Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 5
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Dans les horribles malheurs qui affligèrent la France sous Charles VI, toutes les parties de l’administration furent également abandonnées. On oublia même de renouveler les commissions aux juges du parlement, et ils se continuèrent eux-mêmes dans leurs fonctions, au lieu de les abandonner. C’est en quoi ils rendirent un grand service à l’État, ou du moins aux provinces de leur ressort, qui n’auraient plus eu aucun recours pour demander justice.
Ce fut dans ce temps-là même que les seigneurs qui étaient juges, obligés l’un après l’autre d’aller défendre leurs foyers à la tête de leurs vassaux, quittèrent le tribunal. Les jurisconsultes qui, dans la première institution, ne servaient qu’à les instruire, se mirent à leur place : ceux qui devinrent présidents prirent l’habit des anciens chevaliers ; les conseillers retinrent la robe des gradués, qui était serrée comme elle l’est encore en Espagne, et ils lui donnèrent ensuite plus d’ampleur.
Il est vrai qu’en succédant aux barons, aux chevaliers, aux seigneurs, qu’ils surpassaient en science, ils ne purent participer à leur noblesse: nulle dignité alors ne faisait un noble. Les premiers présidents Simon de Bussy, Bracq, Dauvet, les chanceliers mêmes Guillaume de Dormans et Arnaud de Corbie, furent obligés de se faire anoblir.
On peut dire que c’est une grande contradiction que ceux qui jugent souverainement les nobles ne jouissent pas des droits de la noblesse ; mais enfin telle fut leur condition dans un gouvernement originairement militaire, et j’oserais dire barbare. C’est en vain qu’ils prirent les titres de chevaliers ès lois, de bacheliers ès lois, à l’imitation des chevaliers et des écuyers ; jamais ils ne furent agrégés au corps de la noblesse ; jamais leurs enfants n’entrèrent dans les chapitres nobles. Ils ne purent avoir de séance dans les états généraux ; le baronnage n’aurait pas voulu les recevoir, et ils ne voulaient pas être confondus dans le tiers état. (1355) Lors même que les états généraux se tinrent dans la grande salle du palais, aucun membre du parlement, qui siégeait dans la chambre voisine, n’eut place dans cette salle. Si quelque baron conseiller y fut admis, ce fut comme baron, et non comme conseiller. Marcel, prévôt des marchands, était à la tête du tiers état, et c’est encore une confirmation que le parlement, suprême cour de judicature, n’avait pas le moindre rapport aux anciens parlements français.
Lorsque Édouard III disputa d’abord la régence, avant de disputer la couronne de France à Philippe de Valois, aucun des deux concurrents ne s’adressa au parlement de Paris. On l’aurait certainement pris pour juge et pour arbitre s’il avait tenu la place de ces anciens parlements qui représentaient la nation. Toutes les chroniques de ce temps-là nous disent que Philippe s’adressa aux pairs de France et aux principaux barons, qui lui adjugèrent la régence. Et quand la veuve de Charles le Bel, pendant cette régence, eut mis au monde une fille, Philippe de Valois se mit en possession du royaume sans consulter personne.
Lorsque Édouard rendit si solennellement hommage à Philippe, aucun député du parlement n’assista à cette grande cérémonie.
Philippe de Valois, voulant juger Robert, comte d’Artois, convoqua les pairs lui-même par des lettres scellées de son sceau, « pour venir devant nous, en notre cour, suffisamment garnie de pairs ».
Le roi tint sa cour au Louvre ; il créa son fils Jean pair de France, pour qu’il pût assister à cette assemblée. Les magistrats du parlement y eurent place comme assesseurs versés dans les lois ; ils obtinrent l’honneur de juger avec le roi de Bohême, avec tous les princes et pairs. Le procureur du roi forma l’accusation. Robert d’Artois n’aurait pu être jugé dans la chambre du parlement, ce n’était pas l’usage, et il ne pouvait se tenir pour jugé si le roi n’avait été présent.
Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe le Long, Marguerite de Bourgogne, femme de Louis Hutin, duc d’Alençon, accusées précédemment d’adultère, n’avaient point été jugées par le parlement ; ni Enguerrand de Marigny, comte de Longueville, accusé de malversations sous Louis Hutin ; ni Pierre Remi, général des finances, sous Philippe de Valois, n’eurent la chambre de parlement pour juge. Ce fut Charles de Valois qui condamna Marigny à mort, assisté de quelques grands officiers de la couronne, et de quelques seigneurs dévoués à ses intérêts. (1315) Il fut condamné à Vincennes. (1328) Pierre Rémi fut jugé de même par des commissaires que nomma Philippe de Valois.
(1409) Le duc de Bourgogne fit arrêter Montaigu, grand-maître de la maison de Charles VI, et surintendant des finances. On lui donna des commissaires, juges de tyrannie, comme dit la chronique, qui lui firent subir la question. En vain il demanda à être jugé par le parlement, ses juges lui firent trancher la tête aux halles. C’est ce même Montaigu qui fut enterré aux Célestins de Marcoussis. On sait la réponse que fit un de ces moines à François Ier. Quand il entra dans l’église, il vit ce tombeau ; et comme il disait que Montaigu avait été condamné par justice : « Non, sire, répondit le bon moine, il fut condamné par commissaires. »
Il est sûr qu’alors il n’y avait point encore de chambre criminelle établie au parlement de Paris. On ne voit point qu’en ces temps-là il ait seul jugé personne à mort. C’était le prévôt de Paris et le Châtelet qui condamnaient les malfaiteurs. Cela est si vrai que le roi Jean fit arrêter son connétable, le comte d’Eu, pair de France, par le prévôt de Paris. (1350) Ce prévôt le jugea, le condamna seul en trois jours de temps, et on lui trancha la tête dans la propre maison du roi, qui était alors l’hôtel de Nesle, en présence de toute la cour, sans qu’aucun des conseillers de la chambre du parlement y fût mandé.
Nous ne rapportons pas ce trait comme un acte de justice ; mais il sert à prouver combien les droits du nouveau parlement, sédentaire à Paris, étaient alors peu établis.