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Histoire universelle/Tome I/II/III

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Société de l’Histoire universelle (Tome Ip. 61-63).
Birmanie, Siam, Cambodge

Quels qu’aient été les sauvages habitants de ces contrées aux temps préhistoriques, il semble bien qu’à l’aurore de leur histoire, elles aient servi de théâtre à la rivalité de deux peuples d’origine différente : les Khmers venus de l’ouest et les Tiams venus de l’est. L’origine malaise des seconds ne paraît pas douteuse ; celle des premiers demeure incertaine. Les uns et les autres en tous cas reçurent leur culture de l’Inde et non de la Chine. À quelle époque ? Sur ce point également, l’accord n’est pas fait. Aux environs de l’ère chrétienne, disent certains érudits ; au iiie ou même au ive siècle avant cette ère, affirment d’autres. Peu importe. Khmers et Tiams tracèrent leurs inscriptions en sanscrit et adorèrent Brahma ; les noms de leurs souverains et ceux de leurs capitales, Indrapura, Vyadhapura, Vijaya… sont des noms hindous. Bien entendu, ils connurent aussi le bouddhisme. Ils le connurent même de bonne heure puisque Asoka se préoccupait déjà d’envoyer des missionnaires dans ces parages. Mais ils ne paraissent s’en être épris que tardivement et partiellement. Le brahmanisme les avait marqués d’une forte empreinte.

La fortune de ces peuples fut diverse. Nous avons vu les Tiams aux prises avec les Annamites en des luttes séculaires et finalement vaincus par ces derniers. Serrés entre les Annamites et les Khmers leur situation n’était pas enviable sans compter que, malgré l’origine commune, ils furent en butte aux incursions des pirates malais. Quant aux Khmers leur destin les éleva au contraire à un degré si éminent qu’on en demeure surpris. Les premiers États khmers auraient été créés vers l’an 435 ap. J.-C. par des Brahmanes émigrés de l’Inde, l’un dans le Cambodge actuel, l’autre au nord vers le Laos. La rivalité de ces deux États dura longtemps. Au vie siècle celui du sud l’emportait ; plus tard son rival domina sans conteste. À partir du ixe siècle et pendant près de quatre cents ans la puissance khmer éclipsa toutes les autres. La capitale, Angkor-Thom, eut une enceinte plus vaste que Rome et rappelant les dimensions de celle de Babylone. Les ruines des temples et des palais khmers montrent que toute l’aspiration de ce peuple encore mystérieux se traduisit en constructions et en sculptures d’un art spécial où les influences hindoues et certaines réminiscences chinoises se trouvent comme adoucies par le sens occidental de l’harmonie et de la proportion. La cour des rois khmers fut assurément un centre de culture des plus remarquables. L’un d’eux qui régna de 1002 à 1050 est réputé avoir fondé un collège « voué au culte du vrai et du bien à l’intérieur et du beau à l’extérieur ». Que faisait, pendant ce temps, la pauvre Europe de l’an mille ?…

Les Thaï qui, sous le nom de Siamois, devaient abattre les Khmers et les réduire à n’être plus au Cambodge qu’un État effacé et restreint résidaient au Yunnan où, vers le viiie siècle, ils avaient connu l’indépendance et la prospérité. De là ils descendirent le Mékong puis la vallée du Ménam ce qui les mit en contact avec les Khmers dont ils furent longtemps les sujets. Ayant pris conscience de leur force, ils se révoltèrent en 1220 et purent soustraire le Laos à la domination khmer. Vers 1300, il en fut de même de la région du haut Ménam. Enfin Rama Dhipati (1351-1371) créa, par l’unification de diverses principautés rivales, le royaume de Siam actuel. Dès lors ce fut entre Khmers et Siamois une guerre incessante. De 1356 à 1460 Angkor fut prise et pillée à quatre reprises. Elle fut enfin abandonnée et la jungle commença d’étendre son manteau sur ses ruines merveilleuses.

La Birmanie fut le théâtre de rivalités parallèles. Les Birmans qui devaient lui donner son nom moderne étaient originaires du Thibet et bouddhistes comme les Siamois. Leur descente s’opéra par la vallée de l’Iraouaddy. Il y eut aussi dans cette vallée deux royaumes rivaux qui se subjuguèrent alternativement, celui des Pegous qui étaient les premiers occupants de la basse Birmanie et celui des Birmans, les nouveau-venus. Finalement ils se confondirent. Après de nombreuses péripéties, un chef birman, Alompra réussit à unifier tout le pays (1760). Déjà deux siècles auparavant Birmans et Siamois s’étaient fait la guerre. Depuis lors le royaume de Siam était devenu redoutable. Le roi Phra Naraï (1656-1688) qui envoya une ambassade à Louis XIV à Versailles avait, avec l’appui d’un aventurier grec devenu ministre, commencé d’européaniser son gouvernement. Alompra envahit le territoire siamois et en détruisit la capitale, Ayouthia (1767). Mais un homme énergique Phyatak releva le courage de ses compatriotes. Il parvint à chasser les Birmans, créa une nouvelle capitale, Bangkok et, proclamé roi, fut le chef de la dynastie qui règne encore.

Quant à la Birmanie, elle devait tenter les nouveaux conquérants de l’Inde auxquels elle apparaissait comme une sorte d’annexe de l’Hindoustan. La première intervention anglaise date de 1824. En 1892 une seconde expédition se termina par l’annexion de la Birmanie inférieure. Enfin la prise de Mandalay en 1885 entraîna la déposition du roi Thibau et la réunion de ses États à l’empire. Fertile et bien arrosé, couvert d’immenses forêts, ce grand pays est habité par des hommes intelligents, ouverts aux choses d’Europe mais volontiers insouciants et paresseux ; les femmes s’y montrent par contre, actives, adroites et influentes.

Birmanie et Siam recèlent probablement autant d’avenir que de passé et peut-être davantage.