Histoire du parlement/Édition Garnier/Avant-propos
Il n’appartient qu’à la liberté de connaître la vérité et de la dire. Quiconque est gêné, ou par ce qu’il doit à ses maîtres, ou par ce qu’il doit à son corps[2], est forcé au silence ; s’il est fasciné par l’esprit de parti, il ne devient que l’organe des erreurs.
Ceux qui veulent s’instruire de bonne foi sur quelque matière que ce puisse être doivent écarter tous préjugés autant que le peut la faiblesse humaine. Ils doivent penser qu’aucun corps, aucun gouvernement, aucun institut n’est aujourd’hui ce qu’il a été, qu’il changera comme il a changé, et que l’immutabilité n’appartient point aux hommes. L’empire est aujourd’hui aussi différent de celui de Charlemagne que de celui d’Auguste. L’Angleterre ne ressemble pas plus à ce qu’elle était du temps de Guillaume le Conquérant que la France ne ressemble à la France du temps de Hugues Capet ; et les usages, les droits, la constitution, sous Hugues Capet, n’ont rien des temps de Clovis : ainsi tout change d’un bout de la terre à l’autre. Presque toute origine est obscure, presque toutes les lois se contredisent de siècle en siècle. La science de l’histoire n’est que celle de l’inconstance ; et tout ce que nous savons bien certainement, c’est que tout est incertain.
Il y a bien peu de lois chez les peuples de l’Europe, soit civiles, soit religieuses, qui aient subsisté telles qu’elles étaient dans le commencement. Qu’on fouille les archives des premiers siècles, et qu’on voie si l’on y trouvera des évêques souverains, disant la messe au bruit des tambours, des moines princes, des cardinaux égaux aux rois et supérieurs aux princes.
Principibus præstant, et regibus æquiparantur[3].
Il fallut toujours rendre la justice : point de société sans tribunal ; mais qu’étaient ces tribunaux ? et comment jugeaient-ils ? Y avait-il une seule juridiction, une seule formalité qui ressemblât aux nôtres ?
Quand la Gaule eut été subjuguée par César, elle fut soumise aux lois romaines. Le gouvernement municipal, qui est le meilleur parce qu’il est le plus naturel, fut conservé dans toutes les villes : elles avaient leur sénat, que nous appelons conseil de ville, leurs domaines, leurs milices. Le conseil de la ville jugeait les procès des particuliers, et dans les affaires considérables on appelait au tribunal du préteur, ou du proconsul, ou du préfet. Cette institution subsiste encore en Allemagne, dans les villes nommées impériales ; et c’est, je crois, le seul monument du droit public des anciens Romains qui n’ait point été corrompu. Je ne parle pas du droit écrit, qui est le fondement de la jurisprudence dans la partie de l’Allemagne où l’on ne suit pas le droit saxon ; ce droit romain est reçu dans l’Italie et dans quelques provinces de France au-delà de la Loire.
Lorsque les Sicambres, ou Francs, dans la décadence de l’empire romain, vinrent des marais du Mein et du Rhin subjuguer une partie des Gaules, dont une autre partie avait été déjà envahie par des Bourguignons, on sait assez dans quel état horrible la partie des Gaules nommée France fut alors plongée. Les Romains n’avaient pu la défendre ; elle se défendit elle-même très-mal, et fut la proie des barbares.
Les temps, depuis Clovis jusqu’à Charlemagne, ne sont qu'un tissu de crimes, de massacres, de dévastations et de fondations de monastères, qui font horreur et pitié ; et après avoir bien examiné le gouvernement des Francs on n’y trouve guère d’autre loi bien nettement reconnue que la loi du plus fort. Voyons, si nous pouvons, ce que c'était alors qu’un parlement.
- ↑ Cet avant-propos est de Voltaire, et parut dès la première édition. (B.)
- ↑ Ce dernier trait regarde le président Hénault. Voyez le reproche que Voltaire lui fait de son silence sur la procédure contre le dauphin, depuis Charles VII, tome XII, page 40. Voyez aussi une note du chapitre I de l’Histoire du Parlement.
- ↑ Voyez la vingtième des Lettres d’Amabed, et aussi ce qui est dit des cardinaux dans le dialogue entre Lucien, Érasme et Rabelais (Mélanges, année 1765).