Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVII/Chapitre 25

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XXV. La colonie eſt abandonnée au duc d’York. Principes ſur leſquels il fonde ſon adminiſtration.

La Nouvelle-York fut adminiſtrée par les lieutenans du prince avec aſſez d’adreſſe pour écarter de leur perſonne l’indignation des colons. La haîne publique s’arrêtoit ſur leur maître qui avoit concentré dans ſes mains tous les pouvoirs. Cet eſclavage politique déplaiſoit également, & aux Hollandois qui avoient préféré leurs plantations à leur patrie, & aux Anglois qui étoient venus les joindre. Accoutumés à la liberté, les peuples ſe montroient impatiens du joug. On paroiſſoit généralement diſposé à un ſoulèvement ou à une émigration. La fermentation ne s’arrêta que lorſqu’en 1683, la colonie fut invitée à choiſir des repréſentans pour régler, dans des aſſemblées, ce qui conviendroit à ſes intérêts.

Le colonel Dongan, chargé de cet arrangement, étoit un homme d’un eſprit hardi, étendu. Il ne ſe borna pas, comme ceux qui juſqu’alors avoient gouverné la province, à concéder des terres à quiconque ſe préſentoit pour les défricher. Ses ſoins s’étendirent aux cinq nations, trop négligées par ſes prédéceſſeurs. Les François travailloient ſans relâche à diviſer ces ſauvages, dans l’eſpérance de les aſſervir ; & ils avoient avancé ce grand ouvrage par le moyen des néophites que faiſoient leurs miſſionnaires. Il convenoit à l’Angleterre de traverſer ce plan : mais le duc d’York, qui avoit d’autres intérêts que ceux de ſon pays, vouloit que ſon lieutenant en favorisât l’exécution. Dongan, quoique catholique, s’écarta conſtamment de la direction qui lui étoit tracée ; & il traverſa de toutes ſes forces un ſyſtême qui lui paroiſſoit moins religieux que politique. Il nuiſit même de toutes les manières à la nation rivale de la ſienne ; & tous les mémoires du tems atteſtent qu’il en retarda beaucoup les progrès.

La conduite de cet habile chef étoit différente dans l’intérieur de la colonie. Par goût & par ordre il favoriſa l’établiſſement des familles de ſa communion & de la communion du prince. Une ſorte de myſtère accompagnoit cette protection. Mais auſſi-tôt que Jacques II fut monté ſur le trône, le collecteur des revenus publics, les principaux officiers, un grand nombre de citoyens ſe déclarèrent partiſans de Rome.

Cet état occaſionna une grande fermentation dans les eſprits. On s’alarma pour la cauſe proteſtante. Les gens ſages craignoient une sédition. Dongan réuſſit à contenir les mécontens : mais la révolution lui fit quitter librement ſa place. En bon Anglois, il ſe ſoumit au nouveau gouvernement ; & par une fierté de caractère particulière à ſa nation, il fit paſſer au roi détrôné tout ce qu’il avoit acquis de richeſſes dans une longue & glorieuſe adminiſtration.

Cet homme ſingulier avoit à peine quitté l’Amérique, que la Nouvelle-Angleterre chaſſa ſon gouverneur Edmont Androſſ, un des inſtrumens les plus actifs des vues arbitraires du roi Jacques. Quelques milices de la Nouvelle-York, séduites par cet exemple, voulurent faire le même traitement à Nicholſon, paſſagèrement chargé du gouvernement. Il vint à bout de former un parti en ſa faveur, & la colonie fut en proie à deux factions armées juſqu’à l’arrivée du colonel Sloughter.