Historiettes (1906)/Du Moustier

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 172-175).

DU MOUSTIER[modifier]

Du Moustier étoit un peintre en crayon de diverses couleurs ; ses portraits n’étoient qu’à demi et plus petits que le naturel. Il savoit de l’italien et de l’espagnol, aimoit fort à lire, et il avoit assez de livres. C’étoit un petit homme qui avoit presque toujours une calotte à oreilles, naturellement enclin aux femmes, sale en propos, mais bonhomme et qui avoit de la vertu. Il était logé aux galeries du Louvre comme un célèbre artisan ; mais sa manière de vivre et de parler n’attiroit plus les gens que ses ouvrages. Son cabinet étoit pourtant assez curieux : il y avoit sur l’escalier une grande paire de cornes, et aux bas : « Regardez les vôtres ; et aux bas de ses livres : « Le diable emporte les emprunteurs de livres. »

Il y avoit une tablette où il avoit écrit : Tablette des sots : le père Arnoul, confesseur du Roi, qui étoit un glorieux jésuite, lui demanda qui étoient ces sots. « Cherchez, cherchez, lui dit-il, vous vous y trouverez. » Un autre jésuite s’y trouva effectivement, et lui ayant demandé pourquoi, sans se nommer, du Moustier lui répondit en grondant, car il n’aimoit point les jésuites : « Parce qu’il a dit que Henri IV avoit été nourri de biscuit d’acier. » À propos de livres, il contoit lui-même une chose qu’il avoit faite à un libraire du Pont-Neuf, qui étoit une franche escroquerie ; mais il y a bien des gens qui croient que voler des livres ce n’est pas voler, pourvu qu’on ne les vende point après. Il épia le moment que ce libraire n’étoit point à sa boutique, et lui prit un livre qu’il cherchoit il y avoit longtemps. Je crois que la plupart de ceux qu’il avoit lui avoient été donnés.

Il avoit un petit cabinet séparé plein de postures de l’Arétin, qu’il appeloit tablatures, hastam arrigendi causa… Outre cela, il savoit toutes les sales épigrammes françoises. J’ai vu un de ses cousins germains à Rome, du même métier, qui savoit aussi mille vers comme cela.

Il n’aimoit pas plus les médecins que les jésuites et il les appeloit les magnifiques bourreaux de la nature.

Le premier président de Verdun désira de le voir ; un de ses amis l’y voulut mener. « Je ne suis ni aveugle ni enfant, j’y irai bien tout seul » répondit-il. Il y va ; le premier président donnoit audience à beaucoup de gens ; enfin il dit : « J’ai mal à la tête ; qu’on se retire. » On fit donc sortir tout le monde ; il n’y eut que du Moustier qui dit qu’il vouloit parler à M. le premier président qui avoit souhaité de le voir ; il vient et avoit fait dire que c’étoit du Moustier. Le premier président lui dit : « Vous, monsieur du Moustier ! Vous êtes un homme de bonne mine pour être M. du Moustier ! » Lui regarde si personne ne le pouvoit entendre, et, s’approchant de M. de Verdun, il lui dit : « J’ai meilleure mine pour du Moustier que vous pour premier président (1)

[(1) Verdun avoit la gueule de côté (T.). ]

— Ah ! cette fois-là, dit le président, je connois que c’est vous. » Ils causèrent deux heures ensemble le plus familièrement du monde.

Quand il peignoit les gens, il leur laissoit faire tout ce qu’ils vouloient ; quelquefois seulement il leur disoit : « Tournez-vous. » Il les faisoit plus beaux qu’ils n’étoient, et disoit pour raison : « Ils sont si sots qu’ils croient être comme je les fais. et m’en payent mieux. »

Vaillant, peintre flamand, natif de Lille, qui peint en crayon comme lui, à celles qui ne le payoient pas, il faisoit comme des barreaux sur leurs portraits, et disoit qu’il les tenoit en prison jusqu’à ce qu’elles eussent payé.

Il se remaria à sa servante, qui étoit fort jolie. La Reine lui demanda pourquoi il avoit épousé une servante. « Madame, je n’oserois vous le dire. — Dites, dites. — C’est, dit- il, parce qu’elle avoit un beau chose. » En effet, il l’avoit trouvé si beau qu’il en avoit fait plusieurs portraits.

La plus belle aventure qui lui soit arrivée, c’est que le cardinal Barberin, étant venu légat en France, durant le pontificat de son oncle, eut la curiosité de voir le cabinet de du Moustier et du Moustier même. Innocent X, alors monsignor Pamphilio, étoit en ce temps- là dataire et le premier de la suite du légat ; il l’accompagna chez du Moustier, et voyant sur la table l’Histoire du Concile de Trente, de la belle impression de Londres, dit en lui-même : « Vraiment c’est bien à un homme comme cela d’avoir un livre si rare ! » Il le prend et le met sous sa soutane, croyant qu’on ne l’avoit point vu ; mais le petit homme, qui avoit l’œil au guet, vit bien ce qu’avoit fait le dataire, et, tout furieux, dit au légat qu’il lui étoit extrêmement obligé de l’honneur que Son Eminence lui faisoit, mais que c’étoit une honte qu’elle eut des larrons dans sa compagnie » ; et sur l’heure, prenant Pamphile par les épaules, il le jeta dehors en l’appelant bourguemestre de Sodome_, et lui ôta son livre.

Depuis, quand Pamphile fut créé pape, on dit à du Moustier que le pape l’excommunieroit et qu’il deviendroit noir comme charbon. « Il me fera grand plaisir, répondit-il, car je ne suis que trop blanc. » Malherbe, comme vous avez vu, dit quasi la même chose à M. de Bellegarde, et le maréchal de Roquelaure avant eux eut la même pensée. Henri IV lui dit un jour : « Mais d’où vient qu’à cette heure que je suis roi de France paisible, et que j’ai toutes choses à souhait, je n’ai point d’appétit, et qu’en Béarn, où je n’avois pas de pain à mettre sous les dents, j’avois une faim enragée ? — C’est, lui dit le maréchal, que vous étiez excommunié ; il n’y a rien qui donne tant d’appétit. — Mais si le pape savoit cela, reprit le Roi, il vous excommunieroit — Il me feroit grand honneur, répondit l’autre ; car je commence à être bien blanc, et je deviendrois noir comme en ma jeunesse. »

À la mort de du Moustier, le chancelier, par l’instigation des jésuites, fit acheter tous les livres qu’il avoit contre eux, et les fit brûler.