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Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 7

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CHAPITRE VII.

DE LA CONDAMNATION DU DUC D’ALENÇON.

Il paraît qu’il n’y avait rien alors de bien clairement établi sur la manière dont il fallait juger les pairs du royaume, quand ils avaient le malheur de tomber dans quelque crime, puisque Charles VII, dans les dernières années de sa vie, demanda au parlement, qui tenait des registres, comment il fallait procéder contre Jean II, duc d’Alencon, accusé de haute trahison. (1458) Le parlement répondit que le roi devait le juger en personne, accompagné des pairs de France et autres seigneurs tenant en pairie, et autres notables de son royaume, tant prélats que gens de son conseil, qui en doivent connaître.

On ne conçoit guère comment le parlement prétendait que des prélats devaient assister à un conseil criminel ; apparemment qu’ils devaient assister seulement comme témoins, et pour donner au jugement plus de solennité.

Le roi tint son lit de justice à Vendôme. Sur les bancs de la droite étaient placés le dauphin, qui n’avait que douze ans, les duc d’Orléans et de Bourbon, les comtes d’Angoulême, du Maine, d’Eu, de Foix, de Vendôme, et de Laval. Au-dessous de ce banc étaient assis trois présidents du parlement, le grand-maître de Chabannes, quatre maîtres des requêtes, le bailli de Senlis, et dix-sept conseillers.

Au haut banc de la gauche, vis-à-vis les princes et pairs laïques, étaient le chancelier de Trainel, les six pairs ecclésiastiques, les évêques de Nevers, de Paris, d’Agde, et l’abbé de Saint-Denis. Au-dessous d’eux, sur un autre banc, siégeaient les seigneurs de la Tour-d’Auvergne, de Torcy, de Vauvert, le bailli de Touraine, les sires de Prie et de Précigny, le bailli de Rouen, et le sire d’Escars.

Sur un banc à côté étaient quatre trésoriers de France, le prévôt des marchands et le prévôt de l’hôtel du roi, et après eux dix-sept autres conseillers du parlement.

Il faut remarquer que c’est dans cette assemblée que les chanceliers précédèrent pour la première fois les évêques, et que depuis ils ne cédèrent point le pas aux cardinaux pendant plusieurs années.

Nous n’avons aucun monument qui apprenne si le duc d’Alençon fut interrogé et répondit devant cette assemblée ; nous n’avons point la procédure ; on sait seulement que son arrêt de mort lui fut d’abord notifié dans la prison par Thoret, président du parlement, Jean Boulanger, conseiller, et Jean Bureau, trésorier de France.

Ensuite Guillaume des Ursins, baron de Trainel, chancelier de France, lut l’arrêt en présence du roi. Et Jean Juvénal des Ursins, archevêque de Reims, exhorta le roi à faire miséricorde. (10 octobre 1458) Les pairs ecclésiastiques et les autres prélats assistèrent à cet arrêt ; il paraît qu’ils donnèrent tous leur voix, mais qu’aucun d’eux n’opina à la mort.

Le roi lui fit grâce de la vie, mais il le confina dans une prison pour le reste de ses jours. Louis XI l’en retira à son avénement à la couronne ; mais ce prince, mécontent ensuite de Louis XI, se ligua contre lui avec les Anglais. Il n’appartenait pas à tous les princes de faire de telles alliances. Un duc de Bourgogne, un duc de Bretagne, étaient assez puissants pour oser faire de telles entreprises, mais non pas un duc d’Alençon.

Louis XI le fit arrêter par son grand prévôt, Tristan l’Hermite ; on rechercha sa conduite, on trouva qu’il avait fait de la fausse monnaie dans ses terres, et qu’il avait ordonné l’assassinat d’un de ceux qui avaient trahi le secret de sa conspiration sous Charles VII.

Enfermé au château de Loches en 1472, il y fut interrogé par le chancelier de France Guillaume des Ursins, assisté du comte de Dunois ; de Guillaume Cousineau, chambellan du roi ; de Jean le Boulanger, premier président du parlement ; de plusieurs membres de ce corps, et de deux du grand conseil. Toutes ces formalités furent toujours arbitraires. On voit un évêque de Bayeux, patriarche de Jérusalem, un bailli de Rouen, un correcteur de la chambre des comptes, confisquer au profit du roi le duché d’Alençon, et toutes les terres du coupable, avant même qu’il soit jugé.

On continua son procès au Louvre par des commissaires, et il fut enfin jugé définitivement, le 18 juillet 1474, par les chambres assemblées, par le comte de Dunois, qui n’était pas encore pair de France, par un simple chambellan, par des conseillers du grand conseil : formalités qui certainement ne s’observeraient pas aujourd’hui.

Ce fut en ce temps-là que l’on commença à regarder le parlement comme la cour des pairs, parce qu’il avait jugé un prince pair, conjointement avec les autres pairs.

Les trésoriers de France l’avaient jugé aussi, et cependant on ne leur donna jamais le nom de cour des pairs. Ils n’étaient que quatre, et n’avaient pas une juridiction contentieuse. La volonté seule des rois les appelait à ces grandes assemblées. Leur décadence prouve à quel point tout peut changer. Des compagnies s’élèvent, d’autres s’abaissent, et enfin s’évanouissent. Il en est de même de toutes les dignités. Celle de chancelier fut longtemps la cinquième, et devint la première ; celles de grand-sénéchal, de connétable, n’existent plus.

Comme la cour du parlement reçut alors la dénomination de cour des pairs, non par aucune concession particulière des rois, mais par la voix publique et par l’usage, c’est ici qu’il faut examiner en peu de mots ce qui concerne les pairs de France.