Honoré de Balzac/III.

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Calmann-Lévy, éditeur (p. 62-92).

CHAPITRE III

LA COMÉDIE HUMAINE

Ce qui nous intéresse de quelques écrivains, ou dans leur œuvre, et notamment dans l’œuvre de la plupart des contemporains de Balzac, c’est eux-mêmes ; et, dans le Lac ou dans la Tristesse d’Olympio, dans les Nuits de Musset, dans sa Confession d’un enfant du siècle, dans les premiers romans au moins de George Sand, ce que nous essayons de retrouver, ce sont les « états d’âme », très personnels et très particuliers, qui furent, à un moment donné de leur vie réelle, ceux de madame Sand et de Victor Hugo, de Lamartine et d’Alfred de Musset. À la vérité, nous pourrions, nous devrions même faire attention que, si nous sommes curieux de connaître leurs « états d’âme », c’est qu’ils sont les auteurs de leurs œuvres. Si le Lac n’était pas tout ce qu’il est par ailleurs, et, quoi qu’il soit, si nous n’estimions pas qu’il le serait encore, nous nous soucierions assez peu de savoir quelle ou qui fut Elvire, et la nature des sentiments que Lamartine éprouva pour elle. La Confession d’un enfant du siècle est un « document » essentiel de la biographie d’Alfred de Musset. Mais quel intérêt prendrions-nous à la biographie de Musset, s’il n’était Alfred de Musset, et j’entends par là, non pas Alfred, fils de son père, et frère de Paul, dont « les états d’âme » nous seraient, je pense, totalement indifférents, mais le poète de ses Nuits et l’auteur de son Théâtre ? Une littérature purement personnelle n’a d’intérêt pour l’historien que dans la mesure où elle a réussi à se rendre impersonnelle, et « le subjectif » ne sort du domaine de la singularité psychologique ou pathologique, pour entrer dans celui de l’art, qu’en « s’objectivant ». Je m’excuse d’employer ces termes ; mais l’usage en est devenu courant, et il y aurait aujourd’hui plus de pédantisme à les éviter qu’à s’en servir.

Ce qui pourtant demeure vrai, c’est qu’on ne saurait étudier les écrivains de cette famille, — et de cette époque, — que dans la succession chronologique de leurs œuvres, puisque cette succession est celle même de leurs sentiments. On ne saurait non plus isoler ou détacher de leur biographie l’examen de leurs œuvres, puisque leurs œuvres ne sont que des moments de leur biographie. Tel est le cas de George Sand. Le véritable intérêt de ses premiers romans, — Valentine, Indiana, Lélia même, — c’est d’être sa propre histoire, ou du moins l’expression de son rêve. Mais comment elle est passée de ses premiers romans à ceux de sa troisième et dernière manière, — Le Marquis de Villemer et Mademoiselle La Quintinie, — on ne se l’expliquerait pas, ou on se l’expliquerait mal, si l’on n’insérait entre les uns et les autres ses romans socialistes : le Compagnon du tour de France ou le Péché de M. Antoine, avec, et surtout, l’énumération des influences politiques et masculines, sous lesquelles elle les a composés : Lamennais, Pierre Leroux, Michel de Bourges, Agricol Perdiguier et Charles Poncy. Lorsque les œuvres sont en quelque sorte les créatures des circonstances, alors, pour les comprendre, il est indispensable de préciser les circonstances de leur production. Il ne l’est pas moins d’enchaîner ces circonstances les unes aux autres ; et on n’y peut réussir, — quoique l’histoire littéraire et la critique l’aient plus d’une fois oublié, — qu’en respectant la chronologie. L’Art de vérifier les dates est et demeurera le fondement de toute espèce d’histoire.

Mais Balzac est d’une autre famille, et le caractère le plus apparent de son œuvre en est justement « l’objectivité ». Ses romans ne sont point des confessions de sa vie ; et le choix de ses sujets ne lui a jamais été dicté par des raisons particulières, et en quelque sorte privées. Il ne s’y raconte ni ne s’y explique, ou encore, quand il s’y raconte, il s’y déguise ; et en s’y expliquant il ne veut point être reconnu. Ses déclarations réitérées sont formelles à cet égard. Allons plus loin, et disons que, d’une manière générale, ce n’est pas Balzac qui choisit son sujet, mais ce sont ses sujets qui le prennent, pour ainsi dire, et qui s’imposent à lui. Aussi — et en dehors de ses besoins d’argent, — voyons-nous qu’il a toujours à la fois trois ou quatre romans sur le métier. Mais il en a bien plus encore dans la tête ! Ou plutôt, son œuvre entière, et on y comprend les parties qu’il n’a pas eu le temps d’en réaliser, est présente ensemble à son esprit, et ce n’est point quand il le veut, ni parce qu’il le veut, que tel ou tel fragment s’en détache ; — voyez par exemple, dans sa Correspondance, combien d’années, avant de l’écrire en quinze jours, il a porté César Birotteau ; — mais c’est que le moment en est venu. De là, cet air de nécessité qui est celui de ses grands romans : il fallait que ces romans fussent, et qu’ils fussent précisément ce qu’ils sont ! De là, la rapidité prodigieuse, et qui l’étonne parfois lui-même, avec laquelle il en a écrit ou « rédigé » quelques-uns : il ne les savait pas si mûrs, en quelque sorte, ni, tandis qu’il les sentait s’agiter confusément en lui, déjà prêts à vivre de leur vie. De là, encore, ce qu’ils ont de vivant ou vraiment d’ « organique » ; et de là les rapports ou les liaisons qu’ils soutiennent tous les uns avec les autres, et que le plan de la Comédie humaine a rendues plus manifestes, mais qui ne seraient ni moins étroites ni moins certaines quand l’exécution de ce plan serait encore moins achevée qu’elle ne l’est.

Il a d’ailleurs très bien senti que ce caractère organique, — et unique, — faisait l’originalité de son œuvre ; et, tel qu’il était, il n’a point fait difficulté d’en avertir ses contemporains. J’ai vu, souvent citée, cette phrase d’une lettre à sa sœur [1833] à propos d’Eugénie Grandet : « Ah ! il y a trop de millions dans Eugénie Grandet ? Mais, bête, puisque l’histoire est vraie, veux-tu que je fasse mieux que la vérité ? » Et les bons Balzaciens de se récrier sur la force d’illusion que semblent indiquer ces mots, sans observer que, dans une autre lettre, du même temps [fin décembre 1833] et adressée, celle-ci, à madame Zulma Carraud, dont il redoute beaucoup plus le jugement que celui de sa sœur, Balzac s’expliquait en ces termes sur le même sujet : « Je ne puis rien dire de vos critiques, si ce n’est que les faits sont contre vous. À Tours, il y a un épicier en boutique qui a huit millions ; M. Eynard, simple colporteur, en a vingt ; il a eu treize millions en or chez lui ; il les a placés en 1814 sur le grand-livre, à cinquante-six francs, et ainsi s’en est fait vingt. Néanmoins, dans la prochaine édition, je baisserai de six millions la fortune de Grandet. » L’histoire, quoique vraie, n’était donc pas tellement vraie, que la vérité n’en souffrît quelques accommodements !

Mais une autre phrase, que j’emprunte également à une lettre adressée à madame Zulma Carraud, et datée du 30 janvier 1834, est bien plus importante : « Vous avez été bien peu touchée de ma pauvre Eugénie Grandet, qui peint si bien la vie de province ; mais une œuvre qui doit contenir toutes les figures et toutes les positions sociales, ne pourra, je crois, être comprise que quand elle sera terminée. »

À cette date, il ne veut encore parler que de ses Études de mœurs, dont la première édition va paraître, en septembre 1834, — je veux dire la première édition sous ce titre, — chez la veuve Ch. Béchet. Il n’a encore donné de ses grands romans, à cette même date, que les Chouans, la Peau de chagrin et Eugénie Grandet. Mais ce que néanmoins il sait parfaitement, c’est qu’Eugénie Grandet n’est pas isolée dans son œuvre ; — un Kenilworth après lequel il écrira un Quentin Durward ; une Indiana qui sera suivie d’une Valentine ; une Chronique de Charles IX qui n’aura rien de commun avec une Colomba que d’être signée du même nom ; — mais elle a des prolongements, des « correspondances », des ramifications qu’il n’entrevoit pas très clairement lui-même, qui existent pourtant, et qui se débrouilleront à mesure qu’il avancera dans son œuvre. Ainsi, des frères et des sœurs, dans le temps de leur première enfance ou de leur jeunesse même, n’ont de commun entre eux qu’un certain air de famille, et encore ne l’ont pas toujours, mais, à mesure qu’ils avancent en âge, les traits qui les individualisaient s’atténuent, ils retournent au type de leurs auteurs, et on voit bien qu’ils sont les enfants du même père et de la même mère. Les romans de Balzac soutiennent entre eux une liaison de ce genre. Ils tirent, eux aussi, leur naissance d’une commune origine ; et cette origine commune est une pensée première, que chacun d’eux exprime par un de ses aspects, et cependant, et en même temps, dans son intégrité.

C’est ce qu’il a essayé de faire dire par un certain Félix Davin, dans les deux Introductions qu’il lui a sans doute à peu près dictées, en 1834 et en 1835, l’une pour ses Études de mœurs, et l’autre pour ses Études philosophiques ; on ne comprend guère que, des morceaux de cette importance, il n’ait pas tenu à les écrire lui-même. [Cf. Ch. de Lovenjoul, Histoire des Œuvres de Balzac, pages 46-64, et pages 194-207.] Il faut, hélas ! en convenir : l’éloge mis à part, qui va d’ailleurs jusqu’à l’immodestie, ces deux préfaces ne sont que du galimatias tout pur, et du galimatias prétentieux. Nous ne savons plus aujourd’hui qui était Félix Davin ; et, en vérité, nous n’éprouvons, à lire ses Introductions, aucun désir de le connaître davantage, ni lui, ni les romans que je trouve catalogués sous son nom dans les répertoires : Une Fille naturelle, ou l’Histoire d’un suicide. Mais trouverons-nous Balzac lui-même beaucoup plus clair, dans ce passage capital d’une de ses lettres à madame Hanska ?

« Les Études de mœurs représenteront tous les effets sociaux sans que ni une situation de la vie, ni une physionomie, ni un caractère d’homme ou de femme, ni une profession, ni une manière de vivre, ni une zone sociale, ni un pays français, ni quoi que ce soit de l’enfance, de la vieillesse, de l’âge mûr, de la politique, de la justice, de la guerre ait été oublié.

» Cela posé, l’histoire du cœur humain tracée fil à fil, l’histoire sociale faite dans toutes ses parties, voilà la base. Ce ne seront pas des faits imaginaires ; ce sera ce qui se passe partout.

» Alors, la seconde assise est les Études philosophiques, car après les effets viendront les causes. Je vous aurai peint dans les Études de mœurs les sentiments et leur jeu, la vie et son allure. Dans les Études philosophiques, je vous dirai pourquoi les sentiments, sur quoi la vie ; quelle est la partie, quelles sont les conditions au delà desquelles ni l’homme ni la société n’existent, et après l’avoir parcourue pour la décrire [la société] je la parcourrai pour la juger. Ainsi, dans les Études de mœurs, sont les individualités typisées, dans les Études philosophiques sont les types individualisés. Ainsi, partout j’aurai donné la vie : au type, en l’individualisant, à l’individu en le typisant. J’aurai donné de la pensée au fragment ; j’aurai donné à la pensée la vie de l’individu.

» Puis, après les effets et les causes, viennent les Études analytiques, dont fait partie la Physiologie du mariage, car, après les effets et les causes doivent se rechercher les principes. Les mœurs sont le spectacle ; les causes sont les coulisses et les machines. Les principes, c’est l’auteur ; mais à mesure que l’œuvre gagne en spirale les hauteurs de la pensée, elle se resserre et se condense. S’il faut vingt-quatre volumes pour les Études de mœurs, il n’en faudra que quinze pour les Études philosophiques ; il n’en faut que neuf pour les Études analytiques. Ainsi, l’homme, la société, l’humanité seront décrits, jugés, analysés sans répétitions, et dans une œuvre qui sera comme les Mille et une Nuits de l’Occident.

» Quand tout sera fini, ma Madeleine grattée, mon fronton sculpté, mes planches débarrassées, mes derniers coups de peigne donnés, j’aurai eu raison ou j’aurai eu tort. Mais après avoir fait la poésie, la démonstration de tout un système, j’en ferai la science dans l’Essai sur les forces humaines. Et sur les bases de ce palais, moi, enfant et rieur, j’aurai tracé l’immense arabesque des Cent contes drolatiques. » [Lettres à l’Étrangère, 1834, no  LXXII.]

Non ! en vérité, toute cette logomachie n’est pas très claire ! et nous pouvons ajouter que, de la confusion qu’elle exprime, Balzac, avec tout son génie, ne se débarbouillera jamais. Il dit pourtant ce qu’il veut dire ! Et ce qu’il veut dire, c’est que, de même que l’individu n’existe qu’en fonction de la société, par elle, en elle, et pour elle ; ainsi, chacun de ses romans n’a de sens, ou tout son sens, que dans son rapport avec la Comédie humaine. La dernière forme, et on serait tenté de dire « la dernière incarnation » de ces desseins gigantesques, — dont l’ensemble, jusqu’en 1841, ne se présentait à l’esprit de Balzac que sous le titre, assez peu synthétique, d’Études sociales, — est, en effet, la Comédie humaine, dont le Prospectus parut au mois d’avril 1842.

On conte [Cf. Ch. de Lovenjoul, Histoire des Œuvres de Balzac, appendice, p. 414] que l’idée de ce titre, — à laquelle je ne sais pourquoi la plupart de ses biographes, depuis madame Surville, sa sœur, jusqu’à M. André Le Breton, attachent une si grande importance, — lui aurait été suggérée par l’un de ses amis, le marquis de Belloy, au retour d’un voyage d’Italie, où sans doute ce jeune homme avait découvert Dante ; et, depuis lors, entre la Divine Comédie du grand Florentin et la Comédie humaine de notre Balzac, c’est à qui nous montrera je ne sais quels rapports intimes et insoupçonnés du romancier lui-même. Mais la vérité, c’est que, de ces rapports intimes, on a beau y regarder, on n’en discerne seulement pas l’ombre ; et toutes les belles phrases qu’on pourra faire, sur l’enfer de Dante et l’enfer où s’agitent les « damnés » de Balzac, ne seront jamais que des phrases.

Je crois donc tout bonnement qu’en donnant à son œuvre ce titre de la Comédie humaine, Balzac a pris le mot au sens tout simple où l’avait pris Musset :

Toujours mêmes acteurs et même comédie ;
Et quoi qu’ait inventé l’humaine hypocrisie,
Rien de vrai là-dessous que le squelette humain.

C’est encore le sens où le prendra Vigny, dans sa Maison du Berger :

Je n’entends ni vos cris, ni vos soupirs, à peine
Je sens passer sur moi la comédie humaine,
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

Et, tout bonnement, c’est le sens qui, dans la langue de Molière et de La Fontaine, s’offre naturellement à l’esprit du lecteur. C’est aussi celui que je retrouve, dans une phrase de Balzac lui-même, que j’emprunte à la dédicace qu’il a faite de son roman d’Illusions perdues à Victor Hugo : « Les journalistes n’eussent-ils donc pas appartenu, comme les marquis, les financiers, les médecins et les procureurs, à Molière et à son théâtre ? Pourquoi donc la Comédie humaine, qui castigat ridendo mores, excepterait-elle une puissance, quand la presse parisienne n’en excepte aucune ? »

Je ne suis étonné que d’une chose, laquelle est que, Balzac étant depuis 1833 comme en travail de son idée maîtresse, il ait attendu jusqu’en 1841 pour lui trouver un nom, et j’ajouterai : le seul nom qui lui convînt, si d’ailleurs il est bien entendu qu’à ce nom nous n’attribuerons aucune signification symbolique ou mystique. La Comédie humaine, c’est la comédie que se joue l’humanité à elle-même, chacun de nous, tour à tour ou ensemble, — comme on est en économie politique à la fois producteur et consommateur, — y étant acteur ou spectateur. On naît, on vit, on peine, on aime, on hait, on pardonne et on se venge, on s’entr’aide et on se nuit, on se révolte et on se résigne, on rit et on pleure, on s’indigne et on se moque, on se dispute, on se bat, on s’agite, on s’apaise, — et on meurt. C’est ce qui se passe dans les romans de Balzac… Et qu’importe, après cela, le titre sous lequel il les a tous rassemblés, si nous avons une fois bien compris la solidarité qui les lie ?

Nous donnons ici, d’après M. de Lovenjoul [Histoire des Œuvres de Balzac, pp. 217 et suiv.], le catalogue des œuvres qui devaient composer la Comédie humaine, et dont les derniers détails ont été définitivement arrêtés par Balzac en 1845 :

LA COMÉDIE HUMAINE
Première partie
ÉTUDES DE MŒURS
Scènes de la Vie privée.

1o Les Enfants ; — 2o un Pensionnat de demoiselles ; — 3o Intérieur de collège ; — 4o la Maison du Chat-qui-pelote ; — 5o le Bal de Sceaux ; — 6o Mémoires de deux jeunes mariées ; — 7o la Bourse ; — 8o Modeste Mignon ; — 9o un Début dans la Vie ; — 10o Albert Savarus ; — 11o la Vendetta ; — 12o Une double Famille ; — 13o la Paix du Ménage ; — 14o Madame Firmiani ; — 15o Étude de femme ; — 16o la Fausse maîtresse ; — 17o une Fille d’Ève ; — 18o le Colonel Chabert ; — 19o le Message ; — 20o la Grenadière ; — 21o la Femme abandonnée ; — 22o Honorine ; — 23o Béatrix ; — 24o Gobseck ; — 25o la Femme de trente ans ; — 26o le Père Goriot ; — 27o Pierre Grassou ; — 28o la Messe de l’athée ; — 29o l’Interdiction ; — 30o le Contrat de mariage ; — 31o Gendres et belles-mères ; — 32o Autre Étude de femme.

Scènes de la Vie de province.

33o Le Lys dans la Vallée ; — 34o Ursule Mirouet ; — 35o Eugénie Grandet ; — 36o les Célibataires : I. Pierrette ; — 37o II. le Curé de Tours ; — 38o III. un Ménage de garçon ; — 39o les Parisiens en province : I. l’Illustre Gaudissart ; — 40o II. les Gens ridés ; — 41o III. La Muse du département ; — 42o IV. une Actrice en voyage ; — 43o la Femme supérieure ; — 44o les Rivalités : I. l’Original ; — 45o II. les Héritiers Boisrouge ; — 46o III. la Vieille fille ; — 47o les Provinciaux à Paris : I. le Cabinet des antiques ; — 48o II. Jacques de Metz ; — 49o Illusions perdues : I. les Deux poètes ; — 50o II. un Grand homme de province à Paris ; — 51o III. les Souffrances de l’inventeur.

Scènes de la Vie parisienne.

52o Histoire des Treize : I. Ferragus ; — 53o II. la Duchesse de Langeais ; — 54o III. la Fille aux yeux d’or ; — 55o les Employés ; — 56o Sarrasine ; — 57o Grandeur et décadence de César Birotteau ; — 58o la Maison Nucingen ; — 59o Facino Cane ; — 60o les Secrets de la princesse de Cadignan ; — 61o Splendeurs et misères des Courtisanes : I. Comment aiment les filles ; — 62o II. À combien l’amour revient aux vieillards ; — 63o III. Où mènent les mauvais chemins ; — 64o IV. la dernière Incarnation de Vautrin ; — 65o les Grands, l’Hôpital et le Peuple ; — 66o un Prince de la Bohème ; — 67o les Comédiens sans le savoir ; — 68o Échantillon de causerie française ; — 69o une Vue du Palais ; — 70o les Petits bourgeois ; — 71o Entre Savants ; — 72o le Théâtre comme il est ; — 73o les Frères de la consolation : l’Envers de l’histoire contemporaine.

Scènes de la Vie politique.

74o Un Épisode sous la Terreur ; — 75o l’Histoire et le Roman ; — 76o une ténébreuse Affaire ; — 77o les Deux Ambitieux ; — 78o l’Attaché d’ambassade ; — 79o Comment on fait un Ministère ; — 80o le Député d’Arcis ; — 81o Z. Marcas.

Scènes de la Vie militaire.

82o Les Soldats de la République ; — 83o l’Entrée en campagne ; — 84o les Vendéens ; — 85o les Chouans ; — 86o les Français en Égypte : I. Le Prophète ; — 87o II. Le Pacha ; — 88o III. Une Passion dans le désert ; — 89o l’Armée roulante ; — 90o la Garde consulaire ; — 91o Sous Vienne : I. Un Combat ; — 92o II. L’Armée assiégée ; — 93o III. la Plaine de Wagram ; — 94o l’Aubergiste ; — 95o les Anglais en Espagne ; — 96o Moscou ; — 97o la Bataille de Dresde ; — 98o les Traînards ; — 99o les Partisans ; — 100o une Croisière ; — 101o les Pontons ; — 102o la Campagne de France ; — 103o le Dernier Champ de bataille ; — 104o l’Émir ; — 105o la Pénissière ; — 106o le Corsaire algérien.

Scènes de la Vie de campagne.

107o Les Paysans ; — 108o le Médecin de campagne ; — 109o le Juge de paix ; — 110o le Curé de village ; — 111o les Environs de Paris.

Deuxième partie
ÉTUDES PHILOSOPHIQUES

112o Le Phédon d’aujourd’hui ; — 113o la Peau de chagrin ; — 114o Jésus-Christ en Flandre ; — 115o Melmoth réconcilié ; — 116o Massimilla Doni ; — 117o le Chef-d’œuvre inconnu ; — 118o Gambara ; — 119o la Recherche de l’Absolu ; — 120o le Président Fritot ; — 121o le Philanthrope ; — 122o l’Enfant maudit ; — 123o Adieu ; — 124o les Marana ; — 125o le Réquisitionnaire ; — 126o el Verdugo ; — 127o un Drame au bord de la mer ; — 128o Maître Cornélius ; — 129o l’Auberge rouge ; — 130o Sur Catherine de Médicis : I. Le Martyr calviniste ; — 131o II. La Confession de Ruggieri ; — 132o III. Les Deux Rêves ; — 133o le Nouvel Abeilard ; — 134o l’Élixir de longue vie ; — 135o la Vie et les Aventures d’une idée ; — 136o les Proscrits ; — 137o Louis Lambert ; — 138o Séraphita.

Troisième partie
ÉTUDES ANALYTIQUES

139o Anatomie des Corps enseignants ; — 140o la Physiologie du mariage ; — 141o Pathologie de la Vie sociale ; — 142o Monographie de la vertu ; — 143o Dialogue philosophique et politique sur la perfection du XIXe siècle.

Les titres en italiques sont ceux des ouvrages que Balzac n’a pas eu le temps d’écrire, et on voit qu’ils sont encore assez nombreux. D’autre part, on remarquera que deux au moins de ses chefs-d’œuvre, la Cousine Bette et le Cousin Pons, qui ne datent, en effet, que de 1846 et 1847, ne figurent pas sur ce programme. Faut-il d’ailleurs regretter qu’il n’ait pas pu le remplir ? et, par exemple, regarderons-nous comme une grande perte pour les lettres françaises, que tout ce qu’il a donné des Scènes de la Vie militaire se réduise à ses Chouans, et à la très médiocre nouvelle intitulée : une Passion dans le désert ? Admirable matière encore à mettre en déclamations ! La Plaine de Wagram, la Bataille de Dresde, la Campagne de France, quels sujets, pourrait-on dire, sous la plume d’un Balzac ! et fallait-il qu’un sort jaloux réservât l’honneur d’écrire le roman de la guerre au génie d’un Tolstoï ! Oui ! mais, d’autre part, on ne peut s’empêcher d’observer que cette seule nomenclature des Scènes de la Vie militaire, — qui commence avec les Soldats de la République, en 1793, pour se terminer avec le Corsaire algérien, en 1830, — a quelque chose de bien systématique, et qui ne relève pas tant de l’inspiration personnelle et vécue du romancier, que de l’obligation qu’il s’est imposée de remplir là toute l’étendue de son cadre. Il fallait qu’il y eût, dans sa Comédie, des scènes de la vie militaire, parce que la vie militaire est un aspect de la vie contemporaine, et, dans ces scènes de la vie militaire, il fallait que la République, l’Empire et la Restauration eussent chacun leur part, puisque c’est de 1792 à 1835 que la société qu’il décrit a vécu. Cela est un peu bien artificiel !

C’est encore ainsi que, dans les Scènes de la Vie privée, devaient figurer les Enfants ; Un Pensionnat de Demoiselles ; Intérieur de collège, pour une seule raison, qui n’est peut-être pas que ces sujets fussent pour le romancier d’un bien vif intérêt, mais parce que l’un des problèmes de la vie contemporaine est celui de l’éducation, et ce problème, aux environs de 1840, Balzac s’est aperçu qu’à peine, dans son Louis Lambert, l’avait-il effleuré. Rapportons au même scrupule, et au même dessein, l’Anatomie des Corps enseignants. Et, assurément, puisque c’était ainsi qu’il avait conçu son monument, de telle sorte que « quoi que ce soit de l’enfance, de la vieillesse, de l’âge mûr… n’y fût oublié », on ne peut que lui savoir gré de l’avoir voulu complet, ou conforme à l’idée qu’il s’en était faite. Nous craignons seulement que, cette idée même, il n’eût risqué de la dénaturer, en prétendant lui donner plus de rigueur ou plus de précision qu’elle n’en comportait. D’organique et de vivante qu’elle était sous sa première forme, la solidarité qui lie les unes aux autres les parties de son œuvre fût devenue plus apparente peut-être, mais sûrement plus artificielle, en devenant géométrique et logique. Les proportions architecturales n’en eussent été réalisées extérieurement qu’aux dépens, si je puis ainsi dire, de la qualité propre et intrinsèque des matériaux. Des récits d’une documentation savante et laborieuse, mais ennuyeux peut-être, comme ses Employés, y eussent alterné avec tant de chefs-d’œuvre spontanément jaillis de l’inspiration du poète. Et l’intensité de vie de ces chefs-d’œuvre eux-mêmes n’en eût pas sans doute été diminuée, mais, puisque tout se tient, je ne sais si l’effet total de la Comédie humaine, à de certains égards, n’en eût pas été moins saisissant. Décidément « Dieu fait bien ce qu’il fait » ! et nous ne dirons pas, avec la formule banale, que Balzac est mort à temps pour sa gloire ; mais nous ne dirons pas aussi le contraire ; et, prenant son œuvre telle qu’elle est, nous ne regretterons pas que la mort ne lui ait pas permis, en voulant la perfectionner, de la gâter.

Mais on comprendra mieux maintenant que, pour l’analyser et la juger, nous ne nous attachions pas à la présenter dans sa succession chronologique. Il se trouve, en fait, que Balzac n’a rien écrit de supérieur au Cousin Pons et à la Cousine Bette, qui sont respectivement, nous venons de le dire, la seconde de 1846, et le premier de 1847. L’idée commune qui les relie, — celle des drames sombres et secrets que l’inégalité des conditions engendre dans les familles, entre gens du même nom, du même sang, de la même origine, — est l’une des plus fécondes que l’on puisse concevoir en sujets émouvants, et en sujets dont la portée sociale égale ou surpasse l’intérêt romanesque. Mais la Recherche de l’Absolu, qui est de 1834, et Eugénie Grandet, qui est de 1833, ne me semblent inférieurs en rien, — quoique moins touffus, — à la Cousine Bette ou au Cousin Pons ; et certainement, comme expression ou représentation de ce que Balzac y a voulu peindre, ils les valent. Pendant dix-huit années de production intensive, Balzac, bon ou mauvais, n’a été, à proprement parler, ni au-dessous ni au-dessus de Balzac.

Par exemple, c’est en 1842, au lendemain de la publication d’un Ménage de Garçon [la Rabouilleuse], un autre encore de ses chefs-d’œuvre, qu’il a définitivement « abîmé », si je l’ose dire, sa Femme de trente ans, si heureusement commencée en 1831. Et la raison en est la même. Au travers des explications que nous avons données, et par delà ces explications, si l’on a commencé d’entrevoir la nature d’imagination de Balzac, on se sera rendu compte que la succession de ses œuvres en librairie n’avait rien de commun avec leur chronologie réelle. On l’a vu, nous l’avons fait remarquer pour César Birotteau ; et, s’il avait vécu, et qu’il eût donné, vers 1850 ou 1852, sa Bataille ou ses Héritiers Boirouge, ses lettres à madame Hanska nous sont témoin qu’il les aurait donc portés environ vingt ans, puisqu’il en parle dès 1834. Il y a encore une Sœur Marie des Anges, dont il annonce, en cette même année 1834, à son éditeur Werdet, que le manuscrit est terminé. Il lui écrit même tout exprès, et uniquement, pour l’inviter à venir chercher ce manuscrit à Nemours, où il a fui ses créanciers ; et cependant Sœur Marie des Anges n’a jamais paru. D’autres que nous, s’ils le veulent, éclairciront le mystère. Mais ce que nous tenons à dire, c’est qu’à dater de 1832 ou 1833, au plus tard, et à partir des Chouans, — ou de la Peau de chagrin, que je rapporterais à sa première manière, — l’œuvre entière de Balzac étant confusément contemporaine dans sa tête, il nous faut donc, pour l’apprécier, l’avoir, nous aussi, tout entière et à la fois sous l’œil.

C’est ce qui a été ni mieux compris ni mieux dit par personne que par George Sand, dont on pensera sans doute avec nous que le témoignage a ici une importance et une autorité particulières :

« Et nous aussi, comme la critique, quand nous avons lu un à un, et jour par jour, ces livres extraordinaires, à mesure qu’il les produisait, nous ne les avons pas tous aimés. Il en est qui ont choqué nos convictions, nos goûts, nos sympathies. Tantôt nous avons dit : “C’est trop long,” et tantôt : “C’est trop court.” Quelques-uns nous ont semblé bizarres et nous ont fait dire en nous-même, avec chagrin : “Mais pourquoi donc ? À quoi bon ? Qu’est-ce que cela ?”

» Mais, quand Balzac, trouvant enfin le mot de sa destinée, le mot de l’énigme de son génie, a saisi ce titre admirable et profond : la Comédie humaine ; quand, par des efforts de classement laborieux et ingénieux, il a fait de toutes les parties de son œuvre un tout logique et profond, chacune de ces parties, même les moins goûtées par nous au début, ont repris pour nous leur valeur en reprenant leur place. Chacun de ces livres est, en effet, la page d’un grand livre, lequel serait incomplet, s’il eût omis cette page importante. Le classement qu’il avait entrepris devait être l’œuvre du reste de sa vie ; aussi n’est-il point parfait encore ; mais, tel qu’il est, il embrasse tant d’horizons qu’il s’en faut peu qu’on ne voie le monde entier du point où il vous place. »

Nous renoncerons encore, tandis que nous y serons, à une habitude invétérée, mais un peu fâcheuse, de la critique ; et nous n’entreprendrons pas, pour caractériser le roman de Balzac, de le comparer lui-même aux romanciers ses contemporains. Sainte-Beuve écrivait, au lendemain de la mort du romancier, dans ses Causeries du Lundi : « Il y aurait, dans un travail moins incomplet, et si l’on était libre de se donner carrière, à bien établir et à graduer les rapports vrais entre le talent de M. de Balzac et celui de ses plus célèbres contemporains : madame Sand, Eugène Suë, Alexandre Dumas. En un tout autre genre, mais avec une vue de la nature humaine qui n’est pas plus en beau ni plus flattée, M. Mérimée pourrait se prendre comme opposition de ton et de manière, comme contraste… » C’est tout justement ce que je pense qu’il ne faut pas faire. Il ne faut pas le faire, parce que les romans de Balzac ne sont pas des récits isolés, dont chacun se suffise à lui-même, ni qui puissent donc être jugés ou appréciés indépendamment, et comme par abstraction de l’ensemble dont ils font partie. Cette raison, qui était excellente en 1850, est aujourd’hui meilleure encore, après un demi-siècle écoulé. Mais il ne faut pas le faire, il ne faut pas comparer Eugénie Grandet à Carmen, ou les Parents Pauvres au Juif-Errant, — pas plus que l’on ne compare la comédie de Molière aux drames de Sedaine ou de Diderot, — parce que Carmen et Eugénie Grandet, les Parents Pauvres et le Juif-Errant, ne procèdent pas de la même intention, ni, comme nous le montrerons, du même système d’art. Ou plutôt encore, les Parents Pauvres et Eugénie Grandet ne procèdent, en vérité, d’aucun système d’art, mais d’une intention générale de « représenter la vie », fût-ce aux dépens de ce qu’on avait jusqu’à Balzac appelé du nom d’art ; — et on ne peut donc, pour les juger ou les apprécier, les « comparer » qu’avec la vie.

Et pour la même raison, nous n’attacherons pas à la question du « style » de Balzac l’importance que je vois qu’on lui attribue encore de nos jours. Le style de Balzac, — dont je crois connaître les défauts aussi bien que personne, pour me les être jadis exagérés à moi-même, sous l’influence de la rhétorique de Flaubert, — ce style, quoi qu’on en puisse dire, est « vivant », d’une vie singulière, à la façon du style de Saint-Simon, par exemple ; et que peut-on demander davantage à un écrivain dont la grande ambition a été de « faire concurrence à l’état civil » ? Il se pourrait d’ailleurs que, depuis cent vingt-cinq ans, la notion même du « style » eût évolué, comme beaucoup de choses, et avec ces choses. Il se pourrait que, de quelque façon qu’il le dise, un bon écrivain fût tout simplement celui qui dit tout ce qu’il veut dire, qui ne dit que ce qu’il veut dire, et qui le dit exactement comme il a voulu le dire. Ce n’est pas toujours le cas de Balzac. Mais, encore une fois, ce n’est là qu’une considération secondaire, une question de grammaire ou de rhétorique ; et le vrai point est de savoir si quelques-uns des défauts que l’on relève dans le style de Balzac n’y seraient pas en quelque manière la rançon de la vie ? Nous essaierons plus loin de répondre à la question.

En attendant, et pour apprécier à sa vraie valeur le roman de Balzac, laissant là tout ce qui nous guiderait et nous servirait aussi bien dans l’appréciation des romans de George Sand, par exemple, que des siens, il nous faut donc nous efforcer d’en reconnaître et d’en dire le mérite propre, original, et tout à fait singulier. C’est ce que je vais essayer de faire en essayant d’en préciser la signification historique ; — de dire comment s’y mêlent la vérité de l’observation et le génie de l’invention ; — et quelle en est enfin la signification ou la portée sociale.