Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIV/Chapitre 41

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XLI. En quoi conſiſte l’importance de la Dominique.

Cependant un autre objet que des établiſſemens de culture entroit de loin dans les vues étendues de l’Angleterre. Elle vouloir attirer à la Dominique les productions des colonies Françoiſes, pour en faire elle-même le commerce. C’eſt pour l’exécution de ce grand projet qu’en 1766 furent rendues libres toutes les rades de cette iſle. Auſſi-tôt accoururent d’Europe & de l’Amérique Septentrionale, une foule d’hommes actifs & entreprenans. Des dépôts immenſes de farines, de poiſſon ſalé, d’eſclaves, furent formés au Roſeau. Cette bourgade fournit aux beſoins de la Martinique, de la Guadeloupe, de Sainte-Lucie, & en reçut en paiement des denrées plus ou moins précieuſes. Les échanges auroient été même plus conſidérables ſi, par une avidité fiſcale mal entendue, la Grande-Bretagne n’avoit elle-même reſſerré les bornes de ces liaiſons frauduleuſes.

Les événemens qui ont détaché de l’Angleterre le continent de l’Amérique, & les efforts que font les François pour étendre leurs liaiſons en Afrique, doivent bientôt réduire à rien ou à peu de choſe, l’entrepôt de la Dominique : mais rien ne peut lui ôter l’avantage de ſa poſition. Située entre la Guadeloupe & la Martinique, à ſept lieues ſeulement de l’une & de l’autre, elle les menace également. À ſes deux extrémités, nord & ſud, ſont deux excellentes rades, d’où les corſaires & les eſcadres intercepteront la navigation de la métropole avec ſes colonies, la communication même des deux établiſſemens entre eux. Que ſeroit-ce ſi, comme il eſt facile, la rade du nord, connue ſous le nom de prince Rupert, étoit convertie en port, & entourée de fortifications. Le projet en a été, dit-on, arrêté dans le conſeil de George III. Tout porte à croire qu’il ne ſera jamais exécuté. La nation met trop de confiance en ſes forces navales, pour ſe prêter jamais à cette dépenſe.