Historiettes (1906)/Gombauld

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 126-134).

GOMBAULD[modifier]

Gombauld est de Saint-Just, auprès de Brouage, d’honnête naissance, mais cadet d’un quatrième mariage, et par conséquent avec peu ou point de bien. Le père vivoit de ses rentes, et il en vivoit si bien qu’il les mangeoit. Il ne faisoit que chasser et faire bonne chère, et enfin il s’acheva de ruiner en procès. D’ailleurs ce garçon fut maltraité par ses cohéritiers, et faute d’avoir de quoi poursuivre, il n’en eut jamais aucune raison.

Son père, quoique de la religion, eut la faiblesse, se voyant chargé d’enfants, de consentir que celui-ci fût instruit dans la religion catholique, à Bordeaux, afin de le faire d’église. Il m’a dit, car il est huguenot à brûler, que naturellement il avoit de l’aversion pour la religion catholique, et que dès seize ans il cessa de lui-même d’aller à la messe et revint à nous, sans pourtant faire d’abjuration ni de connoissance, car il ne prétendoit pas nous avoir quittés, et choisissoit plutôt une religion qu’il n’en changeoit.

Il vint à Paris qu’il étoit encore fort jeune ; il fit d’abord connoissance avec le marquis d’Uxelles le rousseau. Cet homme avoit assez d’habitudes, et ne pouvoit bien faire les lettres dont il avoit besoin ; et dans les desseins de mariage ou de galanterie qu’il pouvoit avoir, il se servoit de Gombauld pour cela, et lui entretenoit un cheval et un laquais.

Gombauld fit assez de vers pour Henri IV, qu’il n’a jamais montrés. Il dit que le Roi lui donnoit pension. La Reine- mère étant régente, elle le regarda fort, à ce qu’il dit, au sacre du feu Roi, où il étoit allé avec son rousseau. Mademoiselle Catherine, femme de chambre de la Reine, eut ordre de savoir de M. d’Uxelles qui il étoit. Catherine prit un autre rousseau pour M. d’Uxelles, et alla dire à la Reine : « Il dit qu’il ne le connoit point. Cela se peut, répondit la Reine, vous avez pris un rousseau pour l’autre. » Enfin elle en parla elle-même à M. d’Uxelles, et voulut voir des ouvrages de notre homme.

À quelque temps de là, Uxelles avertit Gombauld qu’on alloit faire l’état de la maison du Roi, et que c’étoit la Reine elle-même qui le faisoit. Si cela est, dit Gombauld, « je ne m’en veux point inquiéter, il en arrivera ce qu’il plaira à Dieu. » Il y fut mis pour douze cents écus. Uxelles le lui vint dire, et ajouta ces mots : « Vous aviez raison de ne pas vous tourmenter, la Reine a assez de soin de vous ; je voudrois être aussi bien avec elle. » La Reine le cherchoit partout des yeux. La princesse de Conti lui dit qu’il étoit vrai que la Reine avoit de l’affection pour lui.

Un jour il entra dans sa chambre, elle étoit couchée sur son lit, la jupe relevée ; on lui pouvoit voir les cuisses ; car le lit n’étoit que de lacis. « Ah ! dit-elle, où allez-vous  ? » Persuadé d’être bien dans l’esprit de la Reine, il ne se hasarda jamais de faire quelque démonstration d’être son adorateur.

Il nie d’en avoir jamais été amoureux ; mais bien d’une autre personne de grande qualité qu’il appelle aussi Phillis dans ses poésies ; l’une est la grande et l’autre la petite. Il accuse mademoiselle Catherine du peu d’avancement qu’il a eu ; car il est persuadée que la Reine en tenoit, et que Catherine lui avoit avoué que la Reine ne l’avoit jamais vu sans émotion, parce qu’il ressembloit à un homme qu’elle avoit aimé à Florence. Catherine étoit une brutale ; cependant elle gouvernoit les amours de la Reine.

Il fit l’Endymion durant qu’il étoit le mieux. Ce livre fit un furieux bruit. On disoit que la Lune c’étoit la Reine-mère, avec un croissant sur la tête. On disoit que cette Iris, qui apparoît à Endymion au bout d’un bois, c’étoit mademoiselle Catherine. La Reine témoigna de le vouloir entendre lire, car il avoit beaucoup de réputation, et effectivement c’est un beau songe. Pour lui, il y entend cent mystères que les autres ne comprennent pas, car il dit que c’est une image de la vie de la cour, et que qui le lira avec cet esprit y trouvera beaucoup plus de satisfaction. Il en avoit tant fait de lectures avant que de le faire imprimer que M. de Candale, quand ce livre fut mis en lumière, dit que la deuxième édition ne valoit pas la première ; car il lit bien et fait bien valoir ce qu’il lit (1).

[(1) Il lut deux jours de suite l’Endymion à une compagnie où il y avoit une femme qui, après que cela fut fait, lui dit : « Mais, Monsieur, je ne vois point là cette madame Yon de qui on m’avoit parlé. » (T.)]

Dès que Gombauld crut que la Reine lui vouloit faire cet honneur, il alla trouver madame de Rambouillet, qui a toujours été de ses amies, et la pria de lui vouloir dire son avis sur la manière dont il s’y devoit prendre : « Madame, luit dit-il, prenez que vous soyez la Reine, et j’entrerai avec mon livre. » En disant cela, il va dans l’antichambre ; madame de Rambouillet se mordoit les lèvres de peur de rire. Il rentre un peu après avec des grimaces les plus plaisantes du monde, et à tout bout de champ il lui demandoit : « Cela sera-t-il bien ainsi ? — Oui, Monsieur, fort bien. » Il s’approche et commence à lire. « Madame, trouvez-vous ce ton-la comme il faut  ? N’est-il point trop haut ? Est-il assez respectueux  ? » Et lui demandoit comme cela sur toutes choses. Elle dit qu’elle n’a jamais mieux passé son temps en sa vie ; mais que, pour avoir un plaisir parfait, il eût fallu que quelqu’un les eût vus, et qu’elle l’eût su. Cependant je ne sais pas par quelle aventure tout ce soin fut inutile, car il dit qu’il n’a jamais lu Endymion à la Reine-mère.

Je ne sais si madame de La Moussaye, sœur du feu comte de La Suze, et mère de La Moussaye, le petit-maître, étoit cette petite Phillis ; mais on croit qu’il a eu de grandes privautés avec elle, car il a toujours affecté d’en vouloir à des dames de qualité, et me faisoit excuse une fois de ce que, dans ses poésies, il y avoit des vers pour une paysanne. « Mais, disoit-il, c’étoit la fille d’un riche fermier de Xaintonge, et elle avoit plus de dix mille écus en mariage. »

Cette pension de douze cents écus, dont il a été parlé ci- dessus, ne lui fut pas toujours continuée ; dès le temps de la Reine-mère même, on lui en retrancha quelque chose, nonobstant la ressemblance avec cet amant florentin. Après l’éloignement de la Reine, il lui dédia l’Amaranthe, et la lui envoya. « Ah ! , dit-elle, je savois bien que celui-là ne m’oublieroit pas. »

Il croit toujours qu’il a mille ennemis qu’il n’a point. Il m’a dit que, de rage de ce que l’Endymion réussissoit, un homme l’avoit jeté dans le feu. Son caractère est l’obscurité, et cependant il croit être l’homme du monde le plus clair. Il fut si têtu qu’il ne voulut jamais ôter du commencement de ses poésies un sonnet que l’on n’entend pas, et qui n’a pas servi au débit de son livre ; il l’entendoit lui. « Et puis, disoit- il, je l’ai fait pour être à la tête. » Il y avoit je ne sais quoi, comme une espèce d’avant-propos, qu’il vouloit que M. d’Enghien prît pour une lettre dédicatoire, quoiqu’il ne le nommât point, et que cela ne lui fût point adressé.

Ses vers, pour l’ordinaire, ne vont point au cœur ; ils ne sont point naturels ; puis il y a grand nombre de sonnets, et pour bien rimer il tire souvent les choses par les cheveux. Ses vers de ballets et ses épigrammes valent mieux ; mais ce qu’il a fait de meilleur en vers et en prose, ce sont ses ouvrages chrétiens. Il n y a ni sel ni sauge à ses lettres imprimées, qu’il croit être autant de chefs-d’œuvre. C’est le plus cérémonieux et le plus mystérieux des hommes. Il a découvert, dit-il, le secret de faire des sonnets facilement, et s’il l’eût su plus tôt, il en eût autant fait que Pétrarque. Il n’a garde de le dire ce secret, car je crois qu’il n’en a point ; quand il lui est arrivé de faire un sonnet en commençant par la fin, il dit que c’est ainsi qu’il faut faire ; quand, au contraire, il n’a fait la fin qu’après tout le reste, il soutient qu’il ne faut jamais commencer par la conclusion. Il sait aussi un secret pour jeter son homme à bas à la lutte ; il en sait un autre pour lui faire sauter le poignard des mains ; mais il ne le vous dira pas.

Il a cru que M. Arnaud, le maréchal de camp, lui a toujours voulu un peu de mal depuis qu’aux champs il lui donna une botte en faisant des armes. Il s’est battu, dit-il, quatre fois en duel ; il disoit même qu’il s’étoit battu deux fois en une heure, et, parlant de cela avec plaisir, il s’en vantoit. S’étant trouvé à la campagne, en lieu où l’on couroit la bague, il gagna le prix sans l’avoir jamais courue. Il a bien dansé, à ce qu’il dit ; pour moi, je ne lui trouve rien de naturel ; et madame de Rambouillet dit que quoiqu’il chante de sa vieille cour, les gens n’étoient point faits comme lui, et qu’il a toujours été unique en son espèce ; j’entends aux habits près.

Il se piquoit de bien danser et de bien faire des armes et souvent il lui est arrivé de pantalonner, et de se mettre en garde devant ses plus familiers. Une fois même il se battit dans sa rue : C’étoit contre un homme qui l’avoit querellé sur un logement qu’ils prétendoient tous deux ; il lui dit : « Passez à telle heure devant ma porte, je sortirai avec une épée. » Il fit lâcher le pied à l’autre, et il disoit en racontant cela que ses voisins disoient : « Quoi ! cet homme qui choisit les pavés, qui marche si proprement ! » Il poussoit l’autre dans les boues et ne se soucioit pas de se crotter. Ils furent séparés.

Il dit qu’il auroit inventé la musique de lui-même, si elle n’avoit été inventée. En effet, il a appris à jouer de la mandore et en jouoit admirablement bien, à ce qu’on m’a dit ; mais comme cet instrument n’est plus guère en usage, il l’a laissé là ; auparavant même il falloit bien des cérémonies pour le faire jouer.

Madame de Rambouillet l’appeloit le beau Ténébreux. J’ai dit qu’il étoit cérémonieux. Madame de Rambouillet se repentit bien de l’avoir mené en une promenade, à Lisy, à Monceaux et ailleurs ; car il falloit livrer bataille toutes les fois qu’on se mettoit à table ou qu’on montoit en carrosse.

En effet, il est très incommode sur ce chapitre-là, et croit avoir dit une belle chose quand il a répondu à ceux qui lui disent qu’il est trop cérémonieux : « Ce n’est pas que je le sois trop, mais c’est qu’on l’est trop peu à présent. »

À table, il seroit plutôt tout un jour à frotter sa cuiller que de toucher le premier au potage. Je sais toutes ses façons, car je l’ai mené et le mène encore quand je puis à Charenton. Il ne vouloit point se mettre dans le fond, parce, disoit-il, que les gueux le prendroient pour le maître du carrosse. Il a une chose bonne dans sa cérémonie, c’est qu’il ne se fait jamais attendre ; mais il est si peu comme les autres gens, et il vous embarrasse tellement par la peur de vous embarrasser, qu’il faut avoir de la charité de reste pour s’en charger.

Il est propre jusqu’à marcher proprement ; il veut choisir les paves et aller seul. Madame de Rambouillet dit qu’il n’y a rien de plus plaisant que de voir son embarras quand quelque dame le salue par la ville. Il veut la reconnoître ; il veut faire la révérence de bonne grâce, et en même temps il veut prendre garde à ses pieds ; tout cela ensemble lui fait faire une posture assez plaisante. Il s’est mis dans la tête certaines choses qui ne servent qu’à le tourmenter, comme par exemple il dit qu’il connoît les mœurs et la qualité des personnes à voir leurs portraits, parce, dit-il, que dans leurs portraits leurs traits se voient bien mieux qu’à voir la personne, qui peut souvent changer de posture. Il dit plusieurs exemples de ces jugements.

Novissimè (1658), après la maladie du Roi, il fit un sonnet qu’il ne voulut jamais donner, quoiqu’il fût beau, à quelque chose près, disant qu’il ne vouloit pas que la première chose que le Roi verroit de lui ne fût pas achevée, comme si le Roi s’y connoissoit, ou ceux qui l’approchent.

Pellisson, qui le fait subsister par le moyen du surintendant Fouquet, à qui il est, ne put obtenir ce sonnet ; on eut beau l’en presser. Cependant il en a fait imprimer cent qui valent moins. Je ne l’ai jamais vu si poète, pour ne rien dire de pis, qu’en cette rencontre. Il pesta contre tout le monde, et contre Pellisson même, ou peu s’en fallut. J’y découvris de l’envie : « On paie si mal, disoit-il, des vers immortels ! un sonnet immortel que je fis pour M. Servien, que m’a-t-il valu ? » Et, pour toute raison, quand je le pressois de donner de temps en temps quelque chose qui ne fût pas imprimé à Pellisson, pour entretenir le surintendant en belle humeur pour lui, il me répondoit que ce même esprit qui lui faisoit faire ces sonnets immortels l’empêchoit de faire ce que je lui conseillois. Il veut qu’on le reprenne, puis il en enrage, et dit qu’il y des gens qui élèvent témérairement des nuages de difficultés.

Une Italienne, nommée Foscarini, qui sert madame de Rambouillet, voyant un jour les grimaces de cet homme, dit quand il fut parti : « Signora, è matto quel huomo  ? — Comment matto ! — c’est un des plus sages hommes du monde. — Pensava che fosse matto_, répondit-elle.

J’ai déjà dit que c’étoit un huguenot à brûler. Il a écrit plusieurs petites pièces de controverse, et croit, s’il osoit les imprimer, que cela persuaderoit tout le monde. Un jour il dit, à propos d’ouvrages chrétiens, à un de mes beaux-frères qu’il avoit fait une fois des prières assez belles pour croire qu’elles lui avoient été inspirées, et qu’en effet il n’avoit jamais rien fait qui en approchât. « Une nuit, disoit-il que je n’avois point dormi, j’entendis, sur le point du jour un grand bruit dans ma cheminée ; c’étoit l’été, il n’y avoit point de feu ; je me lève, j’y trouve une fort grosse et fort belle plume de pigeon : je la taillai, et j’en écrivis ces prières. » Il vouloit qu’on crût que le Saint-Esprit y avoit part. Après, il s’avisa que c’étoit une extravagance, et pria ce garçon de n’en rien dire. Il ajouta que ce qu’il avoit écrit un jour sur Notre Père avec cette même plume tomba dans le feu, comme si ses mains eussent été de beurre, et que ces papiers se consumèrent tous en un instant. À propos de religion, il est si emporté sur cela, qu’il trouve que madame de Rambouillet a tort d’être si bonne catholique. Un jour qu’il étoit avec elle, il s’enfuit en voyant arriver de jeunes femmes qu’il connoissoit fort, disant qu’il faisoit peur à la jeunesse ». D’autres fois, il leur contera fleurettes.

Logé avec les Beaubrun, peintres, qui ont deux femmes assez raisonnables, ils lui voulurent donner à souper. Il ne voulut point y aller que le repas ne fût commencé, et leur fit bonne chère.

Il délogea de chez un chirurgien, auprès des Beaubrun, à cause de sa servante. C’est une fille fière comme une princesse, et qui a quelque chose de démonté, ou je suis le plus trompé du monde. Elle n’est pas trop mal faite. Je ne sais ce qu’il y a, mais le bonhomme a dit à madame de Rambouillet qu’il connoissoit une pauvre fille pour qui trois hommes étoient morts d’amour : il y a apparence que c’est celle-là. Elle cause fort, et c’est quelque divertissement pour lui. Or, cette fille a la tête près du bonnet ; elle dit quelque chose de travers au chirurgien ; le bonhomme entendit du bruit, descendit ; il trouva que son hôte avoit donne quelque horion à cette fille ; cela le mit en colère, il le frappa. Le chirurgien fut assez sage pour ne pas riposter. C’est pour cela qu’il délogea.

Bien des gens tâchèrent de le désabuser de cette fille, qui le pilloit ; mais on n’en put venir à bout ; elle étoit maîtresse absolue et excluoit qui il lui plaisoit. Une fois elle chassa La Mothe Le Vayer, le prenant pour un ministre. Elle surprit une lettre dé Conrart, où il la déchiroit ; elle la garda, et dit qu’il étoit bien obligé à sa goutte, car sans cela elle lui feroit donner le fouet par la main du bourreau. On ne savoit même si ce bonhomme ne l’avoit point épousée. Enfin, il mourut après avoir été long-temps incommodé d’une chute qu’il fit dans sa chambre. Il a confessé en mourant qu’il avoit quatre-vingt-seize ans. On lui avoit fait donner quelque subvention de bel esprit par M. de Colbert.

Madame Marie se garda bien de faire venir des prêtres, car il lui eût coûté à le faire enterrer, et elle étoit légataire universelle. Dans notre religion, il ne coûte quasi rien à mourir ; ce fut la raison pourquoi le lieutenant-criminel Tardieu laissa mourir sa belle- mère huguenote.

Ménage demanda un jour à cette fille si effectivement elle était mariée avec M. de Gombauld. « Moi, répondit-elle, Monsieur ! Hé ! que voudriez-vous que je fisse de cet homme-là  ? J’ai plus de bien que lui. » Elle avoit raison ; car elle lui avoit pris tout ce qu’il avoit.

Pellisson, étant entré chez M.. Fouquet, eut soin de lui faire payer quatre cents écus tous les ans, et lui fit donner cent louis d’or pour avoir dédié les Danaïdes au surintendant ; mais depuis la détention de M. Fouquet, il tomba dans une grande pauvreté.