Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVII/Chapitre 24

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XXIV. À quelle époque & comment les Anglois s’emparèrent de la Nouvelle-Belge.

L’Angleterre, qui n’avoit point alors avec la Hollande, ces liaiſons intimes, que l’ambition & les ſuccès de Louis XIV cimentèrent dans la ſuite entre les deux puiuances, voyoit d’un œil jaloux, un petit état à peine formé dans ſon voiſinage, étendre dans tout l’univers les branches de ſa proſpérité. Elle frémiſſoit en ſecret de ne pouvoir atteindre à l’égalité d’une puiſſance, qui ne devoit pas même lui diſputer la ſupériorité. Ces rivaux, en commerce comme en navigation, l’écraſoient par leur vigilance & leur économie, dans les grands marchés du monde entier, & par-tout, la réduiſoient au rôle ſubalterne. Chaque effort qu’elle faiſoit pour établir la concurrence, tournoit à ſon déſhonneur ou à ſa perte ; & le commerce univerſel ſe concentrait viſiblement dans les marais de la république. La nation s’indigna des diſgrâces de ſes négocians, & réſolut de leur aſſurer, par la force, ce qu’ils ne pouvoient obtenir de leur induſtrie. Charles II, malgré ſa nonchalance pour les affaires, malgré ſon goût effréné pour les plaiſirs, adopta vivement un plan qui pouvoit faire tomber dans ſes mains les richeſſes des régions éloignées, avec l’empire maritime de l’Europe. Son frère, plus actif, plus entreprenant que lui, l’affermit dans ces diſpoſitions ; & d’un commun accord, ils firent attaquer les établiſſemens, les vaiſſeaux Hollandois, ſans déclaration de guerre.

L’hoſtilité, ainſi commiſe, eſt une lâche perfidie. C’eſt l’action d’une horde de ſauvages & non d’un peuple civilisé, d’un aſſaſſin de nuit & non d’un prince guerrier. Celui qui aura quelque confiance dans ſes forces & quelque élévation dans l’âme ne ſurprendra point ſon adverſaire endormi. S’il vous eſt permis d’abuſer de ma sécuriré, je puis auſſi abuſer de la vôtre. Vous me contraignez & je vous force d’être ſans ceſſe en armes ; l’état de guerre eſt permanent, & la paix n’eſt qu’un mot vuide de ſens. Ou vous avez quelque juſte motif de m’attaquer, ou vous n’en avez aucun. Si vous n’en avez aucun, vous êtes un brigand dangereux contre lequel tous devroient ſe réunir & qu’ils ſont en droit d’exterminer. Si vous en avez un, notifiez-le. C’eſt le refus de réparer une injure ou de reſtituer une choſe uſurpée qui vous autoriſera à vous jeter ſur mes poſſeſſions. Avant que d’être agreſſeur, convainquez-moi d’injuſtice. Ayez l’approbation de l’univers. Tout ce que je puis vous permettre, c’eſt de préparer ſecrètement votre vengeance ; c’eſt de diſſimuler vos projets, ſi l’on s’en alarme, & de ne laiſſer aucun intervalle entre le déni de juſtice & l’hoſtilité. Si vous êtes le plus foible, ſuppliez & ſouffrez. Parce qu’on eſt un uſurpateur, faut-il que vous ſoyez un traître ? Mépriſez la maxime commune ; & ne ſuppléez, ni à la force qui vous manque, ni au courage qui vous compromettroit, par la fourberie. Ayez ſans ceſſe préſent le jugement de votre ſiècle & celui de la poſtérité.

Au mois d’août 1664, une eſcadre Angloiſe mouilla ſur les côtes de la Nouvelle-Belge, dont la capitale ſe rendit à la première ſommation. Le reſte de la colonie ne fit pas plus de réſiſtance. Cette conquête fut aſſurée au vainqueur, par la paix de Breda. Mais il en fut dépouillé par la république, en 1673, quand les intrigues de la France eurent brouillé ces deux puiſſances maritimes, qui, pour leurs intérêts, n’auroient jamais dû l’être. Un ſecond traité rendit encore, l’année ſuivante, les Anglois maîtres d’une province, qui depuis reſta attachée à leur domination, mais ſous la propriété du frère du roi qui lui donna ſon nom.