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Histoire de la ville de Saint-Brieuc/6

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CHAPITRE VI.


LE XVIIIe SIÈCLE.


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I. Du temps de Louis XV : — Les évêques de Boissieux, de La Vieuxville, de Montclus, Du Brignou, de Girac, de La Ferronays. — Les États et la commission intermédiaire. — Réorganisation du général de la paroisse. — Les milices briochines. — Rachat des offices municipaux. — Les octrois et le budget. — Travaux au Légué. — États de 1757 et de 1768. — Agitation politique et misère. — II. Du temps de Louis XVI : — L’évêque de Bellescize. — Les maires Bagot et Corbion. — Travaux publics. — L’année 1788. — III. Mœurs et coutumes. — L’administration supérieure. — La noblesse, le clergé et la bourgeoisie. — Les corporations. — Topographie et statistique en 1789.— Littérateurs et personnages marquants. — Le caractère briochin.

I. — DU TEMPS DE LOUIS XV.


Le xviie siècle nous a présenté, à Saint-Brieuc, plusieurs évêques vraiment distingués, le xviiie n’est pas aussi riche.

Louis Frétat de Boissieux (1705-20), ancien officier de la marine royale, que nous avons vu paraître, à la fin du règne de Louis XIV, sur le siège épiscopal, l’occupa encore pendant la minorité de Louis XV. Une réunion des États de Bretagne eut lieu à Saint-Brieuc, en 1715, sous sa présidence. Il s’y produisit contre le régent une assez vive irritation et une commission fut nommée pour s’enquérir des malversations commises dans les finances. C’était une réaction naturelle contre la politique du règne précédent. M. de Boissieux prêcha d’exemple à son clergé, en vivant au séminaire comme un simple prêtre. Plusieurs œuvres de charité prirent naissance sous son épiscopat. Les filles du Saint-Esprit furent fondées à Plérin, en 1706, par Renée Burel et Marie Balavoine, sous la direction de MM. Leuduger et Allenou de La Ville-Angevin, pour s’occuper de l’instruction des enfants pauvres, surtout à la campagne. Les sœurs de la Croix furent appelées, la même année, par l’évêque, pour donner des retraites aux femmes et bientôt, étendant leur action, elles reçurent des élèves et fabriquèrent des ornements d’église. Les sœurs de la Charité ou de Saint-Vincent de Paul vinrent aussi, en 1711, à la voix de M. de Boissieux, secourir à domicile les pauvres honteux et les malades et s’établirent, au nombre de trois, dans une modeste maison de la rue Madeleine. Le charitable prélat qui encouragea toutes ces fondations n’avait point le sentiment de l’art : il ne le prouva que trop en reconstruisant la nef de sa cathédrale et en détruisant ou laissant perdre quelques-unes des précieuses collections dues au goût éclairé de M. Le Porc de La Porte.

Pierre de La Vieuxville (1721-27) et Louis Vivet de Montclus (1727-44) furent évêques de Saint-Brieuc pendant la période du règne de Louis XV que signalèrent au dehors quelques guerres glorieuses. Dans les limites de leur action personnelle, ils firent quelques fondations utiles. Le premier créa une chaire de théologie au collège, fit surveiller par le scholastique de la cathédrale les petites écoles de son diocèse, donna des statuts fort sages à son clergé et entreprit de rebâtir les Châtelets, maison de campagne qui appartenait aux évêques de Saint-Brieuc dés le xive siècle. Un manuscrit rédigé par l’un de ses secrétaires fournit de curieux détails sur ses prédécesseurs.

M. de Montclus fit publier, par les soins de M. de Kersaliou, chanoine de la cathédrale, et de M. Le Mée, chanoine de Saint-Guillaume, un propre du diocèse, pour compléter celui de 1621. Il régla, conformément à une bulle de Benoit XIV, la forme du concours pour les cures ; mais ce système, bien que produisant d’excellents résultats, n’était encore appliqué que dans les mois que l’alternative réservait au pape.

M. de Montclus contribua beaucoup aussi à la prospérité du collège, en lui donnant, en 1731, un bon règlement ; en 1733, un zélé principal, M. Chouesmel, et, en 1737, une forte somme pour la reconstruction des bâtiments, une forte somme pour la reconstruction des bâtiments, puisque, dans le procès-verbal de pose de la première pierre, les délégués de la communauté de ville proclamèrent la munificence du prélat et la reconnaissance des habitants.

Ces deux évêques eurent aussi l’honneur de présider les États à Saint-Brieuc : M. de La Vieuxville, en 1724 et en 1726 ; M. de Montclus, en 1730. Dans aucune de ces sessions, il n’y eut d’événement remarquable. La Bretagne se ressentait encore du dur traitement qu’on lui avait fait subir à la suite de la conspiration dite de Pontcallec. Il n’y avait plus de résistance à main armée, mais une irritation qui se manifestait à propos des prérogatives de la noblesse ou de questions d’étiquette qu’on débattait avec les commissaires du roi.

En 1730, les sentiments de la noblesse éclatèrent dans une affaire d’honneur qui intéressait le corps tout entier. Un noble provençal, M. de Sabran, qui accompagnait sa tante, la maréchale d’Estrées, était arrivé de Versailles en se vantant de mettre à la raison les Bretons et de rapporter une demi-douzaine d’oreilles des plus récalcitrants. Dans la soirée du 26 novembre, à une table de jeu, il effleura de sa manche, sans s’excuser, la joue de M. de Keratry qui, quoique très doux de caractère, n’était pas homme à supporter un affront. On se battit, le soir même, derrière l’enclos des Cordeliers, les domestiques tenant des flambeaux, un nombre considérable de gentilshommes et de bourgeois formant le champ clos. « C’était une scène imposante, dit M. de Keratry le fils, racontant ce combat. Pour tous, dans le noble provençal se personnifiait l’orgueil d’un homme de cour, jaloux d’humilier toute une province ; dans mon père on voyait le pays lui-même combattant pour son honneur et son caractère outragés. » Le courtisan fut tué par le gentilhomme breton ; mais celui-ci, suivant la rigueur de l’édit contre les duels, fut condamné à la peine capitale. Il fallut attendre seize mois avant d’obtenir des lettres de grâce, que la duchesse d’Estrées avait elle-même sollicitées. La Bretagne avait triomphé avec M. de Keratry, aussi plus de 1,500 gentilshommes lui firent-ils cortège quand il alla présenter ses lettres de grâce au Parlement.

Cet incident n’avait pas empêché les États de s’acquitter, pendant la session, de tous les devoirs que les convenances exigeaient à l’égard des étrangers de distinction, de « complimenter » la maréchale d’Estrées au sujet d’une indisposition du maréchal, et même, après que le roi eut ordonné de donner au maréchal une gratification de 15,000 livres, de demander l’autorisation d’offrir à la maréchale une somme de 10,000 livres.

Sur ce chapitre des libéralités, les États étaient de trop facile composition. Ils rachetèrent heureusement cette faute en réunissant dans leurs mains, sous un titre ou sous un autre, presque toute l’administration financière de la province. Ils y parvinrent en rachetant certains droits et en levant eux-mêmes la plupart des impôts, après en avoir obtenu l’abonnement. Ce partage de l’administration entre le roi et les États rendit nécessaire la création d’une commission intermédiaire, chargée de l’exécution des délibérations des États. On l’organisa définitivement en 1733. Elle comprenait à Rennes un bureau central de 18 commissaires et, dans chaque diocèse, un bureau de 9 commissaires fournis également par les trois ordres. Toute une administration s’occupait, sous la direction des commissaires, des détails du service.

Les États s’efforcèrent aussi d’améliorer la situation des villes. S’ils n’eurent pas sur les dépenses municipales un droit complet d’autorisation et de contrôle, ils obtinrent du moins que les comptes des miseurs ou receveurs municipaux fussent rendus, en présence des députés des États, à la Chambre des Comptes de Bretagne.

Dans cette période, l’organisation municipale de Saint-Brieuc fut encore une fois modifiée dans le sens peu libéral qui avait prévalu sous le règne de Louis XIV. Les offices municipaux furent de nouveau vendus 1722, supprimés en 1724, rétablis en 1733. De ce nombre était la charge de maire ancien, dont le sieur Vittu de Kersaint fut investi par le roi, avec le privilège d’être député né de la communauté aux États. M. Vittu jouit de cette situation, de 1734 à 1748, et en abusa pour régenter l’assemblée de ville qui, après avoir inutilement protesté, s’abstint parfois de délibérer. Il ne faut pas être étonné par suite des tendances autoritaires que révèlent les deux faits suivants.

Depuis son établissement à l’Hôtel-de-Ville, la communauté avait absorbé l’ancien général de la paroisse, dont elle gérait les affaires et gardait les archives. Un arrêt du Parlement, du 9 juillet 1729, intervint pour les séparer, mais il n’en fut pas tenu compte et deux arrêts de 1741 attribuèrent même à la communauté de ville le droit de former le corps politique de la paroisse de Saint-Michel. Il est vrai qu’un nouvel arrêt du 18 juillet 1742, rendu sur l’opposition du vicaire, défendit à la communauté de connaître directement ni indirectement des affaires de la paroisse et que, cette fois, la séparation devint définitive. Elle était du reste bien nécessaire. La première réunion du nouveau général de la paroisse eut lieu le 21 juillet 1743, et un règlement lui fut donné par le Parlement. Les paroisses étaient donc administrées par des arrêts du Parlement, tandis que les communautés des villes, érigées par lettres-patentes du roi, étaient contrôlées par l’intendant.

La communauté, qui voyait la paroisse lui échapper, essaya de mettre la main sur les petites écoles. En 1744, M. de Kersaliou, doyen du chapitre de la cathédrale, s’étant proposé de fonder une école chrétienne pour l’instruction des enfants des pauvres, sous la direction de deux frères de l’institut de Saint-Yon, pria MM. de la communauté de joindre leur approbation à celle de l’évêque et du chapitre. Ils y consentirent, à la condition « que les dits frères ne pourront jamais exiger aucune rétribution vers la communauté ni le public, à jamais au temps à venir, directement ni indirectement, et que les dits frères ne pourront s’accroître en nombre ni en biens, sans exprès consentement de la communauté. »

L’année suivante, M. Tbépault Du Brignou prit possession de l’évêché. Il vit se terminer la guerre dite de la succession d’Autriche, d’une manière honorable pour les habitants de Saint-Brieuc. À la nouvelle que les Anglais tentaient en 1746 un débarquement à Lorient et à l’île de Groix, le duc de Penthièvre, gouverneur de Bretagne, et le duc d’Aiguillon, lieutenant-général, vinrent à Saint-Brieuc et un détachement de la milice briochine courut au secours des points menacés, sous la conduite de MM. Villemain Souvestre, commandant ; de Launay Douchin et de Saint-Léger, majors ; de Larmor, capitaine ; de La Villerabel Du Bois et de La Motte, lieutenants. Leur conduite fut signalée dans un certificat que leur donna M. de Gouvello, commandant de l’île de Groix, et leur retour fut marqué par des réjouissances publiques.

En 1747, le même Du Bois de La Villerabel fit partie d’un régiment de volontaires bretons placé, sous les ordres de M. de Lowendalh, dans l’armée des Pays-Bas que commandait le maréchal de Saxe. Ces volontaires prirent, du 8 juillet au 16 août, une part glorieuse aux opérations qui précédèrent l’assaut de Berg-op-Zoom. Après la prise de cette ville, M. de Lowendalh écrivait au maréchal : « J’ai envoyé tout de suite les volontaires bretons aux trousses des ennemis, qui certainement augmenteront le nombre des prisonniers, et je me flatte qu’à leur faveur je tirerai des connaissances de Steenberg et de ses environs ». Les souvenirs de cette campagne ont été rédigés, sous forme d’éphémérides, par Florent Du Bois de La Villerabel, qui en avait été l’un des acteurs. À son retour d’Allemagne, il fut nommé inspecteur-général des gardes côtes et, l’année suivante, lieutenant-général de l’amirauté dans l’évêché.

Le régiment des volontaires bretons, dont il est parlé plus haut, différait-il de la milice ? Ruffelet ne le pensait pas, puisqu’il a dit dans ses Annales, en faisant une brève allusion à nos milices : « celles du diocèse de Saint-Brieuc ont servi avec distinction sous M. le maréchal de Saxe. » Ainsi les milices mobiles, qu’il ne faut pas confondre avec les milices sédentaires, occupaient un rang honorable à côte des armées permanentes. Diverses ordonnances, notamment en 1733 et 1741, avaient réglé la levée et le service des miliciens, dont le nombre fut bientôt porté, en France, de 79,000 à 91,000 hommes. Dans ce contingent la part de la Bretagne était d’environ 4,200 hommes.

Avec le traité d’Aix-la-Chapelle (1748) finit la période brillante du règne de Louis XV. À ce moment, il faut signaler à Saint-Brieuc une amélioration, non de la fortune publique, mais des libertés municipales. On liquida la mauvaise opération du trafic des charges, avec promesse de ne plus la recommencer, et cette fois la promesse fut tenue, malgré les malheurs qui survinrent.

6 offices avaient été aliénés à des particuliers : 1 de maire ancien, 1 d’avocat du roi, 2 de contrôleurs et 2 de receveurs des octrois ; 16 furent réunis, à prix d’argent, à la communauté, par arrêt du conseil du 9 avril 1748 : 1 de maire, 2 de lieutenants de maire, 4 d’échevins, 4 d’assesseurs, 2 de secrétaires-greffiers, 2 de contrôleurs du greffe et 1 de procureur du roi syndic. On procéda dès lors à l’élection de ces offices tous les deux ans, en réservant l’approbation du gouverneur de la province, et on régla les privilèges des officiers et de leurs enfants. Exempts de guet, de garde, de taille personnelle, ils formèrent de plus en plus des familles choisies au sein de la bourgeoisie.

M. Souvestre de La Villemain fut maire de Saint-Brieuc, de 1748 à 1773, à titre vénal en principe, quelquefois à titre électif, et sa longue administration ne laissa que de bons souvenirs.

En dehors des officiers municipaux, la communauté de ville comprenait un certain nombre de délibérants que cite un arrêt du Conseil d’État de 1753, savoir : dans l’ordre de l’Église, 2 députés du chapitre de la cathédrale, le vicaire perpétuel de Saint-Michel et le doyen de la collégiale de Saint-Guillaume ; dans l’ordre de la noblesse, 2 anciens gentilshommes domiciliés ; de plus, les juges et le procureur de la Cour royale et des Regaires, le médecin, l’administrateur de l’hôpital, les premiers capitaines de la milice et 6 autres notables habitants. Du reste, rien de plus variable que la composition du corps municipal. En 1756, en effet, le duc de Penthièvre, gouverneur de la province, ne fait plus mention à Saint-Brieuc que de quatre ordres de délibérants : les officiers municipaux en exercice ; les anciens officiers municipaux ; les premiers capitaines des sept compagnies de la milice ; 4 notables élus par la communauté. Malgré ces légères différences, on peut dire que l’assemblée de ville comprenait toutes les personnes notables et capables de rendre des services.

La création des offices municipaux coûta cher aux habitants, car il fallut payer au roi 2,500 livres, chaque année, sous le titre de rachat des offices municipaux ou d’octrois municipaux.

Les octrois étant à peu prés l’unique ressource de la ville de Saint-Brieuc s’étaient multipliés sous divers noms : les anciens avaient été établis pour payer les dettes contractées pendant la Ligue ; les nouveaux, en 1622, pour commencer les murailles ; la première augmentation d’octrois eut lieu, au xviiie siècle, à propos de la guerre de la succession d’Espagne, et la seconde augmentation, pour le rachat des offices municipaux. On avait fixé les limites de l’octroi à un quart de lieue de la ville et planté sur chaque route, suivant un procès-verbal de 1743, des bornes que l’on voit encore[1].

Le bail des octrois produisait de 15 à 16,000 livres et, comme les dépenses ordinaires étaient d’environ 8,000 livres[2], il en restait à peu près autant pour les extraordinaires, c’est-à-dire pour les travaux de l’Hôtel-de-Ville, du collège, du Légué et pour les subventions aux établissements de bienfaisance. Si ce budget était relativement modique, il faut reconnaître que beaucoup de dépenses d’instruction, de justice et d’assistance publique, imposées d’office aujourd’hui aux communes par le pouvoir central, étaient supportées autrefois par le seigneur du fief, ou par des établissements particuliers.

La ville de Saint-Brieuc avait raison de ménager ses ressources, car on la disait menacée, en 1757, du retour de la maladie épidémique connue sous le nom de peste. Déjà, en 1735, ce fléau avait décimé la ville. Cette fois, ce ne fut heureusement qu’une crainte provoquée par l’apparition de la peste dans le Portugal. L’intendant de Bretagne ayant ordonné, dans les premiers jours de septembre, de prendre à cette occasion toutes les précautions nécessaires, on établit à Saint-Brieuc un bateau de santé chargé de visiter tous les navires ; mais, deux mois plus tard, sur des nouvelles plus rassurantes, la liberté fut rendue au commerce.

D’autre part, la guerre de Sept ans venait de commencer et pesait déjà lourdement sur la population, en exigeant de continuels sacrifices d’hommes et d’argent. Il y eut néanmoins dans toutes les classes une ardeur égale pour prendre les armes, toutes les fois qu’on annonçait sur les côtes une invasion des Anglais, notamment à l’occasion de la descente qu’ils firent à Saint-Cast.

Quelques mois plus tard , les États se réunirent à Saint-Brieuc, dans la chapelle du séminaire, sous la présidence de l’évêque, M. Du Brignou. La sollicitude qu’ils avaient manifestée pour l’agriculture, l’année précédente, par la création d’une société provinciale d’agriculture et des arts[3], se traduisit encore par des encouragements à l’emploi des amendements calcaires, à la culture du lin et du mûrier, à l’élève du cheval et à l’introduction d’étalons étrangers. Cette session fut aussi marquée par le juste hommage qu’on rendit, au nom de la Bretagne, aux vainqueurs de Saint-Cast. Cet hommage ne fut guère qu’honorifique car, à part quelques pensions accordées à un certain nombre de combattants, on ne fit graver, en mémoire de ce glorieux événement, qu’une médaille en bronze, « attendu les misères de la province ». Le roi vint heureusement au secours des paroisses ravagées.

Le lieutenant-général au gouvernement de Bretagne, le duc d’Aiguillon, tout fier de sa victoire de Saint-Cast, fit sentir aux États son autorité. Le registre de la session nous apprend qu’en réponse aux réclamations des États au sujet de la capitation, il ordonna de délibérer dans les vingt-quatre heures. D’après le registre de la communauté de ville, le duc voulut qu’on jouât une comédie et la communauté « s’y soumit de grand cœur. » Les détails manquent sur la comédie ; mais on sait qu’il y eut, pendant la session, une grande dépense de luminaire dans toute la ville ; que treize lits garnis furent réservés dans l’Hôtel-de-Ville aux officiers du duc, que plusieurs habitants furent obligés de céder leurs maisons pour le même service et se plaignirent de n’avoir pas été payés.

Les États eux, suivant leurs habitudes de libéralité, avaient accordé à la ville 4,000 livres d’indemnité pour ses dépenses ; une pension au maire, M. Souvestre, et, sur les instances de celui-ci, 20,000 livres pour les travaux du Légué.

Le xviiie siècle a été particulièrement favorable au port du Légué. Un pont en charpente avait été construit, en 1731, un peu au dessous du port Favigo et, la même année, l’ingénieur Thévenou, chargé d’étudier la situation, avait conclu en ces termes : « Le port et havre du Légué près Saint-Brieuc est non-seulement utile aux habitants de ladite ville, mais encore à Quintin, Uzel, Moncontour, Lamballe et Châtelaudren, qui y font aborder leurs provisions et embarquer leurs grains et toiles, évitant Saint-Malo. » À la suite de ce rapport, quelques travaux avaient été exécutés aux frais de la ville et des États. Ceux-ci avaient donné, en 1752, 25,000 livres. On rendit le Chemin-Neuf praticable aux voitures et on employa les déblais à commencer une levée sur la rive gauche. En 1758, MM. Chocat de Grandmaison, ingénieur en chef à Rennes, et Magin, ingénieur de la marine, firent le plan du quai de la rive gauche, avec cales aux extrémités. C’est pour aider à l’exécution de ce projet que les États accordèrent 20,000 livres. La communauté pria le duc d’Aiguillon et l’évêque de poser, en 1759, la première pierre du quai, qui fut nommé quai d’Aiguillon. On y plaça une longue et emphatique inscription, contenant ces mots : « Exstructa moles, maritimi commercii præsidium, Briocensis portûs tutamen et ornamentum.» Comme on le voit, il est question, non du port du Légué, mais de celui de Saint-Brieuc. Ce quai et quelques autres moindres travaux exigèrent dix ans et coûtèrent 68,000 livres. Ils furent exécutés en pleine guerre de Sept ans, en même temps que le pavé de la ville, dont la première pierre fut également posée par le duc d’Aiguillon, le 12 juillet 1760, et cependant, l’année précédente, les habitants avaient supporté, outre les fouages et la capitation, 3 vingtièmes[4], représentant le sixième du revenu, puisque 100 livres de rente payaient de ce chef 16 livres 10 sous.

La guerre de Sept ans fut suivie de luttes très vives, dans toute la France, entre le pouvoir royal et les Parlements. En Bretagne, la lutte était devenue personnelle entre le duc d’Aiguillon et le procureur-général La Chalotais, qui fut mis en prison. Le Parlement de Rennes fut aussi traité avec une grande rigueur. C’est le souvenir de cette lutte qui a rendu le duc d’Aiguillon impopulaire en Bretagne, bien qu’il y ait donné la plus vive impulsion aux travaux des grands chemins. Les États ne pouvaient manquer de soutenir le Parlement. Quand il s’agissait de défendre les libertés de la province, les trois ordres faisaient toujours cause commune contre la cour. On le vit bien dans les deux sessions que les États tinrent à Saint-Brieuc en 1768.

M. Bareau de Girac (1766-1769) y présida en qualité d’évêque diocésain. La session extraordinaire s’ouvrit le 18 février et vit affirmer le droit, pour le Tiers, d’élire librement ses députés, contrairement à l’arrêt du conseil du 11 juin 1763, et pour les États, de faire leur règlement. Joignant les actes aux paroles, ils en votèrent plusieurs chapitres ; mais les commissaires firent enregistrer, par ordre du roi, quelques articles contestés et enjoignirent aux présidents des trois ordres de signer le registre.

Ce coup d’autorité produisit dans toute la province une effervescence qui se traduisit par la présence aux États ordinaires du 12 décembre, de 8 évêques, de 11 abbés, des députés de 9 chapitres, de 552 gentilshommes et des députés de 39 villes. Le duc de Duras y représentait le roi et le gouverneur. De nombreux griefs lui furent exposés. En 1766, le clergé et le tiers-état avaient seuls voté le secours extraordinaire et le roi avait ratifié ce vote. La noblesse, voyant avec peine qu’on se fût passé de son concours, l’offrit à certaines conditions et obtint le retrait de l’ordre du roi. L’accord ainsi rétabli, les États attaquèrent un arrêt du conseil qui avait enlevé le droit de siéger aux cadets nobles non mariés et en général aux gentilshommes ayant moins de 1,000 livres de rente. Le mémoire rédigé à cette occasion proclamait en ces termes la séparation des ordres et le droit spécial qui donnait l’entrée aux membres de chaque ordre : « leurs droits constitutifs ne pouvant être altérés, tout titre qui leur devient contraire doit demeurer tout à la fois sans provision et sans effet. » À ces fières paroles le pouvoir royal répondit en retirant son arrêt. Il promit même d’examiner une requête des États concernant le rappel du Parlement.

À la suite de pareilles concessions, les États accordèrent les demandes considérables d’argent que leur fit le gouvernement et reprirent en paix la rédaction de leur règlement. Ils décidèrent que les délibérations seraient libres et trouvèrent bon d’avoir dans la salle une tribune, « où les jeunes citoyens des trois États peuvent assister pour s’instruire des affaires de la province. » Le roi modéra un peu l’ardeur des États, spécialement en ce qui concernait la tribune, où il ne put entrer que « vingt personnes d’un état distingué et avec l’agrément des présidents des ordres.» Si les États de Bretagne n’entendaient pas la liberté à la manière du xixe siècle, il est juste de reconnaître qu’ils avaient pris une attitude énergique en présence du pouvoir absolu.

Au point de vue des intérêts particuliers à Saint-Brieuc, notons encore que les États avaient accordé dans cette session 3,000 livres au port du Légué et 1,200 livres aux mendiants de Saint-Brieuc, « lesquels, avaient-ils dit au début, seront incessamment renfermés, afin qu’il n’en paraisse aucun pendant le cours de ladite tenue. » Les dépenses faites par la ville et vérifiées par l’intendant s’élevèrent, pendant la session extraordinaire, à 6,158 liv. 19 sous, et pendant la session ordinaire, à 7,124 livres 5 sous et 9 deniers. Elle reçut 6,000 livres d’indemnité pour les deux sessions.

En dehors de la réunion des États, le mouvement était rare à Saint-Brieuc ; aussi relevait-on sur le registre des délibérations, avec un soin minutieux, les jours solennels où le maire montait à cheval pour aller au-devant de quelque personnage et les précautions que prenaient MM. de la communauté pour faire en ville une rentrée convenable. En 1769, les officiers municipaux eurent l’occasion de se produire au dehors pour saluer le retour à Rennes du Parlement de Bretagne. Le maire et les échevins de Saint-Brieuc furent reçus par la Cour, toutes chambres assemblées, le 17 juillet 1769 : « Nos seigneurs, dirent-ils, nous voyons enfin ce jour heureux, ce jour si désiré, où les pères de la patrie réunis en assurent le bonheur ; mais, nos seigneurs, la ville de S. Brieuc n’a pu le voir sans en même temps se hâter de vous exprimer les sentiments de joie, d’amour et de respect dont elle est pénétrée. Elle nous envoie vous offrir ses hommages. Daignez les recevoir et, pour mettre le comble à sa félicité et à la nôtre, agréez celui de nos cœurs. »[5]

En même temps que la communauté de Saint-Brieuc soutenait le Parlement, elle se montrait, conformément à l’esprit du temps, peu favorable aux établissements religieux. Après avoir transcrit avec empressement sur ses registres l’arrêt prohibant les Jésuites, elle venait de protester contre l’octroi de lettres-patentes d’autorisation aux dames de la Croix. « Si les maisons régulières, disait-elle, sont utiles tant par rapport aux secours spirituels qu’à l’éducation de la jeunesse, elles sont très préjudiciables au bien public, lorsqu’elles sont en trop grand nombre, parce qu’elles fixent presque toujours les aumônes à leur profit, au grand préjudice des pauvres, et souvent elles attirent à elles quelques parties d’un commerce destiné à soutenir les charges publiques. » Ces principes avaient un fonds de vérité et devaient d’autant plus frapper les esprits que les sœurs de la Croix, qui avaient commencé, parait-il, « avec moins d’un louis d’or de premier fonds, étaient parvenues à faire des acquisitions et des bâtiments pour plus de 100,000 écus » ; mais les conséquences que la communauté tira de ce fait furent tellement exagérées qu’elles alarmèrent le gouvernement. Elle demandait, en effet, de transporter l’hôpital à la maison des dames de la Croix, en lui donnant les biens de ce couvent, et de faire ensuite de l’hôpital une caserne. Le ministre, M. de Saint-Florentin, répondit que le roi, étant satisfait de la conduite édifiante de ces dames, ainsi que des secours qu’elles procuraient aux pauvres, ne voulait pas qu’elles fussent inquiétées dans leur maison, ni dans les bonnes œuvres qui s’y pratiquaient, et bientôt, en 1769, des lettres-patentes confirmatives leur furent accordées.

L’année 1770 fut marquée par une grande misère. La communauté décida de distribuer des secours, d’organiser des travaux, de fixer, chaque semaine, le prix du pain et de le faire afficher.

Cette année vit aussi supprimer l’institution du papegault. Il est curieux de la connaître sous sa dernière forme, d’après les statuts du 8 novembre 1756. Ces statuts, rédigés en 25 articles, avaient été approuvés par le duc de Penthièvre. Pour concourir, il fallait être domicilié depuis un an, âgé de 16 ans, professer la religion catholique, apostolique et romaine et prêter serment, entre les mains du maire ou d’un officier municipal, de bien servir le roi. Chaque chevalier devait avoir un bon fusil, une épée, un fourniment et des munitions. S’il jurait, s’enivrait ou injuriait un de ses confrères, il s’exposait à être puni, dégradé ou emprisonné. On tira quelque temps le joyau, au mois de mai, sur la place d’armes, près de la porte de Rennes, et plus tard dans les douves, du côté du Calvaire. Le jour du tir, les chevaliers assistaient à la messe, à 8 heures, puis chacun d’eux tirait une balle. Le prix appartenait à celui qui abattait le dernier morceau du papegault. Le vainqueur était assujetti à donner un déjeuner aux chevaliers et 12 livres aux tambours, à envoyer une barrique de vin de Bordeaux aux malades de l’hôpital, à remettre au maire un fusil d’une valeur de 30 livres et un oiseau de la grosseur d’un pigeon, en bon bois garni d’une plaque de fer d’Espagne de l’épaisseur d’un écu, pour l’année suivante. Il avait les mêmes avantages que par le passé : 350 livres de gratification et l’affranchissement des droits sur 30 tonneaux de vin.

Le papegault, cet exercice des anciens temps, répondait assez peu, parait-il, aux habitudes du xviii siècle, puisque les États de Bretagne eux-mêmes avaient prié le roi, en 1768, d’en transférer les droits aux hôpitaux, pour l’entretien des enfants trouvés. Un arrêt du Conseil d’État, du 7 mai 1770, fit droit à cette requête. On donna comme raison que le service militaire avait pris une nouvelle forme par la création de corps de troupes régulières. L’hôpital avait du reste besoin de cette ressource, car, pour faire face à 9,000 livres de dépenses, il n’avait guère que 3,000 livres de revenu et les dons du roi et des particuliers.

Le général de la paroisse de Saint-Michel n’avait pas non plus de budget bien assuré. Ses dépenses, d’environ 800 livres par an, dépassaient ses recettes de 200 livres. En 1745, on le vit discuter contre le chapitre au sujet des honoraires du prédicateur du carême à la cathédrale, honoraires qu’on payait ordinairement au moyen d’une quête et d’une cotisation entre l’évêque, le chapitre et la fabrique de Saint-Michel. Pour suffire à toutes ses obligations, le général était obligé de faire régulièrement une levée de deniers sur les habitants. Il fut établi, dans un procès qu’il soutint contre le chapitre de la cathédrale, que, de 1742 à 1773, le général avait ainsi levé plus de 8,000 livres et qu’il en devait encore 3,000.

Les années 1771 à 1773 furent signalées par une grande misère et de plus, celle de 1773, par une inondation qui causa des ravages dans les vallées du Leff et du Gouët. Dans celle du Leff, la digue de l’étang de Châtelaudren s’étant rompue, le 18 août, la ville fut submergée et plus de 50 malheureux y périrent. Dans la vallée de Gouët, les ponts de Saint-Barthélémy, de Gouët et du Légué furent emportés. La ville de Saint-Brieuc dépensa plus de 14,000 livres à l’occasion de ce désastre, et cependant le pont du Légué ne fut pas réparé et, pendant 46 ans, on traversa la rivière à gué ou sur une passerelle.

M. Souvestre Villemain mourut au mois de décembre 1773. Il s’était fait apprécier à Saint-Brieuc et aux États par une conduite aussi sage que dévouée, car plus d’une fois ses concitoyens lui en témoignèrent leur reconnaissance. L’évêque de Saint-Brieuc était alors M. de La Ferronays (1770-1775), dont la charité se manifesta dans plusieurs circonstances, notamment à la suite de l’inondation de 1773. Le long et triste règne de Louis XV finit l’année suivante.

II. — DU TEMPS DE LOUIS XVI (1774-1789).


Le règne de Louis XVI commença, en 1774, sous d’heureux auspices et se continua quelque temps par des mesures libérales, telles que la création des assemblées provinciales. La Bretagne avait dans ses États une organisation administrative qu’elle ne songeait pas à modifier ; aussi s’occupa-t-elle surtout de recouvrer ses libertés municipales, après avoir joui, pendant quelques années, du repos et d’une prospérité relative.

Au commencement de cette période, la ville de Saint-Brieuc avait pour évêque M. Regnault de Bellescize, (1775-1796), prélat ami des arts et des grands travaux, qui plus d’une fois aida la ville de sa bourse et de son crédit. Le maire était M. Jean-Louis Bagot (1774-1776), ancien médecin de la marine royale, dont Ogée a fait l’éloge à propos des travaux du Légué.

En 1777, Saint-Brieuc fut visité par le comte d’Artois, le plus jeune des frères de Louis XVI. La même année, dit-on, Joseph II, empereur d’Allemagne, y fit une courte apparition, en voyageant incognito sous le nom de comte de Falkenstein.

Le calme de ces années fut trop court et fit place, dès 1779, à une agitation populaire qui se traduisit par des émeutes dans les principales villes de Bretagne. Heureusement, Saint-Brieuc en fut exempt.

De 1780 à 1789, la mairie y fut occupée, presque sans interruption, par M. Poulain de Corbion, qui était aussi député aux États de Bretagne, commissaire des États pour l’évêché de Saint-Brieuc et commandant de la milice bourgeoise, réorganisée en 1779[6]. Dans toutes ces fonctions, il fit preuve d’activité et de désintéressement.

Le 24 juin 1780, un corsaire de Saint-Malo, L’Enjôleur, de 28 canons, soutint contre deux frégates anglaises de 40 canons, à la hauteur de Roselier, un brillant combat à la suite duquel il fut obligé de s’échouer dans la baie des Rosais. Les frégates ennemies avaient déjà jeté l’ancre et se préparaient à faire une descente ; mais la milice bourgeoise accourut au secours du corsaire avec un zèle qui fut couronné de succès et qui lui valut, ainsi qu’au maire, les félicitations du roi.

C’est à cette époque que commença la revendication des libertés municipales par les États. À la suite des lettres-patentes de 1780 qui bouleversaient l’administration de la ville de Rennes, les États proclamèrent avec énergie « que ces lettres-patentes, en détruisant le droit de la commune, portaient atteinte à la constitution des États ; que la première qualité, la seule qui puisse imprimer le véritable caractère de représentant, est le libre choix de ceux qu’on représente. » Par tous ces motifs, les États priaient le roi de rétablir les communes de Bretagne dans l’exercice de leurs droits. Avec une bonne volonté dont il faut lui savoir gré, Louis XVI déclara qu’il voulait réformer l’administration des villes de Bretagne, mais l’exécution de cette promesse se fit malheureusement attendre jusqu’au commencement de la Révolution.

Dans la pratique cependant la ville de Saint-Brieuc n’eut pas trop à se plaindre, car les notables de tous les ordres furent appelés à faire partie du conseil. À ceux que nous avons vus figurer dans l’arrêt de 1753 vinrent se joindre « les advocats et les marchands faisant commerce en gros, sans boutique ouverte, étalage ou enseigne à leur porte. »

Une surveillance plus exacte fut exercée par l’administration supérieure sur les dépenses des villes. Celle de Saint-Brieuc ayant voulu célébrer, en 1781, par des fêtes trop brillantes, la naissance du dauphin, l’intendant réduisit les frais. Ce fut au tour de la communauté de réclamer quand elle se vit augmentée de 3,400 livres sur la capitation, à l’occasion de la guerre d’Amérique, dans cette triste année 1782 où une épidémie avait frappé plus de 350 familles. La mauvaise récolte de 1783 et le terrible hiver de 1784 causèrent une grande misère, mais l’administration municipale fit preuve d’énergie. En même temps que le roi remettait à la communauté un arriéré sur les octrois et réduisait la part du Trésor dans cette imposition de 2,500 livres à 1,200, la ville entreprenait d’utiles travaux pour occuper les ouvriers et portait les dépenses de son budget à 15,588 l. 14 s. 6 d., ce qui non seulement absorba le produit de l’octroi, mais rendit nécessaire un emprunt de 12,000 livres. Ces travaux eurent lieu surtout au Légué. Nous en donnerons le détail en parlant du port, dans la troisième partie de ce chapitre.

Les travaux du Légué furent les derniers qu’on entreprit à Saint-Brieuc sous la monarchie. La révolution, commencée depuis longtemps dans les idées, allait éclater dans les faits. Les mesures prises contre les Parlements provoquèrent la résistance sur plusieurs points du royaume et notamment à Rennes. Le lieutenant-général comte de Thiard fît enregistrer, le 10 mai, des édits sur l’administration de la justice, avec un appareil militaire qui amena une protestation du Parlement et une émeute du peuple. Les États de Bretagne, trouvant leurs libertés menacées par cette oppression de la justice, prirent en main la cause du Parlement. Douze députés envoyés à Paris, le 20 juin, pour y réclamer « de la justice de sa Majesté et de la bonté de son cœur le redressement des griefs et doléances de la province », furent mis à la Bastille ; mais une nouvelle députation de 53 membres prit leur place, avec l’ordre de ne céder qu’à la force. Admise en présence du roi, elle obtint la liberté des détenus. Les députés bretons furent les héros du jour. Ils eurent, le 23 septembre, les honneurs d’une séance solennelle au Parlement de Paris et, quand ils parurent sur les degrés du palais, la foule les reçut au milieu des applaudissements et des cris : « Bravo les Bretons ! chapeau bas pour la députation de Bretagne ! » En prenant une attitude énergique contre le pouvoir absolu, qu’avaient voulu les États ? Maintenir leurs anciennes libertés, sans songer à les développer ; mais, tout en protestant de sa fidélité au roi, la plus dévouée des provinces se trouvait, par le fait des circonstances, à la tête de la révolution.

Le mouvement donné par les États s’était répandu dans toute la province. La commission intermédiaire de l’évêché de Saint-Brieuc, dans laquelle siégeait le maire Poulain de Corbion, avait arrêté à l’unanimité d’envoyer aux députés en cour « un témoignage d’adhésion à leurs démarches et à leurs efforts, et de les charger particulièrement d’exprimer la consternation profonde et l’accablement général où la province est plongée à la suite des violences et des malheurs qu’elle a éprouvés. »

De son côté, la communauté de Saint-Brieuc et des citoyens de tous les ordres et de toutes les classes, admis au sein de la commission, avaient joint leurs réclamations à la sienne et une adresse dans ce sens avait été couverte de nombreuses signatures : 17, pour le clergé ; 207, pour la noblesse ; 199, pour le tiers. Ce fut un spectacle imposant que celui d’un pareil cortège traversant les rues de Saint-Brieuc pour se rendre à la séance de la commission, car il y avait ce jour là un accord parfait dans une pensée généreuse. Quand on apprit que le Parlement de Rennes venait de reprendre ses fonctions, la communauté de Saint-Brieuc lui écrivit, le 11 octobre, pour le féliciter : « L’assemblée unit sa voix, disait-elle en finissant, à celle des autres ordres pour bénir les pères de la patrie. Âmes nobles et généreuses, dépositaires fidèles de la loi, oui, son existence dépend de votre conservation, oui, la patrie vous doit son salut. Vous réunissez son amour à la gloire d’avoir bien mérité d’elle. Veuillez bien agréer cette expression fidèle des sentiments de l’assemblée. »

Jusqu’alors en Bretagne les États et le Parlement avaient été les gardiens respectés des anciennes institutions ; mais il venait des autres provinces de France un souffle plus ardent qui pénétra rapidement le tiers-état et les corps municipaux. Dès le 17 novembre, M. Dubois de Bosjouan, procureur-syndic de la communauté de Saint-Brieuc, proposa de mettre sous les yeux du roi, dans la prochaine assemblée des notables, un ensemble de propositions qui s’écartaient sensiblement de l’ancienne constitution. Il demandait notamment que le clergé secondaire comprit, pour la moitié, des curés de ville et des recteurs de campagne ; que les députés du tiers fussent aussi nombreux que ceux des autres ordres réunis et choisis parmi les propriétaires, en dehors des juges et des financiers ; que le vote eût lieu par tête et non par ordre ; que les impôts fussent répartis en proportion de la fortune. Le sénéchal royal, M. Palasne de Champeaux, l’un des promoteurs du mouvement à Saint-Brieuc, demanda officiellement l’entrée au conseil et déposa une requête pour réclamer des réformes, tandis que les juges des Regaires faisaient enregistrer leurs réserves et leurs protestations. La communauté ne se prononça pas immédiatement sur la partie des conclusions de son syndic relative au vote par tête, mais elle admit que le clergé et le tiers fussent plus équitablement et plus largement représentés.

Bientôt la question capitale du vote fut posée de nouveau, au sujet de l’élection d’un député aux États de Bretagne. Le sieur Lesage fut élu et reçut, le 24 novembre, des instructions conformes à la délibération précédente ; mais, dès le mois suivant, les hommes influents du conseil le firent s’avancer tout à fait. Le sieur Lesage fut remplacé, sous prétexte qu’il était comptable, par le syndic Dubois de Bosjouan, à qui l’on donna l’ordre de se retirer des États, si l’on n’accordait au tiers autant de voix qu’au clergé et à la noblesse, et de plus le vote par tête[7]. Parmi ceux qui soutenaient le nouveau système on distinguait un ancien maire, M. Bagot, le procureur-syndic, M. Dubois de Bosjouan, et, en dehors du conseil, le sénéchal royal, M. Palasne de Champeaux. Le sénéchal surtout, malgré sa situation officielle, ne perdait pas une occasion de se prononcer contre les classes privilégiées et semblait déjà le chef du mouvement à Saint-Brieuc.

En réponse à la dernière délibération de la communauté, 37 notables, dont plusieurs conseillers[8], firent imprimer, le 31 décembre, une déclaration par laquelle, adhérant à l’esprit des charges données au député, le 24 novembre, ils renonçaient « à tous privilèges onéreux à la classe indigente du peuple », mais maintenaient le vote par ordre.

Il y eut donc dans la communauté de Saint-Brieuc deux groupes bien distincts, à la veille de la révolution, tous les deux voulant arriver au même but par des voies toutes différentes. On s’accordait à dire que le pouvoir monarchique avait donné au tiers-état, depuis le xviie siècle, l’organisation et l’influence, mais non la liberté. On sentait par suite le besoin de reprendre les traditions de la monarchie des États, interrompues depuis 1614, et de développer les libertés de la nation, tout en conservant la monarchie. Il nous semble qu’en 1788, le rêve des esprits libéraux, à Saint-Brieuc, n’allait pas au-delà. À cette date, il n’y avait entre les réformateurs de désaccord que sur un point, mais il était fondamental, puisque c’était la question du vote par ordre ou par tête, c’est-à-dire, dans le dernier cas, la prépondérance de l’ordre du tiers dans les États.

Les États de Bretagne se réunirent à Rennes, le 29 décembre 1788. L’élection de M. de Bosjouan n’y fut pas trouvée régulière et l’agrégé Folleville ont seul voix délibérative. La conduite à suivre par le tiers avait été réglée dans des assemblées préparatoires où l’on avait formulé, au premier rang des réclamations, le vote par tête et la répartition proportionnelle de l’impôt. Il fut décidé qu’on s’abstiendrait de toute délibération, avant d’avoir obtenu raison sur ces deux chefs. Pendant dix jours, le tiers refusa de voter. Cette opposition systématique amena la dissolution des États de Bretagne et des scènes fâcheuses à Rennes. Le tiers s’était séparé complètement des deux autres ordres. Il oubliait que le Parlement, la noblesse et même le clergé avaient été, plus d’une fois, les champions des libertés nationales contre le pouvoir absolu et qu’il fallait leur en tenir compte, en leur rendant moins pénible le sacrifice de leurs privilèges.

Quelques indices annonçaient d’ailleurs que ce n’était pas seulement la bourgeoisie, mais le peuple, qui allait entrer en scène, pour peu qu’une crise l’y provoquât, et il était dangereux de désorganiser le pouvoir dans un pareil moment. Depuis quelques années, la classe laborieuse avait été éprouvée par de mauvaises récoltes et de durs hivers. Celui de 1788 coïncidant avec l’agitation politique, il y eut des émeutes partout, même à Saint-Brieuc. Le prix du boisseau de froment ayant à peu près doublé on accusa d’accaparement plusieurs marchands qui furent poursuivis, maltraités et conduits en prison par le peuple. L’un d’eux fut battu de verges, placé à califourchon sur un âne et promené dans la ville au milieu des huées.

Tel était l’état des esprits à Saint-Brieuc, au commencement de l’année 1789.

III. — MŒURS ET COUTUMES. — SITUATION EN 1789.


En indiquant quelques-uns des usages des habitants de Saint-Brieuc au xviii siècle, nous ferons connaître quelle était la situation de notre ville au moment où finit l’ancienne société, c’est-à-dire en 1789.

Le pouvoir royal y dominait au-dessus de tous les autres pouvoirs, d’une manière absolue. Au point de vue militaire, la ville était placée sous l’autorité du gouverneur de Bretagne et du lieutenant-général, qui n’y faisaient que de rares apparitions, et du lieutenant de roi aux quatre évêchés de Basse-Bretagne, qui y venait assez souvent. Au-dessous d’eux, sans lien hiérarchique bien formé, le gouverneur de la ville avait surtout des attributions civiles, entre autres la présidence du corps municipal. Un lieutenant de roi suppléait le gouverneur à l’occasion.

Le véritable représentant de l’administration centrale était le subdélégué général, qui recevait les ordres de l’intendant de police, justice et finances résidant à Rennes. Un receveur des deniers du roi dans l’évêché surveillait la levée des impôts, tels que les fouages ordinaires, dont le roi s’était réservé l’administration.

La Cour royale de Saint-Brieuc, ressortissant au Parlement de Bretagne, recevait les appels d’un certain nombre de juridictions seigneuriales. Deux tribunaux spéciaux, l’Amirauté et les Traites, jugeaient les différends provenant des affaires maritimes et commerciales.

Les tribunaux siégeant à Saint-Brieuc occupaient 11 avocats, 13 procureurs, 5 notaires et 3 huissiers.

Une administration particulière agissait au nom des États de Bretagne pour la perception de certains impôts. Un bureau diocésain, composé de 9 commissaires fournis également par les trois ordres, siégeait à Saint-Brieuc, sous le nom de commission intermédiaire de l’évêché de Saint-Brieuc, et surveillait les divers bureaux de perception. Le plus important des impôts levés au nom des États était celui des Devoirs, qui portait sur les boissons vendues en détail. Parmi les impôts abonnés, on distinguait le vingtième et la capitation avec les sous pour livre additionnels, les frais des milices et du casernement. Un correspondant, placé sous les ordres des commissaires, était chargé des détails du service.

L’esprit de résistance au pouvoir absolu et l’amour de la liberté animaient les États de la Bretagne, mais en s’alliant à un respect de la tradition qui les empêchait souvent d’accepter des réformes nécessaires.

Au troisième rang, sous la surveillance de l’administration centrale et de l’administration provinciale, existait un pouvoir local, dernier souvenir de la féodalité. C’était l’évêque, en tant que seigneur du fief des Regaires et haut-justicier, non plus le seigneur presque indépendant du moyen-âge, mais le sujet entouré d’honneurs, auquel la royauté ne laissait en réalité qu’une ombre de pouvoir, avec les formes de l’ancienne hiérarchie. L’autorité de l’évêque lui venait un peu de la situation foncière et administrative qu’il occupait, mais plus encore de sa situation religieuse. Ce mélange d’attributions si différentes ne laissait pas que de lui causer parfois des embarras, et il fallait le caractère conciliant et les habitudes paternelles des derniers évêques de Saint-Brieuc pour soutenir dignement le poids d’une position qui devenait plus lourde et plus difficile de jour en jour.

Les trois classes dont l’évêque était le chef hiérarchique à Saint-Brieuc et dont la distinction s’était maintenue, semblaient appelées aussi à subir une prochaine transformation, parce que leurs obligations n’étaient plus les mêmes que dans le passé et que, par suite, leurs privilèges n’avaient plus de raison d’être.

Au xviiie siècle, l’influence de la noblesse avait considérablement diminué à Saint-Brieuc, un grand nombre de familles nobles ayant cessé d’y résider. Les Bréhand, seigneurs de Boisboissel, ne firent que de courts séjours dans leur hôtel de Quincangrogne. Le dernier d’entre eux, Marie-Jacques, vicomte de Lisle, rompit du moins avec les usages de ses prédécesseurs, qui étaient par trop amis des procès. Se trouvant au siège d’Ypres, en 1744, il écrivit à l’évêque pour lui offrir de régler à l’amiable leurs différends. Ayant été gratifié, après une laborieuse campagne, d’une pension de 2,000 livres, il pria le roi de la faire répartir entre les officiers de son régiment. Ce brave et loyal gentilhomme fut nommé maréchal-de-camp. Il avait mérité ce grade par sa belle conduite à Dettingen, dans la guerre de la succession d’Autriche, et à Hastenbeck, dans la guerre de Sept ans. Sa fille Madeleine épousa, en 1774, Charles de Maillé, qui ne fit que passer à Saint-Brieuc, car Quincangrogne appartenait, en 1789, à la famille Hérisson de Beauvoir.

Les Du Plessis de La Rivière avaient dans le pays une assez haute situation. L’héritière de la branche des comtes de La Rivière épousa, en 1754, Michel Du Mottier de La Fayette. Leur fils, le fameux La Fayette, posséda, du chef de sa mère, de riches seigneuries dans les évêchés de Saint-Brieuc et de Tréguier et, dans le voisinage de Saint-Brieuc, la terre des Villes-Doré. Il avait donc le droit de siéger dans les rangs de la noblesse, en 1785, dans cette séance solennelle où les États de Bretagne saluèrent en lui le libérateur de la jeune Amérique.

Cette branche de la famille La Rivière se rattache directement à l’histoire de Saint-Brieuc, puisque quatre de ses membres se transmirent le gouvernement de cette ville pendant plus d’un siècle. Le dernier, Joseph-Yves Thibaut, eut pour successeur, en 1781, le comte Charles-Eugène de Boisgelin, qui avait servi avec distinction dans la marine royale et dont la famille, originaire de Pléhédel, comptait plusieurs membres illustres dans l’armée et le clergé.

À peu de distance de Saint-Brieuc, le château de La Côte avait vu naître le comte de Langeron, fils du marquis de Langeron et de Madeleine Du Gouray. Après avoir été comme son père lieutenant de roi aux quatre évêchés, il devint lieutenant-général et gouverneur de Guyenne.

Un autre seigneur du pays, Louis de Bréhand, comte de Plélo, fut ambassadeur à Copenhague. On le citait à comme un poète facile et agréable ; mais l’histoire a surtout conservé le souvenir de la mort héroïque qu’il chercha en 1734, devant Dantzich, à la tête d’une poignée de braves, pour sauver l’honneur de la France. Sa fille épousa le duc d’Aiguillon, qui eut ainsi des intérêts considérables autour de Saint-Brieuc, à Plélo et à Pordic.

Si la haute noblesse, propriétaire dans le voisinage, ne se faisait guère représenter que par ses hommes d’affaires, la petite noblesse disparaissait de plus en plus de ces nombreux manoirs où nous l’avons vue établie jusqu’au xvie siècle et où la remplaçaient les bourgeois enrichis. La lente transformation qui se faisait depuis longtemps dans la situation de la noblesse en annonçait une autre plus complète, qu’il eût été sage de prévoir et de préparer.

Le clergé prenait une part assez active aux affaires de la cité. Nous savons combien les évêques contribuèrent aux travaux publics et aux fondations utiles (sœurs de la Croix, de Saint-Vincent de Paul, hôpital, collège). À leur exemple, les prêtres les plus distingués se dévouaient aux œuvres de bienfaisance et surtout d’instruction. Un chanoine, M. de Kersaliou, fondait l’école des frères. M. Chouesmel, principal du collège de 1733 à 1773, consacrait à cet établissement plus de 30,000 livres sur sa fortune privée et y fondait, en 1762, cinq bourses de 100 livres chacune, à la nomination de l’évêque, pour les paroisses où les prêtres se recrutaient le plus difficilement. En même temps, M. Le Borgne, recteur de Pluduno, constituait une autre bourse pour un écolier de sa paroisse[9]. En 1766, M. Allaire, abbé de Bonrepos et ancien précepteur du duc de Chartres, faisait à sa ville natale et à son ancien collège un don de livres classiques d’une valeur de 3,000 livres, en l’accompagnant de judicieuses observations sur l’enseignement des lettres. À la même époque, l’abbé Ruffelet était chanoine de Saint-Guillaume et préparait ses Annales briochines.

Si le clergé encourageait les lettres à Saint-Brieuc, on doit reconnaître aussi que, sans échapper à la décadence morale qui grandissait, il travaillait cependant à s’améliorer. Michel Le Nobletz et le père Maunoir, ces apôtres du xviie siècle, avaient laissé des disciples. À la fin de ce siècle et au commencement du xviiie, apparut M. Leuduger, de Plérin, l’un des inspirateurs de l’ordre du Saint-Esprit, le scholastique de la cathédrale aussi humble que savant, le catéchiste infatigable du peuple des campagnes. M. Leuduger dirigea l’œuvre des missions et des retraites, pendant plus de quarante ans, jusqu’à sa mort, en 1722. Son action fut immense. Elle s’exerce encore par un ouvrage resté populaire, bien qu’il date d’un siècle et demi : le Bouquet de la Mission.

M. Cormeaux, de Lamballe, recteur de Plaintel, reprit d’une manière brillante, après un assez long intervalle, l’œuvre de M. Leuduger. Il dirigea les missions annuelles avec autant de zèle que de succès, de 1779 à 1789. Le reste de sa vie appartient à la période révolutionnaire.

Si le zèle de ces apôtres était efficace surtout auprès du clergé des campagnes, il ne pouvait rien contre les abus inhérents à la situation officielle du haut clergé. Nous comprenons dans cette catégorie les chapitres et les abbayes, mais non les deux couvents d’hommes établis à Saint-Brieuc, parce que ceux-ci ne comptaient pas dans L’ordre politique et que leur situation financière, en 1789, n’était rien moins que brillante.

C’est, avec le clergé, la bourgeoisie qui exerçait la plus grande influence à Saint-Brieuc. Cette influence, après avoir été compromise dans la première moitié du xviiie siècle, devint considérable dans la seconde, lorsque la communauté de ville disposa des charges municipales, après les avoir rachetées. Nous avons indiqué ce qu’était la municipalité à ces deux époques, dans ses relations avec le pouvoir central. Veut-on connaître une scène de sa vie intérieure ? En voici une qui se joua le jour de l’entrée de M. de Montclus à Saint-Brieuc, en 1728.

Conformément à une délibération solennelle, le maire avait, suivant l’usage, député six bourgeois avec un héraut pour aller « à la couchée de l’évêque » et le recevoir à l’entrée de l’évêché. Il avait été autorisé à faire monter à cheval, le lendemain, le plus grand nombre possible de Messieurs de la communauté, pour se porter au-devant de l’évêque et le conduire dans sa ville, et aussi à tirer le canon et à faire prendre les armes à tous les habitants. Tout s’était passé dans l’ordre convenu. La communauté s’était réunie dans la cour du palais, quatre notable portant les dais, pour accompagner l’évêque à l’église, où il devait prêter serment sur l’évangile, en présence du doyen du chapitre. Au moment où le cortège se mettait en marche, les sieurs du Cosquer et de Prépetit, avocats postulants au siège royal, Filly, Touzé et Le Gras, procureurs, voulurent précéder la communauté et employèrent à cet effet la violence à plusieurs reprises. La communauté fit dresser procès-verbal et porta plainte par devant le gouverneur de Bretagne. Le gouverneur de Saint-Brieuc, chargé d’instruire l’affaire, se prononça contre les avocats et les procureurs. Il leur ordonna de se présenter à l’assemblée de ville et de demander pardon des voies de fait auxquelles ils s’étaient livrés. Il les condamna de plus solidairement à 60 livres d’amende, applicables à l’hôpital. Il fallut s’exécuter.

Cette question des préséances préoccupait si fort les corps municipaux que le gouverneur de Bretagne fut obligé d’intervenir, en 1729, pour régler le cérémonial de la réception des Grands. Il décida que les députés des communautés n’iraient pas au-devant d’eux à plus d’une lieue et que, le compliment une fois fait, « ils retourneraient en ville par le plus court chemin, sans escorter le carrosse, ni se mêler en aucune sorte à la maréchaussée. »

Au siècle précédent, le jeune roi Louis XIII étant venu à Nantes, en 1614, avec la reine-mère, ouvrir la session des États de Bretagne, les députés du tiers étaient restés « un genouil en terre » pendant le discours de l’orateur des États. Un siècle plus tard, les communautés des villes avaient une place honorable parmi les corps constitués et gardaient une attitude respectueuse, mais digne, à l’égard des personnages officiels.

La communauté de Saint-Brieuc s’acquittait du reste avec soin des devoirs de politesse que les convenances exigeaient à cette époque. Le manuscrit de M. Lymon nous apprend que, le premier jour de l’année 1753, le maire écrivit quinze lettres de compliments par ordre du corps de ville : au duc d’Aiguillon, commandant en chef, et à son secrétaire ; à l’intendant et à son secrétaire ; à quatre présidents au Parlement ; au marquis de Bréhand ; au garde des sceaux ; au marquis de La Rivière, député en cour ; au comte de La Rivière, gouverneur de Saint-Brieuc, et à la comtesse de La Rivière ; au duc de Penthièvre, gouverneur de Bretagne ; au procureur-syndic des États.

Cette même année, la comtesse de La Rivière étant morte, la communauté lui rendit un dernier hommage, en faisant célébrer pour elle, le 29 novembre, un service solennel dans l’église de Saint-Michel.

La communauté, qui honorait ainsi le gouverneur et sa famille, n’eut pas toujours à se louer de ce personnage, dont l’emploi, tout à fait inutile, était une gêne et une charge pour la ville. Celle-ci payait aux gouverneurs, par ordre du roi, 600 livres d’indemnité de logement, ce qui n’empêchait pas de leur donner, dans l’hôtel de ville, un logement assez considérable, « dont je veux, disait l’un d’eux, disposer en mon absence, en faveur de ma famille, ou gens de mes amis, à qui je serai bien aise de faire plaisir. » Après avoir joui d’un traitement qui s’éleva jusqu’à 6,000 livres, le gouverneur ne reçut plus, en dernier lieu, que 1,000 livres environ, y compris les intérêts de la finance de 10,000 livres qu’il versait à son entrée en charge.

À Yves Olivier de La Rivière, qui avait été investi de ce poste en 1667 succédèrent :

1709. — Charles-Yves-Jacques de La Rivière.
1730. — Charles-Yves Thibaut de La Rivière.
1774. — Joseph-Yves-Thibaut de La Rivière.
1781. — Charles-Eugène de Boisgelin.
Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/185 Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/186 de 7,261 livres 16 sous 4 deniers. En 1724, il était aussi fait mention d’une confrérie de sœurs de Notre-Dame de Bon-Secours, constituée, pour pratiquer diverses œuvres de piété et de charité, par des femmes n’exerçant pas de métier particulier.

Au point de vue professionnel, ceux qui pratiquaient un art ou un métier étaient organisés en corporations, au premier rang desquelles était celle des avocats[10]. La fête de saint Yves, que les avocats célébraient en grande pompe, était l’occasion naturelle de débiter quelque discours, dont M. Lymon de La Belleissue nous a conservé dans ses mémoires le type affecté et solennel.

Parmi les autres corporations[11], il en est trois qui méritent d’être mentionnées :

Les perruquiers, barbiers, baigneurs et étuvistes, parce qu’on peut étudier, dans un registre conservé aux Archives municipales, leur organisation, sous l’autorité du lieutenant du premier chirurgien du roi ;

Les imprimeurs, libraires, apothicaires et filotiers, à cause de leur groupement singulier[12] et surtout de l’ancienneté de l’imprimerie qu’ont dirigée, de 1620 à nos jours, les familles Doublet, Mahé et Prud’homme ;

Les tailleurs et tisserands, à cause de l’importance qu’avait alors cette industrie dans notre région. Saint-Brieuc n’était pas, il est vrai, comme Quintin, un centre de grande fabrication. Les fils à la main qu’on y faisait étaient envoyés aux teintureries de Rennes ou employés dans le voisinage, par les petits métiers, au tissage des toiles. Les premiers valaient de 15 à 20 sous, la livre ; les autres, de 25 à 40 sous, et quelquefois, suivant la qualité, de 2 à 4 livres.

Outre l’industrie des toiles, nous citerons, pour mémoire, une manufacture de faïence établie, en 1762, dans la rue Saint-Michel. Elle donna quelques espérances. Le chroniqueur Ruffelet disait même, en 1771, que les essais en terre blanche avaient parfaitement réussi et « qu’on y travaillait dans le dernier goût ». Cette prospérité ne fut pas de longue durée.

De ce genre d’industrie à l’art, il n’y a qu’un pas. De tous les arts, l’architecture et la sculpture ont seuls laissé quelques traces à Saint-Brieuc. M. de Bellescize forma le dessein de reconstruire le palais épiscopal, mais il n’eut que le temps d’élever l’un des pavillons, dont les belles proportions permettent d’apprécier ce qu’aurait été l’édifice. La cathédrale a conservé de cette époque une œuvre d’art due à un habile sculpteur de Châtelaudren, Corlay : c’est l’autel de la chapelle du Saint-Sacrement. Corlay a travaillé aussi à orner la chapelle des Sœurs de la Croix, chez lesquelles il avait table de maître et 12 livres par jour. La communauté de ville s’occupait, de son côté, à retenir à Saint-Brieuc des ouvriers de choix, et jugeant « qu’il est de l’intérêt du public d’avoir des orfèvres habiles », elle demandait à MM. les juges de la monnaie de Rennes des lettres de maîtrise pour le sieur Fontaine.

En même temps, on faisait de louables efforts pour améliorer la voirie publique. Sans doute, la ville était encore infectée dans sa partie centrale par un canal à ciel ouvert, connu sous le nom de l’Ingoguet, et par le marais qu’entretenaient les eaux coulant du plateau supérieur par le ruisseau Josse, le Grenouillère et la Traversière ; mais du moins on avait ouvert, à l’extrémité de ce marais, la rue Neuve de Gouët et pavé les principales rues. Le pont de Gouédic avait été reconstruit, en 1744, avec des pierres qu’on alla chercher à une assez grande distance, sans soupçonner qu’on en avait une carrière sous la main. On avait enfin préparé pour l’avenir un nouveau quartier, en faisant, en 1759, circuler une route, dite depuis lors le chemin de Brest, entre l’enclos des Cordeliers et celui des Ursulines. Ce n’est pas sans résistance que cette voie fut acceptée. Les commerçants, qui se croyaient ruinés par l’abandon de l’ancienne route, offrirent, en 1785, de concert avec la communauté, jusqu’à 25,000 livres pour faire ouvrir un nouveau chemin à travers la ville, de la porte Rennaise à la porte Mortaise. Le tracé fut maintenu et la ville s’y résigna, puisqu’elle s’occupa de dégager les abords du quartier Saint-Guillaume. De 1783 à 1788, on ouvrit, à l’entrée de ce quartier, un champ de foire et la petite promenade, inaugurée sous le nom de promenade Necker ; on démolit, par mesure d’utilité publique, la porte de Rennes ; on construisit des prisons qui coûtèrent à la municipalité 15,000 livres, sans compter une forte subvention de l’administration du domaine ; on fit le premier plan de la ville. Ces travaux coïncidaient avec ceux de l’agrandissement du port du Légué, que nous allons faire connaître.

Dès le commencement de son règne, Louis XVI avait accordé au port du Légué la liberté du commerce et un entrepôt pour le commerce des colonies. Bientôt on y établit un bureau pour la marque des toiles. Les fabricants des toiles dites de Bretagne, qui étaient obligés jusqu’alors de les expédier à Saint-Malo, à Morlaix ou à Nantes, faisaient remarquer avec raison, depuis longtemps, qu’ils auraient beaucoup moins de frais s’il leur était permis d’exporter par Saint-Brieuc. Leurs plaintes furent écoutées et le Légué devint le débouché naturel des fabriques de Moncontour, de Quintin et d’Uzel.

En même temps, l’accès et le séjour du port étaient rendus plus faciles. Du côté de la ville, on avait ouvert le chemin du pont de Gouët ; à l’entrée du port, on avait pratiqué un chenal dont Ogée fait honneur au maire Bagot. En 1777, l’ingénieur Perroud fit accepter un devis de 18,570 livres pour réparer le mur du quai d’Aiguillon et construire une cale. M. de Bellescize, qui avait puissamment aidé la ville dans cette circonstance et dans plusieurs autres, fut prié de poser la première pierre de la nouvelle cale. La communauté décida que l’écusson des armes du prélat serait placé sur cette pierre, « avec une inscription analogue à ses services. »

Déjà les chantiers de construction de Rohanet étaient assez bien organisés pour qu’on en vît sortir, en 1783, un navire de plus de 600 tonneaux, le Maréchal de Castries, qui fut vendu, tout équipé, 480,000 livres à la compagnie des Indes. Ce navire se perdit sous la Tour, par la faute du capitaine qui refusa un pilote ; mais ce fait n’en prouve pas moins la faveur qui s’attachait dès lors aux chantiers du Légué. Dans un procès de cette époque, il est fait mention d’un armateur, M. Robinot de La Lande, qui construisait depuis dix ans à Saint-Brieuc. Il avait vendu, disait-on, un navire de 800 tonneaux à la compagnie des Indes, avait perdu six navires pendant la guerre et continuait néanmoins ses armements.

Non contente de ces résultats, la communauté résolut, en 1783, d’entreprendre de nouveaux travaux pour développer le commerce et venir en aide aux ouvriers. Il s’agissait de supprimer la sinuosité de la rivière entre le port Favigo et le quai d’Aiguillon et, dans ce but, la ville obtint de l’intendant l’autorisation d’ouvrir un canal qui devait se relier à celui dont nous avons parlé plus haut ; mais, en retour de ses sacrifices, elle sollicita la concession des marais à gagner sur la mer. Une discussion s’étant élevée au sujet de la propriété des rives du Gouët, l’ingénieur Perroud leva, en 1784, un plan partiel du port, de la maison Favigo aux chantiers de Rohanet. On y voit le quai vis-à-vis de la chapelle et des maisons, entre le canal de 1774 et le canal projeté, et, près de celui-ci, les marais en question. Formant alors de plus vastes projets, la ville demanda qu’on fit un plan général du port, depuis le pont de Gouët jusqu’à la tour de Cesson, avec l’indication des travaux à effectuer pour l’améliorer et l’agrandir ; et, en attendant, elle poursuivit l’achèvement du canal.

Le devis établi par l’ingénieur Perroud s’élevant à 14,183 livres, la communauté fut obligée d’emprunter 12,000 livres. Le général de la paroisse de Saint-Michel, qui avait mis cette somme en réserve pour reconstruire son église, la lui prêta généreusement sans intérêts, avec faculté de remboursement en dix annuités. On avait réuni, à cet effet, une assemblée générale des seigneurs, des notables et des principaux propriétaires, et c’est en vertu de son autorisation que le contrat d’emprunt fut consenti, le 3 mai 1786. Enfin, en 1788, le quai Lambert fut commencé sur la rive droite. Il fut ainsi appelé, parce que M. de Kerigant en posa la première pierre au nom de M. Lambert, contrôleur général des finances, dont le concours avait été utile à la ville dans cette circonstance.

C’est ici le moment de jeter un coup-d’œil sur la topographie de Saint-Brieuc en 1789. Plaçons-nous à l’arrivée de la route de Rennes, sur l’emplacement de la porte qu’on venait de démolir, et parcourons rapidement les principaux quartiers.

À l’entrée de celui de Saint-Guillaume s’élevait la vieille collégiale. Le nouveau chemin de Rennes à Brest tournait la collégiale du côté opposé à la ville et se dirigeait vers Saint-Pierre, en séparant l’enclos des Cordeliers de celui des Ursulines. Le vaste domaine des Cordeliers, dont le lycée actuel n’est qu’une partie, s’étendait de la croix Guibour à la Venelle-ès-Chevriers et occupait ainsi l’étage supérieur d’un versant incliné vers le Gouët, et sur lequel la ville de Saint-Brieuc est assise.

Vis-à-vis de l’établissement des Cordeliers, et un peu au-dessous, à la porte Thomasse (Caserne et Providence), était le couvent des Ursulines, dont les dépendances dépassaient la Venelle-ès-Chevriers et touchaient presque aux jardins de l’évêché.

Le centre de la ville, de la rue Saint-Guillaume au Martrai, n’était qu’un amas de rues tortueuses et étroites, où dominaient, au milieu de maisons presque toutes en bois, quelques édifices en pierre, appartenant à de riches particuliers ou à des services publics. La première rue transversale, en partant de la collégiale, était celle du Four du Chapitre, dont le nom indique assez la destination. Du carrefour de la Charbonnerie, on arrivait, par la rue Jouallan et la place du Puits-au-Lait, d’un côté au collège (caserne de gendarmerie), de l’autre, au Grand-Séminaire, dont la chapelle, encore debout, abrite une partie des halles.

Le collège confinait à la rue des Pavés-Neufs et le Séminaire à la Grenouillère et à la vieille rue Saint-Gouéno, qui n’avait de remarquable qu’une fontaine aux larges dimensions. Au coin de la Grenouillère et de la rue Saint-Gouéno, faisant face à la rue Saint-Gilles, s’élevait une belle maison du xviie siècle, dont nous avons eu l’occasion d’indiquer les sculptures délicates. À peu de distance, ayant façade sur les Pavés-Neufs et sur la rue Saint-Gilles, l’hôtel dit de Rohan offrait le type élégant de l’architecture du xve siècle.

Du même côté de la rue Saint-Gilles, la chapelle de ce nom, l’une des dépendances de l’évêché, abritait plusieurs œuvres et confréries religieuses. Le palais épiscopal y faisait suite, avec son pavillon grandiose, bâti par M. de Bellescize, et son vieux corps de logis séparé de la cathédrale par le passage fermé d’Entre les Portes, que le même M. de Bellescize allait bientôt supprimer, à la grande satisfaction des habitants. Le vaste jardin de l’évêché s’étendait jusqu’au ruisseau Josse.

La cathédrale était dégagée de ses fortifications du xve et du xvie siècle. Ce n’était plus la citadelle de Saint-Brieuc, mais c’était encore le centre de la cité, car presque tout le mouvement se concentrait sur les deux places voisines, le Vieux Martrai et le Martrai neuf ou Pilori.

La place du Martrai neuf avait été ouverte au xive siècle et portait le nom de Pilori, depuis que les expositions des criminels s’y faisaient au pied de la tour méridionale de l’église. Cette place était entourée de plusieurs édifices, notamment l’Hotel-de-Ville, devenu aussi le siège de la Cour royale et la résidence du gouverneur ; l’hôtel de Quincangrogne ou de Beauvoir ; l’hôtel de Carlan, dans le voisinage de l’évêché.

Deux rues se détachaient de la place et se dirigeaient au sud vers les hauteurs. C’était d’abord, près de l’hôtel de Carlan, la Vicairie, où l’on voyait, à droite, l’emplacement de l’ancienne maison du vicaire ; à gauche, une vaste maison prébendale ; plus loin, le Cordon bleu, rebâti par les frères, et le vieux domaine de Cardenoual avec son donjon. Dans le prolongement de la Vicairie, le chemin souvent inondé de l’Abraham, desservant le lieu noble du même nom, conduisait à la rue Gourien et à celle des Cordiers. Entre la première et la rue aux Chevriers, le Rocher-Martin, au milieu des champs, n’était qu’un terrain vague et fréquenté par les vagabonds.

La seconde rue, passant devant l’hôtel de Beauvoir, était le Bourg Vazé, composé presque entièrement de maisons prébendales. On le traversait pour se rendre à la côte et à la chapelle de Saint-Pierre. Du fraîche ou placis de Saint-Pierre se détachaient la route de Quintin, par Sainte-Anne, et le chemin conduisant au couvent des Capucins.

Du Martrai neuf on descendait, par un passage ouvert en 1788 seulement, au vieux Martrai, d’où l’on rayonnait de tous côtés dans la vieille ville. À l’ouest, sur la colline s’étendait le vieux quartier Fardel, couronné par le placis du même nom, que fermait anciennement la porte Morlaise. De là, on gagnait la rue Notre-Dame, ce berceau des œuvres religieuses, qui gardait encore le couvent des sœurs de la Croix, l’oratoire de Saint-Brieuc et la chapelle de Notre-Dame de la Fontaine ; puis la Caquinerie, et au loin, sur le chemin de Brest, les chapelles de Saint-Armel, de Saint-Jouan et de Notre-Dame de Beaulieu.

En revenant par la rue Derrière-Fardel, sur laquelle s’ouvrait alors l’hôtel de Guébriant, on descendait à la place de la Guado et à la rue Quinquaine. À l’extrémité de celle-ci, la rue au Beurre ou Saint- Jacques, remarquable par ses maisons sculptées, ramenait au vieux Martrai.

Sur cette place, du côté opposé au quartier Fardel, s’ouvrait la Cohue, entourée de ruelles infectes et mal famées : la Clouterie, la rue aux Toiles, l’allée Menault, terminée par la Muzoire, où se déchargeaient les eaux provenant du marais que nous avons signalé au centre de la ville. C’est à ce carrefour, toujours encombré, qu’on venait d’ouvrir la rue Neuve de Gouët.

Sur le versant oriental du ravin, au-dessus de la rue Neuve de Gouët, la vieille rue de Gouët n’offrait plus que le souvenir de son ancienne splendeur. La Grand’Rue-ès-Marchands, sa voisine, était, depuis longtemps déjà, le séjour du haut commerce.

Entre les rues Charbonnerie et Madeleine s’étendait l’hôpital, faisant face à peu près, dans la rue Madeleine, à la maison des sœurs de Charité, mais ayant sa porte principale sur le marché au blé. À quelques pas de ce marché, à l’entrée de la rue Saint-Benoit, habitait le chanoine Ruffelet, dont la maison joignait au couvent des Bénédictines ou Calvairiennes. Les jardins de ce couvent s’avançaient jusqu’aux Sablons, ensemble de fossés, de murs des anciennes fortifications et de terrains vagues où l’on venait de bâtir les prisons. La Croix-de-Santé s’élevait sur un tertre dominant la Fontaine-à-Loup, dans le voisinage de l’église Saint-Michel et de son cimetière. Cette église était située à l’extrémité de la ville et au milieu des champs. Il en était de même des Forges, que traversait l’ancien chemin conduisant au Légué.

Si les travaux publics avaient reçu une sérieuse impulsion dans la seconde partie du siècle, l’administration municipale avait pris, dès la première partie, quelques mesures concernant la santé et la sécurité publique.

Les médecins étaient peu nombreux, mais la ville s’imposait quelques sacrifices pour en avoir toujours un, à cause des épidémies qui se renouvelaient fréquemment. Une délibération de 1711 rappelle que « les communautés étant en droit d’appeler des médecins pour le bien des habitants », celle de Saint-Brieuc avait fait venir, à la suite du décès de Pierre André, en 1706, le sieur Hunault, docteur en médecine, « qui fut d’un grand secours aux malades de la ville et de la compagne et à ceux des hôpitaux depuis 1707 ». Certains privilèges furent bientôt accordés au médecin. L’arrêt du Conseil qui réorganisa la communauté de ville en 1753, classa le médecin parmi ses membre. À partir de 1754, la ville accorda une allocation de 400 livres, successivement à quatre médecins, les sieurs Conery père et fils, Cartel et Bagot. Ce dernier, que nous avons déjà mentionné, en 1774, comme maire habile et zélé, a consigné dans un manuscrit de curieuses observations sur la ville de Saint-Brieuc, les unes, météorologiques, de 1778 à 1790 ; les autres, médicales, commencées six ans plus tôt[13].

Les observations météorologiques de M. Bagot font connaître jour par jour le degré de la température et la direction des vents. Il en résulte que, pendant les années indiquées plus haut, les degrés extrêmes au thermomètre de Réaumur furent 25 au-dessus de zéro, au mois d’août 1783, et 7 au-dessous de zéro, dans les années 1783, 1784, 1786 et 1788. Le vent dominant fut presque toujours celui d’ouest. Le climat était assez doux, mais pluvieux.

Les observations médicales présentent un intérêt tout particulier, bien que M. Bagot ne se prononce pas sur le caractère de l’épidémie qu’on appelait la peste au xviie siècle. Il ne remonte pas au delà de 1741 et dit que, pendant cette année et la suivante, il y eut des fièvres malignes et contagieuses. De son temps, les épidémies ne furent ni fréquentes ni de longue durée. La petite vérole reparaissait tous les quatre ou cinq ans, sans être trop meurtrière. En 1773, M. Bagot donna dans sa famille l’exemple de l’inoculation de la variole, sans y convertir le public. En 1774, la rougeole causa d’assez grands ravages dans les villes et une fièvre putride et maligne sévit dans les campagnes. En 1779, les habitants de Saint-Brieuc eurent à souffrir de la dyssenterie ; de 1782 à 1784, de la Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/196 l’élément, sinon de santé, du moins d’attraction, que possédait la ville dans sa fontaine des eaux minérales. En 1750, le syndic était réduit à demander qu’on couvrit et qu’on fermât cette fontaine, « endommagée par des libertins, comme beaucoup de personnes, même de considération, qui sont consultées d’user de ces eaux pour recouvrer leur santé, en sont privées. »

Il y avait aussi beaucoup à faire pour donner aux habitants la sécurité. À la suite d’un incendie survenu, en 1719, dans la rue Saint-Michel, l’attention de la communauté fut appelée par le procureur-syndic sur le grand nombre de ces accidents et sur le danger qui menaçait une ville dont la plupart des maisons étaient construites en bois. On se procura dés lors un petit matériel pour combattre le feu ; mais ce ne fut que beaucoup plus tard, après l’incendie du four du Chapitre, que la ville acheta, en 1776, à la fonderie royale de Lorient, 2 pompes et 200 seaux en cuir, pour la somme de 4,757 livres.

Les rues de Saint-Brieuc n’étaient pas encore éclairées au xviiie siècle. Le registre des délibérations fait connaître qu’en 1724, des désordres furent causés par des coureurs de nuit et des libertins, et qu’en 1726 un employé des fermes fut assassiné en pleine rue.

Le gouverneur prescrivit alors à la communauté de former une garde chargée de parcourir les rues pendant la nuit. Ces mesures ne furent que temporaires, puisqu’on 1775 le syndic remontrait que « la vie et la fortune des citoyens n’étaient pas en sûreté par suite de vols. » On ordonna de nouveau d’établir un corps de garde à l’Hôtel-de-Ville, de faire des rondes de nuit, et tout habitant sortant de sa maison, après sept heures en hiver, dut être muni d’une lanterne.

Si la sécurité laissait à désirer, à Saint-Brieuc, autant que la santé publique, pouvait-on du moins se procurer les objets de première nécessité dans de bonnes conditions ? D’après les apprécis de la juridiction des Regaires, le boisseau de froment, pesant 40 livres, se vendait, en 1700, 2 livres 1 sou ; en 1733, 1 livre 12 sous ; en 1741, 2 livres 16 sous 8 deniers ; en 1750, 2 livres 8 sous 4 deniers, de sorte que la moyenne ne dépassait guère 2 livres, et nous savons qu’en 1788, si le boisseau valut 4 livres 4 sous, c’est que la misère était grande, au point de causer une émeute. Suivant l’usage, le seigle était estimé valoir les deux tiers du froment et l’avoine, un tiers seulement.

Si l’on compare le prix du boisseau de froment aux divers siècles que nous avons parcourus, on voit qu’après avoir été de 3 à 4 sous, du xive au milieu du xvie siècle, de 20 sous pendant les guerres de la Ligue, il n’était guère que de 40 à la fin du xviiie siècle, à la suite de guerres presque continuelles.

Vers le milieu du xviiie siècle, une livre de viande se vendait 3 sous ; un poulet, de 3 à 6 sous ; une barrique de cidre, 12 livres ; une barrique de vin de Bordeaux, de 40 à 60 livres ; la corde de gros bois, de 8 à 10 livres ; le suif, 6 sous la livre.

Faut-il en conclure que cette époque était celle de la vie à bon marché pour la classe laborieuse ? Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de placer en regard du prix des denrées le gain provenant de la journée de travail. Or, pour s’en tenir aux métiers les plus répandus, la journée d’un maçon, d’un couvreur, d’un charretier, était payée 15 sous et celle d’un homme de peine, 10 sous, c’est-à-dire trois fois plus qu’au xvie siècle, tandis que les principales dépenses avaient doublé seulement. L’avantage est en apparence au xviiie siècle, d’autant plus que M. Bagot déclare, dans ses observations médicales, que, de son temps, « le peuple mangeait du pain de froment, que le poisson était excellent, la viande bonne, la vie douce et à assez bon compte. » Nous croyons donc que l’artisan de Saint-Brieuc aurait pu supporter facilement, grâce à l’augmentation de son salaire, le renchérissement des denrées, si des malheurs de toute sorte n’étaient venus fondre sur la population pendant la seconde moitié du xviiie siècle. La classe ouvrière en souffrait plus que toute autre. Les corporations en effet, qui avaient été dans le principe un bienfait pour le faible, n’étaient plus qu’un obstacle aux efforts individuels. Ceux que la protection d’un corps de métier ne soutenait pas n’avaient guère à compter, en cas de revers, que sur la charité privée, qui heureusement était fort large. Dans les dernières années seulement, la communauté de ville, comprenant le danger, s’occupa de procurer du travail aux ouvriers et de régler le prix du pain, quand il s’élevait dans une trop forte proportion.

À la fin du xviiie siècle, la population de Saint-Brieuc était, suivant Ogée, de 6,600 habitants ; suivant M. Bagot, de 10,000.

Après avoir indiqué les travaux exécutés par les dernières administrations municipales, il n’est pas sans intérêt de connaître la situation financière de Saint-Brieuc, en 1789. La ville n’avait que deux dettes : une rente de 300 livres, due depuis 1750, et la somme de 12,000 livres empruntée sans intérêts, en 1786, à la paroisse de Saint-Michel. Son actif comprenait, outre l’Hôtel-de-Ville et le collège, une rente de 235 livres 6 sous 11 deniers sur la ville de Paris, quelques petites rentes produisant 68 livres et un revenu d’octroi, affermé de 15,000 à 16,000 livres. Le total des ressources du budget ne dépassant guère 16,000 livres, la ville consacrait environ 12,000 livres à ses dépenses ordinaires et 4,000 aux extraordinaires. De ce chef, les habitants n’avaient à payer que l’octroi sur les boissons.

En dehors de l’octroi, ils acquittaient au roi et aux États de Bretagne certains impôts, dont les trois principaux étaient les fouages, la capitation et les vingtièmes. Dans l’état de 1790, qu’on peut considérer comme le dernier de l’ancienne monarchie, les habitants de Saint-Brieuc et de Cesson étaient taxés de la manière suivante :

Fouages 3,401 l. 12 s. 6 d.
Capitation 18,003 16 11
Vingtièmes 13,395 13 9
Total 34,803 l. 3 s. 2 d.

Dans cette somme, les privilégiés n’étaient compris que pour 10,319 l. 12 s., tandis que le tiers-état supportait 24,483 l. 11 s. 2 d. On comprend facilement que le tiers ait réclamé, au premier rang des réformes, une répartition proportionnelle de l’impôt.

La ville de Saint-Brieuc, peu industrielle et bien administrée, n’était pas exposée aux longues crises et avait de plus le bonheur d’être située au milieu d’un pays agricole, d’une richesse proverbiale. Duhamel de Monceau disait en effet, dans son traité de la Culture des terres : « Il y a aux environs de Saint-Brieuc un petit canton où la culture des terres est depuis longtemps portée à son plus haut point de perfection, et cependant l’exemple de ces laborieux cultivateurs influe peu sur leurs voisins.» Ogée leur prodiguait les mêmes éloges en ces termes : « On va visiter par curiosité ces champs qu’on ne peut voir qu’avec admiration. Ces estimables cultivateurs ont trouvé le secret de faire croître de très beau blé sur des rochers et il semble que la nature se plaît à récompenser par les plus abondantes récoltes leurs soins industrieux et pénibles. »

Arthur Young, dans ses Voyages en France, de 1787 à 1789, a consigné sur l’état de l’agriculture dans notre région des renseignements encore plus complets : « À Saint-Brieuc, les bonnes terres près de la ville valent de 2 à 3,000 livres et se louent de 80 à 100 livres. Le bled, dans de pareilles terres, donne jusqu’à 90 boisseaux de 40 livres pesant. À quelque distance de la ville, le prix du fonds est de 300 livres et la rente, de 12. » Et plus loin, citant encore Saint-Brieuc et Saint-Pol, par opposition au reste de la Bretagne, il ajoutait : « Les rentes passables, ainsi que la grande valeur de quelques petites parties de bonnes terres, comme à Saint-Brieuc, et des bonnes prairies, servent à prouver le mauvais état de l’agriculture de toute la province de Bretagne, Saint-Pol-de-Léon excepté. »

En parlant de l’agriculture dans le voisinage de Saint-Brieuc, il est permis de rappeler un projet qui ne fut pas exécuté, mais qui a vivement intéressé nos pères à diverses époques. Il s’agissait de la mise en culture des 4,000 journaux de grève de la baie d’Yffiniac. Le concessionnaire, M. Le Febvre de La Brulaire, conseiller au Parlement de Bretagne et propriétaire à Saint-Brieuc, avait obtenu l’autorisation de faire une digue, de la pointe d’Hillion à celle de Cesson. Il devait tenir noblement du roi l’espace compris entre cette digue et la chaussée d’Yffiniac, à la charge d’achever la digue dans dix ans, de l’entretenir à perpétuité et de payer au roi une redevance de trois sous par journal. Les travaux d’endiguement furent commencés ; mais, sur l’opposition des paroisses riveraines et des États de Bretagne, la concession fut révoquée sans indemnité, par arrêt du Conseil, du 3 novembre 1767.

Pour compléter l’histoire de Saint-Brieuc au xviiie siècle, nous aurions aimé à l’entourer d’un éclat littéraire, mais tout dans son passé a un genre modeste. Il suffit, en effet, d’indiquer les noms : d’Olivier Le Vicomte, recteur de Trégueux, auteur d’une oraison funèbre de M. de Boissieux, imprimée à Saint-Brieuc ; d’un autre recteur de Trégueux, Le Mée, cité par Ruffelet à cause de son poëme sur la translation de M. de Montclus à Alais ; d’un recteur de Saint-Michel, Trébouta, devenu principal du collège, qui a fait imprimer à Saint-Brieuc, en 1709, un résumé de l’état de l’ancienne et de la nouvelle Armorique, sous le titre : Veteris ac novœ Aremoricœ politia.

Parmi les chroniqueurs que nous avons eu l’occasion de mentionner, le premier par ordre de date est M. Jouannin de La Roche, maire de Saint-Brieuc en 1713. Il a laissé un manuscrit intitulé : « Catalogue chronologique ou répertoire des évêques de Saint-Brieuc, avec les choses remarquables en leur épiscopat, de 525 à 1726. » Les historiens qui s’en sont servi ne l’ont fait qu’avec beaucoup de réserve.

L’abbé Ruffelet a droit à une notice un peu détaillée, parce qu’il a fait vraiment honneur à sa ville natale. Né le 11 janvier 1725, Christophe-Michel Ruffelet était fils d’Alain Ruffelet et d’Anne Lymon. Chanoine de Saint-Guillaume en 1771 et de la cathédrale en 1789, il est surtout connu comme chroniqueur. Il débuta par deux années des Etrennes briochines (1762 et 1763), imprimées chez Mahé. C’est un almanach intéressant, accompagné d’une notice abrégée sur la ville et le diocèse de Saint-Brieuc. Les Annales briochines, imprimées également à Saint-Brieuc en 1771, ont pour sous-titre : « Abrégé chronologique de l’histoire ecclésiastique, civile et littéraire du diocèse de Saint-Brieuc. » Ce petit ouvrage n’est qu’un ensemble de notes dans l’ordre des dates, donnant des renseignements très utiles, mais insuffisants. Il paraît certain que l’abbé Ruffelet a eu recours à des mémoires manuscrits, rédigés dans sa famille sur l’évêché de Saint-Brieuc par MM. François Lymon de La Belleissue et Florent Du Bois de La Villerabel. Quoi qu’il en soit, il a eu le mérite de réunir beaucoup de matériaux et de faire connaître l’histoire de son pays. Il entretenait une correspondance suivie avec des érudits, tels que Le Brigant, Ogée, La Tour-d’Auvergne, le président de La Houssaye, l’avocat-général de Beaucours, l’abbé Armez.

L’abbé Ruffelet préparait une histoire des fiefs et un nobiliaire de Bretagne, quand survint la Révolution. Ces travaux lui valurent d’être admis, en 1782, dans la classe des « citoyens méritans de la Société patriotique bretonne » établie au château de Keralier, dans la presqu’île de Rhuys. Voici les considérants invoqués dans le diplôme qui lui fut délivré à cette occasion : « L’abbé Ruffelet, chanoine de la collégiale de Saint-Guillaume depuis plus de vingt ans, consacre ses talents à la gloire de sa patrie, en tirant de l’obscurité plusieurs monuments qui ont échappé aux historiens de cette province, ouvrage qui assurera de plus en plus l’antiquité et la distinction de la nation bretonne et dont on peut déjà juger avantageusement par les Annales briochines, applaudies de tous les connaisseurs. » L’ouvrage annoncé plus haut n’a point été publié. Il aurait été fort utile, à en juger par quelques fragments insérés dans les Annales.

Nous avons cité, parmi les auxiliaires anonymes de l’abbé Ruffelet, François Lymon, sieur de La Belleissue. Fils de Pierre Lymon, juge aux Regaires, et de Michelle Chassin, allié aux plus anciennes familles de Saint-Brieuc, M. Lymon a été avocat, procureur du roi près l’Amirauté et maire de Saint-Brieuc. Son manuscrit est plutôt un recueil préparé pour sa famille qu’un ouvrage destiné au public, car le père y mêle, avec une complaisance singulière, aux faits principaux de l’histoire de la cité, des détails familiers sur ses enfants, sur ses harangues, les gains de sa profession et ses placements en terres et en maisons. L’évêque de Quimper ayant séjourné dans sa maison pendant les États de 1758, M. Lymon ne manque pas d’ajouter à ma femme d’une montre d’or de 300 livres, d’une bourse de jetons des États, et de deux cuillers potagères, pesant un marc et cinq onces. » Outre un certain nombre de faits qui ont servi à l’abbé Ruffelet, ce que nous avons recueilli avec plaisir dans cette chronique, c’est un parfum de vérité et de simplicité. Il est évident que ce bon bourgeois a songé avant tout à une chose : à être un honnête homme.

À côté de Marie-Jacques de Bréhand, seigneur de Boisboissel, ce brave gentilhomme qui a fait honneur à Saint-Brieuc sur les champs de bataille sans trop se préoccuper des affaires municipales, nous plaçons volontiers le chanoine Ruffelet et l’avocat Lymon comme représentants de ces familles bourgeoises qui ont donné à Saint-Brieuc, sous l’ancienne monarchie, l’exemple de la soumission aux lois, de l’amour de l’ordre et du travail dans la vie privée, de la modération dans la vie publique. C’est que, si la classe moyenne souffrait d’inégalités fâcheuses provenant d’une organisation sociale en décadence, la protection active des États, l’autorité paternelle des évêques et l’union des trois ordres pour le bien de la cité lui permettaient d’attendre dans le calme un meilleur avenir. Si donc elle n’a pas fourni à l’histoire de grands hommes, elle a compté beaucoup d’honnêtes gens, ce qui est préférable.

Les figures que nous venons d’évoquer représentent bien le type qui a si longtemps dominé chez les habitants de Saint-Brieuc ; mais, pour faire un tableau complet, nous devons placer au second plan quelques autres personnages dans lesquels se révèle le caractère de la fin du xviiie siècle. C’est nommer le médecin Bagot, le maire Poulain de Corbion, le procureur-syndic Dubois de Bosjouan, le sénéchal royal Palasne de Champeaux, tous connus pour les services qu’ils ont rendus dans l’administration et aussi pour la part active qu’ils ont prise aux premiers événements politiques. Avec eux, nous avons vu la bourgeoisie réclamer la direction des affaires, et ce qu’il y a de remarquable dans ce mouvement, c’est que la cour elle-même a fini par l’appuyer.

Résumé. — Le principal résultat à signaler dans l’histoire de Saint-Brieuc, au xviiie siècle, est donc la prépondérance de la communauté de ville. Cette prépondérance, établie d’abord par la monarchie absolue à son bénéfice, a été exercée vers la fin par la communauté elle-même, sans que cet essai d’émancipation ait agité la population ni altéré ses rapports avec la royauté.

Voilà l’idée que nous nous sommes faite des habitants de Saint-Brieuc pendant les derniers siècles, en suivant leurs traces dans les archives locales avec un respect qui n’exclut pas la justice. Il n’y avait pas lieu, en effet, dans cette étude sur notre vieux Saint-Brieuc, d’admirer le passé sans réserve, car si quelque chose appelle le progrès, ce sont bien les institutions humaines ; mais il fallait aussi se garder de l’esprit de dénigrement, car dans une époque de formation et au milieu de dures épreuves, nos pères ont vécu d’une vie laborieuse et honnête, jusqu’au jour où la Révolution a renversé l’ancienne société.



  1. Ces bornes, avec les lettres B. D. S. B. 1743, furent plantées dans la zone d’un quart de lieue sur les routes de Rennes, de Moncontour, de Plœuc, de Quintin par la rue aux Chèvres et par Sainte-Anne, de Paimpol par Bonrepos et Plérin, du Légué par les Forges, et de trois quarts de lieue, sur celles de Brest et de Lanvollon par le pont des Boissières.
  2. Budget de 1757. — Dépenses ordinaires : taxations du miseur ou receveur, 1,623 l. 3 s. 3 d ; — logement du gouverneur, 600 l. ; — entretien du collège, 600 ; — gages du lieutenant de roi, du maire ancien, de l’avocat du roi et du greffier, 511 ; — aux hérauts, tambour et fifre, 180 ; au médecin, 400 ; — port de lettres, 40 ; — service des canons, 50 ; — entretien de la maison de ville, de l’horloge et des pavés, 360 ; — aides pour exemption des fouages, 420 ; — papegault, 400 ; — contribution au logement du commissaire des guerres, 50 ; — réunion des charges municipales, 2,500 ; — frais de la députation aux États, 105 l. 10 s ; — frais du compte du miseur, 550 l. ; chemin du Légué, 60 ; — rentes dues, 366 l. 2 s. 6 d, — Total, 8,815 l. 15 s. 9 d.
  3. Cette société avait des correspondants dans chaque évêché. Ceux de l’évêché de Saint-Brieuc étaient, en 1757, MM. Armez Du Poulpry, Botidoux, Digaultray-Deslandes, Le Mée-Lasalle, Rabec, de Tramain.
  4. L’impôt du vingtième, établi par un édit de mai 1749, frappait « tous les droits et biens, de quelque espèce et nature qu’ils soient, affermés ou non, et les maisons louées ou non, eu égard au revenu, et en ce qui concerne les forges, étangs et moulins, sur le pied des trois quarts du revenu ; les rentes perpétuelles, viagères et constituées ; les deniers d’octroi et revenus patrimoniaux des villes et communautés ; les produits et revenus des commerçants. » Le vingtième était dû par les propriétaires laïques, privilégiés ou non. Le clergé seul en était exempt, parce qu’il payait des décimes ordinaires et extraordinaires. Les États de Bretagne n’en obtinrent l’abonnement qu’en 1757, à 1,200,000 livres d’abord, et comme ils eurent toujours à payer un vingtième et même, à partir de 1756, deux et quelquefois trois vingtièmes, c’était une somme de 3 à 4 millions que cet impôt leur enlevait, chaque année.
  5. Recueil de pièces, actes, lettres et discours de félicitations à l’occasion du rappel de l’universalité des membres du Parlement de Bretagne, au 13 juillet 1769. — mdcclxx.
  6. Cette milice avait à sa tête un commandant, un major, un aide-major. Elle comprenait sept compagnies, dont chacune avait deux capitaines, deux lieutenants et un enseigne. La communauté nommait les officiers et le gouverneur de la province les confirmait. En 1785, le gouverneur accepta tous les sujets proposés, « à l’exception des sieurs Bagot et Legal fils qu’il ne juge pas convenable d’admettre quant à présent aux places d’officiers de la milice, parce qu’ils n’ont que 6 et 9 ans. » — En dehors de la milice sédentaire on distinguait toujours la milice mobile, recrutée par la voie du tirage au sort, mais appelée seulement en temps de guerre, et la milice des gardes-côtes, dont un certain nombre faisaient un service régulier. C’étaient les compagnies détachées, qui furent remplacées, en 1778, par les canonniers gardes-côtes. Ceux-ci formaient, en Bretagne, 20 divisions, ayant un effectif de 5,000 hommes. Saint-Brieuc était le chef-lieu d’une division.
  7. Cette délibération ne fut signée, comme il arrive souvent en pareil cas, que par un petit nombre de membres : MM. Bagot, Villaudoré Bourel, Leuduger Fortmorel, Duval de La Ville-Bogard, de Folleville Jouannin, Dubois de Bosjouan, Dubois de La Villerabel, Dubois de Saint-Sévrin, Chouesmel de La Salle.
  8. On remarque parmi les protestataires : MM. Saulnier de Saint-Jouan, Le Mée, Prud’homme, Le Gal de La Salle, Beuscher, Jouannin, Le Can, Damar du Rumain. (Documents sur la Révolution. — Bibliothèque de Saint-Brieuc.)
  9. Cet exemple trouva des imitateurs en dehors du clergé. En 1764, un petit mercier de Trémuson, Louis Le Saulnier, qui avait fait fortune aux Antilles, créa cinq bourses au collège, eu les attribuant de préférence à ses parents pauvres. Grâce au concours des particuliers et des pouvoirs publics, la prospérité du collège de Saint-Brieuc était telle que la Sorbonne avait pu le citer, en 1762, dans un rapport au roi, comme une preuve qu’on pouvait se passer des Jésuites dans l’enseignement.
  10. Chaque corporation avait ses armoiries. Les avocats portaient : d’argent à un Saint-Yves de carnation, vêtu en robe de palais de sable, tenant en sa dextre un sac de même avec l’étiquette d’argent.
  11. À côté de ces corporations établies à Saint-Brieuc. nous rappellerons aussi, comme souvenir essentiellement briochin, la confrérie et communauté des Boursiers de Paris, que nous avons déjà citée (page 28). Le 25 février 1398, le roi avait permis « a plusieurs bonnes gens faiseurs de bourses, nez de la nacion du pays de Bretaigne et d’ailleurs, demourans en nostre ville de Paris, qui avoient puis nagueres et encore ont volonte et devocion a saint Brieuc des Vaux », de s’assembler dans l’une des églises de Paris, en forme de confrérie. Plusieurs ordonnances intervinrent dans les siècles suivants en faveur des Boursiers, dont les règlements conservèrent toujours un caractère religieux, si l’on en juge par un passage de celui du 23 juin 1749 : « Nul maître de la communauté ne pourra montrer, vendre ni débiter des marchandises des dits métiers, les fêtes solennelles de l’année, les saints jours des dimanches, fêtes de Saint-Brieuc et de Notre-Dame de La Fontaine, patrons de la communauté. » (Statuts de la confrérie publiés à Paris, en 1756 et 1774).
  12. Les armoiries de cette corporation rappelaient les trois professions exercées par ses membres : d’azur à trois écussons d’argent posés 2 et 1, le 1er chargé d’un livre de gueules fermé ; le 2e, d’un mortier de même, garni de son pilon ; le 3e, d’un écheveau de fil de gueules lié et suspendu en chef.
  13. Ce manuscrit nous a été communiqué par M. Tempier, archiviste du département, qui l’a retrouvé à Paris.