Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/19-2

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Chapitre XIX-§1.

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre XIX-§2.

Chapitre XIX-§3.


§ 2. — Sur mer.

Nous avons dit (chap. xvi § 1er) que les Anglais réprimèrent avec cruauté les velléités d’indépendance de l’Irlande. Aussi une nouvelle insurrection fut complotée et on comptait sur le Directoire pour la soutenir ; mais ce fut après que Bonaparte eût fait renoncer à la descente projetée en Angleterre, au moment où la désorganisation de l’armée et de la flotte par l’expédition d’Égypte et le manque de fonds rendaient plus difficiles les préparatifs de la France, que la révolte provoquée, peut-on dire, par des rigueurs systématiques, éclata en Irlande (23 mai) sans cohésion suffisante ; elle y était facilement étouffée et les dernières bandes insurgées étaient anéanties le 14 juillet 1798. Pour répondre à l’appel, daté du 16 juin (Desbrière, Projets et tentatives de débarquement aux Îles britanniques, t. II, p. 40), des Irlandais insurgés, le Directoire se décida à organiser de petites expéditions à Brest, Rochefort, Dunkerque et au Texel. La première expédition prête, celle de Rochefort, ne partit que le 19 thermidor (6 août) avec 1 019 soldats montés sur trois frégates et commandés par le général Humbert. Cette poignée d’hommes débarquait, le 5 fructidor (22 août), dans la baie de Killala, au nord-ouest de l’Irlande, occupait le lendemain Ballina et, s’avançant témérairement dans un pays pacifié, faisait fuir 6 000 hommes des milices à Castlebar (10 fructidor-27 août) où Humbert proclamait la République irlandaise. Le 18 (4 septembre), il quittait Castlebar avec l’intention, pour dérouter l’ennemi, de marcher d’abord vers le nord dans la direction de Sligo et de se porter ensuite vers l’est du côté de Dublin ; il battit les miliciens non loin de Collooney le 19 (5 septembre) ; puis, après avoir pendant quelques heures continué sa route vers le nord-est, il tournait brusquement à droite, traversait, le 21 (7 septembre), le Shannon au sud du lac Allen et ne tardait pas à être attaqué par 15 000 hommes à l’est de ce lac, à Ballinamuck, bourg situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Longford (22 fructidor-8 septembre). Obligé de capituler, il était conduit avec ses compagnons à Dublin ; ils furent bien traités et échangés bientôt après : Humbert rentra en France le 5 brumaire (26 octobre). L’expédition de Brest ne parvint à sortir que le 30 fructidor (16 septembre) ; mais, assaillie le 20 vendémiaire (11 octobre) dans la baie de Donegal par la flotte de Warren, le vaisseau le Hoche et six frégates sur huit furent capturés, certaines d’entre elles, comme la Loire du vaillant capitaine Segond, après avoir soutenu plusieurs combats ; les deux qui échappèrent eurent aussi à lutter ; c’est sur l’une d’elles que le général Ménage fut blessé à mort (29 vendémiaire-20 octobre). Parmi les prisonniers se trouvèrent le chef de division Bompart, le général Hardy, l’adjudant-général Smith, autrement dit l’Irlandais Wolf Tone qui, pour échapper à la pendaison, se coupa la gorge avec un petit canif le 12 novembre ; il mourut sept jours après. Ce désastre fit renoncer à une expédition plus importante qu’on préparait à Brest. Un brick quitta Dunkerque le 18 fructidor (4 septembre), aborda en Irlande le 30 (16 septembre) et, à la nouvelle de la capitulation d’Humbert, se réfugia en Norvège. Les trois frégates qui, sous les ordres de Savary, avaient transporté l’expédition d’Humbert, étaient rentrées en France le 23 fructidor (9 septembre) ; reparties de La Rochelle le 21 vendémiaire (12 octobre), elles purent, après avoir atterri à Killala le 6 brumaire (27 octobre), regagner la France. Les deux frégates sorties, le 3 brumaire an VII (24 octobre 1798), du Texel, se firent prendre presque aussitôt et ainsi se terminèrent les projets sur l’Irlande.

Les navires de l’Angleterre et ceux que la Russie avait, nous l’avons vu au début de ce chapitre, mis à sa disposition, étaient « en partie équipés par des individus étrangers » ; aussi le Directoire prit-il, le 7 brumaire an VII (28 octobre 1798), un arrêté déclarant pirate et ordonnant de traiter comme tel tout individu appartenant à un pays ami, allié ou neutre et faisant partie des équipages des bâtiments ennemis, « sans qu’il puisse, dans aucun cas, alléguer qu’il y a été forcé par violence, menaces ou autrement ». Ceci était exorbitant ; mais il faut ajouter qu’un nouvel arrêté du 24 brumaire (14 novembre 1798) annula implicitement le précédent en renvoyant l’époque de son exécution à « un arrêté subséquent » qui ne fut pas pris.

Le débarquement des Français en Égypte avait décidé le sultan Sélim III, déjà mécontent de leurs opérations dans les îles Ioniennes, à accepter contre eux les secours du tsar, et le désastre naval d’Aboukir (1er août 1798) ne pouvait que le pousser à la guerre ; le 20 août, il signait avec Paul Ier une convention en vertu de laquelle l’amiral russe Ouchakov entrait, le 5 septembre, dans le Bosphore à la tête de seize navires qui venaient se joindre à la flotte turque placée sous les ordres de Kadir-bey ; il déclarait officiellement la guerre à la France le 9 septembre (23 fructidor) ; dès le 2 septembre, il avait fait arrêter le personnel de l’ambassade, puis notre consul général à Smyrne, l’ancien conventionnel Jeanbon Saint-André. Nous n’avions à Constantinople (chap. xvi, § 1er) qu’un chargé d’affaires, Ruffin, et les événements allaient empêcher Descorches, désigné de nouveau (voir fin du chap. ix) comme ambassadeur le 16 fructidor an VI (2 septembre 1798), de rejoindre son poste. Une partie de la flotte russo-turque se présentait, le 16 vendémiaire an VII (7 octobre 1798), devant Cerigo ; après bombardement, une cinquantaine de Français commandés par le capitaine Michel obtinrent (21 vendémiaire-12 octobre), sur menace de se faire sauter, de garder leurs armes, d’être rapatriés aux frais des alliés et — souci qui les honore — la promesse qu’aucune vengeance ne serait exercée contre les habitants de l’île. L’autre partie de la flotte était, le 2 brumaire (23 octobre), devant Zante ; il y avait là 400 hommes, mais leur chef n’eut pas la superbe attitude de Michel et fut traité plus durement (4 brumaire-25 octobre). Les alliés passaient ensuite à Céphallénie, où la petite garnison se rendit ; à Thiaki, dont le détachement de 25 hommes, sous les ordres d’un capitaine, put, grâce aux habitants, s’embarquer et atteindre Corfou le 8 (29 octobre) ; à Sainte-Maure qui, après une résistance de quinze jours, capitula le 26 (16 novembre) ; à Corfou, devant laquelle toute la flotte se trouvait réunie le 30 (20 novembre). Quelques vaisseaux avaient entamé le blocus dès le 15 (5 novembre) ; mais la garnison allait résister héroïquement.

Chabot se battit sur terre ; la frégate le Généreux, que commandait le chef de division Le Joysle, se battit sur mer. Le 17 pluviôse (5 février 1799), les assiégés manquant de tout, cette frégate fut chargée d’aller chercher des secours et réussit, après combat, à traverser la flotte ennemie ; mais, quand elle fut prête à repartir d’Ancône (12 germinal-1er avril), tout était terminé : réduite à la dernière extrémité, la garnison avait capitulé, le 13 ventôse (3 mars), obtenant les honneurs de la guerre, son rapatriement sous promesse de ne pas servir pendant dix-huit mois, et l’amnistie pour les habitants de l’Île, remise provisoirement aux Turcs. Le Joysle voulant que les préparatifs faits servissent à quelque chose, se dirigea sur Brindisi, canonna le fort, et, après quelque résistance, la ville se rendit (20 germinal an VII-9 avril 1799) ; malheureusement un des derniers boulets tirés de celle-ci blessa mortellement Le Joysle, « véritable officier républicain », a dit M. Charles Rouvier (Histoire des marins français sous la République, p. 370), dont les « dernières paroles furent des vœux pour la République, des encouragements à son équipage » (Idem, p. 399). Au début des hostilités, Ali de Tebelen qui, en flattant Bonaparte, avait gagné sa confiance, s’était emparé de Prevesa, ville que nous détenions sur les côtes d’Albanie, et avait fait écraser, le 2 brumaire (23 octobre), à Nikopolis, 700 de nos soldats par 4 000 fantassins et 3 000 cavaliers ; la plupart des prisonniers furent martyrisés. En mai 1799, la flotte russo-turque proposition devant Ancône ; levé provisoirement le 20 prairial (8 juin), le blocus fut repris à la fin de juillet : le général Monnier, que les troupes autrichiennes cernaient sur terre, ne capitula qu’à bout de ressources (21 brumaire an viii-12 novembre 1799).

La Porte travaillait en même temps à soulever contre la France les États barbaresques. Si l’envoyé impérial ne réussit pas auprès de Mouley-Soliman, sultan du Maroc, plus indépendant que les trois régences, le dey d’Alger, Mustapha, faisait arrêter, le 29 frimaire an VII (19 décembre 1798), le consul français et lançait, le 8 nivôse (28 décembre), six corsaires algériens sur les côtes de France ; avec moins de passion, le bey de Tunis, Hamoudah, n’en ordonnait pas moins, le 15 nivôse (4 janvier 1799), l’arrestation de notre agent consulaire et la séquestration de quelques bateaux ; le pacha de Tripoli, Yousouf, agissait dans le même sens, le 10 pluviôse (29 janvier), mais avec encore plus de mollesse, malgré les manœuvres des Anglais. À son tour, le Directoire prenait contre les trois régences des mesures coercitives et, le 27 pluviôse an VII (15 février 1799), autorisait la course contre elles et la saisie de leurs marchandises même sous pavillon neutre. Il aurait été préférable de s’arranger avec elles, ce qu’on aurait pu faire assez vite si on avait eu de l’argent en caisse : des cadeaux et la restitution de sept millions que la France leur devait en vertu d’anciens comptes — le dey d’Alger, notamment, avait, le 11 messidor an IV (29 juin 1796), prêté pour deux ans 200 000 piastres fortes, soit un peu plus d’un million de francs (Archives nationales, AF iii, dossier 1940) — auraient sans doute assuré la sécurité de nos côtes et permis de ravitailler Malte.

Nelson, nous l’avons vu, s’était éloigné de l’Égypte, le 19 août 1798, pour se rendre dans la baie de Naples. Reçu en triomphateur par la cour, il devint l’amant, la chose, d’une aventurière, Emma Harte, femme de l’ambassadeur anglais à Naples, William Hamilton, et favorite, dans le sens le plus ignominieux, de la reine Marie-Caroline, qui associait sans effort les pratiques de la dévotion à celles de toutes les débauches. Les Maltais s’étant, un mois après Aboukir (16 fructidor-2 septembre), soulevés contre les Français, avaient été appuyés par des vaisseaux portugais, retour d’Égypte, et anglais. Nelson s’arracha des bras de lady Hamilton — parlant, dans une lettre à lord Spencer, de cette femme, de son mari et de lui-même, il disait : « à nous trois nous ne faisons qu’un » (Ernouf, Nouvelles études sur la Révolution française, année 1799, p. 45, note) — et rejoignit l’escadre combinée, le 3 brumaire (24 octobre), devant l’île de Gozzo, qui se rendit le 8 (29 octobre). Vaubois fut bientôt étroitement bloqué dans Malte, où il allait vaillamment tenir pendant vingt-deux mois. D’un autre côté, les Anglais, par la prise de Port-Mahon, dont le gouverneur espagnol capitula sans résistance sérieuse le 15 novembre 1798, devinrent maîtres de Minorque. Dans ces conditions, voulant aller au secours de l’armée d’Égypte, le Directoire fut naturellement conduit à renoncer à toute action dans le nord, afin de pouvoir concentrer toutes ses forces dans la Méditerranée qui, on le sait, lui échappait de plus en plus. Sur un rapport du vice-amiral Bruix, ministre de la marine, le Directoire décidait, le 29 frimaire an VII (19 décembre 1798), d’armer à Brest 24 vaisseaux de ligne. Bruix nommé, le 24 ventôse (14 mars 1799), « général en chef de l’armée navale de Brest », avec mission de pénétrer dans la Méditerranée, vint activer les préparatifs ; l’intérim du ministère de la marine fut confié d’abord à Lambrechts, puis à Talleyrand.

Profitant d’un brouillard épais qui avait obligé l’escadre anglaise de Bridport, chargée de surveiller Brest, à s’éloigner, Bruix put sortir, le 7 floréal (26 avril). Informé de cette sortie le lendemain, Bridport crut à une nouvelle expédition en Irlande et se lança vers le nord, tandis que Bruix, marchant vers le sud, arrivait, le 15 (4 mai), non loin de Cadix, où Keith maintenait le blocus de l’escadre espagnole. Au moment où les deux flottes anglaise et française s’apprêtaient à combattre, elles eurent à lutter contre une terrible tempête ; le lendemain matin, les vaisseaux anglais n’étaient plus là. Bruix franchissait le détroit de Gibraltar sans encombre et, le 25 (14 mai), il jetait l’ancre à Toulon. Keith, pendant ce temps, recevait l’ordre de se porter vers Minorque, où se concentraient les forces anglaises. Cet éloignement de l’escadre de blocus rendit sa liberté à la flotte espagnole enfermée depuis deux ans à Cadix. L’amiral Mazarredo, à la tête de 17 vaisseaux, se dirigea vers Port-Mahon ; mais, par suite d’avaries, il relâcha à Carthagène (20 mai).

Après avoir assuré l’entrée, dans le port de Gênes, d’un convoi de blé destiné à l’approvisionnement de l’armée d’Italie, Bruix mouillait, le 16 prairial (4 juin), dans la baie de Vado, près de Savone. Là il recevait, le 18 (6 juin), la lettre du Directoire du 7 prairial (26 mai), mentionnée plus haut à propos de Bonaparte et de son départ d’Égypte, lui prescrivant de joindre la flotte espagnole, de secourir Malte et d’aller chercher Bonaparte ; il apprenait presque en même temps que Keith approchait avec une flotte de 22 vaisseaux. Hâtant ses préparatifs de départ, Bruix sortait de Vado le 20 (8 juin), esquivait par une manœuvre habile la flotte anglaise et entrait, le 10 messidor (28 juin), dans le port de Carthagène. Ne pouvant entraîner Mazarredo vers Malte, et espérant avoir raison de sa résistance, il consentit à partir avec lui, le 11 (29 juin), pour Cadix, où les deux flottes se trouvaient le 22 (10 juillet). Bruix y reçut bientôt des lettres de Paris du 13 et du 16 (1er et 4 juillet) ; elles n’insistaient plus sur la mission qui lui avait été précédemment confiée, ne lui imposaient cependant pas un nouveau plan et paraissaient favorables à son retour dans l’Atlantique. Aussi Bruix levait l’ancre le 9 thermidor (27 juillet) ; il était un peu plus tard suivi par Mazarredo, qui avait été d’abord très irrésolu, et leurs 40 vaisseaux atteignaient Brest le 21 (8 août).

Keith ne s’était pas douté de la manœuvre de Bruix à la sortie de Vado ; il avait, durant plusieurs jours, croisé à sa recherche entre la Corse et les Baléares, et ce fut ainsi qu’il captura, le 30 prairial (18 juin), la division du contre-amiral Perrée qui, après être allée aux environs de Saint-Jean d’Acre, avait fait voile vers l’Europe. Ayant relâché à Port-Mahon, Keith apprenait la jonction des deux flottes espagnole et française et se jetait à leur poursuite ; à la tête de 31 vaisseaux, il passait le détroit de Gibraltar (30 juillet) et n’était plus très loin d’elles lorsqu’elles entrèrent à Brest où, étroitement bloquées, elles devaient rester jusqu’à la fin de la guerre. Parmi les quelques combats isolés qui eurent lieu sur mer vers cette époque, je signalerai celui du 24 frimaire an VII (14 décembre 1798), de la corvette la Bayonnaise, revenant de Cayenne et se rendant à Rochefort, contre la frégate anglaise Ambuscade, ancien navire français pris et remis en état par les Anglais ; après une lutte héroïque, la corvette s’empara de la frégate, mais fut si gravement atteinte qu’elle dut rentrer dans la rade de l’île d’Aix remorquée par sa prise.

À Saint-Domingue, nous étions en train d’être évincés par Toussaint Louverture. Le Directoire, autorisé par la loi du 5 pluviôse an IV (25 janvier 1796), à envoyer des agents dans les colonies, avait chargé les citoyens Roume, Raymond, Leblanc, Giraud et Sonthonax, désigné comme président de cette commission, de se rendre à Saint-Domingue. Sonthonax, qui avait vu, en effet, le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), sa mise en liberté provisoire (chap. ix) déclarée définitive et les accusations formulées contre lui par les propriétaires d’esclaves ou leurs amis réduites à néant, arrivait dans l’île le 22 floréal an IV (11 mai 1796). Quelque temps avant, le 30 ventôse (20 mars 1796), le gouverneur intérimaire Laveaux avait été pris et emprisonné par une bande de mulâtres ; bientôt relâché et réintégré dans ses fonctions, grâce à l’intervention de Toussaint, il avait, par reconnaissance, nommé celui-ci « lieutenant au gouvernement général de la colonie ». Un décret de la Convention du 5 thermidor an III (23 juillet 1795) — précédemment mentionné (§ 2 du chap. xi) à propos du régime colonial — l’avait déjà nommé général de brigade, ainsi que le mulâtre Rigaud, en même temps que Laveaux était fait général de division. Enfin ce dernier grade ayant été bientôt accordé à Toussaint par les agents du Directoire, lui était reconnu par celui-ci le 30 thermidor an IV (17 août 1796), et tout contribuait de la sorte à accroître son autorité.

Voulant éliminer Laveaux et Sonthonax, Toussaint usa de toute son influence pour faire élire, à la fin de fructidor an IV (septembre 1796), le premier au Conseil des Anciens et le second aux Cinq-Cents ; annulées par la loi

(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)


du 10 germinal an V (30 mars 1797), ces élections devaient être validées par celle du 2e jour complémentaire de l’an V (18 septembre 1797). Laveaux partit le 28 vendémiaire an V (19 octobre 1796), ce dont Toussaint lui sut toujours gré ; malgré son élection, Sonthonax resta. Cela ne faisait pas l’affaire de Toussaint qui, fatigué de sa présence, allait, après la ruse, employer la force, lorsque Sonthonax s’en alla secrètement le 7 fructidor an V (24 août 1797). À cette date, les Anglais ne tenaient plus dans l’île que Port-au-Prince, le Môle Saint-Nicolas et deux ou trois autres points sans grande importance ; la colonie était entre les mains de deux véritables proconsuls, le nègre Toussaint dans le nord et l’ouest, le mulâtre Rigaud dans le sud. Le Directoire approuva en apparence la conduite de Toussaint ; mais, se méfiant de ses intentions, il envoya le général Hédouville qui, parti de Brest le 30 pluviôse an VI (18 février 1798), arriva dans l’île le 18 germinal (7 avril). Toussaint affecta de traiter sans lui avec les Anglais qui signèrent, le 15 mai, la capitulation de Port-au-Prince et, le 31 août, une convention secrète en vertu de laquelle les quelques points encore occupés par eux et, en dernier lieu, le Môle Saint-Nicolas (1er octobre), furent évacués : il ne restait plus de soldats anglais à Saint-Domingue. Les dissentiments allèrent croissant entre Toussaint et Hédouville ; dans la nuit du 30 vendémiaire an VII (21 octobre 1798), le chef nègre, à la tête d’une douzaine de mille hommes, cernait inopinément la ville du Cap et s’emparait des forts. N’ayant pas assez de troupes à sa disposition, impuissant, Hédouville se rendit avec sa suite à bord des frégates et fit voile pour la France (1er brumaire-22 octobre) ; il entra en rade de Lorient le 27 frimaire (17 décembre 1798). Toussaint écoutait trop les prêtres : quelques jours avant cette algarade, le 19 vendémiaire (10 octobre), une de ses proclamations portait que « les chefs de corps sont chargés de faire dire aux troupes la prière, le matin ou le soir, selon que le service le permettra » (Moniteur du 7 nivôse an VII-27 décembre 1798). Le commissaire français Roume était resté dans la colonie, où il subissait l’influence de Toussaint, qu’il appelait dans un discours, le 16 pluviôse an VII (4 février 1799), le « vertueux général en chef Toussaint Louverture » (Moniteur du 25 prairial-13 juin), et qui devenait de plus en plus le maître, tout en écrivant, le 25 floréal (14 mai 1799), à son aide de camp à Paris, le citoyen Case (Moniteur du 25 thermidor-12 août), que c’était le calomnier que de lui supposer « le projet insensé d’indépendance » et qu’« un jour on reconnaîtra que la République n’a pas de plus zélé défenseur que lui ».

Le jour même de son départ, Hédouville avait écrit à Rigaud pour le dégager de toute obéissance à l’égard de Toussaint ; il eut par là une grande part de responsabilité dans la guerre qui ne tarda pas à éclater entre les deux chefs, après la publication de cette lettre par Rigaud le 15 juin 1799. D’atroces hostilités durèrent jusqu’au départ pour Paris, le 29 juillet 1800, de Rigaud vaincu.