Histoire des Météores/Chapitre 23

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chapitre xxiii.
le grisou.

Explosions du grisou. — Moyens de les prévenir. — Aérophore. — Curieux et importants rapports qui existent entre ces explosions et les ouragans.

I.

Le feu grisou, fléau épouvantable, la terreur des ouvriers des mines de houille, est produit par l’inflammation accidentelle, avec explosion, du gaz hydrogène carboné analogue à notre gaz d’éclairage, qui a lieu très souvent dans les mines, principalement dans les houillères, où elle cause de terribles désastres.

Ce gaz, se dégageant de la houille, sort par d’innombrables petites fissures, se répand au milieu de l’air, envahit les galeries des mines, et s’enflamme lorsqu’il est en grande quantité et qu’il rencontre une température suffisamment élevée. Lorsqu’il s’enflamme, il se fait un grand vide par la combustion ; l’air arrive aussitôt pour remplir ce vide dans les galeries, avec une telle force qu’il renverse les mineurs et les écrase contre les parois de la mine.

Les accidents produits par le grisou étaient bien plus nombreux avant qu’un célèbre chimiste, Humphry Davy, eût imaginé d’envelopper les lampes des mineurs d’un tissu métallique qui, sans intercepter la lumière et l’air, empêche la flamme de se communiquer au dehors.

La lampe de Davy, que l’on appelle aussi lampe de sûreté et lampe des mineurs, se compose d’une lampe à huile ordinaire, enveloppée dans une espèce de cage en gaze métallique. Lorsque cette lampe se trouve au milieu d’une atmosphère de grisou, l’explosion n’a lieu qu’au sein de la cage, parce que la toile métallique refroidit assez la flamme produite par l’explosion pour qu’elle ne se propage pas au dehors.

Ordinairement on fixe sur la mèche des lampes de sûreté plusieurs fils de platine roulés en spirale, qui restent encore incandescents après que la lampe s’est éteinte par l’effet de l’explosion, et qui répandent une lueur assez vive pour guider le mineur dans l’obscurité et l’avertir de prendre la fuite.

L’invention de ces lampes, qui rendent aux mineurs un service inappréciable, date de 1815 ; leur construction a été perfectionnée par MM. Robert, Muesclet, Dumesnil, Combes, etc.

L’aérophore, appareil inventé par M. Denayrouse, auquel l’Académie des sciences vient de décerner un de ses prix, est appelé à venir grandement en aide aux mineurs. Il a pour but de munir d’une atmosphère indépendante du milieu dans lequel elles sont plongées, les personnes exposées aux influences de l’air vicié. Il se compose principalement d’un réservoir en tôle d’acier qui est chargé d’air atmosphérique à la pression de 25 à 30 atmosphères, et qui, au moyen de régulateurs ingénieux, agissant automatiquement, débite l’air atmosphérique sous une faible pression et à la convenance de l’opérateur. Un tube en caoutchouc fait communiquer le réservoir avec la bouche et se termine par un appendice, appelé ferme-bouche, qui s’applique exactement sur les lèvres et les gencives ; un système particulier de deux soupapes assure le jeu régulier de la respiration.

L’appareil complet peut être placé sur les épaules à la manière d’un sac militaire, dont il possède à peu près la forme et le poids. Tout a été prévu dans cette ingénieuse invention : l’air comprimé alimente une lampe de sûreté ; des lunettes destinées à protéger les yeux et un tuyau acoustique lui donnent tous les avantages désirables. Des directeurs de houillères et des ingénieurs en ont constaté l’utilité ; il fonctionne en ce moment pour le sauvetage des épaves du Magenta[1].

II.

M. Gairaud a adressé à l’Académie une note dans laquelle il propose de faire dégager dans les galeries plusieurs étincelles au moyen de l’appareil de M. Ruhmkorff ; s’il y a détonation, le gaz sera détruit ; si, au contraire, après plusieurs reprises, la détonation n’a pas lieu, on peut être en sûreté.

M. Élie de Beaumont fait remarquer que l’utilité de ces détonations n’est pas quelque chose de nouveau pour les hommes qui travaillent dans les mines sujettes au grisou. On y a surtout recours après l’interruption des travaux pour le repos du dimanche, l’accumulation du gaz en quantité double rendant alors les explosions plus redoutables. Des ouvriers, rampant sur le sol des galeries, portent vers les parties supérieures où s’amasse le grisou des lumières ajustées au bout de longues gaules, et le font détoner ; au moyen de ces précautions et de quelques autres qu’a indiquées l’expérience, ces hommes, que l’on désigne communément, à cause de leurs fonctions, sous le nom de canonniers ou de pénitents, ne courent pas autant de risques qu’on pourrait d’abord le supposer.

En 1856, M. Dobson a communiqué à l’Académie des sciences un important mémoire, que l’on peut regarder encore comme à l’ordre du jour, sur le rapport qui existe entre les explosions de gaz dans les houillères et les cyclones ou ouragans circulaires.

Dans ce mémoire, l’auteur fait remarquer que la vitesse et la quantité de dégagement du grisou dépendent, toutes choses égales d’ailleurs, de la densité ou de la pression atmosphérique ; le dégagement est plus grand quand la pression est moindre, et réciproquement.

La proportion de gaz carboné ou grisou contenue dans l’atmosphère des galeries n’atteint jamais un chiffre déterminé sans qu’il y ait danger d’explosion, de sorte qu’il faut absolument maintenir un certain rapport entre la vitesse de ventilation et l’écoulement gazeux à l’intérieur des galeries, si l’on veut être assuré que l’atmosphère de la houillère n’atteindra pas la limite à laquelle elle commence à devenir explosible.

Le but du travail de M. Dobson est donc de montrer l’influence qu’exercent les fluctuations extraordinaires de la pression et de la température atmosphérique, pour troubler l’équilibre dont il vient d’être question, entre l’infection par l’envahissement du gaz et la purification par la ventilation.

Fig. 85. — Le pénitent.

III.

Ces fluctuations météorologiques peuvent contribuer de deux manières à rendre explosive l’atmosphère des houillères.

1° Pendant la période de temps relativement calme ou sereine, lorsque la colonne de mercure reste durant plusieurs jours à une grande hauteur, à 763 millimètres environ, l’écoulement habituel du gaz se trouve arrêté par la haute densité de l’air, et sa tension augmente à l’intérieur des fissures. Mais si à cette période de pression atmosphérique élevée succède une diminution brusque de pression, indiquée par un abaissement considérable de la colonne barométrique, le gaz, délivré tout à coup de la pression atmosphérique qui le refoulait à l’intérieur, peut s’échapper en assez grande abondance pour rendre impuissants les moyens ordinaires de ventilation.

2° Même en supposant que le mécanisme de la ventilation ne soit pas changé, et que l’écoulement du gaz à l’intérieur de la mine soit constant en vitesse et en quantité, il est évident que la ventilation efficace, ou l’effet utile de la ventilation, varie en raison inverse de la température de l’air extérieur ; car l’efficacité de la ventilation dépend principalement de la différence de température entre l’air extérieur et l’air intérieur des galeries.

Une élévation considérable de température de l’air extérieur peut donc empêcher l’effet de la ventilation, ou le rendre impuissant à aspirer la même quantité de gaz que dans l’état normal. La proportion de grisou augmente alors, et l’atmosphère de la mine devient explosible.

Il est donc certain, a priori, que l’explosion est toujours à redouter lorsque le baromètre descend ou que le thermomètre monte subitement.

IV.

La comparaison ou le rapprochement des faits d’explosion avec les données météorologiques confirme pleinement ces conclusions théoriques.

Voulant mettre rigoureusement en évidence les relations entre les explosions d’une part, entre les diminutions de pression et les élévations de température de l’autre, M. Dobson a construit un tableau, pour dix années, qui permet d’embrasser d’un seul regard, pour un jour quelconque, les variations de pression et de température, et les cas d’explosion plus ou moins fréquents ; ce rapprochement très simple suffit pour constater qu’il est très peu d’explosions qui ne soient accompagnées, ou plutôt précédées des deux ou de l’une au moins des circonstances signalées par M. Dobson, comme favorisant l’écoulement du grisou, c’est-à-dire de la diminution brusque de la pression de l’air ou de l’élévation brusque de la température.

Un cas très remarquable qui vient à l’appui de cette assertion est le passage sur l’Angleterre de l’ouragan de 1854, dont la marche a été habilement tracée par M. Liais, et qui s’est terminé par une tempête sur la mer Noire. Cet ouragan a été signalé par cinq explosions, arrivées coup sur coup dans cinq mines différentes et en quatre jours, c’est-à-dire pendant la durée de la grande dépression du niveau barométrique causée par l’ouragan.

Les ouvriers mineurs de France et d’Angleterre ont remarqué depuis longtemps que les gaz inflammables sortaient en plus grande abondance des fissures des couches et tendaient davantage à envahir les galeries lorsque le baromètre était très bas ou que le vent soufflait plus chaud du sud ou du sud-ouest. On trouve ces observations consignées à plusieurs reprises dans les rapports présentés aux chambres des lords et des communes, en 1834, 1852, 1853, 1854, etc., par les sous-comités chargés des enquêtes sur les accidents des houillères.

V.

Il est un phénomène météorologique sur lequel M. Dobson appelle avec raison l’attention d’une manière tout à fait spéciale, parce qu’il se rattache d’une façon plus particulière encore et plus constante aux explosions des mines : ce sont les cyclones ou ouragans circulaires.

C’est au centre du cyclone que se trouve la plus grande dépression barométrique ; on comprend que lorsque ce centre passe sur le lieu occupé par une houillère, il doit amener et la sortie plus abondante du grisou et l’explosibilité de l’air des galeries.

Les observations de M. Dobson viennent à l’appui des lois des tempêtes que j’ai exposées avec détail dans le chapitre des ouragans.

On a pu constater que les ouragans obéissent à des influences invariables, qui ont permis de formuler leurs lois, lois générales pour les deux hémisphères. Elles se réduisent aux deux principes suivants, que nous rappelons :

1° Les ouragans sont des tourbillons de plus ou moins grand diamètre, dans lesquels la force du vent augmente de tous les points de la circonférence jusqu’au centre, où règne un calme d’une étendue et d’une durée variable.

2° Les tourbillons suivent une direction variable pour chaque hémisphère, mais à peu près constante pour chacun d’eux.

Les ouragans ne sont donc que de vastes trombes dont le diamètre considérable n’avait pas permis jusqu’à ces derniers temps d’apercevoir l’ensemble.

La dépression du baromètre augmente progressivement depuis les premières manifestations de l’ouragan jusqu’au centre, où il atteint le minimum de hauteur. On conçoit que ce phénomène puisse être intimement lié aux explosions des gaz dans les houillères.

Les conclusions pratiques que l’on peut tirer des recherches de M. Dobson et des lois des ouragans sont les suivantes :

1° Il est aussi nécessaire pour le mineur que pour le marin de consulter avec soin le baromètre et le thermomètre.

2° Les précautions à prendre, si l’on fait descendre les mineurs dans les mines au moment où le baromètre est très bas ou le thermomètre très haut, doivent être excessives. Il vaudrait mieux peut-être suspendre le travail.

3° Des observations barométriques et thermométriques faites à l’ouverture des puits des mines, à des intervalles réguliers suffisamment rapprochés, présentent un grand intérêt, ou plutôt sont tellement nécessaires, que les administrations devraient les imposer.


  1. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1875, 27 décembre.