Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 57
Le châtiment du cardinal de Retz fut borné à une prison dans Vincennes ; punition légère pour un homme qui avait été le boute-feu de la France. Le vieux conseiller Broussel, premier auteur, sans le savoir, de tant de troubles et de malheurs, en fut quitte pour se démettre de sa place de prévôt des marchands, que les rebelles lui avaient donnée.
Le roi tint son lit de justice au Louvre[1] ; il ordonna aux conseillers Broussel, Fleury, Martinaut, Perraut, et quelques autres, de sortir de Paris ; mais on les rappela bientôt.
Le cardinal Mazarin était revenu triomphant dans la capitale[2]. Presque tous les membres du parlement, qui avaient mis sa tête à prix, et qui avaient vendu ses meubles à l’encan pour payer les assassins, vinrent le complimenter les uns après les autres, et furent d’autant plus humiliés qu’il les reçut avec affabilité.
Le grand Condé, plus fier et animé par la vengeance, ne voulut point plier devant un étranger qui lui avait ravi sa liberté ; il aima mieux continuer la guerre civile que le parlement de Paris avait commencée, et que le parlement de Bordeaux soutenait alors. On vit ce prince à la tête des troupes espagnoles qu’il avait autrefois battues ; et enfin le parlement de Paris, à peine sorti de la faction, condamna ce même prince de Condé par contumace, comme il avait condamné Mazarin, et confisqua tous ses biens en France. Cette compagnie était une arme qui avait blessé son maître, et dont le roi se servait ensuite pour frapper ses ennemis.
Louis XIV ne gouvernait pas encore, et on doutait même qu’il pût jamais tenir lui-même les rênes de l’État ; mais il fit sentir, dès l’an 1655, la hauteur de son caractère. Le parlement arrêta de faire des remontrances sur un édit concernant les monnaies, et le ministre prétendait qu’une cour des monnaies étant établie, ce n’était pas au parlement à se mêler de cet objet. Le roi partit de Vincennes à cheval, vint en bottes au parlement, le fouet à la main[3]. Il adressa la parole au premier président, et lui dit : « On sait les malheurs qu’ont produits vos assemblées ; j’ordonne qu’on cesse celles qui sont commencées sur mes édits. Monsieur le premier président, je vous défends de les souffrir ; et vous (en se tournant vers les conseillers des enquêtes), je vous défends de les demander. » On se tut, on obéit, et depuis ce moment l’autorité souveraine ne fut plus combattue sous ce règne.
Quand le cardinal eut conclu la paix des Pyrénées, et marié Louis XIV, le parlement vint haranguer ce ministre par députés, ce qu’il n’avait jamais fait ni pour le cardinal de Richelieu, ni pour aucun prince. La harangue était remplie de louanges qui parurent trop fortes même aux courtisans ; elle devint l’objet de leurs railleries. Ménage adressa au cardinal, qui n’était pas sans lettres et sans goût, une pièce de vers latins alors très-fameuse ; il y parlait comme toute la cour, et il disait dans cet ouvrage :
« Et, puto, tam viles despicis ipse togas[4]. »
Tu méprises sans doute ces robes si viles.
On en fit des plaintes dans la grand’chambre ; mais ce n’était plus le temps où cette compagnie pouvait venger ses injures particulières. La cour applaudissait à cette humiliation. Ménage s’excusa ; il prétendit qu’il n’avait point voulu désigner la compagnie par le mot de robes, quoique ce mot ne pût en effet désigner qu’elle ; et le parlement crut qu’il n’était pas de sa dignité de relever cette injure.
- ↑ 1652. (Note de Voltaire.)
- ↑ Il y rentra le 3 février 1653. Après sa sortie du royaume, en février 1651 (voyez page 47), il y était rentré en décembre, et avait été une seconde fois obligé d’en sortir en auguste 1652. Voyez, tome XIV, le chapitre V du Siècle de Louis XIV. (B.)
- ↑ Voyez le chapitre XXV du Siècle de Louis XIV.
- ↑ Vers 56 de la 10e élégie du livre II. Sur l’explication de ce vers, donnée par Ménage, voyez l’article Ménage, dans le Catalogue des écrivains, en tête du Siècle de Louis XIV. (B.)