Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIV/Chapitre 32

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XXXII. Cultures de la Grenade & des Grenadins.

Le parlement, quelle que dût être la détreſſe d’une ſi précieuſe acquiſition, penſa comme les peuples. En 1771 & en 1775, Saint-George fut réduit en cendres par des incendies effroyables. La colonie éprouva d’autres calamités, & cependant ſes productions ont triplé depuis qu’elle eſt ſortie des mains des François. Elle eſt devenue ſous l’autre hémiſphère, la ſeconde des iſles Angloiſes. Sa nouvelle métropole en reçoit annuellement dix-huit millions peſant de ſucre, qui à 40 livres le quintal, produiſent en Europe 7 200 000 livres ; un million cent mille galons de auſſi, qui à 1 liv. 10 ſols le galon, produiſent 1 650 000 livres ; trente mille quintaux de café, qui à 50 livres le quintal, produiſent 1 500 000 livres ; trois mille quintaux de cacao, qui à 50 livres le quintal, produiſent 150 000 livres ; trois cens quintaux d’indigo, qui à 800 livres le quintal, produiſent 240 000 livres ; treize mille quintaux de coton, qui à 150 livres le quintal, produiſent 1 950 000 livres, c’eſt en tout 12 690 000 liv. ; mais dans ce revenu eſt compris celui que donnent les Grenadins.

Ce ſont une douzaine de petites iſles depuis trois juſqu’à huit lieues de circonférence. On n’y voit point couler de rivière, & le climat en eſt cependant très-ſain. La terre ſeulement couverte de halliers clairs, n’a pas été défendue des rayons du ſoleil pendant des ſiècles ; & l’on peut la travailler ſans qu’elle exhale dans aucun tems ces vapeurs mortelles qui attaquent ailleurs généralement les jours des cultivateurs.

Cariacou, la ſeule de ces iſles que les François euſſent occupée, fut d’abord fréquentée par des pécheurs de tortue qui, dans les intervalles de loiſir que leur laiſſoit cette occupation, eſſayèrent quelques cultures. Leur petit nombre fut bientôt augmenté par pluſieurs habitans de la Guadeloupe que des inſectes mal-faiſans avoient chaſſés de leurs plantations. Ces bonnes gens aidés de huit ou neuf cens eſclaves, s’occupèrent aſſez utilement du coton. Cet arbuſte fut porté par les Anglois dans les autres Grenadins, & ils formèrent même une ſucrerie à Bequia, & deux à Cariacou.