Histoire des œuvres de Balzac/Première partie. II. — Œuvres non comprises dans la Comédie humaine/Contes drolatiques

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II
Œuvres complètes. TOME XIX. Les Contes drolatiques. Cinquième édition, 1 volume, 1870[1]. Contient :

XCII. Les Contes drolatiques. Le premier dizain parut pour la première fois en un volume in-8o portant la mention « Achevé d’imprimer en mars 1832 », et sous le titre de : les Cent Contes drolatiques, premier dizain, chez Charles Gosselin, avril 1832. Il contenait :

Avertissement de l’éditeur.
Prologue.
1. La belle Impéria.
2. Le péché véniel.
3. La mye du roy.
4. L’héritier du Diable.
5. Les joyeulsetez du roy Loys le unzième.
6. La connestable.
7. La pucelle de Thilhouze.
8. Le frère d’armes.
9. Le curé d’Azay-le-Rideau.
10. L’apostrophe.
Épilogue.

Nous réimprimons ici l’avertissement du libraire mis en tête de la première édition, puis enlevé de presque toutes les autres ; il peut être attribué à Balzac lui-même :

Si ce livre n’était pas une œuvre d’art dans toute l’acception de ce mot, peut-être un peu trop prodigué de nos jours, l’éditeur ne se serait point hasardé à le publier ; mais il a pensé que les critiques consciencieux et les lecteurs choisis entre les mains desquels doivent aller les Contes drolatiques se souviendront des illustres précédents qui autorisent cette hardie tentative, dont l’auteur ne s’est pas dissimulé la témérité, dont il a calculé tous les périls.

Aucun de ceux à qui la littérature est encore chère ne voudra répudier la reine de Navarre, Boccace, Rabelais, l’Arioste, Verville et La Fontaine, génies rares dans les temps modernes, car ils ont presque tous été Molière, moins la scène. Au lieu de peindre une passion, la plupart d’entre eux peignaient leur époque : aussi, plus nous allons vers le terme auquel meurent les littératures, mieux nous sentons le prix de ces œuvres antiques où respire le parfum d’une naïveté jeune et où se trouvent le nerf comique dont notre théâtre est privé, l’expression vive et drue qui peint sans périphrase et que personne n’ose plus oser.

L’intelligence est donc un devoir envers le conteur qui veut non pas accepter le vaste héritage de nos ancêtres, mais seulement reconnaître la carrière que tant de beaux génies semblent avoir fermée et dans laquelle un succès a paru presque impossible le jour où notre langage perdit sa naïveté. La Fontaine aurait-il pu écrire la Courtisane amoureuse avec le style de Jean-Jacques Rousseau ? L’éditeur a emprunté cette remarque à l’auteur pour justifier l’anachronisme de l’idiome employé dans ces contes : à tous les obstacles de cette entreprise il fallait encore joindre celui de l’impopularité du style.

Il existe en France un grand nombre de personnes attaquées de ce cant anglais dont lord Byron s’est souvent plaint. Ces gens, dont le front rougit des bonnes franchises qui jadis faisaient rire les princesses et les rois, ont mis en deuil notre ancienne physionomie et persuadé au peuple le plus gai, le plus spirituel du monde, qu’il fallait rire décemment et sous l’éventail, sans songer que le rire est un enfant nu, un enfant habitué à jouer avec la tiare, l’épée et la couronne, sans connaître le danger.

Aussi, par les mœurs qui courent, l’auteur des Contes drolatiques ne peut être absous que par son talent ; et, justement effrayé de l’alternative, il n’a voulu donner que ces dix premiers contes ; mais nous, croyant beaucoup au public et beaucoup en l’auteur, nous espérons en éditer promptement dix nouveaux, ne redoutant ni le livre ni les reproches.

Ne serait-ce pas une inconséquence que de blâmer en littérature les essais encouragés au Salon et tentés par les Eugène Delacroix, les Eugène Devéria, les Chenavard et par tant d’artistes voués au moyen âge ? Si l’on accueille la peinture, les vitraux, les meubles, la sculpture de la renaissance, en proscrira-t-on les joyeux récits, les fabliaux comiques ?

Si le début de cette muse insouciante de sa nudité doit avoir besoin de chauds protecteurs et de bienveillants suffrages, peut-être ne nous manqueront-ils pas chez les gens dont le bon goût et la vertu ne sauraient être soupçonnés.

Le libraire devait cet avertissement à tout le monde ; quant aux réserves de l’auteur, elles font partie du livre.

Mars 1832

La Belle Imperia avait paru pour la première fois dans la Revue de Paris du 7 juin 1831, accompagnée des deux notes suivantes ; voici la première, se rapportant au titre même :

Lors du concile de Constance, l’électeur de Saxe, voulant prendre des mesures pour la commodité, l’ordre et la subsistance des Pères de l’Église, fit dresser par Dacher, son secrétaire, une liste des personnes considérables convoquées pour régler les affaires de la chrétienté.

Suivant le père Lenfant, auquel nous devons une consciencieuse histoire de cette illustre assemblée, cette liste existait encore de son temps à la chancellerie de Vienne. Le manuscrit porte à quinze cents le nombre des courtisanes admises en ville pour la commodité, l’ordre et la subsistance des juges du pauvre Jean Hus. Notez que ces femmes étaient les plus riches, les plus belles, les plus considérées, et seulement celles d’entre les courtisanes qui parurent dignes des attentions de l’électeur. En effet, quinze cents jolies filles ne pouvaient guère suffire à la sainte population de Constance, où se trouvaient le pape Jean XXIII, suivi de six cents personnes, vingt-deux cardinaux, quatre patriarches et les légats de Benoit XIII et de Grégoire XII, accompagnés de douze cents familiers. Il y avait dix-neuf archevêques, cent trente évêques, une centaine d’abbés qui s’étaient fait escorter d’environ cinq mille personnes. De plus quatorze auditeurs de rote et dix-huit secrétaires de papes avaient deux cents serviteurs. Le pape et les cardinaux avaient deux cent soixante-treize procureurs. Le nombre des simples prêtres montait à dix-huit cents, sans compter les bedeaux et autres petits officiers ecclésiastiques. Il s’y trouvait encore cent soixante et douze docteurs, avec mille personnes de suite. Jean Hus vint avec huit docteurs et deux procureurs. Toutes les universités envoyèrent des représentants.

Cet aperçu des principaux députés du clergé européen est un succinct extrait du personnel. Les détails seraient fastidieux.

Quant aux séculiers, outre l’empereur, les électeurs, princes, ducs, marquis, margraves, burgraves, et un nombre effrayant de comtes et de barons, il y avait cent seize ambassadeurs et leurs gens, seize cents gentilshommes, trois mille officiers et une garnison de deux mille soldats. Le père Lenfant estime que la population étrangère à la ville de Constance fut de cent mille âmes pendant toute la durée du concile. (Voyez page 51, édition d’Amsterdam, Pierre Humbert, 1714.)(Note de l’Auteur.)

La seconde note se rattachait au mot « Paris », ligne 6, page 15, de l’édition définitive :

La maladie dont il est ici question était une espèce de choléra-morbus, nommé trousse-galant dans quelques vieux auteurs. Les symptômes décrits par les historiens se rapportent en effet à ceux du choléra-morbus qui règne en ce moment. La coqueluche dépeupla l’Europe au xive siècle. Dans l’année 1416-1417, je crois, elle avait presque décimé Paris.(Note de l’Auteur.)

L’idée première de la Belle Impéria se trouve dans l’Archevêque (voir tome XX, page 21).

Le deuxième dizain, publié aussi chez Gosselin en un volume in-8o, en juillet 1833, porte la mention « Achevé en janvier 1833 », tandis que l’épilogue rectifie cette affirmation et constate qu’il ne fut terminé qu’en juin. Il contient :

Prologue.
1. Les trois clercs de sainct Nicholas.
2. Le ieusne de Françoys premier.
3. Les bons proupos des religieuses de Poissy.
4. Comment feut basty le chasteau d’Azay.
5. La faulze courtizane.
6. Le dangier d’estre trop cocquebin.
7. La chiere nuictée d’amour.
8. Le prosne du joyeulx curé de Meudon.
9. Le succube.
10. Désespérance d’amour.
Épilogue.

Le conte intitulé le Prosne du joyeulx curé de Meudon a paru pour la première fois dans Bagatelle, numéro du 13 juin 1833.

Le troisième dizain parut en décembre 1837, portant l’indication « Achevé en mars 1837 », chez Werdet, un volume in-8o. Le prologue est daté de Genève, février 1834. Ce volume fut mis en vente à part, la même année, sous le titre d’un des contes du volume, Berthe la repentie. Il contient :

Prologue.
1. Persévérance d’amour.
2. D’ung iusticiard qui ne se remembroyt les chouses.
3. Sur le moine Amador, qui feut un glorieux abbé de Turpenay.
4. Berthe la repentie.
5. Comment la belle fille de Portillon quinaulda son iuge.
6. Cy est démonstré que la fortune est tousiours femelle.
7. D’ung paouvre qui avoyt nom le Vieulx-par-Chemins.
8. Dires incongrus de trois pélerins.
9. Naifveté.
10. La belle Impéria mariée.
Épilogue.

Le conte intitulé Persévérance d’amour avait paru pour la première fois dans l’Europe littéraire du 8 septembre 1833, précédé de cette note :

M. de Balzac poursuit, sans peur de la critique ni du monde, la longue entreprise des Cent contes drolatiques. Le troisième dizain est sous presse. Ce livre dont la lecture est interdite à la majeure partie du public, contient un conte qui peut sans danger être inséré dans un journal. La communication que nous en avons reçue est une faveur unique dont l’Europe littéraire a voulu faire profiter ses lecteurs.

La version du journal fut aussi simplifiée comme orthographe.

Nous trouvons, au sujet de ce troisième dizain, dans le Figaro du 28 novembre 1837, cette réclame en vieux français, émanée certainement de Balzac lui-même, et qui précise sa date d’apparition :

Le sire de Balzac, autheur de infini nombre de inventions gentilles et playsantes, ueulant ménagier la déesse Vesta et narrer contes drolatiques pour l’esbatement des pantagruelistes, et non aultres, a entreprins, ne l’ignorez, de complaire la curiosité des dames, sans aulcun heurt à l’enconltre de leur preud-homie. Pour ce, le dict autheur se est rebroussé pour la forme de son linguayge aduers le temps où les mots ne auoyent point mauluoyse senteur, a cette fin de ne effaroulcher, ne les dames ne les hommes de robe, lesquels, les hommes de robe s’entend, ne se laysseroient mie preindre ez piperies d’aulcun autheur escrivant comme les escriuains du dix-neuuielme siècle. Donc que est sufficient de uous bailler advis que le troisième dixain de contes drolatiques du sieur de Balzac, dixain luysant, au pardessus, est bouté en lumière ce jour de hui et se trouve en la librairie de Werdet.

Après ce dizain, plus rien ne parut de cet ouvrage, quoiqu’il contînt la note suivante à la fin du volume :

Quoique le quatrième dizain soit sur le métier depuis environ trois années, il est impossible de le publier avant deux ans. La traduction du roman en vers (la Dame empeschiée d’amour), qui est en langue romane, prend plus de temps que n’en a pris le texte, et il en est de même pour le fabliau (l’Enfant, l’Amour et la Mère). Les sept autres contes et le conte drolatique sont d’ailleurs terminés. Ainsi le dixain des imitacions sera le cinquième et non le quatrième, car on pourra publier dans l’intervalle dix nouveaux contes déjà rassemblés, et dont voici les titres : Prologue. Triste erreur de doña Mirabella. Maulvaise foy d’ung héréticque. L’Incube. Combien estoit clemente madame Impéria. Confession bigearre. Les Trois Moines. Le Paysan de Montsoreau qui havoit perdeu son veau. D’une Guerre esmeue entre les Guilleris et les Kallibistrifères. Aultre naifveté. Mot d’une vertueulze abbesse de Chinon. Épilogue.

Un catalogue de l’année 1838 annonce comme sous presse ce dizain et le suivant, dont il indique le contenu comme il suit :

Le quint dixain, dict le dixain des Imitacions, contiendra : Prologue. — La Dame empeschiée d’amour, roman en vers avec la traduction en resguard (à l’imitacion des autheurs de la langue romane). — La Mère, l’Enfant et l’Amour, fabliau, avec la traduction en resguard. — Le Cocqu par aucthorité de iustice (conte en la méthode des cent nouvelles du roy Loys unze). — Le Pari du Magnifique (dans le genre des Italians). — Le Seigneur freschi (à la fasson de la royne de Navarre). — Comment fin a le soupper du bonhomme (conte dans le goust de Verville). — Gazan le Pauvre (conte dans la mode orientale). — Le dict de l’empereur (conte dans le genre de la Bibliothèque bleue). — La Filandière (conte à la manière de Perrault). — Comment ung cochon feut prins d’amour pour ung moine et ce qui en advint (conte drolatique). — Épilogue.

Le seul de ces contes qui ait jamais paru est la Filandière (voir aux Œuvres diverses).

Pour terminer sur ce sujet, citons ici un article non reproduit de Balzac, article publié dans la Caricature, numéro du 23 décembre 1830, écrit en vieux français sous le titre de Triboulet journaliste, et signé Triboulet :

Brrr !… brrr !… marotte ! grelots ! carymary ! carymara ! De vrai, c’est Triboulet que voilà. Il y a moult longtemps de mon partement et guère de mon revenir. Joyeuseté est toujours ma vie, et suis gai autant que feu mon maître François Ier de parpaillote mémoire. Mais m’est advis folichonneries n’être plus en cour. Depuis maître Triboulet, petit fou à grande paye, de tous genres de folies, il a été fait essai, et entre tous le fol rire est toujours resté le meilleur.

Or donc, rions.

Séjour de cour, point n’en veux. Ai merci du métier, trop perfectionné aujourd’hui pour être aisé. C’est à qui y fera ma charge : fous sérieux, fous ambitieux, fous belliqueux, fous furieux, fous doctrinaires, cent diables me sautent au corps si tant en ferais. Quant est du choix de ma condition, c’est celle de fou ou la gente Caricature que j’ai voulu besogner, à la condition moult honorifique d’y voir ma joyeuse pourctraiture.

Déjà d’aucuns se gausser pour ma haute vergogne de faire imprimer mes sottises, ayant, disent-ils, bien petit cervelet. C’est suffi ; mais tout beau, et oyez un petit. Tout fou que je suis et que toujours serai, j’observe. Ainsi, point ne vous crierai cy, comme au temps du sire gentilhomme : « Touquedillons, humez le piot pour aveindre eau bénite de cave, et fort réjouissez-vous la panse. » Mais vous dirai gentilment : « Voyez les joyeusetés qui se promènent sous votre nez et en riez. »

Contre l’us, et à mon désarroi, vous vois tous bâiller à grand renfort de coups de mâchoire. Par saint Gogueli, ceci est maugréer : j’ai bon avisement de vous aider au contraire, carymary, carymara ! D’abord, ai bon vouloir. En ce, ne vais point deviser haut et large sur vos disputes et intérêts, car rien n’y entends ; mais n’aurai d’autre labeur que de vous donner en mon Carillon tout le grotesque digne du rire dans le cours de huit jours écoulés. Point n’est besoin de circumbilivagiuer autour du fait en manière de croque-mouche ; à chacun son vrai pour nous en rire, Haro ! haro ! Oh ! de par monseigneur Satanas, ferait beau voir maître fol chercher le sens logical ou geindre et pleuroter. Grelots ! grelots ! rire, rire, et de la bonne façon. Tout pour Triboulet est chair à ridiculet : le haut trésorier et la justice abbatiale, ceux portant braquemart et rapière, gens de grimoire et de moinerie, ribauds et gentils damoisaux, haut assis, haut perchés, tous vrais parpaillots et grands sauteurs. Toute cette harpaille doit être marottée de la bonne façon, comme boule à travers quilles, par petites joyeusetés, joyeuses mocqueries, mocqueuses aventures, aventureuses souvenances, pourtraiturant les faits, dits et gestes de tout drâlard, petit ou grand. Ai fiance qu’ainsi gros nous rirons. Ainsi vais-je en quête pour le Carillon de jeudi. Au revoir.

  1. Contenu des éditions précédentes :
    Première édition. Les Cent Contes drolatiques, IerIIe et IIIe dizains, trois volumes in-8o, 1832, 1833 et 1837 ; les deux premiers chez Charles Gosselin et le troisième chez Werdet.

    Deuxième édition. Les Contes drolatiques (réunion des trois dizains), un volume in-12 ; chez Giraud et Dagneau, 1853.

    Troisième édition. Les Contes drolatiques. Tome XX des Œuvres complètes de Balzac ; un volume in-8o, chez madame Houssiaux, 1855.

    Quatrième édition (marquée cinquième). Les Contes drolatiques, illustrés par Gustave Doré ; un volume petit in-8o, chez Dutacq, 1856.