Historiettes (1906)/M. de Guise, petit-fils du Balafré

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 221-226).

M. DE GUISE, PETIT-FILS DU BALAFRÉ[modifier]

M. de Reims, aujourd’hui M. de Guise, est un des hommes du monde le plus enclin à l’amour. Tandis qu’il possédoit tous ces grands bénéfices de la maison de Guise, il devint amoureux de madame de Joyeuse, fille du baron du Tour, et femme d’un M. de Joyeuse, de Champagne, de la vraie maison de Joyeuse. Le mari, quoique accommodé, se fit l’intendant du galant de sa femme. Ce Joyeuse étoit si lâche que de prendre pension du marquis de Mouy, de la maison de Lorraine, qui étoit aussi un des galants de sa femme. Fabri a dépensé cent mille écus auprès d’elle. Elle ne profitoit point de tout cela, et dépensoit tout. C’étoit une fort bonne femme. Joyeuse étoit un original. Il avoit je ne sais quelle fille avec laquelle il couchoit, mais il juroit qu’il ne lui faisoit rien, et qu’en cela il n’offensoit point Dieu.

Madame de Joyeuse n’étoit plus ni jeune ni belle ; mais elle avoit bien de l’esprit et jouoit bien de la harpe. Durant cette amourette, M. de Guise donna au frère de sa suivante une prébende de Reims. « Mais je veux, lui dit-il, que tu prennes l’habit de chanoine, car c’est à toi que je donne la chanoinie. » En effet, il lui mit l’habit de chanoine, et en cet état la croqua. Ce n’étoit pas la première fois.

M. de Reims aima ensuite la Villiers, qui est encore à l’hôtel de Bourgogne. Elle n’étoit pas trop belle. Pour lui plaire, il portoit des bas de soie jaune sous sa soutane : elle aimoit cette couleur.

En ce temps-là, quoique cadet, il le portoit si haut que, pour imiter les princes du sang, il se faisoit donner la chemise aux plus relevés qui se trouvoient à son lever. Il se trouva huit ou dix personnes qui firent cette sottise-là. Une fois on la présenta comme cela à l’abbé de Retz, qui la laissa tomber dans les cendres et s’en alla.

Etant devenu l’aîné, sous prétexte qu’il étoit marié, le cardinal de Richelieu lui voulut ôter ses bénéfices. Cela l’obligea à se retirer à Sedan. Après la mort de M. le Comte, étant passé en Flandre, il prit l’écharpe rouge (_d’Espagne) et ce fut pour cela qu’on lui fit ici son procès. Là il devint amoureux de la veuve du comte de Bossut, une fort belle personne ; il l’épousa du soir au matin, et, parce qu’il y avoit quelque formalité omise, le mariage fut confirmé par l’archevêque de Malines.

Des chevaliers de Malte, natifs de Provence, se mirent en fantaisie la conquête de l’île de Saint-Domingue, aux Indes, et jetèrent les yeux sur M. de Reims, depuis de Guise, pour le mettre à leur tête. Le dessein étoit bien pris ; mais le cardinal de Richelieu ne le voulut pas.

M. de Guise revint en France après la mort du cardinal de Richelieu. Il alla voir sa sœur, l’abbesse de Saint-Pierre, à Reims. Il dîna dans un parloir ; après il entra dans le couvent, comme prince, comme un homme qui avoit avoit été leur archevêque, et comme frère de madame l’abbesse. Là il se mit à courir après les religieuses, et en tâta fort une qui étoit une belle fille. « Mon frère, crioit madame de Saint-Pierre, vous moquez-vous  ? Aux épouses de Jésus-Christ !!! Ah ! , ma sœur, disoit-il, Dieu est trop honnête homme pour craindre d’être cocu. La religieuse, assez fière naturellement, faisoit bien du bruit de cette insolence. L’abbesse eut peur qu’elle n’en fît faire des plaintes à la Reine, et, pour y remédier, elle dit à son frère tout bas : « Faites-en autant à celle-là qui n’est point jolie — Ma sœur, elle est bien laide ; mais qu’importe, puisque vous le voulez, elle sera tâtée. » Cette laide lui en sut si bon gré qu’elle se garda bien de s’en plaindre, et la belle s’apaisa, voyant qu’elle n’étoit pas la seule.

Il ne fut pas longtemps à la cour sans oublier madame de Bossut, tout de même que la princesse Anne. Il devint amoureux d’une fille de la Reine, nommée mademoiselle de Pons. Elle étoit fille du marquis de La Case, de la maison de Pons ; son père et sa mère étoient venus ici pour quelque affaire. Madame d’Aiguillon fit cajoler cette fille qui, mourant d’envie de demeurer à la cour, changea de religion, afin d’entrer chez la Reine. Madame de Bossut étoit tout autrement belle ; celle-ci étoit trop grossière et trop rouge en visage pour des cheveux blonds ; d’ailleurs, un accent de Saintonge, le plus désagréable du monde, et l’esprit comme le corps ; mais coquette et folle de beaux habits autant que fille du monde. On en avoit déjà un peu parlé avec le maréchal d’Aumont, qui n’étoit alors que capitaine des gardes-du-corps, mais qui étoit marié il y avoit quinze ans.

Il a écrit à madame de Bossut qu’il étoit vrai qu’il l’avoit épousée, mais que tant de docteurs lui avoient assuré qu’elle n’étoit pas sa femme, qu’il étoit obligé de les en croire ; qu’il alloit mettre ordre à ses affaires et qu’il la satisferoit ; car il lui avoit mangé quatre cent mille livres qu’elle avoit ; et il la laissa gueuse. Cette femme n’étoit pas de si bonne maison que le comte de Bossut, elle étoit pourtant bien demoiselle, et une des plus belles personnes de son temps. Elle vint jusqu’à Rouen, il y a treize ou quatorze ans, déguisée, avec dessein, disoit-elle, de lui demander au milieu du Cours s’il la reconnoissoit pour sa femme, et, s’il disoit que non, de lui tirer un coup de pistolet, et de se tuer elle-même après. Mademoiselle de Rambouillet, aujourd’hui madame de Montausier, qui étoit alors à Rouen pour un procès, quêta pour elle. Le crédit de madame de Guise fit qu’on lui ordonna de se retirer, et elle ne vint point à Paris.

M. de Guise fit d’abord entendre à mademoiselle de Pons que son mariage avec madame de Bossut étoit nul, et qu’il le feroit casser si elle vouloit l’aimer. L’ambition d’être duchesse et princesse fit goûter la proposition à la demoiselle, et insensiblement elle s’y engagea si bien que M. de Guise n’étoit que douze heures du jour avec elle ; car en ce temps-là, comme bien depuis encore, la Reine laissoit faire à ses filles tout ce qu’il leur plaisoit, et on les cajoloit tous les jours à ses yeux. Pour leur chambre, leur gouvernante, la pauvre madame du Puys, n’y avoit pas grand pouvoir ; elles lui faisoient même des malices épouvantables ; car, non contentes de lui avoir coupé des brins de vergette dans son lit, pour l’empêcher de dormir, à Fontainebleau, un été qu’il fit un chaud étrange (1646) elles lui mirent des réchauds de feu sous son lit. Elle crut que c’étoit l’air étouffé de Fontainebleau qui lui causoit cette incommodité ; elle se leva pour respirer à la fenêtre, pensant que son lit, découvert, se rafraîchiroit, et elle le trouva encore plus chaud ; elle fut longtemps avant que de deviner ce que c’étoit.

On voyoit durant cette amour M. de Guise expliquer devant tout le monde à sa maîtresse un rescrit du pape qu’il avoit obtenu, et elle lui faire des difficultés. Un jour M. d’Orléans la rencontra seule, et lui dit plaisamment : « Mademoiselle, si vous n’y prenez garde, mon frère de Guise vous épousera : au moins, je vous en donne avis. »

Toutes les fois que la Reine sortoit, on le voyoit suivre le carrosse des filles, et ses folies amoureuses étoient si publiques que tous les artisans de la rue Saint-Honoré, approchant du Palais-Royal, ne s’entretenoient d’autre chose. On lui rapporta qu’un médecin nommé…… (1), qui servoit la maison, fit quelques vers où il rioit des amours de M. de Guise et de mademoiselle de Pons.

[(1) Le nom est en blanc dans le manuscrit.]

Tout ce qui touchoit cette fille étoit à son égard un crime de lèse-majesté ; de sorte que, sans s’informer si ce qu’on lui avoit dit étoit vrai, il fit monter ses gens chez cet homme, et il demeura à la porte tandis qu’on le bâtonnoit. Cela est assez vilain, ce me semble.

Un automne que la cour étoit à Fontainebleau, la demoiselle demeura chez sa belle-sœur de La Case, pour se baigner. On la purgea ; il se voulut purger aussi. Il prit de la même drogue, la même dose, et de la main du même apothicaire, disant qu’il en avoit besoin, et qu’il ne pouvoit pas se bien porter, puisque que mademoiselle de Pons étoit indisposée. Une fois, il lui prit je ne sais quelle vision ; sur ce qu’elle lui avoit dit qu’il ne l’aimoit point, de tirer son épée pour se tuer, disoit-il. On entendit un grand cri : on y courut ; elle se tuoit de lui dire : « Remettez votre épée, monsieur de Guise, remettez votre épée ; je crois que vous m’aimez plus que votre vie. »

M. d’Orléans le fit nommer son lieutenant-général en Flandre. Il ne put se résoudre à partir ; il envoya son train. Il fut fort long-temps en justaucorps ; mais il n’alla pas plus loin que Fontainebleau ; là, pour le moins aussi fou qu’a Paris, il prit des eaux parce qu’elle en prenoit ; il les prenoit à même heure qu’elle et avec les mêmes précautions ; soit qu’il fût plus échauffé qu’elle, il les rendoit fort mal, quoiqu’elle les rendît fort bien. Pour y remédier, il lui prit une de ses jupes, et se la mettoit quand il buvoit, et cela sérieusement. Toute la cour l’a vu en cet état quinze jours et davantage. Il passoit les journées entières avec elle ; tout le monde étoit en peine de ce qu’il lui pouvoit tant dire ; enfin, on découvrit qu’il lui disoit bien souvent des choses par cœur : et un jour qu’elle lui avoit demandé le second volume de Cassandre, il ne le lui envoya pas, mais il le lut toute la nuit, et le lendemain il le lui récita d’un bout à l’autre, sans s’amuser aux paroles de l’auteur, car il est constant qu’il a la mémoire excellente : son grand jugement au moins ne l’empêche pas d’en avoir beaucoup. il sait quelque chose, a de l’esprit, dit les choses agréablement, n’est pas méchant, a de la générosité, du cœur, et est fort civil. « C’est dommage qu’il est fou, » comme disoit M. de Chevreuse.