Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 8
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Pairs, pares, compares, ne signifie pas seulement des seigneurs égaux en dignité, il signifie toujours des hommes de même profession, de même état. Nous avons encore la charte adressée au monastère nommé Anizola, par Louis le Pieux, le Débonnaire, ou le Faible, rapportée par Baluze : Vos pairs, dit-il, m’ont trompé avec malice. C’est ainsi que les moines étaient pairs.
Dans une bulle d’Innocent II, à la ville de Cambrai, il est parlé de tous les pairs habitants de Cambrai.
Il est inutile de rapporter d’autres exemples ; c’est un fait qui n’admet aucun doute. Le droit d’être jugé par ses pairs est aussi ancien que les sociétés des hommes. Un Athénien était jugé par ses pairs athéniens, c’est-à-dire par des citoyens comme lui. Un Romain l’était par les centumvirs, et souvent par le peuple assemblé, et quiconque subissait un jugement pouvait devenir juge à son tour. C’est une sorte d’esclavage, si on peut s’exprimer ainsi, que d’être soumis toute sa vie à la sentence d’autrui, sans pouvoir jamais donner la sienne. Ainsi, aujourd’hui encore en Angleterre, celui qui a comparu devant douze de ses pairs, nommés jurés, est bientôt nommé juré lui-même. Ainsi le noble polonais est jugé par ses pairs nobles, dont il est également juge ; il n’y avait point d’autre jurisprudence chez tous les peuples du Nord.
Avant que toutes ces nations répandues au delà du Danube, de l’Elbe, de la Vistule, du Tanaïs, du Morysthène, eussent inondé l’empire romain, elles faisaient souvent des assemblées publiques, et le petit nombre de procès que pouvaient avoir ces hommes, qui ne possédaient rien, se décidaient par des pairs, par des jurés.
Mais on demande quels étaient les pairs de France ? On a tant parlé des douze pairs de Charlemagne ; tous les anciens romans, qui sont en partie notre histoire, citent si souvent ces douze pairs inconnus, qu’il y a sûrement quelque vérité dans leurs fables. Il est très-vraisemblable que ces douze pairs étaient les douze grands officiers de Charlemagne. Il jugeait avec eux les causes principales, de même que dans chaque ville les citoyens étaient jugés par douze jurés : ce nombre de douze semblait être consacré chez les anciens Francs ; un duc avait sous lui douze comtes, un comte commandait à douze officiers subalternes. On sait que ces ducs, ces comtes, dans la décadence de la famille de Charlemagne, rendirent leurs gouvernements et leurs dignités héréditaires : ce qui n’était pas bien malaisé. Les grands officiers des Othon et des Frédéric en ont fait autant en Allemagne ; ils ont fait plus, ils se sont conservés dans le droit d’élire l’empereur. Ce sont de véritables pairs qui ont continué et fortifié le gouvernement féodal, aboli aujourd’hui en France, ainsi que toutes les anciennes coutumes.
Dès que tous les seigneurs des terres en France eurent assuré l’hérédité de leurs fiefs, tous ceux qui relevaient immédiatement du roi furent également pairs ; de sorte qu’un simple baron se trouva quelquefois juge du souverain d’une grande province ; (1203) et c’est ce qui arriva lorsque Jean sans Terre, roi d’Angleterre et vassal de Philippe-Auguste, fut condamné à mort par le vrai parlement de France, c’est-à-dire par les seuls pairs assemblés.
Il est bien étrange que nos historiens ne nous aient jamais dit quels étaient ces pairs qui osèrent juger à mort un roi d’Angleterre. Un événement si considérable méritait un peu plus d’attention. Nous avons été, généralement parlant, très-peu instruits de notre histoire. Je me souviens d’un magistrat qui croyait que Jean sans Terre avait été jugé par les chambres assemblées[1].
Les juges furent sans difficulté les mêmes qu’on voit, quelques mois après, tenir la même assemblée de parlement à Villeneuve-le-Roi : (2 mai 1204) Eudes, duc de Bourgogne ; Hervé, comte de Nevers ; Renaud, comte de Boulogne ; Gaucher, comte de Saint-Paul ; Gui de Dampierre, assistés d’un très-grand nombre de barons, sans qu’il y eût aucun clerc, aucun légiste, aucun homme qualifié du nom de maître. Cette assemblée, qui fut convoquée pour affermir l’établissement des droits féodaux, stabilimentum feudorum, fut sans doute la même qui avait fait servir ces lois féodales à la condamnation de Jean sans Terre, et qui voulut justifier son jugement.
Les ducs et pairs, les comtes et pairs, étaient sans doute de plus grands seigneurs que les barons pairs, parce qu’ils avaient de bien plus grands domaines ; tous les ducs et comtes étaient en effet des souverains qui relevaient du roi, mais qui étaient absolus chez eux.
Quand les pairies de Normandie et de Champagne furent éteintes, la Bretagne et le comté d’Artois furent érigés en pairies à leur place par Philippe le Bel.
Ses successeurs érigèrent en pairies Évreux, Beaumont, Étampes, Alençon, Mortagne, Clermont, la Marche, Bourbon, en faveur des princes de leur sang ; et ces princes n’eurent point la préséance sur les autres pairs ; ils suivaient tous l’ordre de l’institution, l’ordre de pairie ; chacun d’eux dans les cérémonies marchait suivant l’ancienneté de sa pairie, et non pas de sa race.
C’est ainsi qu’aujourd’hui en Allemagne les cousins, les frères d’un empereur, ne disputent aucun rang aux électeurs, aux princes de l’empire.
On ne voit pas qu’aucun de ces pairs soit jamais venu siéger, avant François Ier, au parlement de Paris ; au contraire, la chambre du parlement allait à la cour des pairs.
Les juges du parlement, toujours nommés par le roi, toujours payés par lui, et toujours amovibles, n’avaient pu être réputés du corps des pairs du royaume. Un jurisconsulte aux gages du roi, qu’on nommait et qu’on cassait à volonté, ne pouvait certainement avoir rien de commun avec un duc de Bourgogne, ou avec un autre prince du sang. Louis XI créa duc et pair le comte Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, qu’il fit depuis condamner à mort, non par un simple arrêt du parlement, mais par le chancelier et des commissaires, dont plusieurs étaient des conseillers.
Le premier étranger qui fut duc et pair en France fut un seigneur de la maison de Clèves, créé duc de Nevers ; et le premier gentilhomme français qui obtint cet honneur fut le connétable de Montmorency (1551).
Il y eut toujours depuis des gentilshommes de la nation qui furent pairs du royaume ; leur pairie fut attachée à leurs terres, relevantes immédiatement de la couronne. Ils prirent séance à la grand’chambre du parlement ; mais ils n’y vont presque jamais que quand les rois tiennent leur lit de justice, et dans les occasions éclatantes. Les pairs, dans les assemblées des états généraux, ne font point un corps séparé de la noblesse.
Les pairs, en Angleterre, sont depuis longtemps des gentilshommes comme en France ; mais ils n’ont point de pairies, point de terre à laquelle ce titre soit attaché : ils ont conservé une bien plus haute prérogative, celle d’être le seul corps de la noblesse, en ce qu’ils représentent tout le corps des anciens barons relevants autrefois de la couronne ; ils sont non-seulement les juges de la nation, mais les législateurs, conjointement avec le roi et les communes[2].