Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 18

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CHAPITRE XVIII.

DE L’ASSEMBLÉE DANS LA GRAND’SALLE DU PALAIS, À L’OCCASION DU DUEL ENTRE CHARLES-QUINT ET FRANÇOIS Ier.

Après que François Ier, mal conseillé par son courage et par l’amiral Bonnivet, eut perdu la bataille de Pavie, où il fit des actions de héros et où il fut fait prisonnier; après qu’il eut langui une année entière en prison, il fallut exécuter le fatal traité de Madrid, par lequel il avait promis de céder au victorieux Charles-Quint la Bourgogne, que cet empereur regardait comme le patrimoine de ses ancêtres. Il ne consulta, sur cette affaire délicate, ni le parlement de Paris, ni le parlement de Bourgogne établi par Louis XI ; mais il se fit représenter, à Cognac où il était, par des députés des états de Bourgogne, qu’il n’avait pu aliéner son domaine, et que, s’il persistait à céder la Bourgogne à l’empereur, ils en appelleraient aux états généraux, à qui seuls il appartenait d’en juger.

Les députés des états de Bourgogne savaient bien que les états généraux de l’empire avaient autant de droit que les états de France de juger cette question, ou plutôt qu’elle n’était que du ressort du droit de la guerre. Le vainqueur avait imposé la loi au vaincu : fallait-il que le vaincu accomplît ou violât sa promesse[1] ?

L’empereur, en reconduisant son prisonnier au delà de Madrid, l’avait conjuré de lui dire franchement, et sur sa foi de gentilhomme, s’il était dans la résolution d’accomplir le traité, et avait même ajouté qu’en quelque disposition qu’il fût il n’en serait pas moins libre. François Ier avait répondu qu’il tiendrait sa parole. L’empereur répliqua : « Je vous crois ; mais si vous y manquez, je publierai partout que vous n’en avez pas usé en homme d’honneur. » L’empereur était donc en droit de reprocher au roi que, s’il avait combattu en brave chevalier à Pavie, il ne se conduisait pas en loyal chevalier en manquant à sa promesse. Il dit aux ambassadeurs de France que le roi leur maître avait procédé de mauvaise foi, et que, quand il voudrait, il le lui soutiendrait seul à seul, c’est-à-dire dans un combat singulier[2].

Le roi, à qui on rapporta ce discours public, présenta sa réponse par écrit à l’ambassadeur de l’empereur, qui s’excusa de la lire, parce qu’il avait déjà pris congé. Vous l’entendrez au moins, dit le roi ; et il lui fit lire l’écrit signé de sa main et par Robertet, secrétaire d’État. Cet écrit portait en propres mots :

« Vous faisons entendre que si vous nous avez voulu ou voulez nous charger, que jamais nous ayons fait chose qu’un gentilhomme, aimant son honneur, ne doive faire, nous disons que vous avez menti par la gorge, et qu’autant de fois que vous le direz vous mentirez ; étant délibéré de défendre notre honneur jusqu’au dernier bout de notre vie ; pour quoi, puisque contre vérité vous nous avez voulu charger, désormais ne nous écrivez aucune chose, mais nous assurez le camp, et nous vous porterons les armes ; protestant que si, après cette déclaration, en autres lieux vous écrivez ou dites paroles qui soient contre notre honneur, que la honte du délai en sera vôtre ; vu que venant audit combat, c’est la fin de toutes écritures. Fait en notre bonne ville et cité de Paris, le vingt-huitième jour de mars de l’an 1527, avant Pâques. François. »

(10 septembre 1528) Le roi envoya ce cartel à l’empereur par un héraut d’armes. Charles-Quint envoya sa réponse par un autre héraut. Le roi la reçut dans la grand’salle du palais ; il était sur un trône élevé de quinze marches devant la table de marbre. À sa droite, sur un grand échafaud, étaient assis le roi de Navarre, le duc d’Alençon, le comte de Foix, le duc de Vendôme, le duc de Ferrare de la maison d’Esté, le duc de Chartres, le duc d’Albanie, régent d’Écosse. De l’autre côté étaient le cardinal Salviati, légat du pape, les cardinaux de Bourbon, Duprat, de Lorraine, l’archevêque de Narbonne.

Au-dessous des princes étaient les présidents et les conseillers du parlement, et au-dessous du banc des prélats étaient les ambassadeurs. Ce fut la première fois que le parlement en corps prit place dans une assemblée de tous les grands et de tous les ministres étrangers : et il y tint la place la plus honorable qu’on pût lui donner.

Il est vrai que ce grand appareil se réduisit à rien ; le roi ne voulut écouter le héraut de l’empereur qu’en cas qu’il apportât la sûreté du camp, c’est-à-dire la désignation du lieu où Charles-Quint voulait combattre. En vain le héraut voulut parler, le roi lui imposa silence.

Nous ne rapportons ici cette illustre et vaine cérémonie que pour faire voir dans quelle considération était alors le parlement de Paris. Les maîtres des requêtes et les conseillers du grand conseil furent placés derrière les évêques pairs de France, et les autres prélats ; les membres de la chambre des comptes n’eurent point de séance, quoique d’ordinaire ils en aient une égale à celle du parlement, dans toutes les cérémonies publiques.

L’ordre des cérémonies a changé en France comme tout le reste. À l’entrée du roi Louis XII, les processions des paroisses marchèrent les premières, celles des quatre ordres mendiants les secondes ; elles furent suivies de la chambre des comptes, ensuite parut l’Hôtel de Ville ; il fut suivi du Châtelet ; après le Châtelet venait le parlement en robes rouges ; les chevaliers de l’hôtel du roi et deux cents hommes d’armes suivaient à cheval, et le prévôt de Paris à cheval avec douze gardes fermait la marche. L’université ne parut point ; elle attendit le roi à la porte de Notre-Dame.

Le cérémonial observé à l’entrée de François Ier fut tout différent ; et il y eut encore des changements à celles de Henri II et de Charles IX, tant l’inconstance a régné dans les petites choses comme dans les grandes, et dans la forme de l’appareil comme dans la forme du gouvernement.

(1537) Le parlement fit une nouvelle cérémonie à laquelle on ne pouvait donner un autre nom : ce fut de condamner juridiquement l’empereur Charles-Quint. Il faisait toujours la guerre à François Ier, et l’accusait devant toute l’Europe d’avoir violé sa parole, et d’avoir appelé les Turcs en Italie. Le roi le fit ajourner comme son vassal pour les comtés de Flandre et d’Artois. Il faut être bien sûr d’être le maître chez soi pour faire de telles procédures. Il oubliait que dans le traité de Madrid il avait racheté sa liberté par la cession de toutes ses prétentions sur ces fiefs.

Il vint donc au parlement avec les princes et les pairs ; l’avocat général Cappel fit un réquisitoire contre Charles-Quint. On rendit arrêt par lequel on citerait Charles, empereur, à son de trompe sur la frontière ; et l’empereur n’ayant pas répondu, le parlement confisqua la Flandre, l’Artois et le Charolois, dont l’empereur resta le maître[3].


    tome II ; et voyez, sur tous les articles précédents, le Recueil des édits et ordonnances, le président de Thou, le comte de Boulainvilliers, et tous les historiens. (Note de Voltaire.)

  1. Un roi peut-il avoir le droit de soumettre une de ses provinces à un prince étranger ?

    Une assemblée nationale a-t-elle le pouvoir de priver des citoyens de leur droit de cité, et de les forcer de faire partie d’un autre peuple ? La solution de ces questions sera-t-elle la même pour les pays où le droit de cité est attaché à la propriété territoriale, et pour ceux où il en est indépendant ?

    Nous n’entreprendrons point de décider ces questions ; mais il est clair que si François Ier n’avait pas le droit de céder la Bourgogne, s’il avait fait une promesse qu’il ne pouvait pas tenir, il était obligé de se remettre entre les mains de l’empereur. (K.)

  2. Comparez ce qui est dit à ce sujet dans le chapitre CXXIV de l’Essai sur les Mœurs.
  3. Deux ans après, ce même parlement complimenta ce même empereur, et tint séance sous la présidence de Charles-Quint ; voyez, tome XIII, les Annales de l’Empire, année 1739.