Historiettes (1906)/Des Barreaux

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 175-180).

DES BARREAUX[modifier]

Des Barreaux se nomme Vallée et est fils d’un M. des Barreaux, qui étoit intendant des finances du temps de Henri IV. En sa jeunesse, c’étoit un fort beau garçon ; il avoit l’esprit vif, savoit assez de choses, et réussissoit à tout ce à quoi il se vouloit appliquer ; mais ayant perdu trop tôt son père, il se mit à fréquenter Théophile et d’autres débauchés, qui lui gâtèrent l’esprit, et lui firent faire mille saletés. C’est à lui que Théophile écrit dans ses lettres latines, où il y a à la suscription : Theophilus Valloeo suo. On ne manqua pas de dire en ce temps-là que Théophile en étoit amoureux, et le reste.

Quelque temps après la mort de ce poète, en une débauche où étoit le feu comte du Lude, des Barreaux se mit à criailler, car ç’a toujours été son défaut, le comte lui dit en riant : « Ouais, pour la veuve de Théophile, il me semble que vous faites un peu bien du bruit. »

On l’avoit fait conseiller, mais ce métier ne lu ; plaisoit guère, et il mit au feu l’unique procès qui lui fut distribué ; car, comme il vit qu’il y avoit tant de griffonnages à déchiffrer, il prit tous les sacs et les brûla tous l’un après l’autre. Les parties étant venues pour savoir s’il les expédieroit bientôt : « Cela est fait, leur dit-il ; ne pouvant lire votre procès, je l’ai brûlé. — Ah ! nous sommes ruinées, dirent-elles. — Ne vous affligez pas tant ; il ne s’agissoit que de cent écus, les voilà, et je crois en être quitte à bon marché. » Depuis, il n’en voulut plus ouïr parler, et disoit plaisamment que le Roi alloit plus souvent que lui au Palais. Il ne garda pas sa charge longtemps car il fit tant de dettes qu’il la fallut vendre.

Ce fut lui qui mit Marion (de l’Orme) à mal. Il fut huit jours cachée chez elle dans un méchant cabinet où l’on mettoit du bois : là, elle lui apportoit à manger, et la nuit il alloit coucher avec elle. Depuis, comme elle a eu plus de hardiesse, elle l’alloit trouver en une maison au faubourg Saint-Victor, qu’il avoit fait fort bien meubler, où il y avoit un grand jardin. Il appeloit ce lieu, l’Ile de Chypre. Elle devint grosse trois ou quatre fois ; mais elle se faisoit avorter. Une fois, elle s’en avisa trop tard, et quoiqu’elle eût pris assez de drogues pour tuer un Suisse, s’il eût été dans son corps, elle fit pourtant un petit garçon qui se portoit le mieux du monde, et qui crioit le plus fort.

Des Barreaux a toujours été impie ou libertin, car bien souvent ce n’est que pour faire le bon compagnon. Il le fit bien voir dans une grande maladie qu’il eut, car il fit fort le sot et baisa bien des reliques. Quelques mois après, ayant ouï un sermon de l’abbé de Bonzez, il lui fit dire par madame Saintot qu’il vouloit faire assaut de religion contre lui. « Je le veux bien, répondit l’abbé, à la première maladie qu’il aura. »

Il étoit insolent et ivrogne. À Venise, il alla lever la couverture d’une gondole, qui est un crime en ce pays de liberté ; aussi fut-il bien battu. Il dit qu’il étoit conseiller de France, et ce fut en cette rencontre-là, à ce qu’on dit, que pour la première fois on dit en Italie : O povera Francia, mal consigliata !

Son ivrognerie lui a fait courir mille périls et recevoir mille affronts. Un jour qu’il avoit bu, il vit un prêtre qui, portant corpus Domini, avoit une calotte ; il s’approcha de lui, jeta sa calotte dans la boue, et lui dit « qu’il étoit bien insolent de se couvrir en présence de son Créateur ». Le peuple s’émut, et sans quelques personnes de considération qui le firent sauver, on l’eût lapidé.

En une débauche, il dit quelque chose à Villequier, aujourd’hui le maréchal d’Aumont, qui lui rompit une bouteille sur la tête, et il lui donna mille coups de pied. des Barreaux le jour même pria Bardouville, son ami, gentilhomme de Normandie, homme d’esprit, mais libertin, de faire un appel à Villequier. Bardouville (1), qui connoissoit le pèlerin, lui promit tout ce qu’il voulut, et le fit coucher.

[(1) Saint-Ibar dit, à la naissance du fils de Bardouville qu’il lui falloit mettre des entraves quand on le baptiseroit, qu’autrement, il regimberoit contre l’eau bénite (T.)]

Le lendemain, il le va trouver ; le galant homme dormoit le plus tranquillement du monde, et depuis ne s’en est pas souvenu. (1642) Il pouvoit avoir trente-cinq ans quand il fit partie avec un nomme Picot, et autres qui leur ressembloient, d’aller écumer toutes les délices de la France ; c’est-à-dire de se rendre en chaque lieu dans la saison de ce qu’il produit de meilleur. Balzac qu’ils virent en passant appela des Barreaux le nouveau Bacchus. Ils passèrent à Montauban et dans le temple de ceux de la religion ils se mirent, un jour de prêche, à chanter des chansons à boire au lieu de psaumes. Ils ne pouvoient pas être ivres, car c’étoit à huit heures du matin. Sans un M. Daliez, galant homme de ce pays-là, on les alloit jeter par les fenêtres. Il a continué ces sortes de voyages assez longtemps.

A un bal à Paris, quelques années après, il fut battu plus que partout ailleurs. Aux pieds d’une dame, il disoit tout haut tout ce qui lui venoit dans l’esprit : il dit d’une fort grande fille que c’étoit la reine Esther, et qu’il l’avoit vue mille fois en des pièces de tapisserie. Dans cette belle humeur, il alla ôter la perruque à un valet de chambre qui servoit de la limonade. Le valet, qui faisoit le beau, se sentit si outragé de cet affront qu’un quart d’heure après, ayant ouvert une porte, couverte de la tapisserie, qui étoit justement derrière des Barreaux, il lui donna cinq ou six grands coups de bâton, dont un le blessa à la tête, et puis se sauva, sans que personne le put attraper car il tira la porte sur lui. Le coup fut dangereux, et il pensa être trépané.

L’été suivant, il fut en grand danger d’être assommé par des paysans en Touraine. Il étoit allé voir un de ses amis à la campagne, chez lequel il vint coucher deux Cordeliers. Il dit au maître du logis qu’il vouloit faire l’athée, pour rire de ces bons pères ; il n’eut pas grand’peine à cela, et dit tant de choses que les religieux dirent qu’ils ne logeroient point sous même toit que ce diable-là, et s’en allèrent chercher gîte chez le curé. Les villageois en eurent le vent et cette nuit-là, par malheur pour des Barreaux, les vignes ayant été gelées, ils crurent que c’étoit ce méchant homme qui en étoit la cause, et se mirent à l’assiéger dans la maison de leur seigneur même ; ils s’y opiniâtrèrent si bien qu’on eut de la peine à faire sauver le galant homme, qu’ils poursuivirent assez longtemps.

Il y a plus de douze ans qu’il est si déchu que la plupart du temps il ne dit plus que du galimatias ; il criaille, mais c’est tout, et c’est rarement qu’il fait quelque impromptu supportable. Il joue, il ivrogne, mange si salement qu’on l’a vu cracher dans un plat afin qu’on lui laissât manger tout seul ce qu’il y avoit ; il se fait vomir pour remanger tout de nouveau. et est plus libertin que jamais. Il dit qu’il ne fit le bigot à sa maladie que pour ne pas perdre quatre mille livres de rente qu’il espéroit de sa mère. Cette femme étant morte, les beaux-frères de des Barreaux furent contraints de retenir ce bien et de lui donner seulement une pension, afin qu’il ne se pût ruiner entièrement.

Il avoit un oncle paternel huguenot, nommé M. de Chenailles, qui mourut garçon et fit beaucoup d’avantages à des neveux de la religion qu’il avoit, de sorte que des Barreaux et ses sœurs n’eurent pas grand’chose. Il en fut fort en colère, et disoit à ses sœurs : « : Encore, pour vous autres, vous aurez le plaisir de croire qu’il est damné ; mais moi, je ne le saurois croire. » De ce qu’il en eut pourtant, il en acheta un bénéfice et ne s’en cachoit point.

Bien loin de s’amender en vieillissant, il fit une chanson où il y a :

Et, par ma raison, je butte

A devenir bête brute.


Il prêche l’athéisme partout où il se trouve, et une fois il fut à Saint-Cloud chez la du Ryer passer la semaine sainte, avec Miton, grand joueur, Potel, le conseiller au Châtelet, Raineys, Moreau et Picot, pour faire, disoit-il, leur carnaval.

Picot mourut à peu près comme il avoit vécu : il tomba malade dans un village ; il fit venir le curé, et lui dit qu’il ne vouloit point qu’on le tourmentât et qu’on lui criaillât aux oreilles, comme on fait à la plupart des agonisans : le curé en usa bien, et il lui donna par son testament trois cents livres ; mais comme il vit que le cure, le croyant expédié, ou peu s’en falloit, se mettoit à criaillier comme on a de coutume, il le tira par le bras, et lui dit : « Sachez, galant homme, si vous ne me tenez ce que vous n’avez promis, qu’il me reste encore assez de vie pour révoquer la donation. » Cela rendit le curé plus sage, et l’abbé expira assez en repos.

Pour des Barreaux, il a eu tout le loisir de chanter la palinodie ; il a bien fait le fou en mourant, comme il le faisoit quand il étoit malade.