, il fut ordonné à chaque boulanger d’avoir, dans son grenier, une pipe de froment et autant de farine et, dans sa boutique, une pipe de pain cuit. En même temps on poursuivait les accapareurs de grains, qui provoquaient trop souvent des révoltes, et soumettant à la surveillance de la police les bouchers aussi bien que les boulangers, on défendait aux premiers d’acheter de la viande sur le marché avant dix heures. C’est surtout à l’époque de la peste que l’administration locale s’occupa efficacement des subsistances. Pendant les longues guerres de la fin du siècle, elle fut au contraire tout à fait impuissante à diminuer les effets de la crise et à empêcher le renchérissement considérable des denrées.

L’industrie n’eut encore pour but que de satisfaire aux besoins locaux, sauf en ce qui concerne la fabrication des toiles. Cette branche d’industrie avait pris plus d’extension dans les environs, depuis qu’on avait fait venir des graines de lin de Flandre et de Dantzick.

Le commerce maritime retrouva non seulement la prospérité dont il jouissait au temps des Favigo, il promit même de se développer lorsque le sieur Rouxel eut donné, en 1687, l’exemple des armements pour la pêche de Terre-Neuve.

On put croire un instant que la ville de Saint-Brieuc allait avoir un autre élément de succès dans ses eaux minérales, grâce au sieur Grillant, chirurgien juré et maître apothicaire. La première source qu’il trouva dans le vallon de Robien, en 1642, produisit des cures merveilleuses pendant plusieurs années, après quoi on n’en parla plus. Il en découvrit une autre en 1673, dans le vallon de Gouédic, près d’un étang, dit l’étang de l’évêque, et la signala, en 1677, dans un ouvrage ayant pour titre : « Traité des qualités et des vertus des eaux minérales nouvellement découvertes proche la ville de Saint-Brieuc, avec une ample méthode d’en user salutairement. » Ce traité fut décoré d’une dédicace en vers, adressée à l’évêque de La Hoguette par le bel esprit du temps, M. Gaisneau, sieur de La Ville-Claire[21]. Cela suffit, un peu avec les qualités ferrugineuses de la source, et beaucoup avec le charme de ce frais vallon, pour donner à la fontaine des Eaux un renom qui s’est continué presque jusqu’à nos jours.

Le chirurgien Grillant eut certainement de nombreux et méritants prédécesseurs, à l’époque des pestes qui dépeuplèrent la ville ; mais leurs noms sont restés dans l’oubli. On ignore aussi à quelle date vint à Saint-Brieuc le médecin Gonzalès Netto, dit Suevo Netto, fils d’un négociant portugais, établi à Nantes. On sait seulement qu’il y fut qualifié de célèbre médecin dans un procès-verbal de 1625 et qu’il y mourut avec la réputation d’un saint.

Les lettres ont été cultivées, au xviie siècle, dans notre ville par quelques hommes distingués, mais non supérieurs. Au siècle précédent, nous avons eu l’occasion de citer Jean Rioche et son Abrégé historique. Jean Rioche a été gardien du couvent des Cordeliers de Saint-Brieuc et, suivant quelques biographes, il est même né dans notre ville. Il nous appartient donc à un titre ou à un autre.

Quelque temps après lui, François Auffray, sieur de Pluduno, chanoine de la cathédrale, a composé des « hymnes et cantiques de l’Église, traduits en vers françois sur les plus beaux airs de ce temps, ensemble diverses pièces de poésie chrestienne, entremeslée dans l’œuvre selon les saisons de l’année, le tout pour la consolation des âmes catholiques et dévotes. » Saint-Brieuc, Doublet, 1625. — Cette œuvre, bizarre quant au fond, rappelle pour la forme le genre précieux si fort en vogue à cette époque[22].

Un confrère du chanoine Auffray, La Devison, pendant son court passage à la cathédrale, a rendu plus de services à l’église de Saint-Brieuc et aux lettres, en publiant les Vies de saint Brieuc et de saint Guillaume, dont on a pu apprécier, dans nos deux premiers chapitres, le style naïf et charmant et même la valeur historique.

Comme protecteur des lettres et des arts et de l’imprimerie fondée à St-Brieuc, en 1620, par Guillaume Doublet, comme inspirateur de la publication de l’Office des deux saints et par suite des deux ouvrages de La Devison, nous devons rappeler que l’évêque Le Porc de La Porte a bien eu sa part dans le petit mouvement littéraire qui s’est produit, à Saint-Brieuc, au commencement du xviie siècle.

À la seconde partie de ce siècle nous rattacherons d’abord deux Briochins, Louis Doublet, dominicain du couvent de Guingamp, auteur d’une Oraison funèbre de Louis XIII et de quelques ouvrages de dévotion, entre autres les Glorieux titres du Rosaire, tous imprimés chez Doublet, à Saint-Brieuc, en 1643 ; le capucin Romain, auteur de la Défense du calendrier Grégorien, Defensio calendarii Gregoriani adversus hœreticos et schismaticos, Paris, 1647.

C’est encore du temps de l’évêque Denis de La Barde qu’ont paru deux écrivains d’un genre bien différent : le père Bagot et le chanoine Noulleau, tous les deux issus de familles notoirement briochines.

Jean Bagot était, dit-on, fils de ce Jean Bagot que nous avons classé parmi les syndics, en 1579. Il entra dans l’ordre des jésuites, dirigea leur collège de Clermont (aujourd’hui Louis-le-Grand) et fut un moment confesseur de Louis XIV encore enfant. Il composa plusieurs ouvrages de théologie et de polémique, entre autres l’Advis aux catholiques, à propos des discussions sur la grâce. Quelques unes de ses propositions sur le droit ecclésiastique, le firent accuser devant l’assemblée du clergé, de 1655. Il mourut, en 1664, recteur de la maison professe des jésuites, à Paris.

Jean-Baptiste Noulleau naquit, en 1604, d’une famille portant un nom estimé dans le commerce et les fonctions publiques. Il entra dans la congrégation de l’Oratoire, fut reçu docteur en théologie et prit possession, en 1639, de l’archidiaconat de Penthièvre, qu’il abandonna pour la charge de théologal. Il fut bientôt apprécié comme prédicateur, à cause de son élocution facile et de sa verve fougueuse et entraînante ; mais la liberté qu’il se permit en chaire choqua plusieurs personnages. En même temps, son zèle indiscret déplut au chapitre, qui lui reprocha ses trop longues prédications, puis son service irrégulier et finit par le réprimander et le priver même de l’entrée au chœur. Noulleau eut le tort de porter l’affaire devant la Cour royale et de provoquer des citations à comparaitre, qui le firent suspendre par l’évêque. Denis de La Barde eut beau accepter un compromis par amour de la paix, Noulleau n’en continua pas moins de parler et de s’agiter, tout en vivant avec beaucoup d’austérité. On vit alors le chapitre, par une singulière inconséquence, le déclarer homme de bien et lui permettre d’aller à Paris soutenir contre l’évêque une série de procès qui durèrent pendant plus de quinze ans. Tout en prêchant la réforme de la discipline dans ses écrits, Noulleau fut donc un obstacle aux essais de réforme de l’évêque Denis de La Barde. Il dut reprendre ses fonctions de théologal, car il avait ce titre quand il fut inhumé dans l’église de Saint-Michel, le 24 août 1672[23].

Noulleau ne s’est pas fait connaître seulement par l’étrangeté de sa conduite, il a marqué sa place comme savant. La bibliothèque de Saint-Brieuc possède une édition, imprimée à Paris, en 1665, sous le titre : Opera Joannis Baptistœ Noulleau. Ce livre contient divers traités concernant le devoir et la bonne conduite des peuples ; la politique chrétienne ; les règles de conduite des grands et des riches ; la magistrature chrétienne ; la vie de M. de Villazel, évêque de Saint-Brieuc ; la doctrine d’Augustin sur la grâce. En politique, Noulleau ne voit rien au-dessus de la monarchie de Louis XIV et trouve que les pays d’États doivent rendre grâces au roi des privilèges que celui-ci leur laisse ; mais, en même temps, il trace les devoirs des princes à l’égard des peuples et ceux des grands, dont les biens, dit-il, ne sont que les biens des pauvres. Certaines opinions religieuses émises par Noulleau l’ont fait accuser d’avoir été non seulement gallican, mais janséniste. Il rappelle cependant dans son Augustin que Dieu a donné sa grâce à l’homme, mais qu’il lui a laissé le libre arbitre pour vouloir, et que d’ailleurs, sur ces points mystérieux, il faut s’en tenir fermement aux définitions adoptées par l’Église[24]. Ces traités dogmatiques, dont quelques-uns sont écrits en latin, ne donnent guère une idée de la verve oratoire qui a fait de son temps à Noulleau une si grande réputation.

Pour compléter la liste des lettrés et des savants briochins au xviie siècle, rappelons les noms déjà cités du chirurgien Grillant et du versificateur Gaisneau de La Ville-Claire.

Résumé. — Au xviie siècle, la ville de Saint-Brieuc a été dépeuplée plusieurs fois par la peste. Des travaux mal conçus, les impôts de guerre et la vénalité des charges municipales ont achevé de ruiner ses finances, si compromises déjà pendant la Ligue. La monarchie absolue a courbé sous son autorité seigneur et habitants, mais du moins elle a provoqué et dirigé l’organisation de la communauté de ville. C’est là le fait le plus saillant de cette période de notre histoire.



  1. Les détails concernant ces deux sessions et celles que nous indiquerons successivement, proviennent des procès-verbaux des États de Bretagne, conservés aux archives départementales des Côtes-du-Nord et de l’Ille-et-Vilaine.
  2. Les services rendus par Salomon Ruffelet, pendant les guerres civiles, ont été rappelés en détail dans les lettres d’anoblissement qui lui furent envoyées par Louis XIII, au mois d’août 1614 Ils sont résumés dans cette phrase : « et qu’en toutes les dictes actions, il s’est non moins généreusement et noblement que fidellement comporté, ainsy qu’au reste du commancement et progrès de sa vye ; mesme en les derniers mouvemens, qu’il aurait esté contrainct absenter sa maison et se retirer en nost e ditte ville de Rennes. » Il est fait sans doute allusion ici aux troubles de 1614. Ces lettres, qui ne mentionnent que le rôle politique de Ruffelet, sont transcrites dans les Notions historiques, t. ii, p. 285.
  3. La plupart des détails que nous avons donnés sur la peste, en 1601 et en 1607, sont empruntés aux registres de la juridiction des Regaires, d’après les Anciens Evéchés (t. ii, ch. 2). Les auteurs de cet ouvrage citent plusieurs fois ces registres si précieux pour notre histoire locale, que nous avons demandés en vain dans les archives publiques.
  4. Tous ces renseignements et ceux que nous donnerons dans la suite sur la communauté de ville sont empruntés aux archives municipales.
  5. Ce siège valut encore à la ville de Saint-Brieuc de curieuses lettres, du 28 octobre 1627, signées : Louis, au camp devant La Rochelle. Le roi y demandait : « 50 habits de bure de diverses grandeurs, consistant eu un pourpoint, jupe à longues basques, haut et bas de chausses et une paire de souliers, pour compatir à la peine que les soldats souffrent pour le salut du commun en une sy rude saison. »
  6. En 1686, on reçut l’ordre de reprendre les travaux des fortifications, mais rien ne prouve qu’on ait donné suite à ce projet.
  7. Étude sur le Collège de Saint-Brieuc, citée page 64.
  8. Archives de la ville de Saint-Brieuc.
  9. Nous avons analysé ce document à la page 52 de la Notice sur les Archives civiles des Côtes-du-Nord, laquelle sert d’introduction au 1er volume de l’inventaire des archives de ce département.
  10. Charges ordinaires à prélever, chaque année, sur les derniers d’octroi : paiement des aides, 420 livres ; — logement du gouverneur, 600 ; — au greffier, 35 ; — au sergent et aux ballebardiers, 61 ; — au prévôt, 50 ; — à l’abatteur du papegault, 350 ; — réparations de la maison de ville, des prisons et de l’auditoire, 50 ; — entretien du pavé, 350 ; — entretien du collège, 600. Total, 2,166 livres. — À prélever tous les deux ans : frais du compte du miseur, 560 livres ; — frais de voyage du député aux États, 200. Total, 760 livres. — Pour couvrir ses dépenses ordinaires et extraordinaires, la ville n’avait que le produit de ses octrois et ses deniers patrimoniaux, comprenant le revenu de deux maisons et 37 livres de rente. Elle jouissait en outre de l’Hôtel de Ville et du collège.
  11. Les principales étaient celles de maire, de lieutenants de maire, d’assesseurs, d’échevins, d’avocat du roi, de procureur du roi syndic, de greffier, de contrôleurs du greffe, de receveurs des octrois et de contrôleurs des octrois. Les procureurs du roi syndics et les greffiers furent créés au mois de juillet 1690. Les maires furent établis en titre d’office perpétuel et héréditaire, et désignés comme députés nés aux États, par ordonnance du mois d’août 1692. Le motif de ce changement est indiqué dans le passage suivant de l’ordonnance : « Nous avons jugé à propos de créer des maires en titre dans toutes les villes et lieux de notre Royaume, qui n’estans point redevables de leurs charges aux suffrages des particuliers et n’ayans plus lieu d’apprehender leurs successeurs, en exerceront les fonctions sans passion et avec toute la liberté qui leur est nécessaire pour conserver l’égalité dans la distribution des charges publiques. » (Archives des Côtes-du-Nord, B. 2.) — Un édit de 1694 institua également des charges héréditaires d’officiers de milice. Tous ces édits étaient à la fois des mesures fiscales et des moyens d’étendre l’action du pouvoir absolu.
    En dehors des fonctions municipales, la fantaisie s’exerça mieux encore par les créations les plus inutiles et les plus bizarres.
  12. La Capitation était un impôt personnel réparti par évêché et, dans chaque évêché, entre trois classes : la noblesse, les villes et communautés, les paroisses de la campagne, de sorte que le taux de chaque classe variait en raison du prix de l’abonnement. Quand on prenait cet abonnement à 1,700,000 livres, les paroisses de la campagne, à elles seules, en supportaient 1,243,021 l. 11 s. 9 d. soit environ les trois quarts ; les villes, 345,548 l. 8 s. 3 d. La part de Saint-Brieuc dépassa, dès les premières années, 4,000 livres.
  13. On appelait fief une terre concédée par un seigneur dominant à un vassal, à charge de certains devoirs ; juridiction, le pouvoir de dire le droit, ou de juger en matière civile et criminelle.
  14. Archives du département des Côtes-du-Nord.
  15. Si les chanoines n’étaient pas justiciers dans leur fief de Saint-Brieuc, ils l’étaient dans celui de La Cadoire, en Plérin.
  16. Regalia, id est, prædia ecclesiis a regibas olim concessa. (Dictionnaire de Ducange).
  17. La terre de Boisboissel a été possédée très anciennement par la famille de Bois-Bouessel ; de la fin du xive siècle à celle du xvie, par celle du Rouvre ; de 1583 à 1774, par les Bréhand ; enfin, par les Maillé.
  18. Parmi les seigneurs de l’Epine-Guen, on cite : au xve siècle, les Cadoret ; au xvie, les La Rocque ; au xviie, les La Porte ; au xviiie, les Hervieux et les Du Fou.
  19. L’exercice de la Quintaine variait suivant les localités et, même dans chaque localité, suivant l’époque. Dans l’aveu de 1690, il n’est question que des gaules que les poissonniers étaient obligés « de casser à course de cheval contre une planche élevée debout sur ledit Pilory. » Au siècle suivant, voici comment un auteur contemporain décrit le jeu de la Quintaine, à Saint-Brieuc : « Il consiste à frapper si adroitement la figure d’un homme armé qu’on puisse éviter le coup qu’on en recevrait soi-même, si on ne le frappait pas comme il le faut. Cette figure est posée sur un poteau et tourne sur un pivot, de sorte que celui qui ne la frappe pas au milieu de la poitrine, mais aux extrémités, la fait tourner, et, comme elle tient de la main droite un bâton ou une épée, et de la gauche un bouclier, elle frappe celui qui a mal porté son coup. » (Dictionnaire d’Ogée). Le nom de Quintaine, devenu par corruption Quinquaine, a été donné à l’une de nos rues, qui le porte encore.
  20. Cette confusion du fief et de la juridiction est exposée, à l’aide de nombreux exemples, dans la notice que nous avons publiée sur les Archives civiles des Côtes-du-Nord.
  21. « Ville des plus charmantes en ta fécondité,
    Par tant de belles eaux et de bonnes fontaines
    Que la terre nous donne et tire de ses veines,
    Aussi bien en hiver qu’elle fait en été ;
    Qualifiée d’un évêque rempli de sainteté,
    Qui nous comble de biens que sa présence amène, etc. »

    Le reste n’est plus qu’une hyperbole à l’adresse de l’illustre La Hoguette.

  22. Nous n’en citerons connue exemple que la paraphrase de la strophe suivante de l’hymne de saint Guillaume :
    O quam corusco sidère     O Saint-Brieuc, cité gentille,
    Splendet Briocum civitas,     Que ton sol reluit excellent
    Quam Guillelmus pontifex     Par un grand astre étincelant
    Suo décorât lumine !     Qui sur ton hémisphère brille :
        C’est Guillaume, prélat sans prix,
        Lequel Ta décorant de clarté ton pourpris !

    Études sur quelques ouvrages rares et peu connus au xviie siècle, par M. Ropartz, 1879, Nantes).

  23. « Vénérable et discret missire Jean-Baptiste Noulleaux, sieur théologal depuis 1639 en l’église cathédrale de St Brieuc, de la congrégation de l’Oratoire, ayant décédé en la communion de la saincte Eglise, après avoir esté administré des saints sacrements en sa dernière maladie, a esté enterré dans ladite église, le vingt quatriesme jour daoust mix six cent soixante douze, proche la chaire. Signe : Adam, curé. » (Extrait du registre des baptêmes, mariages et sépultures, fol. 115, 1671-1672).
  24. « Sed etiam ad quod pervenimus certi, indubitati et ab ecclesia canonice definiti, in ea firmissime regula permaneamus. » (Augustinus Nolleavii).