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Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 28

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CHAPITRE XXVIII.

SUITE DES GUERRES CIVILES. RETRAITE DU CHANCELIER DE L’HOSPITAL. JOURNÉE DE LA SAINT-BARTHÉLEMY. CONDUITE DU PARLEMENT.

Auguste de Thou, contemporain, qui fut longtemps le témoin des malheurs de sa patrie, qui voulut en vain les adoucir, et qui les a racontés avec tant de vérité, nous apprend que l’inobservation des édits, les supplices, les bannissements, le dépouillement des biens, les meurtres réitérés et toujours impunis, déterminèrent enfin les protestants à se défendre. Ils étaient alors au nombre de plus d’un million qui ne voulaient plus être persécutés par les quatorze ou quinze autres dont la France était composée. Ils étaient persuadés que dans le voyage de Charles IX par toutes les provinces de la France, le roi et la reine sa mère avaient vu secrètement le duc d’Albe à Bayonne, et qu’excités par le pape et par le cardinal de Lorraine ils avaient pris des mesures sanglantes avec ce duc d’Albe pour exterminer en France la religion qu’on appelait la réformée et la seule véritable.

On donna d’abord sous les murs de Paris la bataille de Saint-Denis[1], où le connétable de Montmorency reçut sept blessures mortelles. Le chancelier de l’Hospital, après chaque bataille, trouvait le moyen de faire rendre un édit de pacification. Ils étaient aussi nécessaires qu’ils devinrent inutiles : celui-ci, qui était très-ample, et qui accordait la plus grande liberté de conscience, fut enregistré au parlement de Paris (27 mars 1568) ; mais quand le roi eut fait porter cet édit au parlement de Toulouse par un gentilhomme nommé Rapin, qui avait appartenu au prince de Condé, le parlement de Toulouse, au lieu de faire vérifier l’édit, fit couper la tête à Rapin. On peut juger si une telle violence servit à concilier les esprits. Elle fut d’autant plus funeste qu’elle demeura impunie. Le meurtre de René de Savoie, comte de Cipierre, assassiné dans la ville de Fréjus avec toute sa suite pour avoir favorisé la religion protestante, qui n’était pas la sienne, fut un nouveau signal de guerre.

Pour comble de malheur, précisément dans ce temps-là, le pape Pie V, Ghisleri, autrefois dominicain, violent persécuteur d’une religion ennemie de son pouvoir, envoya au roi une bulle qui lui permettait d’aliéner le fonds de cinquante mille écus de rente de biens ecclésiastiques, à condition qu’il exterminerait les huguenots dans son royaume.

L’Hospital s’opposa fortement dans le conseil à cette bulle, qui trafiquait du sang des Français ; mais le cardinal de Lorraine l’emporta. L’Hospital se retira dans sa maison de campagne, et se démit de sa place de chancelier. Il est à croire que s’il eût gardé cette place, les calamités de la France auraient été moins horribles, et qu’on n’aurait pas vu arriver la journée de la Saint-Barthélemy.

Dès que le seul homme qui inspirait des sentiments de douceur fut sorti du conseil, la cour fut entièrement livrée au cardinal de Lorraine et au pape ; on révoqua tous les édits de paix, on en publia coup sur coup qui défendaient sous peine de la vie toute autre religion que la catholique romaine. On ordonna à tous les prédicants ou ministres calvinistes de sortir du royaume quinze jours après la publication. Les protestants furent privés de leurs charges et de la magistrature. Le parlement de Paris, en publiant ces édits, y ajouta une clause, ce qui ne s’était jamais fait auparavant. Cette clause était qu’à l’avenir tout homme reçu en charge ferait serment de vivre et de mourir dans la religion catholique romaine, et cette loi a subsisté depuis dans toute sa force.

Ces édits, qui ordonnaient à des milliers de citoyens de changer de religion, ne pouvaient produire que la guerre : toute la France fut encore un théâtre de carnage.

La bataille de Jarnac[2], suivie de plus de vingt combats, signala l’année 1569, qui finit par la bataille de Montcontour[3], la plus meurtrière de toutes. L’amiral de Coligny était alors le chef le plus renommé des protestants (13 septembre 1569). Le parlement de Paris le condamna à la mort, et l’arrêt promettait cinquante mille écus à quiconque le livrerait vivant. (28 septembre) Le procureur général Bourdin requit qu’on donnât la même somme à quiconque l’assassinerait, et que, quand même l’assassin serait coupable de crime de lèse-majesté, on lui promît sa grâce. L’arrêt fut ainsi réformé suivant le réquisitoire. On donna un pareil arrêt contre Jean de La Ferrière, vidame de Chartres, et contre le comte de Montgomery ; leurs effigies avec celle de l’amiral furent traînées dans un tombereau, et pendues à une potence ; mais les têtes de La Ferrière et de Montgomery ne furent point mises à prix.

Ce fut là le premier exemple des proscriptions, depuis celles du triumvirat romain. Le cardinal de Lorraine fit traduire en latin, en allemand, en italien, et en anglais, cet arrêt de proscription.

Un des valets de chambre de Coligny, nommé Dominique d’Albe, crut pouvoir mériter les cinquante mille écus en empoisonnant son maître ; mais il eût été douteux qu’un empoisonnement, difficile d’ailleurs à prouver, lui eût valu la somme promise. Il fut reconnu sur le point d’exécuter son crime, et pendu avec cet écriteau : Traître envers Dieu, sa patrie, et son maître.

Le parti protestant, malgré les pertes de Jarnac et de Montcontour, faisait de grands progrès dans le royaume ; il était maître de la Rochelle et de la moitié du pays au delà de la Loire. Le jeune Henri, roi de Navarre, depuis roi de France, et le prince Henri de Condé, son cousin, avaient succédé au prince Louis de Condé, tué à la bataille de Jarnac. Jeanne de Navarre avait elle-même présenté son fils aux troupes et aux députés des églises protestantes, qui le reconnurent pour leur chef, tout jeune qu’il était.

Les protestants reprenaient de nouvelles forces et de nouvelles espérances. La cour manquait d’argent, malgré les bulles du pape. Elle fut obligée d’envoyer demander la paix à Jeanne de Navarre, mère de Henri IV. L’amiral Coligny, chef du parti au nom de ce prince, était très-lassé de la guerre : la cour enfin se crut heureuse de revenir au système du chancelier de L’Hospital ; elle abolit tous les édits nouveaux qui ôtaient aux calvinistes leurs emplois et la liberté de conscience ; on leur laissa leurs temples dans Paris et à la Cour. On leur permit même dans le Languedoc de ne plus dépendre du parlement de Toulouse, qui avait fait trancher la tête au calviniste Rapin, envoyé du roi lui-même. Ils pouvaient porter toutes leurs causes, des juridictions subalternes du Languedoc aux maîtres des requêtes de l’hôtel. Ils pouvaient, dans les parlements de Rouen, de Dijon, d’Aix, de Grenoble, de Rennes, récuser à leur choix six juges, soit présidents, soit conseillers, et quatre dans Bordeaux. On leur abandonnait pour deux ans les villes de la Rochelle, Montauban, Cognac, et la Charité : c’était plus qu’on n’avait jamais fait pour eux ; et cependant l’édit fut enregistré au parlement de Paris et par tous les autres sans aucune représentation.

La misère publique, causée par la guerre et devenue extrême, fut la cause de ce consentement général. Cette paix, qu’on appela mal assise et boiteuse[4], fut conclue le 15 auguste 1570. La cour de Rome ne murmura point ; son silence fit penser qu’elle était instruite des desseins secrets de Catherine de Médicis et de Charles IX, son fils. La cour accordait des conditions trop favorables aux protestants pour qu’elles fussent sincères. Le dessein était pris d’exterminer pendant la paix ceux qu’on n’avait pu détruire par la guerre. Sans cela, il n’eût pas été naturel que le roi pressât l’amiral Coligny de venir à la cour, qu’on l’accablât de grâces extraordinaires, et qu’on rendît sa place dans le conseil au même homme qu’on avait pendu en effigie et dont la tête était proscrite. On lui permit même d’avoir auprès de lui cinquante gentilshommes dans Paris : c’était probablement cinquante victimes de plus qu’on faisait tomber dans le piége.

Enfin arriva la journée de la Saint-Barthélemy[5], préparée depuis deux années entières : journée dans laquelle une partie de la nation massacra l’autre, où l’on vit les assassins poursuivre les proscrits jusque sous les lits et dans les bras des princesses qui intercédaient en vain pour les défendre, où enfin Charles IX lui-même tirait d’une fenêtre de son Louvre sur ceux de ses sujets qui échappaient aux meurtriers[6]. Les détails de ces massacres, que je dois omettre ici, seront présents à tous les esprits jusqu’à la dernière postérité.

Je remarquerai seulement que le chancelier de Birague[7], qui était garde des sceaux cette année, fut, ainsi qu’Albert de Gondi, depuis maréchal de Retz, un de ceux qui préparèrent cette journée. Ils étaient tous deux Italiens. Birague avait dit souvent que, pour venir à bout des huguenots, il fallait employer des cuisiniers, et non pas des soldats. Ce n’était pas là le chancelier de L’Hospital.

La journée de la Saint-Barthélemy fut ce qu’il y a jamais eu de plus horrible. La manière juridique dont la cour voulut soutenir et justifier ces massacres fut ce qu’on a vu jamais de plus lâche. Charles IX alla lui-même au parlement le troisième jour des massacres, et pendant qu’ils duraient encore. Il présupposa que l’amiral de Coligny et tous ceux qu’on avait égorgés, et dont on continuait de poursuivre la vie, avaient fait une conspiration contre sa personne et contre la famille royale, et que cette conspiration était prête d’éclater quand on se vit obligé de l’étouffer dans le sang des complices.

Il n’était pas possible que Coligny, assassiné trois jours avant par Maurevert, presque sous les yeux du roi, et blessé très-dangereusement, eût fait dans son lit cette conspiration prétendue.

C’était le temps des vacances du parlement ; on assembla exprès une chambre extraordinaire. Cette chambre condamna, le 27 septembre 1572, l’amiral Coligny, déjà mort et mis en pièces, à être traîné sur la claie, et pendu à un gibet dans la place de Grève, d’où il serait porté aux fourches patibulaires de Montfaucon. Par cet arrêt, son château de Châtillon-sur-Loing fut rasé ; les arbres du parc coupés ; on sema du sel sur le territoire de cette seigneurie ; on croyait par là rendre ce terrain stérile, comme s’il n’y eût pas eu dans ces temps déplorables assez de friches en France. Un ancien préjugé faisait penser que le sel ôte à la terre sa fécondité : c’est précisément tout le contraire ; mais l’ignorance des hommes égalait alors leur férocité.

Les enfants de Coligny, quoique nés du sang le plus illustre, furent déclarés roturiers[8], privés non-seulement de tous leurs biens, mais de tous les droits de citoyens, et incapables de tester. Enfin le parlement ordonna qu’on ferait tous les ans à Paris une procession pour rendre grâces à Dieu des massacres, et pour en célébrer la mémoire. Cette procession ne se fit point parce que les temps changèrent, et cette honte fut du moins épargnée à la nation.

Par un autre arrêt du même jour, deux gentilshommes, amis de l’amiral, Briquemaut et Cavagnes, échappés aux assassins de la Saint-Barthélemy, furent condamnés à être pendus comme complices de la prétendue conspiration ; ils furent traînés le même jour dans un tombereau à la Grève, avec l’effigie de l’amiral. De Thou assure que le roi et Catherine sa mère vinrent jouir de ce spectacle à l’Hôtel de Ville, et qu’ils y traînèrent le roi de Navarre, notre Henri IV.

La cour avait d’abord écrit dans plusieurs provinces que les massacres de Paris n’avaient été qu’un léger tumulte excité par la conspiration de l’amiral ; mais, par un second courrier, on envoya dans toutes les provinces un ordre exprès de traiter les protestants comme on les avait traités à Paris[9].

Les peuples de Lyon et de Bordeaux furent ceux qui imitèrent la fureur des Parisiens avec le plus de barbarie. Un jésuite nommé Edmond Ogier excitait le peuple de Bordeaux au carnage, un crucifix à la main. Il mena lui-même les assassins chez deux conseillers au parlement dont il croyait avoir à se plaindre, et qu’il lit égorger sous ses yeux[10].

Le cardinal de Lorraine était alors à Rome. La cour lui dépêcha un gentilhomme pour lui porter ces nouvelles. Le cardinal lui fit sur-le-champ présent de mille écus d’or. Le pape Grégoire XIII fit incontinent tirer le canon du château Saint-Ange ; on alluma le soir des feux de joie dans toute la ville de Rome. Le lendemain le pape, accompagné de tous les cardinaux, alla rendre grâces à Dieu dans l’église de Saint-Marc et dans celle de Saint-Louis ; il y marcha à pied en procession ; l’ambassadeur de l’empereur lui portait la queue, le cardinal de Lorraine dit la messe ; on frappa des médailles sur cet événement (j’en ai eu une entre les mains) ; on fit faire un grand tableau dans lequel les massacres de la Saint-Barthélemy étaient peints. On lit dans une banderole, au haut du tableau, ces mots : Pontifex Colinii necem probat[11].

Charles IX ne survécut pas longtemps à ces horreurs. Il vit que, pour comble de malheurs, elles avaient été inutiles. Les protestants de son royaume, n’ayant plus d’autre ressource que de vendre chèrement leur vie, furent encouragés par leur désespoir. L’atrocité de la Saint-Barthélemy fit horreur à un grand nombre de catholiques qui, ne pouvant croire qu’une religion si sanguinaire pût être la véritable, embrassèrent la protestante.

Charles IX, dévoré de remords et d’inquiétude, tomba dans une maladie mortelle. Son sang s’alluma et se corrompit ; il lui sortait quelquefois par les pores ; le sommeil le fuyait, et quand il goûtait un moment de repos, il croyait voir les spectres de ses sujets égorgés par ses ordres ; il se réveillait avec des cris affreux, tout trempé de son propre sang, effrayé de celui qu’il avait répandu, n’ayant pour consolation que sa nourrice, et lui disant avec des sanglots : « Ah ! ma nourrice, que de sang ! que de meurtres ! qu’ai-je fait ! je suis perdu. »

Il mourut le 30 mai 1574, n’ayant pas encore vingt-quatre ans[12]. Le président Hénault a remarqué que le jour de ses obsèques à Saint-Denis, le parlement, étant à table, envoya un huissier commander au grand aumônier Amyot de venir lui dire grâce, comme au roi de France. On croit bien que le grand aumônier refusa de venir à cette cérémonie.



  1. 10 novembre 1566. (Note de Voltaire.)
  2. 13 mars 1569. (Note de Voltaire.)
  3. 3 octobre 1569.
  4. Cette paix fut ainsi appelée, parce que, dit Daniel, elle avait été conclue, au nom du roi, par les sieurs de Biron et de Mesmes, dont le premier était boiteux, et l’autre portait le nom de sa seigneurie de Malassise.
  5. 24 août 1572. (Note de Voltaire.)
  6. Le texte de Brantôme, qui rapporte cette particularité, est transcrit dans une note du chant deuxième de la Henriade. On avait, en 1793, placé devant cette fenêtre, qui est sur le quai du Louvre, à l’extrémité méridionale de la galerie d’Apollon, un poteau avec une inscription. Bonaparte, premier consul, fit disparaître, en 1802, ce poteau qui, suivant quelques personnes, aurait dû être placé ailleurs et sur la rue des Poulies. Voici l’inscription qu’on avait mise sur le poteau : C’est de cette fenêtre que l’infâme Charles IX, d’exécrable mémoire, a tiré sur le peuple avec une carabine. (B.) — Voyez tome VIII, page 82.
  7. Il est omis comme garde des sceaux dans l’Abrégé chronologique du président Hénault. (Note de Voltaire.)
  8. On a vu, tome XII, page 472, que Philippe II accorda à la famille de l’assassin Gérard des lettres de noblesse dont elle jouit longtemps.
  9. Voyez, dans le tome VIII, lEssai sur les Guerres civiles de France. Une lettre de Charles IX, dont une copie fait partie du manuscrit de la Bibliothèque du roi, intitulé Lettres et Dépêches du roi à monsieur de Mandelot, prouve qu’on avait envoyé dans les provinces des hommes chargés d’ordres verbaux et secrets tout contraires aux dépêches publiques qui avaient été adressées aux gouverneurs. (B.)
  10. Ils se nommaient Guilloche et Sevin. (Note de Voltaire.)
  11. Il paraît que Paul, écuyer du duc de Guise, porta à Rome la tête de Coligny. C’est ce qu’on peut conclure de ce passage (publié en 1828 dans le tome VII des Archives historiques du département du Rhône, page 432) d’une lettre de Mandelot, gouverneur de Lyon, à Charles IX, en date du 5 septembre 1572 : « J’ai aussi reçu, sire, la lettre qu’il a pleu à V. M. m’escrire, par laquelle elle me mande d’avoir esté avertie qu’il y a un homme qui est parti de par delà avec la teste qu’il auroit prise dudit admiral, après avoir été tué, pour la porter à Rome, et de prendre garde, quand ledit homme arrivera en ceste ville, de le faire arrester, et lui oster ladite teste ; à quoy j’ay incontinent donné si bon ordre que, s’il se présente, le commandement qu’il plait à V. M. m’en faire sera ensuivi. Et n’est passé jusques icy par ceste ville autre personne, pour s’en aller du côté de Rome, qu’un escuyer de M. de Guise, nommé Paul, lequel estoit parti quatre heures auparavant du jour mesme que je reçus ladite lettre de V. M. »

    Ce fut par les pieds que le corps de l’amiral fut pendu au gibet de Montfaucon. (B.)

  12. On lit : n’ayant pas encore vingt-quatre ans, dans toutes les éditions données du vivant de Voltaire. Charles IX, né le 27 juin 1550, mourut âgé de vingt-trois ans onze mois trois jours. C’est donc par erreur que quelques éditions portent : n’ayant pas encore vingt-cinq ans. (B.)