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Histoires incroyables (Palephate)/7

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CHAP. VII.

Sphinx (1).

Sphinx de Thèbes était, dit-on, un monstre, qui avait le corps d’une chienne, la tête et la figure d’une jeune fille, des ailes d’oiseau et la voix humaine. Se tenant sur le mont Sphingien, elle proposait une énigme à chaque Thébain qu’elle rencontrait et le tuait pour n’avoir pu la résoudre. Œdipe ayant trouvé le mot de l’énigme, elle se tua elle-même en se précipitant (du haut de sa montagne). Mais c’est bien là une histoire incroyable et impossible : car un pareil assemblage n’a jamais existé ; il est puéril de penser que ceux qui ne devinaient pas des énigmes aient été tués par Sphinx, et il faut être fou, pour croire que les Thébains, au lieu de se défaire d’un pareil monstre à coups de flèches, auraient vu dévorer ainsi tranquillement leurs concitoyens comme des ennemis. Voici donc la vérité sur ce chapitre : quand il marcha contre Thèbes, tua Dracon et lui ravit son royaume, Cadmus avait pour femme une Amazone, nommée Sphinx. Il prit alors pour lui une sœur de Dracon qui s’appelait Harmonie. Sphinx ayant appris qu’il en avait épousé une autre, embaucha un grand nombre de citoyens qu’elle détermina à la suivre, enleva le plus de butin qu’elle put, ainsi qu’un chien, excellent coureur que Cadmus emmenait toujours avec lui ; se réfugia sur le mont Sphingien, d’où elle se mit à faire la guerre à Cadmus, et, lui dressant continuellement des embûches, elle lui tuait toujours du monde. Il faut savoir qu’à Thèbes on appelle les ruses de guerre des énigmes. De sorte que les Thébains disaient souvent : « L’Argienne Sphinx nous attrappe toujours avec les énigmes qu’elle nous prépare et personne ne peut jamais les deviner. » Cadmus fit proclamer qu’il donnerait une belle récompense à celui qui le délivrerait de Sphinx. Œdipe, de Corinthe, homme plein de courage et qui avait un excellent cheval, se faisant accompagner de quelques Thébains, se dirigea vers la montagne, pendant la nuit, et tua Sphinx. Tels sont les faits qui ont donné lieu à la fable (n).

(1) Les amateurs d’antiquités qui seraient curieux de comparer les nombreux passages des poètes et des prosateurs qui ont parlé de Sphinx, en trouveront l’indication dans les notes de Mycillus et de Muncker (sur la fable 67 d’Hyginus, p. 136 des Mythogr. latins de Van Staveren) ; dans l’édition in-4o des Phéniciennes d’Euripide, par Valckenaer (note sur le v. 50, p. 20-21) et dans les notes de Heyne sur Apollodore (tom. 2, p. 600 et suiv.) Nous nous bornerons à signaler ici quelques variantes sur la forme qu’on attribuait à ce monstre. Le Scholiaste de Sophocle (sur le v. 391 de l’Œdipe-Roi, où Sophocle lui-même appelle Sphinx La Chienne, p. 54 de l’édit. de Wunder) en donne une description qui s’accorde avec celle de Paléphate ; mais Apollodore (liv. III, chap. 5, § 7, p. 124-125, Heyne, 1803) et le Scholiaste d’Euripide (45e scholie des phéniciennes, p. 608 de l’édition de Valckenaer) lui attribuent le corps et la queue d’un lion. Diodore de Sicile dit simplement que c’était un monstre biforme (liv. IV, chap. 64, p. 185, tom. 3, édit. de Deux-Ponts) ; Hyginus ne la décrit en aucune façon et se borne à l’appeler fille de Typhon. (P. 136, édit. de Van Staveren). Corneille et Voltaire dans leurs tragédies d’Œdipe en ont fait :

          Un monstre à voix humaine, aigle, femme et lion.

(2) Le Scholiaste d’Euripide, dans l’endroit déjà cité, rapporte une autre explication de la fable de Sphinx. C’était, dit-il, une prophétesse de Thèbes dont les oracles étaient si obscurs que les Thébains faisaient presque toujours le contraire de ce qu’elle leur prescrivait, et commettaient ainsi les méprises les plus funestes. Le Scholiaste d’Hésiode (cité par Muncker dans Hyginus) prétend que c’était tout simplement une habile larronnesse qui s’était mise à la tête d’une troupe de brigands aux environs de Thèbes.