Humour et humoristes/Charles Mougel

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H. Simonis Empis (p. 198-200).

CHARLES MOUGEL


Paul Masson n’est pas mort tout entier : il survit en M. Mougel.

M. Mougel, en effet, juge inutile d’écrire des romans ou des nouvelles de pince-sans-rire : il n’est humoriste que par ses actions. Homme de théâtre par goût et par profession, il considère la vie comme un continuel prétexte à vaudeville, et ne trouve de prix à l’existence que s’il l’encombre d’incidents imprévus pour ses semblables. Le hasard ne lui semble pas assez fertile, et patiemment, avec une ingéniosité jamais lassée, il le rend toujours plus fantaisiste. Ses exploits sont nombreux.

Il adore organiser en silence des envois de témoins imaginaires et des duels fictifs qui bouleversent de petites âmes craintives ; il ahurit anonymement des cafés-concerts, aux jours de revues, en intervenant dans le scandale traditionnel, affolant les cabots installés à l’orchestre et entamant des colloques inattendus et coqualânesques avec le compère ; en deux minutes, il enlève en douceur à de gros messieurs cossus et provinciaux les belles petites qu’ils promenaient avec pompe, en enjoignant à ces brunes ou blondes enfants, qui ne le connaissent d’ailleurs pas, de le suivre immédiatement, comme s’il était leur frère. Mais son triomphe est de mystifier discrètement les mystificateurs professionnels. Ravaut et Paul Masson furent de ses victimes.

Et cependant ce fumiste redoutable possède la barbe abondante et les yeux sentimentaux des grands garçons doux et tendres, et ces signes ne mentent pas. Son public en effet se restreint à lui-même : il ne cherche qu’à enrichir sa vie de joies que lui seul savoure. Il mystifie avec bonté.

Vous l’approchez, vous lui parlez, et tout de suite votre cœur ressent pour lui de la sympathie, vous lui dites vos pensées, vos joies et vos ambitions, vous vous confiez à lui… Laissez s’enfuir quelques jours… un bateau, un matin ou un soir, vient à vous, et vous y montez, tranquillement, avec sérénité, en remerciant le batelier. Mais vous n’avez pas le temps de vous noyer. Le bateau s’arrête, au moment précis où vous pourriez boire un coup. Vous voilà sauvé, tout s’éclaircit à vos yeux, et vous êtes incapable d’en vouloir à celui qui le confectionna et le conduisit. Vous riez le premier de votre bêtise et de son habileté.