Histoire des Abénakis/2/07

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CHAPITRE SEPTIÈME.

établissement des abénakis à bécancourt.

Vers 1680, quelques familles d’Abénakis et de Sokokis allèrent s’établir sur la rivière puante, qui plus tard porta le nom de M. de Bécancourt, Baron de Portneuf, qui s’y était aussi établi.

Il ne sera pas inutile, il nous semble, de dire ici d’où vient ce nom de « rivière puante », donné autrefois à la rivière Bécancourt. Quelques uns ont attribué l’origine de ce nom à la mauvaise qualité des eaux de cette rivière ; d’autres, à la grande quantité de rats-musqués qu’il y avait, parceque les sauvages n’en pouvaient supporter l’odeur. Mais voici ce qui paraît le plus probable sur ce sujet.

Trente ou quarante ans avant l’arrivée de Champlain en Canada, une nation sauvage, qui habitait l’île de Montréal et qui était connue sous le nom d’Annontcharonnons[1], avait déclaré la guerre aux Algonquins des Trois-Rivières. Ceux-ci, pour en finir avec ces ennemis, imaginèrent une ruse de guerre, qui réussit parfaitement. Ils allèrent se mettre en embuscade dans les îles de la rivière Bécancourt, situées à quelques arpents plus haut que l’église actuelle de cette paroisse ; puis, ils laissèrent, à l’embouchure de la rivière, quelques sauvages auxquels ils enjoignirent de faire mine de s’occuper à la pêche. Les Onnontcharonnons, à la recherche des Algonquins, apercevant ces sauvages, leur donnèrent la chasse. Les Algonquins prirent aussitôt la fuite et remontèrent la rivière en toute hâte. Les ennemis les poursuivirent jusqu’aux îles, et allèrent tomber dans l’embuscade qui leur était préparée. Ils furent tous massacrés en cet endroit. Leurs cadavres restèrent dans l’eau et sur le bord de la rivière. Il en résulta une grande infection, d’où est venu le nom de « rivière puante »[2].

Après l’établissement de la mission de Saint-François, beaucoup d’Abénakis étaient demeurés dans le haut de la rivière Chaudière. Bientôt, M. de Vaudreuil résolut de réunir ces sauvages à Bécancourt, afin d’y former, comme à Saint-François, une digue contre les Iroquois. Il s’entendit à ce sujet avec le Baron de Portneuf, seigneur de Bécancourt, qui consentit à céder une partie de son domaine, pour l’établissement projeté ; et, le 30 Avril 1708, l’acte suivant fut passé devant Maître Daniel Normandin.

« Par devant Daniel Normandin Notaire royal et garde-notes du Roy notre Sire, en la prévoté royale des Trois-Rivières, résidant à Champlain, soussigné ci-bas nommé. Furent présens en leurs personnes Messire Pierre Robineau, Chevalier, seigneur de Bécancourt, Baron de Portneuf, grand-voyer de ce païs, lequel voulant montrer le zèle qu’il a pour le bien public du service de sa Majesté et celui de la colonie, aurait par ces présentes prêté, cédé et délaissé aux sauvages Abnakis de la mission de Damisokantik et autres qui s’y sont venus joindre selon le désir et la volonté de haut et puissant seigneur Messire Philippe Rigaud, Chevalier de l’ordre militaire de St. Louis, Lieutenant-Général pour sa Majesté en ce païs, de haut et puissant seigneur Messire François de Beauharnais, chevalier, seigneur de la Chaussaye, Beaumont et autres lieux, conseiller du Roy en ses conseils, pour lors intendant de ce païs, de haut et puissant seigneur Messire Jacques Randot, conseiller du Roy en ses Conseils, intendant de justice, police et finances en ce païs, et de haut et puissant seigneur Messire Randot, conseiller du Roy en ses conseils, intendant de marine et de feu le très-Révérend Père Martin Perevail pour lors supérieur des missions de la compagnie de Jésus, et du très Révérend Père Vincent Bigot, supérieur général de la compagnie de Jésus en ce païs et du très-Révérend Père Sébastien Rasle de la compagnie de Jésus, missionnaire des dits Abnakis entre les mains duquel et avec lequel le dit seigneur aurait contracté aux conditions suivantes, savoir : que le dit Sieur de Bécancourt prête, cède et délaisse aux dits Abnakis les terres joignant du côté du Nord-Ouest à Louis Chadevergne dit Larose, et du côté du Sud-Ouest toutes les terres en montant dans la rivière jusqu’à la profondeur de la dite seigneurie, et de plus les terres qui sont derrière les concessions des habitans qui sont dans la rivière de Bécancourt, avec les isles, islots et péninsules qui n’ont point été par ci-devant concédés ; pour en jouir par les dits AbnakIs tant que la mission subsistera entre les mains du Révérend père Rasle ou autre de la même compagnie, sans que les dits Abnakis ni ceux qui ont soin d’eux soient obligés à aucune redevance, le dit Sieur de Bécancourt n’ayant fait que prêter ses terres qu’autant que la mission subsistera ; se réserve aussi le dit Sieur les bois qui ne sont pas à l’usage des dits sauvages. Lui sera libre d’en prendre lorsqu’il en aura besoin ; et lorsque la mission sera abandonnée le dit seigneur propriétaire des dites terres rentrera de plein droit sans être obligé à aucun dédommagement quelconque et sans qu’il soit besoin même d’aucune formalité de justice, comme il a été convenu entre les dits seigneurs et Gouverneur et intendants et Révérends Pères ci-dessus nommés ; et par ces mêmes présentes veut et consent le dit Révérend Père Rasle au nom des missions des dits Abnakis que tout aussitôt que les dits sauvages Abnakis et mission de Saint-François Xavier de la dite seigneurie de Bécancourt sera quittée et abandonnée pour aller s’établir ailleurs que le dit seigneur de Bécancourt entre en possession et jouissance des terres acquises et possédées tant par le dit Révérend Père Rasle que par les dits Abnakis pour en jouir, posséder, faire, user et disposer comme de son propre bien ; lui en faisant dès à présent le dit Révérend Père Rasle au dit nom toutes démissions, cessions et transports requis, nécessaires ; le subrogeant dès ce dit jour en lieux, droits, places et hypothèques. Promettant, obligeant et renonçant etc.

« Fait et passé en la dite seigneurie, maison de la dite mission après midi le dernier jour d’Avril mil sept-cent-huit, en présence de François Bigot et de Michel Perraut de Chateauguay demeurant en la dite seigneurie, témoins qui ont signé avec les ci-dessus nommés »[3].

Nous voyons par cet acte que la plupart des sauvages qui s’établirent à Bécancourt, étaient venus de « Damisokantik. » M. Normandin, ne sachant pas l’abénakis, a écrit ce mot suivant les sons qu’il entendait, et il n’est pas étonnant qu’il ait défiguré un peu la véritable expression abénakise. Ce mot « Damisokantik » est le nom que les Abénakis donnaient au lac Mégantic : « Namesokântsik, » lieu où y a beaucoup de poissons. En 1721, le P. de Charlevoix donnait à ce lac le nom de « Nansokantik »[4], qui n’était qu’une corruption du mot « Namesokantsik. » Il est évident que le nom actuel « Mégantic » vient de ces différentes dénominations.

Voici ce que dit le P. de Charlevoix de l’établissement de ces sauvages à Bécancourt. « D’autres Abnaquis se trouvaient trop exposés aux courses des Bastonnais, et se voyaient en danger de mourir de faim, parcequ’ils n’étaient pas à portée de tirer des vivres des habitations françaises, et qu’ils ne pouvaient plus en avoir des Anglais. M. de Vaudreuil saisit cette occasion pour exécuter un dessein qu’il avait formé aussitôt après la mort du Chevalier de Callières. Il proposa à ces sauvages de venir demeurer dans la colonie et ils y consentirent. On les plaça sur la rivière de Békancourt, et ils y sont encore aujourd’hui. Le dessein du Gouverneur Général était d’opposer une digue aux Iroquois, au cas que ces sauvages se laissassent persuader par les Anglais de recommencer la guerre »[5].

À la lecture de ce passage, nous avons d’abord pensé que ces sauvages étaient très-rapprochés de la Nouvelle-Angleterre. Mais l’étude du mot « Damisokantic » nous a convaincu qu’ils étaient dans le haut des rivières Chaudière et Androscoggin, et que leur principale résidence était sur le lac Mégantic. Là, ils se trouvaient exposés aux courses des Anglais et étaient trop éloignés des Français pour en être secourus. Ils étaient visités et desservis par le P. Sébastien Rasle, alors missionnaire à Norridgewock, sur la rivière Kénébec.

En arrivant à Bécancourt, les sauvages se fixèrent une île, connue aujourd’hui sous le nom « d’île Montesson »[6]. Cette île, d’une grande étendue, est de forme triangulaire. La base de ce triangle repose sur le fleuve Saint-Laurent, et les deux côtés sont formés par les deux branches de la rivière Bécancourt. On construisit une petite église en bois en cet endroit. En 1721, les sauvages résidaient encore sur cette île. Le P. de Charlevoix les y visita alors, et voici ce qu’il en dit. « Le village Abénaquis de Békancourt n’est pas présentement aussi peuplé qu’il l’était il y a quelques années. Il ne laisserait pas pourtant de nous être d’un grand secours, si la guerre recommençait. Ces sauvages sont les meilleurs partisans du pays et toujours disposés à faire des courses dans la Nouvelle-Angleterre, où leur seul nom a souvent jetté l’épouvante jusque dans Baston. Ils ne nous serviraient pas moins bien contre les Iroquois, à qui ils ne cèdent point en valeur et qui ne sont pas aussi bien disciplinés qu’eux. Ils sont tous chrétiens et on leur a bâti une jolie chapelle, où ils pratiquent avec beaucoup d’édification tous les exercices du christianisme »[7].

À cette époque, M. de Bécancourt résidait sur l’île des sauvages. « La vie que mène M. de Békancourt dans ce désert », dit le P. de Charlevoix, car on n’y voit point encore d’autre habitant que le Seigneur[8], rappelle assez naturellement le souvenir de ces anciens patriarches qui ne dédaignaient point de partager avec leurs domestiques le travail de la campagne et vivaient presqu’aussi sobrement qu’eux. Le profit qu’il peut faire par le commerce avec les sauvages ses voisins, en achetant d’eux les pelleteries de la première main, vaut bien les redevances qu’il pourrait tirer des habitants, à qui il aurait partagé ses terres »[9].

On voit par ces paroles que M. de Bécancourt vivait en bonne intelligence avec ses sauvages. Ceux-ci l’affectionnaient beaucoup, parcequ’il les traitait avec bonté. Mais il n’en fut pas de même pour son successeur, M. de Montesson. Celui-ci les maltraita, les accusa de s’être emparés d’un terrain qui ne leur appartenait pas, et les chassa de l’île qu’ils occupaient depuis plus de trente ans. La conduite du nouveau seigneur à leur égard fut certainement un peu dure, mais nous devons toutefois avouer que son droit de propriété sur cette île était incontestable, car elle n’était pas comprise dans le domaine cédé aux Abénakis, en 1708.

Plus tard, M. de Montesson eut avec les sauvages une autre difficulté assez grave, à l’égard d’un lot de terre. Cette fois, ceux-ci avaient plein droit, parceque cette terre leur appartenait légitimement. Mais, trop : faibles pour lutter longtemps avec un homme qui avait beaucoup d’influence ; ils cédèrent et consentirent à un arrangement. Cette difficulté, qui dura plusieurs années, fut terminée par un acte d’accord, passé le 30 Janvier 1771. Par cet acte, les sauvages renoncèrent, pour la somme de quatre-vingt-seize francs, à leurs droits sur le terrain en litige[10].

Les sauvages, forcés d’abandonner leur premier village, allèrent se fixer sur une petite île de la rivière Bécancourt, quelques arpents plus haut que l’église actuelle. Ils n’y restèrent que quelque temps, et se retirèrent ensuite sur une autre île, située vis-à-vis de la propriété qu’ils occupent aujourd’hui. Enfin, forcés. par les maladies et les inondations de déloger une troisième fois, ils se retirèrent, vers 1735, sur le terrain qu’ils occupent actuellement. Ils y bâtirent une seconde église en bois, de soixante pieds de long sur trente de large. Bientôt, par les soins et l’activité du P. Eustache Lesueur, alors missionnaire à Bécancourt, cette église fut munie d’ornements sacerdotaux et de vases sacrés, à peu près comme celle de la mission de Saint-François.

Le P. Lesueur était à la fois missionnaire des sauvages et Curé de la paroisse de Bécancourt. Comme cette paroisse n’avait pas encore d’église, la desserte des Canadiens se faisait à l’église des sauvages.

Bientôt, les Canadiens demandèrent une église paroissiale ; mais, comme ils étaient alors beaucoup moins nombreux que les sauvages, on n’accèda pas de suite à cette demande. Enfin, en 1748, les fondations de la première église paroissiale de Bécancourt furent jetées, Cette église fut construite en pierre ; elle avait soixante pieds de long sur trente de large ; le portail était tourné vers l’Ouest. Cette église était située au même endroit que celle qui existe actuellement. On voit encore des pierres des fondations de cette première église. La forme du rond-point est encore bien visible.

Après la construction de cette église, la desserte des Canadiens continua à se faire chez les sauvages, ce qui occasionna des jalousies et des animosités entre les deux populations. Il y avait déjà plusieurs années que cet état de choses existait à Bécancourt, lorsque tout-à-coup, à la fin du mois de Décembre 1757, l’église des sauvages brûla, pendant une nuit fort obscure. On ne put sauver de l’incendie que quelques vases sacrés, des chandeliers et la croix du clocher. Tout le reste fut consumé, ainsi que les régistres de la paroisse.

La cause de ce désastre est demeurée inconnue. Quelques-uns ont pensé, peut-être avec raison, que cet incendie avait été le fait de quelques Canadiens, afin d’obtenir la résidence de leur Curé à leur église.

La croix du clocher, sauvée de l’incendie, a été conservée jusqu’à ce jour. Elle est actuellement érigée au milieu du village sauvage.

Depuis ce désastre, on n’a jamais songé à reconstruire cette église, et les sauvages ont toujours été desservis à l’église paroissiale.

À cette époque, il y avait environ 300 sauvages à Bécancourt ; lors de leur établissement sur l’île Montesson, on en comptait environ 500 ; c’était donc une diminution d’environ 200 en cinquante ans. Dès 1721, la population de ces sauvages avait considérablement diminué ; c’est ce que le P. de Charlevoix dit expressément, comme nous l’avons vu. Cette grande diminution de population avait été causée par les guerres et les épidémies. Depuis ce temps, le nombre de ces sauvages a toujours diminué, et aujourd’hui on n’en compte qu’une dizaine de familles, vivant dans la plus grande pauvreté.

Le domaine qui leur fut accordé, en 1708, comprenait environ six milles de terrain, en superficie. Ils le possédèrent jusqu’en 1812 ; mais ce ne fut toutefois qu’avec beaucoup de peine qu’ils purent le conserver jusqu’à cette époque ; car les représentants du premier seigneur de Bécancourt, suivant l’exemple de M. de Montesson, cherchèrent sans cesse à leur enlever des lots de terre. Enfin, en 1812, pendant qu’ils combattaient aux frontières pour la défense de leur pays adoptif, on s’empara injustement de ces terres. Lorsqu’ils revinrent de cette célèbre campagne, où ils avaient combattu si courageusement, leur domaine, divisé par lots, était possédé par des blancs ; et on ne leur avait pas même réservé un coin de terre pour se retirer. Irrités d’une pareille injustice, ils se jetèrent avec fureur sur les maisons, construites dans leur village, les détruisirent et défendirent, les armes à la main, ce morceau de terre. De cette manière, ils purent conserver deux petites îles de la rivière Bécancourt et environ soixante arpents de terre, qu’ils possèdent encore aujourd’hui. Voilà tout ce qu’ils ont pu conserver de leur domaine.

Les contrats de concession des terrains qui ont été enlevés aux sauvages portent une clause tout-à-fait inusitée dans de semblables actes. On y voit que les concessionnaires sont mis en possession de ces terres « sans préjudice au bien d’autrui ». Ce qui indique clairement que les cédants doutaient de la légitimité de leurs droits sur ces propriétés.

On a donc usurpé ces terrains. Et, chose étonnante, les sauvages n’ont jamais pu faire entendre leurs justes réclamations à cet égard.

Cependant, il y a quelques années, on a semblé entendre leurs plaintes. Ils avaient adressé à la Législature une requête, en date du 3 Mars 1858, exposant la manière injuste dont on les avait dépouillés de leurs propriétés, faisant connaître l’état de pauvreté et de souffrance où ils se trouvaient réduits, par suite de cette injustice, et demandant que leurs terres leur fussent remises, avec indemnité. L’année suivante, le 2 Mai 1859, il fut résolu dans la Chambre d’Assemblée « qu’il serait désirable qu’il fut accordé quelques secours aux Abénakis de Bécancourt pour pourvoir à leurs besoins les plus pressants pour les retirer de l’état de misère où ils étaient alors »[11]. Un comité fut alors nommé pour s’occuper de la question des terres de ces sauvages.

Depuis cette époque, on leur a accordé annuellement un secours d’environ $200 ; mais on n’a encore rien fait relativement à leurs droits sur les propriétés qui leur ont été enlevées.

Il est facile de voir, d’après ce que nous venons de dire, que ces sauvages ont presque toujours été persécutés et maltraités, à l’exception toutefois du temps qu’ils demeurèrent sous la protection de M. de Bécancourt. Outre qu’on cherchait sans cesse à leur enlever leurs terres et les profits de leurs chasses, on les jalousait à cause des privilèges que le Gouvernement et les missionnaires semblaient leur accorder. On cherchait sans cesse à les reculer, parcequ’on les considérait comme un obstacle aux progrès des blancs. Ils ont toujours été un peu protégés par le Gouvernement, il est vrai ; mais cette protection était insuffisante, et comme ils n’avaient pas auprès d’eux d’amis influents et sincèrement dévoués à leurs intérêts, pour les soutenir dans cette lutte avec leurs puissants ennemis, ils succombaient toujours.

Sous ce rapport, les Abénakis de Saint-François ont été plus heureux, car ils ont toujours été protégés par la famille Gill ; et l’on peut dire que c’est surtout à cette protection qu’ils doivent la conservation de leur domaine.

Cependant, nous devons avouer que cette protection a eu aussi son mauvais côté à Saint-François. Un grand nombre de Gill se sont alliés aux sauvages par des mariages. Ces familles de métis sont devenues nombreuses, tandis que les véritables sauvages ont disparu peu-à-peu ; et aujourd’hui tous les sauvages de cette mission, à l’exception de quatre ou cinq seulement, sont des descendants des Gill, tandis que tous ceux de Bécancourt sont de pur sang abénakis.

Les persécutions qu’on a fait souffrir aux Abénakis de Bécancourt sont sans doute fort regrettables ; cependant elles eurent un bon résultat. Nous pensons que Dieu permit cela pour punir ces sauvages de leurs anciens désordres, et pour sauver leurs âmes. Lorsqu’ils s’établirent en cet endroit, ils étaient presque tous chrétiens, et ceux qui ne l’étaient pas encore furent bientôt baptisés. À cette époque, ils étaient admirables par leur foi et leur ferveur. On vit s’opérer parmi eux les merveilles qu’on avait vues à la mission de Saint-François de Sales de la rivière Chaudière. Pendant plusieurs années, ils donnèrent beaucoup de consolation à leurs missionnaires et furent un sujet d’édification pour les Français. Mais peu-à-peu ils prirent goût à l’eau-de-vie, et devinrent bientôt fort adonnés à l’ivrognerie. Ils causèrent alors beaucoup de trouble à leur missionnaire, le P. E. Lesueur, qui demeura près de trente-sept ans au milieu d’eux. Ce bon et zèlé missionnaire en fut réduit à gémir souvent devant Dieu sur leurs désordres. Dès 1721, ils étaient déjà fort vicieux, Voici ce qu’en dit le P. de Charlevoix. « Il faut pourtant avouer que leur ferveur n’est plus au point où on l’a vue les premières années de leur établissement parmi nous. On leur a porté de l’eau-de-vie, et ils y ont pris goût, et les sauvages ne boivent jamais que pour s’enivrer. Cependant une funeste expérience nous a appris qu’à mesure que ces peuples s’éloignent de Dieu, ils ont moins de déférence pour leur pasteurs, et se rapprochent des Anglais. Il est bien à craindre que le Seigneur ne permette qu’ils deviennent nos ennemis, pour nous punir d’avoir contribué, par un sordide intérêt, à les rendre vicieux, comme il est déjà arrivé à quelques autres nations »[12].

Cependant, malgré leurs désordres, ils ne passèrent jamais du côté des Anglais, comme le craignait le P. de Charlevoix. Au contraire, à l’exemple de leurs frères de Saint-François et de l’Acadie, ils furent toujours fidèles à leurs alliés, et toujours prêts à prendre les armes contre les ennemis de la colonie.

Dieu eut pitié de ces malheureux, qui l’avaient si bien servi autrefois, et ne permit pas qu’ils demeurassent longtemps dans ces désordres. Ils devinrent plus tard de fervents chrétiens, et réparèrent, par une vie exemplaire, le mal qu’ils avaient causé par leur ivrognerie.

Nous devons ajouter que les quelques familles qui nous restent aujourd’hui de ces sauvages sont remarquables par leur foi et leur ferveur. Nous avons nous-même été édifié plusieurs fois par la piété de ces bons sauvages. Cette piété nous a souvent rappelé celle des anciens Abénakis, qui donnèrent tant de consolations aux P. P. Druillettes, Bigot et Rasle.

  1. Quelques uns pensent que les Onnontcharonnons, ou la nation de l’Iroquet, étaient des Algonquins ; mais il est plus probable qu’ils étaient Hurons. Leur nom semble l’indiquer clairement. Cette nation fut en partie détruite et chassée de l’île de Montréal par les Hurons. Quelques uns de ces sauvages se réfugièrent chez les Abénakis.
  2. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 162-164.
  3. Nous devons la copie de cet acte à l’obligeance de M. L. S. Mâlo, Curé de Bécancourt, ainsi que plusieurs notes fort précieuses, qui nous ont beaucoup aidé à donner l’historique de la mission abénakise de Bécancourt.
  4. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol. I​I. 236. Carte du Canada.
  5. Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France, Vol. III 435.
  6. Michel Legardeur de Montesson, Chevalier de Saint-Louis, demeurait aux Trois-Rivieres. Ayant acquis la Seigneurie de Bécancourt, il devint propriétaire de l’île où résidaient les sauvages, et lui donna son nom.
  7. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 164.
  8. Nous supposons que le P. de Charlevoix ne parle ici que de l’île des sauvages, car, vers 1700, il y avait déjà quelques habitants dans la Seigneurie de Bécancourt. L’acte de cession en faveur des Abénakis, passé en 1708, fait mention d’un nommé Louis Chadevergne. En 1721, il y avait plusieurs habitants à Bécancourt, surtout du côté Est de la rivière.
  9. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 161, 162.
  10. Ce terrain appartient aujourd’hui à la famille Rocheleau, de Bécancourt.
  11. Journaux de la Chambre d’Assemblée. Vol. XVII. 562, 1869.
  12. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 164.