Historiettes (1906)/M. de Champ-Rond

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 194-196).

M. DE CHAMP-ROND[modifier]

C’étoit un président des enquêtes qui, étant demeuré veuf assez âgé, fort avare et sans enfants, se remaria à une fort jolie personne ; mais elle ne lui dura rien. En troisièmes noces il se remaria avec la fille du marquis de Dampierre, qui étoit fort gueux : cette personne est honnêtement follette ; hors qu’elle a les cheveux roux, elle peut passer pour jolie. Il falloit souper tous les jours à sept heures et se coucher à huit : mais elle se relevoit à une heure de la nuit et ne revenoit se coucher qu’à cinq heures du matin. Je crois qu’elle se servoit de quelque drogue pour l’assoupir. Le bonhomme se levoit pour aller au palais, et ordonnoit bien qu’on ne réveillât point sa femme. Il étoit sous-doyen du parlement, car, pour monter à la grand’chambre, il avoit quitté sa commission. Quelquefois il lui prenoit des chagrins du grand abord qu’il y avoit chez lui ; madame l’apaisoit en lui disant que sa sœur, qui logeoit avec elle, ne trouveroit jamais mari, s’il ne venoit bien du monde les voir. Enfin il tomba malade l’été de 1658. Au dix-septième jour de sa maladie, il appelle sa femme. « Madame, lui dit-il, ce M. Brayer fait durer mon mal autant qu’il peut, cela me ruine ; congédiez-le. La nature me guérira bien sans lui. » Et le soir il dit à une fille : « Charlotte, à quoi bon deux chandelles ? Eteignez-en une. » Le lendemain il fut à l’extrémité. Sa femme, qui n’avoit pas découché, le voyant dans une convulsion, fait aussi l’évanouie de son côté, elle ne manquoit jamais à jouer la comédie. Il revint qu’elle faisoit encore la pâmée. « Revenez, ma chère, lui dit-il, revenez. J’ai fait tirer mon horoscope, je dois avoir quatre femmes ; vous n’êtes encore que la troisième. » Cependant il passa le pas. Elle le sut si bien cajoler qu’outre tous les avantages qu’il lui avoit faits elle lui fit donner vingt-quatre mille livres à sa sœur, une laideronne qu’il haïssoit comme la peste. Pour montrer ce que c’est que cette femme, il ne faut que dire que le maréchal d’Estrées ayant été obligé d’aller coucher chez elle, en Beauce, à cause que son carrosse s’étoit rompu la nuit, elle et sa sœur lui allèrent donner le fouet, quoiqu’il eût quatre-vingts ans. Il ne fit qu’en rire.

A Paris, le 2 septembre 1657 (1).

[(1) La copie de cette lettre s’est trouvée dans l’un des portefeuilles de Tallemant des Réaux.]

« Sire Bonnart, comme je m’aperçois que la sentence de condamnation du criminel appelant sera confirmée par messieurs de la cour, et qu’il sera renvoyé exécuter sur le territoire de ma terre d’Olé, je vous fais ce mot, pour vous avertir que j’ai vu un arbre vieux, sur son retour, près du cimetière de l’église, que je désire que vous fassiez émonder et abattre, et d’icelui arbre faire une potence pour faire l’exécution d’icelui criminel, et de faire serrer les émondures d’icelui arbre et les copeaux d’icelle potence sous le hangard de ma basse-cour. Si mes officiers n’eussent condamné ce pendart qu’au fouet, la sentence auroit été infirmée, et il auroit été pendu en Grève en meilleure compagnie, et il m’en auroit coûté bien moins qu’il ne m’en coûtera. Il faut néanmoins mesnager auprès de l’exécuteur de Chartres, que vous verrez de ma part, et ferez marché avec lui au plus juste prix que vous pourrez. Il me semble que j’ai vu chez vous, à mon advis, quelque corde et une échelle qui peuvent lui servir. Si par aventure icelui exécuteur vouloit faire le renchéri, je lui ferai bien connoître qu’il est obligé de faire cette exécution gratis, puisqu’il reçoit dans Chartres et dans les marchés circonvoisins un droit qui s’appelle _droit de havage. Je vous laisse la conduite dé cette affaire, et suis votre bon ami. »

Le Président Champ-Rond

Pour épargner la dépense du prisonnier, il le mena lui-même dans son carrosse, et pour cela fit surseoir l’exécution pendant quelque temps.

En revenant de sa terre, il apporta une fois un veau dans son carrosse, et quelqu’un, par malice, en ayant donné avis au commis du pied fourché, il eut grand démêlé avec eux pour l’entrée.

On dit qu’à l’enterrement de sa seconde femme, comme les prêtres entonnoient le Libera, il recommanda bien les escabeaux sur quoi étoit la bière, en disant : « On m’en vola deux à l’enterrement de ma première femme. »