Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 29
Charles IX, douze jours avant sa mort, sentant sa fin approcher, remit le gouvernement entre les mains de Catherine sa mère, le 18 mai. Le lendemain on dressa les patentes qui la déclaraient régente jusqu’à l’arrivée de son frère Henri, qui était alors en Pologne. Ces patentes ne furent enregistrées au parlement de Paris que le 3 juin. L’acte porte que « la reine a bien voulu accepter la régence aux instantes prières du duc d’Alençon, du roi de Navarre, du cardinal de Bourbon, et des présidents et conseillers à ce députés ». Ce fut alors seulement qu’elle prit le titre de reine régente.
Henri III, roi de Pologne, s’échappa bientôt de Varsovie pour venir tenir d’une main faible, quoique sanguinaire, les rênes du plus malheureux des États, et du plus mauvais gouvernement qui fût alors au monde.
Le duc Henri de Guise, surnommé le Balafré, prit la place de François son père, et son frère Louis, cardinal, celle du cardinal de Lorraine. Tous deux se mirent à la tête de l’ancien parti, toujours opposé aux princes de la maison de Bourbon.
Le cardinal de Lorraine avait imaginé le projet de la Ligue, le duc de Guise et son frère l’exécutèrent. Elle commença en Picardie, en 1576, au milieu même de la paix que Henri III venait d’accorder à ses sujets. Il avait déclaré, dans l’assemblée de Moulins, qu’il désavouait la Saint-Barthélemy, à laquelle il n’avait eu que trop de part. Il réhabilitait la mémoire de Coligny et de tous ses amis que le parlement avait condamnés ; il donnait des places de sûreté au parti protestant, et même il lui donnait, dans chacun des huit parlements[1] qui partageaient alors la juridiction de tout le royaume, une chambre mi-partie de catholiques et de protestants pour juger leurs procès sans partialité. Les Guises prirent ce temps pour faire cette fameuse et longue conspiration sous le nom de sainte Ligue.
Le président Hennequin, un conseiller au Châtelet, nommé La Bruyère, et son père, parfumeur sur le Pont-au-Change, furent les premiers qui allumèrent l’embrasement dans Paris. Le roi se trouva, au bout de trois mois, entouré d’un parti formidable dépendant des Guises et du pape.
Cette conspiration de la moitié du royaume n’avait rien qui annonçât la rébellion et la désobéissance au roi. La religion la rendait respectable et dangereuse. Henri III crut s’en rendre maître en s’en déclarant le chef ; mais il n’en fut que l’esclave, et ensuite la victime. Il se vit obligé de révoquer tous ses édits et de faire la guerre au roi de Navarre, qui fut depuis heureusement son successeur, mais pour trop peu de temps, et qui seul pouvait être son défenseur. Il assembla d’abord les premiers états de Blois, le 3 décembre 1576. Le tiers état y fut assis aussi bien que le clergé et la noblesse. Les princes du sang y prirent place suivant l’ordre de leur naissance, et non pas suivant celui des pairies, comme il se pratiquait autrefois ; la proximité de la couronne régla leur rang, et ils prirent le pas sans difficulté sur tous les autres pairs du royaume. On en fit une déclaration qui fut enregistrée le 8 janvier 1577. Le parlement n’eut de place à ces états ni en corps, ni par députés ; mais le premier président de la chambre des comptes, Antoine Nicolaï, vint y prendre séance et y parler, et chacun des trois ordres nomma des commissaires pour examiner avec lui les besoins de l’État[2].
Ces premiers états de Blois ne donnèrent point d’argent au roi, qui en avait un extrême besoin ; mais le clergé demanda la publication du concile de Trente, dont plus de vingt-quatre décrets étaient directement contraires aux lois du royaume et aux droits de la couronne. La noblesse et le tiers état s’y opposèrent avec force. Les trois ordres ne se réunirent que pour laisser le roi dans l’indigence où ses profusions et une guerre malheureuse contre son héritier présomptif l’avaient réduit.
On a prétendu qu’à ces premiers états de Blois les députés des trois ordres avaient été chargés d’une instruction approuvée du roi, portant que « les cours des parlements sont des états généraux au petit pied ». Cette anecdote se trouve dans l’Examen d’une histoire de Henri IV, assez inconnue, composée par un écrivain nommé M. de Bury ; mais l’auteur de l’Examen[3] se trompe. Il est très-faux, et il n’est pas possible que les états généraux aient ordonné à leurs députés de dire au roi que les parlements sont des états généraux. L’instruction porte ces propres paroles : » Il faut que tous édits soient vérifiés et comme contrôlés ès cours de parlement, lesquelles, combien qu’elles ne soient qu’une forme des trois états, raccourcie au petit pied, ont pouvoir de suspendre, modifier et refuser lesdits édits[4]. Voyez les Mémoires de Nevers, page 449 du premier volume. Ainsi les premiers états de Blois ont dit à peu près le contraire de ce qu’on veut leur faire dire. Il faut, en critiquant une histoire, citer juste et se mettre soi-même à l’abri de la critique ; il faut surtout considérer que c’était alors un temps de troubles et de factions.
Le roi, qui dans la décadence de ses affaires se consolait par les plaisirs, permit à des comédiens italiens, dont la troupe se nommait Gli Gelosi, d’ouvrir un théâtre à l’hôtel de Bourbon. Le parlement leur en fit défense sous peine de dix mille livres d’amende. Ils jouèrent malgré l’arrêt du parlement, en avril 1577, avec un concours prodigieux. On ne payait que quatre sous par place. Un fait si petit serait indigne de l’histoire s’il ne servait à prouver qu’alors l’influence de la cour de Rome avait mis la langue italienne à la mode dans Paris, que l’argent y était extrêmement rare, et que la simple volonté du roi suffisait pour rendre un arrêt du parlement inutile.
Henri III jouait alors une autre comédie. Il s’était enrôlé dans la confrérie des flagellants. On ne peut mieux faire que de rapporter les paroles d’Auguste de Thou. « Ces pénitents, dit-il, ont donné un sens détourné à ce passage des psaumes où David dit qu’il est soumis aux fléaux de la colère du Seigneur, quoniam ego in flagella paratus sum[5] ; et, dans leur mascarade, ils allaient se fouettant par les rues. »
Le parlement ne rendit point d’arrêt contre cet abus dangereux, autorisé malheureusement par le roi même. Le cardinal de Lorraine, qui avait assisté comme lui, pieds nus, à la première procession des flagellants, en 1574, en avait remporté une maladie qui l’avait mis au tombeau. Le roi se crut obligé de donner cette farce au peuple pour imposer silence à la Ligue, qui commençait à se former, et au peuple, qui le croyait protecteur secret des hérétiques ; mais comme il mêlait à cette dévotion ridicule des débauches honteuses trop connues, il se rendit méprisable au peuple même qu’il voulait séduire. Il crut, lorsque la Ligue éclata, qu’il la contiendrait en se mettant lui-même à la tête ; mais il ne vit que c’était la confirmer solennellement, et lui donner des armes contre lui-même. Toutes ces démarches servirent à creuser son précipice : la Ligue l’obligea à tourner contre Henri de Navarre les armes qu’il aurait voulu employer contre elle.
Ce fut pendant cette guerre, et après la bataille de Coutras, que le prince Henri de Condé mourut empoisonné à Saint Jean-d’Angely en Saintonge. Le 5 mars 1588. Il faut voir sur cet empoisonnement avéré la lettre de Henri IV à la comtesse de Grammont, Corisande d’Andouin ; c’est un des monuments les plus précieux de ces temps horribles[6].
Le grand prévôt de Saint-Jean-d’Angely fit tirer à quatre chevaux le nommé Ancellin Brillant[7], ancien avocat au parlement de Bordeaux, et maître d’hôtel ou contrôleur du prince, convaincu d’avoir fourni le poison. On exécuta en effigie Belcastel, page de la princesse de Condé ; on mit en prison la princesse elle-même ; elle en appela à la cour des pairs. Elle fut longtemps prisonnière, et ce ne fut que sous le règne de Henri IV que le parlement, sans être assisté d’aucun pair, la déclara innocente.
- ↑ Il n’y avait alors en France que huit parlements, savoir :
I.Paris, établi en1302II.Toulouse,1444III.Grenoble,1453IV.Bordeaux,1462V.Dijon,1494VI.Aix,1501VII.Rouen,1515VIII.Rennes,1553
Il y en avait douze en 1762, lorsque Voltaire publia les Idées républicaines (voyez les Mélanges, année 1762). Les quatre nouveaux étaient :
IX.Pau, établi en1620X.Metz1634XI.Besançon1676XII.Douai,1686Il y avait eu un parlement de Dombes, qui siégea à Lyon, puis à Trévoux, alors enclavé, et qui fut supprimé en 1775. (B.)
- ↑ Le P. Daniel ne parle d’aucun de ces faits : c’est qu’il apprenait l’histoire de France à mesure qu’il l’écrivait. (Note de Voltaire.)
- ↑ L’Examen de la nouvelle Histoire de Henri IV, de M. de Bury, par M. le marquis de B***, lu dans une séance d’Académie, auquel on a joint une pièce analogue, Genève, 1768, in-8°, a été attribué à Voltaire. Le ton sur lequel il en parle ici ne permet guère d’adopter cette opinion. J’ai vu un exemplaire de l’Examen, avec des notes de la main de Wagnière, secrétaire de Voltaire. Ces notes, où l’auteur de l’Examen est combattu sans ménagement, sont presque toutes reproduites dans l’édition de l’Examen, qui fait partie du tome II de l’Évangile du jour.
La Pièce analogue, imprimée à la suite de l’Examen, est le morceau intitulé le président de Thou justifié (voyez les Mélanges, année 1766).
Dans le chapitre XI de ses Fragments sur l’histoire générale (voyez les Mélanges, année 1773), Voltaire traite l’Examen de libelle, et en cite un passage qu’il avait déjà cité dans ses Questions sur l’Encyclopédie, au mot Quisquis. Il paraît que La Beaumelle, à qui, depuis son exil en Provence, il était défendu d’écrire, pria le marquis de Belestat de se laisser attribuer l’Examen. Si Voltaire eût été auteur de l’Examen, il ne l’aurait pas critiqué si souvent, ni si vivement. (B.)
- ↑ On commençait alors, en Europe, à s’apercevoir que les hommes avaient des droits antérieurs et supérieurs à toutes les lois positives. À la vérité, au lieu de chercher ces droits dans la nature, on les cherchait dans la Bible, dans la Mythologie, dans les lois des républiques grecques, dans les coutumes des peuples barbares. La science retardait les progrès de la raison. Cependant on sentit aux états de Blois que le roi, n’étant pas obligé d’assembler les états généraux à des époques fixes, et conservant dans l’intervalle le pouvoir de faire des lois, il devenait absolu, à moins que les états ne donnassent à des corps perpétuels le droit de refuser ou de modifier les édits. On choisit les corps qui, composés de seigneurs, de prêtres et de gradués, étaient une image en raccourci des trois états du royaume. Si les parlements opposaient de la résistance à des édits justes et utiles à la nation, le roi pouvait appeler de leur refus aux états généraux. On est trop éclairé maintenant pour ne pas voir que ce système des états de Blois n’était propre qu’à faire de la France une aristocratie, gouvernement toujours d’autant plus tyrannique que les membres de l’aristocratie sont moins considérables par eux-mêmes. Il était plus simple de rendre les états généraux périodiques, et de ne regarder comme loi que ce qui serait adopté par eux. Si le duc de Guise eût voulu le bien de l’État il eût pu faire ce changement : mais il ne voulait qu’avilir Henri III, et flatter le parlement, dont il croyait avoir besoin. (K.)
- ↑ Psaume XXXVII, verset 18.
- ↑ Les lettres de Henri IV sur cet événement se trouvent à la suite du chapitre CLXXIV de l’Essai sur les Mœurs, tome XII, page 564.
- ↑ C’est ainsi que le nomme Henri IV dans sa lettre. (Note de Voltaire.)