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Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 58

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CHAPITRE LVIII.

DU PARLEMENT DEPUIS QUE LOUIS XIV RÉGNA PAR LUI-MÊME.

Dès que Louis XIV gouverna par lui-même, il sut contenir tous les corps de l’État dans les limites de leurs devoirs. Il réforma tout : finance, discipline militaire, marine, police, église, jurisprudence. Il y avait beaucoup d’arbitraire dans les formes de la justice. Il pensa d’abord à rendre la procédure uniforme dans tout le royaume, et à extirper, s’il se pouvait, tous les abus ; mais une partie de cette grande entreprise ne fut exécutée qu’en 1667 ; elle demandait du temps, et il fallait remédier à des maux plus pressants.

Tandis qu’on commençait à jeter les fondements de toute cette réforme générale, il y eut entre les pairs du royaume et les présidents à mortier de Paris une contestation mémorable, dans laquelle il est vrai que les intérêts de la vanité humaine semblaient avoir plus de part que les intérêts de l’État ; mais enfin il s’agissait de l’ordre et de la décence qui sont nécessaires à toute administration. Les pairs ne venaient plus au parlement que lorsqu’ils accompagnaient le roi dans son lit de justice. Ils se plaignaient que, depuis la mort de Louis XIII, les présidents se fussent mis en possession d’opiner avant eux. La cause fut débattue dans le conseil du roi, devant les princes du sang et les ministres.

Les pairs représentaient qu’ils étaient originairement les juges nés de la nation ; qu’ils avaient succédé aux droits des anciens pairs du royaume ; que les maisons de Guise, de Clèves, de Gonzague, pourvues de pairies, avaient joui des mêmes prérogatives que les ducs de Bourgogne, de Guienne et de Normandie ; que les Montmorency, les Usez, les Drissac, les La Trimouille, et tous les autres revêtus de cette dignité, avaient les mêmes droits qu’avaient eus les Guises ; que cette dignité était héréditaire et non sujette à la paulette, comme les charges de présidents ; qu’enfin la cour de justice du parlement tirait son plus grand honneur de la présence des pairs, et du titre de cour des pairs.

Les présidents disaient qu’ils ne faisaient qu’un avec le premier président, que toute la présidence représentait le roi, que le parlement était la cour des pairs, non-seulement parce que les pairs y avaient obtenu séance, mais parce qu’ils y étaient jugés.

Louis XIV et son conseil décidèrent[1] qu’on rendrait aux pairs l’honneur qui leur était dû, et que dans ces séances solennelles ils opineraient les premiers[2].

Les présidents restèrent en possession d’opiner les premiers dans les séances ordinaires où le roi ne se trouve pas, et où le premier président, et non le chancelier, recueille les voix. Les premiers présidents persistèrent non-seulement à ne prendre les avis des pairs qu’après ceux des présidents, mais à se découvrir devant ces présidents, et à demander l’avis des pairs le bonnet en tête. Les pairs s’en sont plaints souvent, mais cette querelle n’a jamais été décidée ; elle est restée dans le nombre des contestations sur lesquelles il n’est rien de réglé. Ce nombre est prodigieux. Ce n’est guère qu’en France que les droits de tous les corps flottent ainsi dans l’incertitude.

Le roi, dès l’année 1655, était venu au parlement, en grosses bottes et un fouet à la main[3], défendre les assemblées des chambres, et il avait parlé avec tant de hauteur que, dès ce jour, on prévit un changement total dans le royaume.

Il ordonna, en 1657, par un édit renouvelé depuis en 1673, que jamais le parlement ne fît des représentations que dans la huitaine après avoir enregistré avec obéissance.

L’indignation qu’il conserva toujours dans son cœur contre les excès auxquels le parlement s’était porté dans sa minorité le détermina même à venir dans la grand’chambre, en 1669[4], pour y révoquer les priviléges de noblesse accordés aux cours supérieures par la reine sa mère, en 1644. Cependant cet édit, enregistré en sa présence, n’a point eu d’effet, l’usage a toujours prévalu sur les ordres du souverain.

Louis XIV préparait des décisions plus importantes pour le bien de la nation. Il fit bientôt travailler à une loi uniforme, qui fixa la manière de procéder dans toutes les cours de judicature, soit au civil, soit au criminel. Il fixa les épices des juges, les cas où il leur est permis de s’en attribuer, et les cas où il leur est défendu de prendre ces émoluments.

Il y eut enfin un code certain, du moins pour la manière de procéder, car celle de juger est toujours restée trop arbitraire en matière civile et criminelle.

Louis XIV n’eut à se plaindre ni d’aucun parlement, ni d’aucun corps dans le cours de son long règne, depuis qu’il tint les rênes du gouvernement.

Il est à remarquer que dans sa longue querelle avec le fier pape Odescalchi, Innocent XI, laquelle dura sept années[5], depuis 1680 jusqu’à la mort de ce pontife, les parlements et le clergé soutinrent à l’envi les droits de la couronne contre les entreprises de Rome : concert heureux qu’on n’avait pas vu depuis Louis XII. Le parlement même parut très-disposé à délivrer entièrement la nation du joug de l’Église romaine, joug qu’il a toujours secoué, mais qu’il n’avait jamais brisé.

L’avocat général Talon et le procureur général Harlai, en appelant comme d’abus d’une bulle d’Innocent XI, en 1687, firent assez connaître combien il était aisé que la France demeurât unie avec la chaire de Rome dans le dogme, et en fût absolument séparée dans tout le reste.

Les évêques n’allaient pas jusque-là ; mais c’était beaucoup que le clergé, animé par le grand Bossuet, démentît solennellement, en 1682, la doctrine du cardinal du Perron, qui avait prévalu si malheureusement dans les états de 1614.

Ce clergé, devenu plus citoyen que romain, s’expliqua ainsi dans quatre propositions mémorables :

1. Dieu n’a donné à Pierre et à ses successeurs aucune puissance, ni directe ni indirecte, sur les choses temporelles,

2. L’Église gallicane approuve le concile de Constance, qui déclare les conciles généraux supérieurs au pape dans le spirituel.

3. Les règles, les usages, les pratiques, reçus dans le royaume et dans l’Église gallicane, doivent demeurer inébranlables,

4. Les décisions du pape en matière de foi ne sont sûres qu’après que l’Église les a acceptées.

Ces quatre décisions n’étaient à la vérité que quatre boucliers contre des agressions innombrables ; et même, quelques années après, Louis XIV, se croyant assez puissant pour négliger ces armes défensives, permit que le clergé les abandonnât, et la plupart des mêmes évêques qui s’en étaient servis contre Innocent XI en demandèrent pardon à Innocent XII ; mais le parlement, qui ne doit connaître que la loi et non la politique, les a toujours conservées avec une vigueur inflexible.

Il n’eut pas la même inflexibilité au sujet de l’affaire ridicule et presque funeste de la bulle Unigenitus, envoyée de Rome en 1713, bulle qu’on savait assez avoir été fabriquée à Paris par trois jésuites[6] ; bulle qui condamnait les maximes les plus reçues, et même les plus inviolables. Qui croirait que jamais des chrétiens eussent pu condamner cette proposition : « Il est bon de lire des livres de piété le dimanche, surtout la sainte Écriture » ; et celle-ci : « La crainte d’une excommunication injuste ne doit pas nous empêcher de faire notre devoir[7] » ?

Mais par amour de la paix le parlement l’enregistra, l’an 1714. Ce fut à la vérité en la détestant, et en tâchant de l’affaiblir par toutes les modifications possibles. Un tel enregistrement était plutôt une flétrissure qu’une approbation.

Le roi voulait qu’on enregistrât ses édits, et qu’après on fît des remontrances par écrit si on voulait. Le parlement ne remontra rien.

Louis XIV, satisfait de la soumission apparente du parlement, le rendit bientôt après dépositaire de son testament, qui fut enfermé dans une chambre bâtie exprès. Il ne prévoyait pas que son testament serait cassé unanimement par ceux mêmes à qui il le confiait, et cependant il devait s’y attendre, pour peu qu’il eût réfléchi aux clauses qu’il contenait ; mais il avait été si absolu qu’il crut devoir l’être encore après sa mort.


  1. 26 avril 1654. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez le chapitre XXV du Siècle de Louis XIV.
  3. Voyez ci-dessus, page 50.
  4. Ce fut le 15 août ; voyez le chapitre XXX du Siècle de Louis XIV.
  5. La querelle de la régale avait commencé en 1678, et ne s’apaisa que sous Innocent XII, en 1693. Innocent XI étant mort en 1689, la querelle a donc duré onze ans avec lui. Au reste Voltaire, dans le chapitre VIII de l’Ingénu, parle de la querelle qui existait depuis neuf ans. (B.)
  6. Voltaire parle plus au long de la fabrication de la bulle Unigenitus à l’article Bulle du Dictionnaire philosophique. Voyez aussi ci-après, chap. LXII, pages 67 et suivantes.
  7. Ce fut cette même année 1713 que le parlement condamna, par deux arrêts des 22 février et 24 mars, la seconde partie du tome cinquième, composée par Jouvency, de l’Historia societatis Jesu. (B.)