Histoire des Canadiens-français, Tome VI/Chapitre 3

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Wilson & Cie (VIp. 31-42).

CHAPITRE III


1684-1720


Commerce du Canada avec la France. — Marchands détailleurs. — Le golfe Saint Laurent. — La foire de Montréal. — Marchands de Montréal et de Québec. — La traite de l’Ouest. — Congés de traite. — Pêcheries de morue. — Les Anglais commercent dans l’Ouest. — Politique des Iroquois. — La traite ruine les Habitants. — La pêche de l’Acadie profite aux Anglais. — Commerce du Canada avec les Antilles. — Réveil de l’industrie.



H
istoriquement parlant, le Canada français doit à la France le prestige de son nom, mais en dernière analyse cette colonie est la fille de ses propres œuvres. Toujours combattue par la mère-patrie, elle eut assez de courage et d’initiative pour se créer une place au soleil ; cette fille énergique ne s’est jamais laissée abattre par l’indifférence des siens ou les coups de l’adversité. Son histoire est un enseignement perpétuel de dévouement aux idées nationales et de fierté contre toute oppression, que celle-ci vienne de l’intérieur ou du dehors. Les maux dont elle a souffert ne lui ont jamais arraché une plainte. Elle se redresse plus volontiers qu’elle ne se courbe, et même lorsque le sort des armes lui a été contraire rien dans son tempérament n’a fléchi.

Après les guerres, c’est le commerce qui nous a causé le plus de mal. Voyons un peu ce qu’il était au temps de Louis XIV  : « Les vaisseaux qui partent de France pour ce pays-là, écrivait la Hontan (1684), ne payent aucun droit de sortie pour la cargaison, non plus que d’entrée lorsqu’ils arrivent à Québec, à la réserve du tabac de Brézil, qui paie cinq sols par livre, c’est-à-dire qu’un rouleau de quatre cents livres pesant doit cent francs d’entrée au bureau des fermiers[1]. Les autres marchandises ne paient rien. La plupart des vaisseaux qui vont, chargés, en Canada s’en retournent à vide à la Rochelle ou ailleurs. Quelques-uns chargent des pois lorsqu’ils sont à bon marché dans la colonie ; d’autres prennent des planches et des madriers. Il y en a qui vont charger du charbon de terre à l’île du Cap-Breton pour le porter ensuite aux îles de la Martinique et de la Guadeloupe, où il s’en consume beaucoup aux raffineries des sucres. Mais ceux qui sont recommandés aux principaux marchands du pays ou qui leur appartiennent, trouvent un bon fret de pelleteries, sur quoi ils profitent beaucoup. J’ai vu quelques navires, lesquels après avoir déchargé leurs marchandises à Québec, allaient à Plaisance (Terreneuve) charger des morues qu’on y achetait argent comptant. Il y a quelquefois à gagner, mais le plus souvent à perdre. Le sieur Samuel Bernon, de la Rochelle, est celui qui fait le plus grand commerce de ce pays-là. Il a des magasins à Québec d’où les marchands des autres villes tirent les marchandises qui leur conviennent. Ce n’est pas qu’il n’y ait des marchands assez riches et qui équipent en leur propre des vaisseaux qui vont et viennent de Canada en France. Ceux-ci ont leurs correspondants à la Rochelle qui envoient et reçoivent tous les ans les cargaisons de ces navires. Il n’y a d’autres différence entre les corsaires qui courent les mers, et les marchands de Canada, si ce n’est que les premiers s’enrichissent quelquefois tout d’un coup par une bonne prise, et que les derniers ne font leur fortune[2] qu’en cinq ou six ans de commerce sans exposer leurs vies. J’ai connu vingt petits merciers qui n’avaient que mille écus de capital, lorsque j’arrivai à Québec en 1683, qui, lorsque j’en suis parti[3], avaient profité de plus de douze mille écus. Il est sûr qu’ils gagnent cinquante pour cent sur toutes les marchandises en général, soit qu’ils les achètent à l’arrivée des vaisseaux ou qu’ils les fassent venir de France par commission, et il y a certaines galanteries, comme des rubans, des dentelles, des dorures, des tabatières, des montres, et mille autres bijoux ou quincailleries sur lesquelles ils profitent jusqu’à cent ou cent cinquante pour cent, tous frais faits. La barrique de vin de Bordeaux, contenant deux cent cinquante bouteilles, y vaut en temps de paix quarante[4] livres, monnaie de France, ou environ, et soixante en temps de guerre ; celle d’eau-de-vie de Nantes ou de Bayonne quatre-vingts ou cent livres. La bouteille de vin dans les cabarets vaut six sols de France, et celle d’eau-de-vie vingt sols. À l’égard des marchandises sèches[5], elles valent tantôt plus, tantôt moins. Le tabac de Brézil vaut quarante sols la livre en détail, et trente-cinq en gros, et le sucre vingt sols pour le moins, et quelquefois vingt-cinq ou trente. Les premiers vaisseaux partent ordinairement de France à la fin d’avril ou au commencement de mai ; mais il me semble qu’ils feraient des traversées une fois plus courtes s’ils partaient à la mi-mars et qu’ils rangeassent ensuite les îles des Açores du côté du nord, car les vents du sud et du sud-est règnent ordinairement en ces parages depuis le commencement d’avril jusqu’à la fin de mai. J’en ai parlé souvent aux meilleurs pilotes, mais ils disent que la crainte de certains rochers ne permet pas qu’on suive cette route. Cependant ces prétendus rochers ne paraissent que sur les cartes[6]. J’ai lu quelques descriptions des ports, des rades et des côtes de ces îles et des mers circonvoisines, faites par des Portugais qui ne font aucune mention des écueils qu’on remarque sur toutes ces cartes ; au contraire, ils disent que les côtes de ces îles sont fort saines, et qu’à plus de vingt lieues au large on n’a jamais eu connaissance de ces rochers imaginaires. Dès que les vaisseaux de France sont arrivés[7] à Québec, les marchands de cette ville qui ont leur commis dans les autres villes, font charger leurs barques de marchandises pour les y transporter. Ceux qui sont pour leur propre compte aux Trois-Rivières ou à Montréal descendent eux-mêmes à Québec pour y faire leur emplette, ensuite ils frètent des barques pour transporter ces effets chez eux. S’ils font les paiements en pelleteries[8], ils ont meilleur marché de ce qu’ils achètent que s’ils payaient en argent ou en lettres de change, parce que le vendeur fait un profit considérable sur les peaux à son retour en France. Or, il faut remarquer que toutes ces peaux leur viennent des habitants ou des sauvages, sur lesquelles ils gagnent considérablement. Par exemple, qu’un habitant des environs de Québec porte une douzaine de martres, cinq ou six renards, et autant de chats sauvages à vendre chez un marchand, pour avoir du drap, de la toile, des armes, des munitions, en échange de ces peaux, voilà un double profit pour le marchand : l’un parce qu’il ne paie ces peaux que la moitié de ce qu’il les vend ensuite en gros aux commis des vaisseaux de la Rochelle ; l’autre par l’évaluation exhorbitante des marchandises qu’il donne en paiement à ce pauvre habitant. Après cela faut-il s’étonner que la profession de ces négociants soit meilleure que tant d’autres qu’on voit dans le monde ? » Le 28 juin 1685, il écrit de Montréal : « Je vis débarquer presque en même temps vingt-cinq ou trente canots de coureurs de bois, chargés de castors, venant des grands lacs. La charge de chacun était de quarante paquets. Chaque paquet pesait cinquante livres, et valait cinquante écus au bureau des fermiers. Ils étaient suivis de cinquante canots, Outaouas[9] et Hurons, qui descendent presque tous les ans à la colonie pour y faire emplette, ce qu’ils font à meilleur marché qu’en leur propre pays de Michillimakinac, situé sur le rivage du lac des Hurons, à l’embouchure de celui des Illinois. Vous ne serez pas fâché d’apprendre le détail de cette espèce de foire sauvage à Montréal. Ces marchands se campent à cinq ou six cents pas de la ville. Le jour de leur arrivée se passe tant à ranger leurs canots et débarquer leurs marchandises qu’à dresser leurs tentes, lesquelles sont faites d’écorce de bouleau. Le lendemain ils font demander au gouverneur-général une audience, qu’il leur accorde le même jour en place publique. Chaque nation fait un corps séparé, mais tous ces cercles étant assis par terre, et chaque sauvage ayant la pipe à la bouche. L’un d’eux, choisi par la troupe comme le plus éloquent, se lève, et s’adressant au gouverneur qui est dans un fauteuil, il lui dit que ses frères sont venus pour visiter, et renouveller en même temps avec lui l’ancienne amitié ; que le principal motif de leur voyage est celui de procurer l’utilité des Français, parmi lesquels il s’en trouve qui, n’ayant ni moyen de trafiquer, ni même assez de force de corps pour transporter des marchandises le long des lacs, ne pourraient faire de profit si les frères ne venaient eux-mêmes trafiquer les castors dans les colonies françaises ; qu’ils savent bien le plaisir qu’ils font aux habitants de Montréal, par rapport au gain que ces mêmes habitants en retirent, que ces peaux étant fort chères en France, et au contraire les marchandises que l’on donne en échange aux sauvages coûtant très peu, ils sont bien aises de marquer leur bonne volonté aux Français, et de leur procurer presque pour rien ce qu’ils recherchent avec tant d’empressement ; que pour avoir le moyen d’en apporter davantage une autre année, ils sont venus prendre en échange des fusils, de la poudre et des balles pour s’en servir à faire des chasses plus abondantes, ou à tourmenter les Iroquois, en cas qu’ils se mettent en devoir d’attaquer les habitations françaises ; et qu’enfin, pour assurer leurs paroles, ils jettent un collier de porcelaine avec une quantité de castors au Ritchi Okima ou gouverneur, dont ils demandent la protection, en cas qu’on les vole ou qu’on les maltraite dans la ville. Le harangueur ayant fini, reprend sa place et sa pipe, et se remet tranquillement à fumer. L’interprète explique le compliment du sauvage. Le gouverneur y répond obligeamment, et fait un présent à son tour. Mais vous remarquerez que Son Excellence, avant que de répondre, lorgne bien le don gratuit, et qu’il en fait la règle de ses paroles doucereuses, et de sa libéralité. Le gouverneur ayant congédié les sauvages, ils retournent à leurs tentes où ils achèvent de disposer tout pour l’échange. Le lendemain, ces marchands viennent en ville, suivis de leurs esclaves, qui portent les peaux. Ils s’adressent, autant que cela se peut, aux meilleures bourses, et à ceux des échangeurs qui donnent les pièces d’ammunition et de ménage à plus bas prix. Ce commerce est permis à tous les habitants, et s’étend sur tout, excepté le vin et l’eau-de-vie. Il y a raison très valable pour défendre ce dernier trafic. La plupart des sauvages ayant des castors de reste, après avoir fait leurs autres provisions nécessaires ne demanderaient pas mieux que de troquer ces peaux pour avoir de quoi boire, et cela aurait de funestes suites. Ces boissons fortes, et auxquelles ils ne sont point accoutumés, ayant une fois irrité le palais, ils en prennent si excessivement qu’il leur monte de violents transports au cerveau[10]. Ils égorgent leurs esclaves : ils se querellent, se battent, se mangent le nez, et se tueraient infailliblement si ceux d’entre leurs compatriotes qui sont sobres, et qui détestent ces sortes de breuvages ne les retenaient. Au reste, on ne peut point reprocher à ces marchands sauvages, comme à la plupart de nos négociants chrétiens, qu’ils font leur grande divinité de l’or et de l’argent. C’est du feu pour eux que ces métaux si puissants ; ils ne veulent point y toucher, et le capucin le plus austère ne s’en défendrait pas plus scrupuleusement. Ils ont la même indifférence pour les habits. C’est un plaisir de les voir courir de boutique en boutique, l’arc et la flèche à la main, tout-à fait nus… Presque tous les marchands qui sont établis en cette ville ne travaillent que pour ceux de Québec, dont ils sont commissionnaires. Les barques qui transportent ici les marchandises sèches, les vins et les eaux-de-vie sont en très petit nombre, mais elles font plusieurs voyages pendant l’année. Les habitants de l’île de Montréal et des côtes circonvoisines viennent faire leurs emplettes à la ville deux fois l’an, achetant leurs marchandises cinquante pour cent plus qu’à Québec. Les sauvages d’alentour, établis ou vagabonds, y portent des peaux de castor, d’élan, de caribou, de renard et de martre, en échange de fusils, de poudre, de plomb et autres nécessités de la vie. Toute le monde y trafique avec liberté, et c’est la meilleure profession du monde pour s’enrichir en très peu de temps. Tous les marchands s’entendent à merveille pour vendre leurs effets au même prix, mais les habitants savent bien faire échouer cette machine, car quand ils voient que le complot va trop loin, et que ces messieurs vendent exorbitamment, on rehausse le prix des denrées et des vivres à proportion… Les mêmes sauvages dont je vous ai parlé dans ma dernière, ont rencontré des Iroquois, sur la grande rivière des Outaouas, qui les ont avertis que les Anglais se préparaient à transporter à leurs villages, situés à Michillimakinac[11], de meilleures marchandises et à plus bas prix que celles des Français. Cette nouvelle chagrine également les gentilshommes, les coureurs de bois et les marchands, qui perdraient en ce cas là considérablement. Car il faut que vous sachiez que le Canada ne subsiste[12] que par le grand commerce de pelleteries, dont les trois quarts[13] viennent des peuples qui habitent aux environs des grands lacs. Si ce malheur arrivait, tout le pays en souffrirait, par rapport à la ruine totale de certains congés dont il est à propos de vous donner l’explication. Ces congés sont des permissions par écrit que les gouverneurs-généraux accordent, au nom du roi, aux pauvres gentilshommes et aux vieux officiers chargés d’enfants, afin qu’ils puissent envoyer des marchandises dans ces lacs. Le nombre en est limité à vingt-cinq par année, quoiqu’il y en ait davantage d’accordés, Dieu sait comment. Il est défendu à toutes sortes de personnes, de quelque qualité et condition qu’elles puissent être, d’y aller ou d’y envoyer, sous peine de la vie, sans ces sortes de permissions[14]. Chaque congé s’étend jusqu’à la charge de deux grands canots de marchandises. Quiconque obtient pour lui seul un congé, peut le faire valoir soi-même ou le vendre au plus offrant. Un congé vaut ordinairement six cents écus, et les marchands ont coutume de l’acheter. Ceux qui les obtiennent n’ont aucune peine à trouver des coureurs de bois pour entreprendre les longs voyages qu’ils sont obligés de faire s’ils veulent en retirer des profits considérables. Le terme ordinaire est d’une année et quelquefois plus. Les marchands mettent six hommes dans les deux canots stipulés par ces permis, avec mille écus de marchandises propres pour les sauvages, qui sont taxées et comptées à ces coureurs de bois à quinze pour cent plus qu’elles ne sont vendues argent comptant à la colonie. Cette somme de mille écus rapporte ordinairement au retour du voyage sept cents pour cent de profit, quelquefois plus, quelquefois moins, parce qu’on écorche les sauvages du bel air ; ainsi ces deux canots qui ne portent que pour mille écus de marchandises, trouvent, après avoir fait la traite, assez de castors de ce provenu pour en charger quatre. Or, quatre canots peuvent porter cent soixante paquets de castors, c’est-à-dire quarante chacun, chaque paquet valant cinquante écus ; ce qui fait en tout, au retour du voyage, la somme de huit mille écus. Voici comment on en fait la répartition. Le marchand retire en castors de ces huit mille écus de pelleteries le paiement du congé que j’ai fait monter à six cents écus ; celui des marchandises qui va à mille. Ensuite, sur les six mille quatre cents de surplus, il prend quarante pour cent pour la bomerie[15], ce qui fait encore deux mille cinq cent soixante écus. Après quoi le reste est partagé entre les six coureurs de bois qui n’ont assurément pas volé les six cents écus ou à peu près, qui reste à chacun d’eux, car leur travail est inconcevable. Au reste, vous remarquerez que le marchand gagne, outre cela, vingt-cinq pour cent sur les peaux de castors, en les portant au bureau des fermiers-généraux, où le prix des quatre sortes de castor est fixé, car s’il vendait ces pelleteries à quelqu’autre marchand du pays, argent comptant, il ne serait payé qu’en monnaie courante du pays qui vaut moins que les lettres de change du directeur de ce bureau pour la Rochelle ou pour Paris où elles sont payées en livres de France qui valent vingt sols ; au lieu que la livre de Canada n’en vaut que quinze. Il faut que vous preniez garde que c’est seulement sur les castors où l’on profite de vingt-cinq pour cent, qu’on appelle ici de bénéfice ; car si l’on compte à quelque marchand de Québec quatre cents livres de Canada en argent, et qu’on porte le lettre de change en France, son correspondant n’en payera que trois cents de France, ce qui est la même valeur… Comme la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre ne subsistent que par les pêches de morue et par le commerce de toutes sortes de pelleteries[16], il est de l’intérêt de ces deux colonies de tâcher d’augmenter le nombre des vaisseaux qui servent à cette pêche et d’encourager les sauvages à chasser les castors en leur fournissant les armes et les munitions dont ils ont besoin. Tout le monde sait que la morue est une grande consomption dans tous les pays méridionaux[17] de l’Europe, et qu’il y a peu de marchandise de plus prompt ni de meilleur débit, surtout lorsqu’elle est bonne et bien conditionnée. Ceux qui prétendent que la destruction des Iroquois serait avantageuse aux colonies de la Nouvelle-France, ne connaissent pas les véritables intérêts de ce pays-là, puisque si cela était les sauvages qui sont aujourd’hui les amis des Français seraient alors leurs plus grands ennemis, n’en ayant plus à craindre d’autres. Ils ne manqueraient pas d’appeler les Anglais, à cause du bon marché de leurs marchandises dont ils font plus d’état que des nôtres ; ensuite tout le commerce de ce grand pays serait perdu pour nous. Il serait donc de l’intérêt des Français que les Iroquois fussent affaiblis, mais non pas totalement défaits ; il est vrai qu’ils sont aujourd’hui trop puissants ; ils égorgent tous les jours nos sauvages alliés. Leur but est de faire périr toutes les nations qu’ils connaissent, quelque éloignées qu’elles puissent être de leur pays. Il faudrait tâcher de les réduire à la moitié de ce qu’ils sont, s’il était possible, mais on ne s’y prend pas comme il faut : il y a plus de trente ans que leurs anciens ne cessent de remontrer aux guerriers des Cinq-Nations, qu’il est expédient de se défaire de tous les peuples sauvages du Canada, afin de ruiner le commerce des Français, et de les chasser ensuite de ce continent ; c’est la raison qui leur fait porter la guerre jusqu’à quatre ou cinq cents lieues de leur pays, après avoir détruit plusieurs nations différentes, en divers lieux. Il serait assez facile aux Français d’attirer les Iroquois dans leur parti, de les empêcher de tourmenter leurs alliés, et de faire en même temps, avec quatre nations Iroquoises, tout le commerce qu’elles font avec les Anglais de la Nouvelle-York. Cela se pourrait aisément exécuter, moyennant dix mille écus par an qu’il en coûterait au roi ; voici comment : Il faudrait premièrement rétablir au fort Frontenac (Cataracoui) les barques qui y étaient autrefois (du temps de La Salle), afin de transporter aux rivières des Tsonnontouans et des Onnontagués les marchandises qui leur sont propres, et ne les leur vendre que ce qu’elles auraient coûté en France ; cela n’irait tout au plus qu’à dix mille écus de transport. Sur ce pied-là, je suis persuadé que les Iroquois ne seraient pas si fous de porter un seul castor chez les Anglais, pour quatre raison, la première, parce qu’au lieu de soixante ou quatre-vingts lieues qu’ils seraient obligés de les transporter sur leur dos à la Nouvelle-York, ils n’en auraient que sept ou huit à faire de leurs villages jusqu’aux rives du lac de Frontenac (Ontario) ; la deuxième, qu’étant impossible aux Anglais de leur donner des marchandises à si bon marché, sans y perdre considérablement, il n’y a point de négociant qui ne renonçât à ce commerce ; la troisième consiste en la difficulté de subsister dans le chemin de leurs villages à la Nouvelle-York, y allant en grand nombre, crainte de surprise, car j’ai déjà dit en plusieurs endroits que les bêtes fauves manquent en leurs pays ; la quatrième, c’est qu’en s’écartant de leurs villages pour aller si loin, ils exposent leurs femmes, leurs enfants et leurs vieillards en proie à leurs ennemis qui, pendant ce temps-là, peuvent les tuer ou les enlever, comme il est arrivé déjà deux fois. Il faudrait, outre cela, leur faire des présents toutes les années, en les exhortant à laisser vivre paisiblement nos sauvages alliés, lesquels sont assez sots de se faire la guerre entre eux, au lieu de se liguer contre les Iroquois qui sont les ennemis les plus redoutables qu’ils aient à craindre. C’est une sottise de dire que ces barbares dépendent des Anglais ; cela est si peu vrai que quand ils vont troquer leurs pelleteries à la Nouvelle-York, ils ont l’audace de taxer eux-mêmes les marchandises dont ils ont besoin lorsque les marchands les vendent trop cher. J’ai déjà dit plusieurs fois qu’ils ne les considèrent que par rapport au besoin qu’ils en ont ; qu’ils ne les traitent de frères et d’amis que par cette seule raison, et que si les Français leur donnaient à meilleur marché les nécessités de la vie, les armes et la munition, etc., ils n’iraient pas souvent aux colonies anglaises. Voilà une des principales affaires à quoi l’on devrait songer, car si cela était ils se donneraient bien garde d’insulter nos sauvages amis et alliés, non plus que nous. Les gouverneurs-généraux de Canada devraient employer les habiles gens du pays qui connaissent nos peuples confédérés, pour les obliger à vivre en bonne intelligence, sans se faire la guerre les uns aux autres, car la plupart des nations du sud se détruisent insensiblement, ce qui fait un vrai plaisir aux Iroquois. Il serait facile d’y mettre ordre en les menaçant de ne plus porter de marchandises à leurs villages. Il faudrait, outre cela, tâcher d’engager deux ou trois nations de demeurer ensemble, comme font les Outaouas et les Hurons ou les Sakis et les Poutéouatamis (appelés Puants). Si tous ces peuples, nos alliés, étaient d’accord et que leurs démêlés cessassent, ils ne s’occuperaient plus si ce n’est à chasser des castors, ce qui rendrait le commerce plus abondant ; et d’ailleurs, ils seraient en état de se liguer ensemble lorsque les Iroquois se mettraient en devoir d’attaquer les uns ou les autres. L’intérêt des Anglais est de leur persuader que les Français ne tendent qu’à les perdre ; qu’ils n’ont autre chose en vue que de les détruire lorsqu’ils en trouveront l’occasion ; que plus le Canada se peuplera et plus ils auront sujet de craindre ; qu’ils doivent bien se garder de faire aucun commerce avec eux, de peur d’être trahis par toutes sortes de voies ; qu’il est de la dernière importance de ne pas souffrir que le fort de Frontenac se rétablisse, non plus que les barques, puisqu’en vingt-quatre heures on pourrait faire des descentes au pied de leurs villages, pour enlever leurs vieillards, leurs femmes et leurs enfants pendant qu’ils seraient occupés à faire leurs chasses de castors durant l’hiver ; qu’il est de leur intérêt de leur faire la guerre de temps en temps, ravageant les côtes et les habitations de la tête[18] du pays, afin d’obliger les habitants d’abandonner le pays, et dégoûter en même temps ceux qui auraient envie de quitter la France, et qu’en temps de paix il leur est de conséquence d’arrêter les coureurs de bois aux cataractes[19] de la rivière des Outaouas pour confisquer leurs armes et munitions de guerre qu’ils portent aux sauvages des lacs. Il faudrait aussi que les Anglais engageassent les Tsonnontouans ou les Goyogouans à s’aller établir vers l’embouchure de la rivière de Condé, sur le bord du lac Érié, et qu’en même temps ils y construisent un fort et des barques longues ou brigantins. Ce poste serait le plus avantageux et le plus propre de tous ces pays-là, par une infinité de raisons que je suis obligé de taire. Outre ce fort, ils en devraient faire un autre à l’embouchure de la rivière des Français, alors il est constant qu’il serait de toute impossibilité aux coureurs de bois de jamais remettre le pied dans les lacs. Il est encore de leur intérêt d’attirer à leur parti les sauvages de l’Acadie ; ils le peuvent faire avec peu de dépense ; ceux de la Nouvelle-Angleterre devraient y songer, aussi bien que de fortifier les ports où ils pêchent les morues. À l’égard des équipements des flottes pour enlever des colonies, je ne leur conseillerais pas d’en faire ; car supposé qu’ils fussent assurés du succès de leurs entreprises, il n’y a que quelques places, dont on pourrait dire que le jeu vaudrait la chandelle. Je conclus et finis en disant que les Anglais de ces colonies ne se donnent pas assez de mouvement ; ils sont un peu trop indolents ; les coureurs de bois français sont plus entreprenant qu’eux, et les Canadiens sont assurément plus actifs et plus vigilants. Il faudrait donc que ceux de la Nouvelle-York tâchassent d’augmenter leur commerce de pelleteries en faisant des entreprises bien concertées, et que ceux de la Nouvelle-Angleterre s’efforçassent à rendre la pêche des morues plus profitable à cette colonie en s’y prenant de manière que bien d’autres gens feraient, s’ils étaient aussi bien situés qu’eux. Je ne parle point des limites de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Angleterre puisque, jusqu’à présent, elles n’ont jamais été bien réglées, quoiqu’il semble qu’en plusieurs traités de paix entre ces deux royaumes, les bornes aient été comme marquées en certains lieux. Quoiqu’il en soit, la décision en est délicate pour un homme qui n’en saurait parler sans s’attirer de méchantes affaires. »

Après avoir lu ces passages, Charlevoix fait les réflexions suivantes : « On serait assez embarrassé de nommer une seule famille que le trafic des pelleteries ait enrichie. On a vu des fortunes, aussi immenses que rapides, s’élever et disparaître presque en même temps… Rien n’est plus ordinaire dans ce pays-ci (1720) que de voir des gens traîner dans la misère et dans l’opprobre une languissante vieillesse, après avoir été en état de se faire un établissement honorable. Ces fortunes, manquées par des particuliers qui ne les méritaient pas, ne seraient nullement dignes des regrets du public si le contrecoup n’en était pas retombé sur la colonie, qui s’est bientôt trouvée réduite au point de voir presqu’absolument tarir, ou détourner ailleurs, une source d’où il pouvait couler tant de richesses dans son sein. »

D’Iberville avait proposé (1700) de rendre le commerce libre. On se garda bien d’écouter ce conseil, et les monopoles, tout en changeant de forme (1700 à 1717) continuèrent de ruiner la colonie. En 1706, les deux intendants Raudot développèrent un vaste plan dont la base était l’agriculture et l’industrie, et rejettant le commerce des pelleteries comme une cause de ruine infaillible. L’esprit européen, exclusif et arriéré selon son habitude, ne voulut point se rendre. Le castor, déjà en partie épuisé, allait disparaître, qu’importe ! Marchands et bailleurs de fonds n’avaient guère souci de ce que deviendrait le Canada après la disparition de cette manne dont l’abondance en premier lieu avait tourné la tête aux habitants. MM. Raudot observaient que la traite n’avait jamais pu faire subsister qu’un petit nombre de colons et que c’était folie de croire que le castor, en supposant qu’il ne diminue pas dans les forêts, deviendrait d’un usage assez général pour entretenir et enrichir une population de quinze mille âmes dont l’accroissement naturel serait de plus en plus hors de proportion avec de telles ressources. Il n’en est pas du castor comme de la morue qui se multiplie dans des proportions incalculables.

Les longs et fréquents voyages avaient occupé trois générations d’hommes actifs, mais les intervalles entre ces courses étaient marqués par la fainéantise et la répugnance au travail de la terre. De 1675 à 1700 les dépenses de la colonie n’avaient cessé d’augmenter avec le développement des familles ; le revenu restant à peu près stationnaire, par suite du chiffre croissant des coureurs de bois, le roi s’était cru obligé de combler, d’année en année, les déficits du budget, si bien que, vers 1706, le crédit du Canada ne valait rien. On ne pouvait plus compter que sur de menues pelleteries et la guerre qui sévissait rendait circonspects les commerçants. L’année de la signature du traité d’Utrecht (1713) les Canadiens offrirent au roi de lui rendre toutes les monnaies de carte, à condition qu’il en payerait la moitié ; le trésor était vide — il fallut attendre M. de Vaudreuil[20] navré de l’état du pays, alla en France (1714) intercéder pour ses malheureux habitants. Les milices s’étaient couvertes de gloire depuis un quart de siècle, mais ses rangs s’étaient éclaircis et les fermes se ressentaient de la stagnation des affaires. Le Canada et l’Acadie sortaient de la guerre maltraités par la France plus que par les Anglais.

« La grande et riche province d’Acadie, observe Charlevoix, a été longtemps partagée entre différents particuliers, dont aucun ne s’est enrichi, tandis que les Anglais faisaient sur ses côtes un profit immense par la pêche[21]. Les établissements que ces propriétaires y ont faits manquant de solidité, et eux-mêmes manquant de vues et se détruisant les uns les autres, ils ont laissé le pays à peu près dans le même état où ils l’avaient trouvé, et dans un décri dont il ne s’est bien relevé qu’au moment où nous l’avons perdu. Ce sont nos ennemis qui nous ont fait comprendre ce qu’il valait… Le Canada peut faire, et fait quelques fois, avec les îles de l’Amérique un commerce assez considérable de farines, de madriers et d’autres bois propres pour les bâtiments. Comme il n’y a peut-être pas au monde de pays qui porte de plus de sortes de bois ni de meilleure espèce, jugez quelle richesse il en pourra un jour tirer. Il paraît que très peu de personnes sont bien instruites sur cet article… Outre les congés accordés en faveur des veuves et des orphelins, il y en a pour les commandants des postes et pour des besoins extraordinaires, et le gouverneur en donne encore sous le nom de simple « permission ». Ainsi, une partie de la jeunesse est continuellement en course (1720) et, quoiqu’elle n’y commette plus, au moins si ouvertement, les désordres qui ont si fort décrié cette possession, elle ne laisse pas d’y prendre une habitude de libertinage dont elle ne se défait jamais parfaitement : elle y perd, au moins, le goût du travail, elle y épuise ses forces, elle y devient incapable de la moindre contrainte, et, quand elle n’est plus propre aux fatigues de ces voyages, ce qui arrive bientôt parce que ces fatigues sont excessives, elle demeure sans aucune ressource et n’est plus propre à rien. De là vient que les arts ont été longtemps négligés et que quantité de bonnes terres sont encore incultes, et que le pays ne s’est point peuplé… En 1706, le commerce de la plus ancienne de nos colonies ne roulait que sur un fonds de six cent cinquante mille livres. Les choses n’ont pas beaucoup changé depuis ce temps-là. Or, cette somme, répandue sur trente mille[22] habitants, ne peut les mettre à leur aise, ni leur donner le moyen d’acheter les marchandises de France. Aussi, la plupart vont-ils tout nus, surtout ceux qui sont dans les habitations un peu écartées. Ils ne vendent pas même tout le surplus de leurs denrées aux habitants des villes, parce que ceux-ci sont obligés, pour subsister, d’avoir des terres à la campagne et de les faire valoir par eux-mêmes… Il est vrai que la nécessité a enfin ouvert les yeux aux Canadiens : ils se sont vus obligés de cultiver le lin et le chanvre, de faire des toiles et de mauvais droguets de la laine de leurs vieux habits[23] mêlée avec du fil ; mais la longue habitude qu’ils avaient contractée de ne rien faire, ne leur a pas permis de sortir tout-à-fait de misère. Tous, à la vérité, ont du blé et des bestiaux suffisamment pour vivre[24], mais plusieurs n’ont pas de quoi se couvrir, et sont obligés de passer l’hiver, qui est fort long et fort rude, avec quelques peaux de chevreuils… Il s’ensuit de là que tout le monde, ici, a le nécessaire pour vivre. On y paie peu au roi. L’habitant ne connaît point la taille ; il a du pain à bon marché ; la viande et le poisson n’y sont pas chers. Mais le vin[25], les étoffes, et tout ce qu’il faut faire venir de France, y coûtent beaucoup. Les gens à plaindre sont les gentilshommes et les officiers, qui n’ont que leurs appointements et qui sont chargés de familles. Les femmes n’apportent ordinairement pour dot à leurs maris que beaucoup d’esprit, d’amitié, d’agréments et une grande fécondité — mais Dieu répand sur les mariages dans ce pays la bénédiction qu’il répandait sur ceux des patriarches. Il faudrait, pour faire subsister de si nombreuses familles, qu’on y menât aussi la vie des patriarches — mais le temps en est passé. Il y a dans la Nouvelle-France plus de noblesse que dans toutes nos autres colonies ensemble. Le roi y entretient encore vingt-huit compagnies des troupes de la marine et trois états-majors. Plusieurs familles y ont été anoblies et il y est resté plusieurs officiers du régiment de Carignan-Salières, ce qui a peuplé le pays de gentilshommes, dont la plupart ne sont pas à leur aise. Ils y seraient encore moins si le commerce ne leur était pas permis et si la chasse et la pêche n’étaient pas ici de droit commun. Après tout, c’est un peu leur faute s’ils souffrent de la disette ; la terre est bonne presque partout et l’agriculture ne fait point déroger. Combien de gentilshommes, dans toutes les provinces de France, envieraient le sort des simples habitants du Canada s’il le connaissaient ! Et ceux qui languissent ici dans une honteuse indigence sont-ils excusables de ne pas embrasser une profession que la seule corruption des mœurs et des plus saines maximes a dégradée de son ancienne noblesse ?… Il n’en est pas de même, dit-on, des Anglais nos voisins. Qui ne connaîtrait les deux colonies que par la manière de vivre, d’agir et de parler des colons, ne balancerait pas à juger que la nôtre est la plus plaisante. Il règne dans la Nouvelle-Angleterre et dans les autres provinces du continent de l’Amérique soumises à l’empire britannique, une opulence dont il semble qu’on ne sait point profiter, et, dans la Nouvelle-France, une pauvreté cachée par un air d’aisance qui ne paraît point étudié. Le commerce et la culture des plantations fortifient la première ; l’industrie des habitants soutient la seconde, et le goût de la nation y répand un agrément infini. Le colon anglais amasse du bien et ne fait aucune dépense superflue ; le français jouit de ce qu’il a, et, souvent, fait parade de ce qu’il n’a point. Celui-là travaille pour ses héritiers ; celui-ci laisse les siens dans la nécessité, où il s’est trouvé lui-même, de se tirer d’affaire comme il pourra. »


  1. Ces fermiers étaient des commerçants qui versaient au roi une somme annuelle pour avoir en main le commerce du Canada.
  2. Les habitants et les sauvages étaient la source de ces fortunes.
  3. La Hontan visita le Mississipi en 1689. Durant son séjour dans la région des lacs (1687) il avait été fait lieutenant réformé. En 1693 il fut nommé garde-magasin, puis lieutenant de roi à Plaisance, poste qu’il occupa jusqu’en 1695.
  4. Avec quarante livres on achetait ce qui, de notre temps, se paie trente-cinq ou quarante piastres.
  5. On a appelé longtemps « rouenneries » les articles de cette classe, parce qu’ils nous venaient de Rouen. Les mots « marchandises sèches » sont en usage depuis quatre siècles. Les Anglais les ont traduits par Dry Goods.
  6. Le capitaine de Voutron, commandant le Saint-François, écrivait de la Rochelle, en 1716 : « J’ai été sept fois en Canada, et quoique je m’en sois bien tiré, j’ose assurer que le plus favorable de ces voyages m’a donné plus de cheveux blancs que tous ceux que j’ai fait ailleurs. Dans tous les endroits où l’on navigue ordinairement, on ne souffre point et l’on ne risque pas comme en Canada. C’est un tourment continuel de corps et d’esprit. J’y ai profité de l’avantage de connaître que le plus habile ne doit pas compter sur la science. » — Margry : Les Navigations Françaises, p. 324.
  7. Le moment des achats à bon marché était celui de l’arrivée des vaisseaux de France, une fois l’an. Les Canadiens prirent de bonne heure la coutume de se pourvoir de linge et d’étoffes en ces occasions, afin de n’en pas manquer durant les mois à venir. De là ces armoires, remplies jusqu’au faîte, de toiles, de lainages, de fil, etc., que les hommes de la génération actuelle ont pu voir dans nos maisons de campagne, quoique le commerce soit ouvert aujourd’hui en toute saison.
  8. Par suite de la rareté de l’argent, il avait été décrété, en 1674, que l’on pourrait offrir en payement de toutes dettes des peaux d’orignal au prix ordinaire.
  9. Jusque vers 1655, le grand commerce des fourrures avait eu lieu aux Trois-Rivières. Les Outaouais commencèrent alors à s’arrêter à Montréal qui devint le principal marché des sauvages de l’Ouest.
  10. Quatre-vingts canots Hurons et Outaouais étant abordés à Lachine pour la traite, en 1690, il s’en suivit une orgie épouvantable parce que l’on avait procuré de la boisson à ces sauvages.
  11. En 1686, deux bandes, de trente Hollandais chacune, tentèrent de trafiquer à Michillimakinac. En route LaDurantaye et Tonty les firent prisonniers. (Voir tome V, 94-3, 120-21).
  12. Le Canada subsistait plutôt par son agriculture. Le commerce plus ou moins lucratif des fourrures n’entrait pas en première ligne dans le bien-être des habitants, même en 1685, au temps où le commerce était dans toute sa force.
  13. L’intendant Raudot disait, en 1706, que le castor était ruiné ; que trop de gens avaient fondé des espérances sur ce trafic ; et enfin que le Canada périclitait à cause de cela.
  14. En 1682, nombre de voyageurs et coureurs de bois étant allés furtivement à la traite chez les Outaouais, les marchands privilégiés se plaignirent, et M. Aubert de la Chesnaye obtint de M. de la Barre un ordre adressé aux Iroquois autorisant ceux-ci de piller les canots non munis de passeports. Avant la fin de l’année, deux canots, appartenant à M. de la Chesnaye et à René Le Gardeur de Tilly, sieur de Beauvais, associés, subirent ce mauvais sort parce qu’ils ne portaient point de permission. Ce fut le commencement de la guerre dont nous avons parlé, pages 93-5, 99 et 114 du tome V.
  15. « Bomerie », prêt à grosse aventure.
  16. Pour ce qui est de la Nouvelle-France, le commerce des pelleteries ne lui procura à peu près aucun bien et lui fit un mal immense. La Nouvelle-Angleterre finit par se révolter contre sa métropole à propos de questions de commerce.
  17. C’est encore dans ces contrées que nous en exportons le plus aujourd’hui.
  18. Gouvernement de Montréal.
  19. Le Long-Saut, la Chaudière, les Chats.
  20. Philippe Rigaud, chevalier de Vaudreuil, qui (1677) servait dans les mousquetaires, s’était distingué à la prise de Valenciennes. Nommé gouverneur de Montréal (1698) il prit le titre de marquis à la mort de son père (1702) et succéda (1704) à M. de Callières comme gouverneur-général. Sa femme appelée à la cour (1709) pour être gouvernante des enfants du duc de Berri, demeura plusieurs années en France.
  21. Le recensement de 1721 est accompagné d’un mémoire de Vaudreuil et Bégon qui parle de l’impulsion donnée à la pêche aux marsouins à la baie Saint-Paul, à la pointe aux Alouettes, à la rivière Ouelle, à Kamouraska, et constatant l’existence de quatorze parcs de vingt-cinq à cinquante arpents chacun, ayant pris cent quatre vingts deux marsouins dans l’année.
  22. Le recensement de 1720 donne un peu moins de vingt mille âmes.
  23. Les Anglais ayant enlevé, durant la guerre de 1702 à 1713, des navires chargés de marchandises pour le Canada, les habitants firent de nécessité vertu et donnèrent plus d’essor que jamais à l’industrie du tissage des étoffes.
  24. Le recensement de 1721 montre 62,145 arpents en culture, 12,203 en pâturages, 282,700 minots de blé, 4,585 d’orge, 64,035 d’avoine, 57,400 de pois, 7,205 de mais, 54,650 de lin, 2,100 de chanvre, 48,038 de tabac, 5,603 chevaux, 23,388 bêtes à cornes, 13,823 moutons, 16,250 cochons.
  25. Vers 1698, la production du vin avait tellement diminué en France que, dans la Champagne et la Bourgogne, on établissait force brasseries de bière. Des villes, où jusqu’alors on n’avait connu que le vin, se mirent à consommer de la bière. En Canada, l’habitant s’en tenait à ce dernier breuvage ; les brasseries étaient plus nombreuses que jamais parmi nous. Le clergé, le militaire, la noblesse, les marchands français, buvaient du vin.