Identité et réalité/Chapitre X

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Félix Alcan (p. 296-327).

CHAPITRE X

LES THÉORIES NON MÉCANIQUES

En traitant de l’explication possible du changement d’état d’un corps par le déplacement (p. 84) nous avons reconnu que deux voies nous sont ouvertes. Nous pouvons supposer que l’arrangement ou le mouvement des parties du corps s’est modifié : c’est l’explication mécanique ; mais nous pouvons prétendre aussi qu’à la substance du corps s’en est jointe une autre, invisible mais préexistant autre part. Si nous appliquons cette méthode d’explication au phénomène calorique, nous aboutirons à la théorie de la chaleur-fluide. En général, nous édifierons des théories d’une classe différente de celle des théories mécaniques et qu’on peut désigner sous le terme générique de « théories de la qualité ».

Nous venons de voir, au chapitre précédent, que la véritable qualité, le quid proprium de la sensation, n’a pas de place dans le mécanisme. La sensation y reste, quoiqu’on fasse, inexplicable. Est-il possible de procéder autrement que ne le font les théories atomiques ? Il faudra, évidemment, partir de la sensation et l’objectiver. C’est ce que nous faisons constamment et instinctivement. Nous avons la sensation du rouge, mais au lieu de la traiter comme quelque chose nous appartenant, nous la transportons en dehors de nous, nous la lions à d’autres sensations, en formant ainsi ce que nous appelons un objet dont nous affirmons l’existence ; c’est ainsi que ce qui était primitivement notre sensation devient une qualité de l’objet : l’objet est rouge. C’est là ce qu’on appelle le « sens commun » — les philosophes disent le « réalisme naïf » : c’est en effet un « système » métaphysique, un ensemble de conceptions sur les causes de nos sensations, sur la « chose en soi ».

Or, il est facile de constater que le sens commun admet qu’un objet puisse changer une partie de ses qualités et pourtant rester le même. Ce chien, maintenant adulte, ne ressemble guère à ce qu’il était il y a quatre ans, alors qu’il venait de naître ; nous considérons cependant que c’est le même chien. On a gratté la peinture rouge de la table et on l’a peinte en noir : nous n’hésiterons pourtant pas à dire que c’est encore la même table. Dans le cas du chien, nous voyons bien d’où nous vient cette conviction. Les hommes, je le sais par moi-même, j’en ai la sensation immédiate, conservent leur identité en dépit de changements très profonds. Je me rappelle à peu près mon aspect à l’âge de dix ans et je n’hésite pas à déclarer que ce petit garçon, c’était moi ; je puis être un jour complètement défiguré par une maladie ou un accident, mais ce sera toujours moi. L’homme qui croit aux contes de fées admet qu’il peut être changé en animal, tout en gardant conscience de la continuité de son moi. C’est que l’animal nous apparaît comme un être auquel nous supposons des sensations et des volitions analogues à celles des hommes ; il est donc naturel d’admettre qu’il y a en lui un principe d’identité, complètement différent de son aspect extérieur. En d’autres termes, si je crois que le chien est le même qu’il y a quatre ans, c’est que je suis convaincu qu’il est un sujet à peu près comme j’en suis un moi-même. Il n’en est pas ainsi pour la table ; mais il se peut, à la rigueur, qu’une assimilation inconsciente entre cet objet et les êtres animés soit pour quelque chose dans notre croyance. Il est certain aussi que la grossièreté de nos sens y aide. L’objet, à première vue, nous apparaît réellement le même, identique à ce qu’il était autrefois et ce n’est qu’en le considérant de plus près que nous nous apercevons que de légères différences se sont produites : le chien a engraissé, le vernis de la table est moins frais. En tout cas, cette conviction d’une identité foncière existe même pour les objets inanimés, elle est un fait. Seulement elle flotte, car, dans ce cas, je n’ai plus de critérium certain. Quels sont les changements que j’admettrai sans pouvoir cesser de déclarer que la table est restée la même ? Je serais bien embarrassé pour le définir, ainsi que l’indique la classique plaisanterie du couteau de Jeannot. Mais, plus ou moins consciemment, je classe les qualités de la table en plus essentielles, telles que la matière dont elle est faite ou ses dimensions, et en moins essentielles, comme sa couleur et le fait d’être pourvue de roulettes. Ce qui me guide, évidemment, c’est la facilité plus ou moins grande à agir sur les unes ou sur les autres : il y a des propriétés qu’il est, je le sais, à peu près impossible de modifier. Si, en examinant la table, je trouve qu’une craquelure dans la planche, que j’avais aperçue autrefois, n’existe plus, je concevrai des doutes sur son identité.

En appliquant ces notions à la variation des choses dans le temps, on peut admettre qu’il y a en elles une substance immuable et des accidents changeants.

Il semble, à première vue, que nous soyons parvenus ainsi aux fondements mêmes du péripatétisme. Mais il faut prendre garde : la véritable doctrine d’Aristote, Malebranche l’a dit, n’est pas une physique, mais une logique. De ce chef, elle nous échappe ici. Mais on peut, croyons-nous, établir qu’en traitant des phénomènes physiques, le péripatétisme, surtout au moyen âge, avait une tendance à sortir de ce cadre purement logique et qu’alors il donnait naissance en effet à des théories analogues à celles que nous venons de désigner.

Nous avons vu que l’atomiste, par une opération mentale précédant toute recherche théorique, retranche de la réalité une immense partie de la sensation, en déclarant qu’il n’y a rien au delà de la matière et du mouvement. Le péripatéticien — nous nous servirons de ce terme sous les réserves que nous venons d’indiquer — n’est pas obligé de procéder ainsi. Il est incontestablement, à ce point de vue, plus près du sens commun. On ne peut mieux caractériser les traits distinctifs de cette méthode que ne l’a fait Paul Tannery : « D’une part, tendance à s’attacher aux phénomènes tels que les sens les révèlent à l’observation superficielle et grossière, on peut même dire respect marqué pour les croyances vulgaires, du moment où elles ne sont pas visiblement erronées ; d’autre part, tendance à remonter le plus haut possible et le plus tôt possible dans la série des causes, mais cela par simple analyse du concept et sans aucun retour nouveau à l’expérience[1]. » À ce tableau, destiné à marquer les traits distinctifs de la philosophie du Stagirite lui-même, une seule et légère retouche est nécessaire pour qu’il corresponde exactement aux tendances qui dominaient les doctrines des philosophes dont nous parlons ; c’est que, le nombre des faits connus s’étant accru, il est davantage question d’expériences et un peu moins des faits appartenant au sens commun propre. Mais c’est toujours de préférence à l’aide d’un processus logique et en suivant dans la mesure du possible les traces d’Aristote lui-même qu’on cherche à faire le départ entre la substance et l’accident, entre ce qui demeure et ce qui se modifie. Il est clair par conséquent, qu’en partant de la notion de l’objet tel que nous le présente le sens commun, c’est-à-dire d’un ensemble de qualités, on n’a aucun motif pour attribuer à la substance des propriétés purement mécaniques ; on peut au contraire choisir librement parmi les qualités des corps celles qu’on proposera de considérer comme « substantielles ». En effet, toutes les qualités des objets ne sauraient demeurer, certaines sont purement accidentelles ; quand un corps cesse d’être rond, qui donc, selon la juste remarque de Condillac, demandera ce qu’est devenue sa rondeur[2] ? Mais quand un corps cesse d’être chaud ou devient humide, nous pouvons fort bien rechercher ce qu’est devenue sa chaleur et d’où lui vient l’humidité. Ce sont en effet ces deux qualités, le chaud et l’humide, qu’Aristote considérait comme les plus essentielles des corps, en y joignant, comme on sait, le froid et le sec, qui ne sont que leurs contraires. Ces quatre qualités, associées par paires, caractérisaient ses quatre éléments qui étaient : le chaud-sec (le feu), le chaud-humide (l’air), le froid-humide (l’eau) et le froid-sec (la terre).

En faisant abstraction, encore une fois, de la portée logique et métaphysique de la doctrine et en s’en tenant à son aspect purement physique, il est clair que ces quatre qualités apparaissent comme de véritables substances, c’est-à-dire en quelque sorte comme les éléments des éléments. Aristote lui-même s’est parfois exprimé en conséquence. Ainsi, au iie Livre de la Production et destruction, lorsque, occupé de déduire le concept fondamental de ses quatre éléments, il recherche quelles peuvent être les « principes du corps perceptibles à nos sens » : « Voilà pourquoi, dit-il, ni la blancheur, ni la noirceur, ni la douceur, ni l’amertume, ni aucun des contraires sensibles, ne sont un élément des corps » (chap. ii). Après avoir ainsi limité ces principes à quatre il continue : « Comme il y a quatre éléments, et que les combinaisons possibles pour quatre termes sont au nombre de six, mais comme aussi les contraires ne peuvent pas être accouplés entre eux… il est évident qu’il ne restera que quatre combinaisons des éléments. » (chap. iii) Ce qu’Aristote traite ici d’éléments, ce ne sont donc pas les corps qu’il désigne ailleurs sous ce terme, mais bien des qualités.

Pour Hippocrate[3] de même, le corps humain est composé de quatre éléments qui sont le sec, l’humide, le froid et le chaud ; ce sont en effet ces quatre éléments qui forment les aliments, lesquels à leur tour se transforment en humeurs (dont Hippocrate connaît également quatre), qui sont les composants les plus essentiels des corps.

Au moyen âge nous voyons continuellement des théories de ce genre percer sous l’appareil purement logique de l’aristotélisme. En Orient, au début du xe siècle, Saadia, un des grands initiateurs juifs qui ont exercé une si grande influence sur le mouvement intellectuel de cette époque, en parlant de la destruction d’un corps par le feu, déclare que dans ce cas les parties du corps détruit se séparent, mais, étant des éléments, demeurent sans changement et retournent simplement à leur lieu d’origine « la chaleur qui se trouvait dans ce corps faisant retour à l’élément du feu, son humidité et son froid, aux éléments respectifs[4]. » En Occident, au ixe siècle, Scot Erigène expose que les corps sont constitués par la réunion non pas des éléments substantiels eux-mêmes, mais de leurs accidents qualitatifs ; toutefois ces accidents sont eux-mêmes en quelque sorte des substances, puisqu’ils demeurent indestructibles, ils ne peuvent que se séparer pour se réunir dans de nouvelles combinaisons et créer ainsi des corps nouveaux[5]. Au xiie siècle, Guillaume de Couches enseigne que les quatre éléments ont été créés à l’origine du monde et ont servi ensuite à créer les corps. Dans ces derniers les particules matérielles des éléments se trouvent simplement juxtaposées. Ce sont ces particules qui sont, en réalité, les vrais éléments. « Tous les corps sont composés d’éléments. Un élément, tel que le définissent les philosophes, est une particule simple et minime d’un corps quelconque, simple en ce qui concerne la qualité, minime en ce qui concerne la quantité[6]. » Les corps que nous appelons terre, eau, air et feu ne sont pas les éléments eux-mêmes ; la terre que nous connaissons est un corps où les particules sèches et froides prédominent. Mais la terre est poreuse et entourée d’eau, d’air et de feu ; il est donc naturel que ce que nous désignons sous le nom de terre contienne également des particules des trois autres éléments ; celles de l’élément terre prévalent, seules elles s’y trouvent « naturellement », les autres y étant « accidentellement ».

Le trait distinctif de ces doctrines, c’est la manière dont y est conçue la mixtion des éléments et l’on peut voir, dans le beau livre de M. Lasswitz[7], combien cette question a agité la philosophie du moyen âge. Les représentants de la scolastique ont essayé de préciser ce qu’Aristote avait laissé un peu dans le vague, Avicenne et Averroës parmi les Arabes, Albert le Grand et saint Thomas parmi les Occidentaux, ont édifié des théories antagonistes. C’est que, chez les uns, l’aspect purement logique de l’aristotélisme prévaut, alors que, chez les autres, domine son aspect de théorie proprement scientifique. Ceux qui s’occupent de science pratique, qui observent et expérimentent, penchent naturellement plutôt vers cette dernière doctrine. Dans ce nombre se trouvent les alchimistes, pour qui la théorie de la combinaison et de la séparation des corps présente une importance particulière. Pour un alchimiste du moyen âge un élément est un corps doué de certaines qualités qu’il conserve en se combinant et communique à la combinaison où il entre. Seulement, étant donnée la nature des phénomènes auxquels les alchimistes consacraient leur attention, les quatre qualités cardinales d’Aristote pouvaient leur être d’un médiocre secours. Ce qui les intéressait, ce n’était pas de savoir si un corps devait être considéré comme sec ou humide, comme chaud ou froid, mais s’il était combustible ou volatil, ou si au contraire il résistait au feu, s’il était de nature métallique, etc. De là la supposition d’éléments différant de ceux des aristotéliciens. Le rapport de ces nouvelles substances fondamentales (qu’on supposait généralement au nombre de trois : le sel, le soufre, le mercure) aux anciens éléments d’Aristote dont les alchimistes ne niaient pas l’existence, ne fut jamais bien défini[8], mais leur rôle en tant que porteurs de qualités est tout à fait net. Paracelse qui est entièrement pénétré de ces théories[9], expose qu’on retrouve toujours, à l’analyse, les mêmes trois éléments. Ce qui brûle est le soufre, ce qui fume et sublime est le mercure, et ce qui demeure comme résidu après la combustion est le sel. Rien d’autre ne brûle que le soufre[10] et l’on infère inversement, par la combustibilité d’un corps, qu’il contient du soufre.

Il est d’ailleurs à peine besoin de faire ressortir combien cette conception se rattache étroitement au fond même de la doctrine philosophique de l’époque. Parce que les corps combustibles constituent une classe, un genre, on en conclut qu’ils doivent contenir un élément commun, et cet élément, hypostase de la combustibilité, qualité commune qui réunit les diverses espèces, est par là même une hypostase de « l’idée » du genre « combustible ». Ce genre est une subdivision d’une classe supérieure de concepts, ainsi qu’il appert du terme « matière combustible » ; ce concept particulier est donc formé d’un autre plus général matière, auquel s’ajoute (accède) un déterminant. Si ce dernier n’est pas quelque chose qui naît et disparaît sans que l’on doive en indiquer la raison, mais au contraire, comme chez Scot Erigène, quelque chose qui persiste et ne fait que changer de place, il devient lui-même une sorte de substance.

En poussant jusqu’au bout cette doctrine, on arrive à représenter le monde matériel comme un ensemble composé, en dehors d’une substance fondamentale qui représente le concept le plus général de matière, de toute une série de substances secondaires hypostasiant les qualités. Le système le plus complet qui ait été imaginé dans cet ordre d’idées a eu pour auteur un philosophe du xviie siècle, Claude Guillermet, seigneur de Bérigard. Mais quoique, nous venons de le voir, ces idées sur la substantialisation des qualités découlent, par une évolution légitime, des conceptions péripatéticiennes, le système de Bérigard n’est plus uniquement tributaire du péripatétisme. C’est au contraire une atomistique, mais, selon l’expression de M. Lasswitz, qui a attiré l’attention sur cette théorie et que nous suivrons dans son analyse, une atomistique qualitative. Bérigard suppose une variété infinie d’atomes qui, tout en étant des corpuscules sphériques, représentent chacun une qualité élémentaire ; il fait ressortir que les quatre qualités fondamentales d’Aristote ne suffisent pas pour expliquer le monde sensible lequel, étant infiniment divers, suppose une diversité infinie des qualités et par conséquent des éléments[11]. Les atomes-qualités (Bérigard les qualifie lui-même de qualités corporelles, qualitates corporatæ) pénètrent dans les pores (meatus) de la matière et lui octroient ainsi les propriétés correspondantes[12]. Toute modification du monde matériel ne consiste que dans le mouvement de ces substances qui tantôt s’ajoutent au corps, en déterminant son espèce, ce que nous appelons sa naissance (generatio), tantôt s’en séparent, ce qui constitue sa corruption ; l’altération se produit quand, par suite du mouvement des substances, les propriétés du corps ne se trouvent pas suffisamment modifiées pour qu’il y ait une nouvelle espèce[13]. Il est à remarquer, cependant, que Bérigard n’est pas resté, dans ses déductions, absolument conséquent avec lui-même ; il a cédé à l’attrait de l’atomisme, en attribuant certaines qualités non à des substances élémentaires, mais à la vertu du groupement. Ainsi la liquidité résulte pour lui du fait que les « principes » du corps n’adhèrent pas fortement les uns aux autres, ce qui fait qu’ils sont mobiles ; toutes les substances élémentaires doivent être liquides[14].

Ces anomalies mises à part, la doctrine de Bérigard nous fournit l’exemple le plus parfait d’une hypothèse physique purement qualitative. Elle nous aide ainsi à comprendre quel aurait été, en un certain sens, l’aboutissement des théories des alchimistes. Toutefois, ces derniers, précisément parce que beaucoup plus fidèles à l’esprit du péripatétisme, s’arrêtent bien en deçà de la limite. Ils supposent, d’accord avec la doctrine aristotélicienne, qu’entre le substrat du corps, la matière première, et le corps revêtu de ses qualités le rapport est le même qu’entre la matière (telle que le fer) et un objet qui en est formé (tel qu’une clef ou un couteau). Ainsi donc la matière peut changer de forme ; les alchimistes disent quelquefois : de vêtement.

Les alchimistes ne considèrent pas toutes les qualités comme substantielles, mais seulement un tout petit nombre, les autres leur apparaissant comme purement accidentelles. De ce chef leurs affirmations, au point de vue de notre science moderne, nous semblent fréquemment entachées d’une certaine ambiguïté. Ainsi le soufre, le mercure et le sel qui composent les corps ne sont pas des éléments dans le sens que nous donnons à ce mot, car ils ne sont pas toujours identiques à eux-mêmes. Paracelse déclare expressément que les divers corps ont des mercurii, sulfura et sales particuliers[15]. Une autre équivoque résulte du fait que l’on distingue bientôt entre les éléments et les corps connus portant le même nom. Cette différenciation s’accroît à mesure que la science avance : pour Homberg, au xviie siècle, le soufre ordinaire est composé d’une terre, d’un acide et de soufre élémentaire, principe de la combustibilité[16].

Ainsi, en dehors des propriétés essentielles qui le caractérisent véritablement, un corps en a encore d’autres qui peuvent se modifier sans que sa nature intime soit changée. Les métaux qu’on considère à première vue comme une classe de corps nettement délimitée, ayant un grand nombre de propriétés en commun, sont censés contenir la même « matière première » ; les propriétés par lesquelles ils diffèrent ne peuvent être que d’importance secondaire[17]. On peut espérer transmuer un métal en un autre, soit en ramenant le premier d’abord à cette materia prima[18] soit, comme le supposent plus généralement les alchimistes, en agissant directement sur ses propriétés. Ainsi, en ôtant successivement à l’étain son cri, sa mollesse, sa fusibilité qui le distinguent de l’argent, ou le transformera en ce dernier métal[19] auquel il est supposé être étroitement apparenté, sans doute à cause de la couleur commune. Pour d’autres métaux il faudra avant tout, afin de les muer en argent ou en or, modifier leur couleur. C’est la leucosis ou la xanthosis, selon qu’il s’agit de blanchir ou de jaunir, et toute opération chimique qui semble modifier la teinte d’un métal prend aussitôt une grande importance aux yeux des chercheurs[20]. Le mercure, à cause sans doute de sa fluidité qui semble paradoxale, paraît à certains un excellent point de départ pour des changements de propriétés. On parle de le « durcir » et l’on produit des recettes multiples dans ce but ; Boyle croit qu’il peut se transformer, sans addition de métal, en une substance pareille à l’argent[21] et même Macquer, dans le Dictionnaire de chimie de 1778, affirme le « durcissement » du mercure par des vapeurs de phosphore ou de l’huile de lin bouillante[22]. Quand ils veulent transmuer un métal ordinaire en métal noble, les alchimistes, dans leur langage imagé, parlent de le « revêtir du manteau royal ». Le phénomène de la précipitation du cuivre par le fer dans le vitriol bleu est considéré comme un fait de transmutation indubitable[23] : ou dit que le métal « dépose l’armure de Mars et revêt la robe de Vénus ».

Dans le courant du xviie siècle, le prestige du péripatétisme, en tant que doctrine philosophique et scientifique, diminue peu à peu. Mais les théories de qualité qui sont nées de lui continuent à dominer la chimie, peut-être d’une manière plus absolue encore, précisément parce que débarrassées de l’appareil purement logique de la doctrine d’Aristote. Puis, vers le milieu du xviiie siècle, se produit le changement important dont nous avons parlé au VIIe chapitre (p. 214). La multiplicité même des expériences sur la transmutation a amené la ruine de cette hypothèse. Et alors, comme on a appris peu à peu à reconnaître que les modifications de teinte telles que celle produite par l’orpiment auri pigmentum ne sont qu’apparentes, et qu’on se convainc de la futilité de toutes les prétendues recettes, on arrive à concevoir qu’il peut y avoir là des substances élémentaires différant essentiellement les unes des autres. Ce ne sont pas encore les métaux eux-mêmes qui sont considérés comme éléments, mais leurs « chaux ». Le fait que ces dernières, dans nos conditions atmosphériques, sont dans bien des cas plus stables que les métaux eux-mêmes, y a probablement contribué. Mais il convient, sans doute, d’en rechercher la principale raison dans le besoin qu’on éprouvait d’attribuer les multiples traits communs des métaux à un élément commun. Cet élément hypothétique dont on suppose l’existence non seulement dans les métaux, mais encore dans tous les corps inflammables, c’est le phlogistique : il a hérité des facultés que les chimistes attribuaient autrefois à leurs divers éléments. « Ils en font le principe des odeurs, des couleurs, de la saveur, de la volatilité, de la fusibilité, de la dissolubilité, etc.[24] » » constate un auteur contemporain de Lavoisier, peut-être Lavoisier lui-même, et le fait observé par Stahl[25] que l’inflammabilité est susceptible de se transmettre d’un corps à un autre semblait confirmer directement cette manière de voir.

De même, un croit que tous les acides contiennent un « acide primitif[26] » tous les sels un « sel fossile[27] », toutes les chaux terreuses une « substance terreuse unique[28] ».

Nous avons vu plus haut (p. 215 ss.) avec quelle lenteur s’élaborait la nouvelle notion de l’élément chimique. Le phlogistique semble d’abord y échapper ; Kopp constate avec une certaine surprise que les chimistes, tout en croyant fermement à son existence, ne semblent faire aucune tentative pour l’isoler[29]. C’est que le phlogistique était au fond un héritage des époques antérieures, ce n’était pas un élément dans le sens où nous prenons ce mot, mais une sorte de principe porteur de qualités, et l’idée de l’isoler eût paru à un chimiste de cette époque presque aussi hardie qu’à Saadia celle de vouloir isoler le chaud. — Cependant, l’évolution que nous avons tenté de retracer continuant, on en vint peu à peu à considérer le phlogistique comme un élément pareil aux autres[30], et dès lors son isolement parut moins paradoxal, au point que vers la fin de l’époque le phlogistique se confond avec l’air inflammable (hydrogène).

Combien cette tendance était profondément enracinée, on peut s’en convaincre par l’histoire du fameux acidum pingue. De ce que la chaux, la soude, la potasse peuvent devenir caustiques et que la causticité peut se transmettre de l’un à l’autre, le chimiste Meyer avait conclu à l’existence d’un acide spécial, support de la causticité, comme le phlogistique l’était de l’inflammabilité, et cette hypothèse avait été acceptée d’enthousiasme par le monde savant tout entier.

Or, antérieurement à Meyer, Black avait émis l’opinion que les alcalis caustiques se distinguent des autres par la perte d’une substance, « l’air fixe » (acide carbonique). Black avait clairement établi qu’en devenant caustiques, les alcalis perdaient une partie notable de leur poids[31]. Cela n’empêcha point la majorité des chimistes d’adhérer à la théorie de Meyer. Lavoisier lui-même ne parla d’abord de Meyer qu’avec beaucoup d’éloges[32].

Il n’est pas douteux que ces conceptions furent pour beaucoup dans la forte opposition que rencontra la théorie de Lavoisier. Sacrifier le phlogistique, c’était abandonner définitivement un principe qui avait semblé d’abord évident et indiscutable, à savoir que la similitude de propriétés indiquait la présence d’un élément commun, porteur de ces propriétés.

On est vraiment étonné de constater quelle masse de faits étaient connus avant Lavoisier sur l’augmentation du poids des corps oxydés et sur le rôle de l’air dans cette opération[33], faits qui ne s’expliquaient pas ou s’expliquaient si mal par la théorie de « quelque chose qui part », alors que l’explication par « quelque chose qui s’ajoute » était si manifeste et d’ailleurs suggérée depuis longtemps par Jean Rey. L’obstination des chimistes à préférer la théorie du phlogistique ne s’explique que par le fait que la combustibilité, en tant que phénomène frappant et bien caractérisé, ne pouvait dans leur opinion se passer d’un substrat matériel qualitatif. Quand les phlogisticiens reprochaient à Lavoisier de ne pas expliquer pourquoi certains corps brûlent et d’autres non[34], ils révélaient le vrai fondement sur lequel reposait leur foi.

En 1788 encore, au moment où le triomphe de la nouvelle école semble complet, on sent bien que c’est de ce côté que viennent les dernières résistances ; le commentaire à l’Essai de Kirwan porte sur ce point son effort principal, et Lavoisier lui-même, après avoir loué comme il convient la découverte de Stahl, se charge d’exposer, avec beaucoup d’insistance, qu’il « n’est pas nécessaire de supposer qu’il existe dans ces substances un principe commun à toutes, qu’elles contiennent toutes la base de l’air inflammable, c’est-à-dire l’hydrogène[35] ». D’ailleurs, comme tous les grands révolutionnaires, Lavoisier ne s’était pas complètement libéré de toute attache avec les idées anciennes. Le nom d’oxygène indique qu’il considérait le nouvel élément comme porteur d’une qualité[36] ; et l’on sait que cette conception eut pour conséquence la théorie erronée du « murium » et qu’il a fallu des efforts considérables pour chasser ce spectre[37]. De même, M. Berthelot fait ressortir avec raison que Lavoisier croyait que l’oxygène colorait le sang comme les oxydes métalliques, et que ce rapprochement « tendait à faire de l’oxygène le générateur des matières colorées, comme on le supposait naguère du phlogistique[38] ».

Dans une autre branche des sciences physiques, des théories de la qualité ont persisté plus longtemps encore. C’est, en effet, parmi elles qu’il convient de classer les hypothèses des fluides et de l’émission. On voit aisément que le «  calorique » fluide semi-matériel, porteur d’une qualité, appartient à la même famille que le phlogistique, et quant aux corpuscules lumineux de Newton, leur parenté avec les atomes qualitatifs de Bérigard est également manifeste.

Convient-il de s’étonner que la science, dans cet ordre d’idées, ait évolué avec beaucoup de lenteur, qu’elle n’ait abandonné que pas à pas et, pour ainsi dire, à son corps défendant, ainsi que cela s’est produit pour la théorie du phlogistique, des doctrines qui nous paraissent complètement insoutenables ? Il suffit au contraire de réfléchir sur la véritable nature de nos conceptions de la qualité pour comprendre à quel point ces doctrines étaient conformes aux postulats fondamentaux de notre esprit.

Quand, partant soit d’une expression immédiate de nos sens, soit d’une série de phénomènes observés, nous parvenons à douer un corps d’une propriété, quand nous disons : ce corps est rouge ou il est inflammable et que nous voyons cette propriété naître et disparaître dans le corps, nous éprouvons certainement la tendance, pour peu que cette qualité nous semble suffisamment importante, à poser la question : d’où vient-elle, qu’est-elle devenue ? Sans doute, comme nous l’avons dit plus haut, cette question ne se posera pas pour la rondeur ; mais on la formulera pour la chaleur. Or, en l’énonçant, nous indiquons que nous sommes disposés à considérer la chaleur comme quelque chose qui persiste dans le temps et qui n’amène par conséquent de changements qu’en se déplaçant. C’est hypostasier la qualité et lui attribuer le caractère d’une substance, et ce mode d’explication du phénomène est celui que notre tendance causale nous suggérera invinciblement, à moins que nous n’ayons au préalable détruit à dessein la qualité par la conception du mécanisme universel, qui est elle-même une émanation du principe causal.

D’ailleurs l’explication par le transport d’une qualité a quelque chose d’immédiat, de complet et de satisfaisant, avantages qui ne se retrouvent pas au même degré dans les explications mécaniques. On s’en convaincra en comparant la manière dont les rapports entre les propriétés des éléments et celles des composés sont traités par la chimie contemporaine avec le procédé dont usaient à cet égard les théories de la qualité.

Nous avons constaté (chapitre vii, p. 217 ss.) que l’étude des rapports entre les propriétés des éléments et celles de leurs composés constitue la tâche principale de la chimie théorique. Mais ce n’est là formuler que le côté légal du problème. Or, sur ce point, comme sur d’autres, la loi seule ne suffit pas à notre entendement. Nous voulons savoir non seulement de quelle manière les choses changent, mais encore pourquoi elles changent. Quand il s’agit de corps qui entrent dans une combinaison, on a bien soin de préciser que nous ne devons pas nous attendre à ce qu’ils conservent leurs propriétés ; on en fait même le critérium de la véritable combinaison chimique, que l’on définit comme la réunion de corps dont les propriétés sont modifiées[39]. Au point de vue purement empirique, cette définition est irréprochable : quand j’aurai mis en présence le métal argentin et mou que j’appelle sodium et le gaz verdâtre et irritant que je désigne comme chlore, je verrai finalement apparaître à leur place des cristaux incolores d’une substance qui m’est bien connue, le sel marin. Mais comment cela a-t-il pu se faire, d’où viennent les propriétés du sel marin et que sont devenues celles du chlore et du sodium si, comme nous renseigne formellement la chimie, ces deux éléments continuent à exister dans le chlorure de sodium ? « Il est au premier abord difficile de concevoir, dit Berthelot, comment des corps doués de propriétés aussi peu semblables à celles du sel marin en sont cependant les seuls et véritables éléments ; on serait porté à croire à l’intervention de quelque autre composant que l’analyse a été impuissante à nous révéler[40]. » Berthelot affirme avec raison que la chimie dispose de moyens suffisants au point de vue expérimental pour nous rassurer sur ce point, pour nous démontrer que ces composants sont réellement les seuls. Est-il besoin de faire ressortir qu’après cette démonstration le phénomène reste aussi incompréhensible qu’avant ? Si la chimie n’est pas une science purement empirique, s’il existe une chimie « théorique » ou « rationnelle », si seulement nous avons l’espoir d’en construire une, il est évident qu’elle a ou devra avoir pour tâche d’expliquer, comme le formule Huxley, que les propriétés de la matière résultent de celles des éléments qui la composent[41].

Il est très curieux de constater que Comte était du même avis. « La chimie, dit-il en définissant cette science, a pour objet final, étant données les propriétés de tous les corps simples, de trouver celles de tous les composés qu’ils peuvent former[42] » ; ce qui indique apparemment que les secondes doivent pouvoir se déduire des premières. On pourrait, à la vérité, trouver cette affirmation équivoque. Comte, nous le savons, n’admettait dans la science que des règles empiriques ; n’aurait-il pas envisagé que la déduction se ferait à l’aide de règles de ce genre ? Mais voici un autre passage : « toutes les données fondamentales de la chimie devraient, en dernier lieu, pouvoir se réduire à la connaissance des propriétés essentielles des seuls corps simples[43] ». Ici il n’y a plus de doute, puisque toute règle empirique est exclue. Comte, évidemment, en énonçant ces formules, ne pensait plus à sa définition de la science et cédait au besoin instinctif de l’explication.

Sans doute, la chimie théorique n’a pas jusqu’à ce jour fait beaucoup de progrès dans cet ordre d’idées. Nous ne connaissons qu’un petit nombre de propriétés des combinaisons dont, selon l’expression de M. Van’t Hoff, « la liaison avec la formule chimique est si sûrement établie qu’elles se déduisent de cette formule comme une conséquence nécessaire des conceptions atomistiques et moléculaires adoptées[44] ». Mais il suffit d’ouvrir un manuel de chimie physique tel que les beaux livres de M. Van’t Hoff ou de M. Ostwald, ou même un manuel de chimie quelconque, pour se convaincre que les efforts sont réellement orientés dans cette direction. Le but poursuivi est bien de rattacher toutes les propriétés à la formule chimique, en partant des propriétés fondamentales des atomes élémentaires, et notamment du poids atomique, c’est à-dire de les déduire soit du nombre et de la nature des atomes groupés, soit de la manière dont ils sont groupés. Les relations du premier ordre, celles qu’on peut déduire de la simple considération des poids moléculaires, se manifestent avec une grande précision quand les corps sont en état de gaz ou de solutions diluées ; celles du second ordre trouvent leur expression dans les formules dites de constitution. C’est parce que les mêmes atomes de carbone, d’oxygène et d’azote sont placés de deux manières différentes que le cyanate d’ammonium et l’urée — pour choisir l’exemple classique de la fameuse synthèse de Wœhler — ont des propriétés si différentes, et c’est parce que des atomes ou des groupes se trouvent placés autour d’un atome de carbone d’une manière asymétrique que le corps tourne le plan de polarisation. On voit que le domaine de ces recherches embrasse réellement la presque totalité de la chimie actuelle : et l’on voit aussi qu’il ne s’agit nullement de rechercher de simples règles empiriques, mais de véritables explications. Sans doute, les atomes chimiques sont encore loin de pouvoir être confondus avec les atomes physiques, bien que des progrès notables aient été accomplis dans cette direction et notamment par la théorie des ions de M. Svante Arrhénius ; mais le fait qu’on ait, alors même que les conceptions de l’une et de l’autre science paraissaient séparées par un abîme, parlé en chimie d’atome et de molécule, prouve bien qu’on a toujours eu en vue une véritable théorie mécanique. Quand Sully-Prudhomme proclame que « les propriétés spécifiques des corps tendent de plus en plus à s’expliquer par… l’architecture des parties ultimes… c’est-à-dire, au fond, mécaniquement[45] », son affirmation peut être contestée au point de vue de la situation de l’art, mais elle est irréprochable en tant qu’expression d’un postulat. Certains, sans doute, ont trouvé que la théorie était longue à venir : c’est qu’on s’était fait des illusions sur la facilité de la tâche. La désillusion a suivi, un des théoriciens les plus éminents de la chimie l’a avouée en termes amers[46], et c’est la source d’où dérivent à la fois les vives attaques que ce savant a dirigées contre les théories mécaniques en général, et une nouvelle théorie non mécanique dont nous aurons à nous occuper tout à l’heure. Mais cela n’empêche que les tendances générales de la chimie aient bien été jusqu’à ce jour telles que nous venons de les caractériser.

Il ne paraît d’ailleurs pas douteux que ces tendances ne soient dues directement au principe de causalité, c’est-à-dire au désir d’établir l’identité dans le temps.

Il y a plus, et nous avons vu, en traitant de l’unité de la matière, que la chimie a non seulement la tendance à expliquer les propriétés des composés par celles des éléments, mais encore à réduire à un minimum les propriétés dont elle est obligée de douer ses atomes élémentaires. On voudrait ramener tout à des considérations de poids atomiques parce que c’est évidemment de cette manière qu’on se rapprocherait le plus de la matière unique, et on éprouve comme un sérieux inconvénient que cette réduction n’ait pu encore s’effectuer pour la valence, que celle-ci reste « qualité occulte ».

Mais ce sont là des vues fort lointaines ; pour le moment, non seulement nous ne savons pas expliquer les propriétés des éléments, mais même en supposant ces dernières, celles des composés nous paraissent énigmatiques. On s’est quelquefois étonné que la théorie chimique semble accepter paisiblement, même à titre provisoire, un tel état de choses, et Huxley, dans le passage auquel nous avons fait allusion (p. 310) a exprimé avec vivacité cet étonnement. Après avoir noté l’étrange changement de propriétés que nous observons quand l’oxygène et l’hydrogène se combinent pour former de l’eau, le grand biologiste continue : « Néanmoins, nous désignons ces phénomènes, et bien d’autres aussi étranges, comme propriétés de la matière et nous n’hésitons pas à croire que, de manière ou d’autre, ils résultent des propriétés des éléments composants de la matière ». C’est que Huxley n’avait pas bien pesé les trésors de bonne volonté qui se manifestent en nous chaque fois que l’explication causale doit intervenir. Sans doute, il est très « étrange » que l’eau contienne de l’hydrogène et de l’oxygène. Ce que nous désignons sous les noms d’hydrogène et d’oxygène, ce sont des corps ayant chacun un ensemble de propriétés bien connues. C’est par ces propriétés que nous les définissons et elles font partie intégrante du concept. Nous ne pouvons évidemment affirmer qu’elles persistent telles quelles dans l’eau ; mais nous croyons que, « de manière ou d’autre », — nous laissons à l’avenir le soin d’apporter sur ce point les précisions nécessaires, — elles y sont cachées. C’est le même subterfuge dont usait en pareille occasion la théorie de la chaleur de Black et dont nous usons d’ailleurs encore, dans certaines circonstances, avec plus de franchise, notamment pour le concept de l’ « énergie potentielle » (voir p. 173).

La chimie, bien entendu, n’ignore pas entièrement cette difficulté, d’autant plus apparente que nous connaissons parfois un élément sous plusieurs formes équivalentes qu’où appelle ses états allotropiques. À supposer qu’il soit réellement contenu dans une combinaison, lequel de ses différents états y revêt-il ? Les théoriciens se tirent de toutes ces énigmes à l’aide d’une équivoque. L’élément contenu dans une combinaison est « atomique ». Aussitôt dégagé, ses atomes se réunissent en molécules ; il n’y a donc rien d’étonnant qu’il manifeste alors de tout autres propriétés. Ce subterfuge nous fait voir clairement qu’il s’agit en réalité d’un pur concept métaphysique, puisqu’il est entendu que cet « élément atomique » qui est le vrai élément, du moment que c’est le seul qui entre dans des combinaisons et qui y persiste, est radicalement différent du corps que nous connaissons sous le même nom et qu’il ne pourra jamais être véritablement isolé, ni par conséquent aperçu. C’est donc quelque chose d’analogue, à ce point de vue, au soufre ou au mercure tels que les concevaient les chimistes du xviie siècle.

Il est certain que notre hypothèse actuelle répond à un nombre infiniment plus grand de faits, et surtout s’y adapte d’une manière beaucoup plus précise, suivant la matière et l’énergie de près dans leurs avatars, contrôlant les données à l’aide d’instruments de mesure ; mais les explications qu’elle nous donne, ou plutôt qu’elle nous promet, sont bien moins précises. Revenons aux trois équations de l’oxyde de mercure (chap. vi, p. 202 ss). Pour un phlogisticien, il était tout naturel que le mercure précipité per se donnât du mercure métallique, puisque le phlogistique, principe de la « métallicité », venait s’y ajouter. Actuellement, nous avons le choix entre deux sortes de conceptions. Ou bien nous admettons les éléments chimiques comme ultimes, et alors il n’existe aucun lien véritable entre les divers métaux et l’analogie entre leurs propriétés est par essence inexplicable, à plus forte raison est-il inexplicable que ces propriétés apparaissent à un moment donné. Ou bien nous supposons qu’ils sont des composés d’un ordre particulier, et nous pouvons alors espérer que nous apprendrons un jour pourquoi la matière qui les compose manifeste en eux ces propriétés métalliques ; mais cette explication nous paraît très vague et très lointaine. L’explication qualitative, d’une simplicité et d’une clarté parfaites, est remplacée par une hypothèse qui, au point de vue de la qualité, explique manifestement peu de chose, ainsi que Huxley et Berthelot l’ont fait ressortir dans les passages que nous venons de citer. Il est évident, d’ailleurs, que cette insuffisance des théories mécaniques tient à leur essence même ; elles écartent complètement, de parti pris, la qualité en tant que sensation et, quant aux autres propriétés, elles tendent sans doute à les expliquer, mais les éléments dont elles disposent sont si peu variés que cette explication semble extraordinairement difficile. Il ne faut donc pas trop s’étonner de la vitalité dont les théories qualitatives ont fait preuve en chimie. Si l’on oublie pour le moment que les équations chimiques symbolisent un phénomène qui se passe dans un sens déterminé, il est certain qu’en tant qu’égalité entre les deux membres, la représentation selon la théorie du phlogistique était plus complète, puisqu’elle supposait une réelle préexistence de la propriété la plus frappante qui apparaissait au cours du phénomène, la métallicité.

Nous voici enfin ramenés aux doctrines de la qualité par un détour un peu long, mais que nous n’avons pas cru pouvoir éviter : ce passé, pourtant assez récent en somme, nous est devenu à ce point étranger, que pour l’éclairer on ne saurait trop se servir des éléments de comparaison qu’offre le présent. Du moins espérons-nous avoir établi par ce qui précède que le problème que cherchaient à résoudre ces doctrines était le même contre lequel s’escrime la science contemporaine : comment expliquer l’apparition ou la disparition de propriétés ? Les théories mécaniques postulent que tout doit se ramener à des arrangements et des mouvements d’éléments auxquels on n’attribue par avance qu’un minimum de propriétés — l’idéal étant, nous le savons, de les en dépouiller complètement ; les théories de la qualité, au contraire (nous pouvons réunir sous cette dénomination l’aristotélisme conçu sous son aspect scientifique, et les théories qui en sont issues, jusques et y compris celle du phlogistique, et aussi la théorie des fluides en physique) supposent, plus directement, que la qualité elle-même a préexisté, qu’elle s’est déplacée sous une forme plus ou moins hypostasiée, qu’elle est venue se joindre au corps ou qu’elle l’a quitté. C’est le sec et l’humide, le chaud et le froid formant le corps humain chez Hippocrate ; c’est, chez Saadia, la chaleur du corps faisant, après la destruction de ce dernier, retour à l’élément du feu ; c’est aussi, chez Stahl, le phlogistique, l’inflammabilité et, chez Black, le fluide calorique passant d’un corps à un autre. Et l’on voit clairement qu’à travers toutes ces doctrines se manifeste toujours, avec une grande vigueur, la tendance causale.

La déduction que nous venons de tenter fait naître un nouveau problème. S’il est exact, en effet, que les théories de la qualité soient tributaires des mêmes tendances, enfantées par le même principe que le mécanisme, quel est donc l’avantage que présente ce dernier système, comment expliquer qu’il tende de plus en plus à prévaloir dans la science ?

Tâchons d’abord de nous représenter ce que pourrait être une science purement qualitative. La qualité, nous l’avons vu, n’est qu’une sensation hypostasiée. Deux sensations, si proches que nous les concevions, du moment où elles ne nous paraissent pas absolument identiques, comme le sont par exemple les sensations de deux morceaux d’étoffe de même couleur, ou les tons de deux diapasons mis à l’unisson, ne sauraient se distinguer que par un signe qualitatif ; il en est de même des sensations de deux boules de grandeur différente (p. 280). Donc, en restant dans le domaine de la qualité pure, nous pourrons bien identifier une sensation[47], nous pourrons aussi créer une échelle numérique afin d’être à même de repérer, comme nous faisons pour les températures ou des notes d’examen, mais nous ne saurions aller plus loin. Le fait que, sur trois tons ou trois échantillons plus ou moins clairs de la même couleur rouge ou encore trois sphères de différentes grandeurs, je pourrai toujours indiquer le ton ou l’échantillon ou la sphère qu’il convient de placer entre les deux autres, ne me servira de rien. Car lors même que j’aurai dressé une échelle complète, telle qu’une gamme de tons ou de couleurs ou une série de boules, je ne pourrai par aucun artifice passer d’un ton, d’une nuance, d’une boule à ceux ou celles qui l’avoisinent. Il sera, par exemple, impossible de déclarer que deux tons équivalent à un troisième : on ne peut les additionner. Cela paraît particulièrement clair dans ce cas, parce qu’un ensemble de deux tons forme un accord et non un ton unique. Mais, au fond, il en est de même pour la couleur ou pour la grandeur conçue comme pure sensation tactile ; le fait que deux nuances sont susceptibles d’en fournir une troisième et de même deux boules, n’a rien à voir avec la sensation immédiate.

Non seulement chaque qualité, comme l’a dit Hume[48], mais chaque nuance de qualité ou plutôt de sensation (la qualité étant déjà une transposition, une hypostase) est quelque chose de complet et ne suggère rien d’autre.

De quelle manière, à cette sensation purement qualitative, une sensation de quantité, de grandeur vient-elle se superposer ? Cela dépend évidemment, ainsi que le suggère le terme même de quantité, de conceptions substantialistes. Je considère que la cause de ma sensation sphère est l’existence d’un objet défini, formé d’une certaine matière. Si je réunis la matière de deux sphères égales, et lui donne la forme d’une sphère unique, j’obtiendrai une sensation qui, tout à l’heure, m’apparaissait comme semblable mais différente qualitativement. À l’heure qu’il est, considérant que la matière n’a fait que changer de place, c’est-à-dire qu’elle a subi une modification à travers laquelle l’identité me semble garantie, je déclarerai qu’entre l’une des deux sphères primitives et celle que je viens de former il n’y a qu’une différence de plus ou de moins, une différence de quantité. Je puis arriver à réduire aussi à la quantité les nuances et les tons, en observant qu’une même corde raccourcie ou allongée donnera des tons de hauteur différente et qu’un échantillon teint avec le double d’une même couleur aura une nuance déterminée ; on sait d’ailleurs que nous avons trouvé même des rapports numériques entre des couleurs différentes, en introduisant la considération des longueurs d’onde ; mais, dans ce cas, le rapport entre la modification de l’objet et ma sensation est moins immédiat, c’est pourquoi je suis moins porté à perdre de vue que celle-ci ne connaît rien, directement, de ces considérations de quantité. Mais cela est tout aussi certain pour les sphères. Afin de raffermir notre conviction sur ce point important, nous n’avons qu’à considérer la sensation de quantité sous sa forme la plus élémentaire et à substituer la vision au toucher. Supposons une centaine d’oranges rangées en un carré de dix de côté. Je puis, sans doute, les regarder une à une et, dans ce cas, j’aurai cent sensations semblables. Mais si, de prime abord, je jette un coup d’œil sur le tout, j’aurai la sensation d’un « carré d’oranges », c’est-à-dire une sensation unique. En disant que ce carré est fait de cent oranges, j’affirme que si je pose d’une certaine manière cent objets dont chacun en particulier me donne la sensation « orange », j’obtiendrai celle du carré en question ; mais, en elle-même, celle-ci est aussi primordiale que la première. Une perche de six mètres ne me donnera pas deux fois la sensation d’une perche de trois mètres, je sais simplement que si je mets bout à bout deux perches de trois mètres, j’aurai celle d’une perche de six mètres.

Cette substitution, à la sensation pure, de sa cause putative, de l’objet extérieur, présente donc l’immense avantage de rattacher une sensation à une autre, d’expliquer une sensation par une autre, celle de la perche de six mètres par celle de trois mètres et ainsi de suite. La possibilité de cette addition, inexécutable tant que nous restons dans le domaine de la sensation qualitative pure, entraîne évidemment celle de toutes les opérations analogues. Et c’est ainsi qu’à la qualité se substitue la grandeur, la quantité, qui permet l’application, la pénétration des mathématiques. L’avantage qui en résulte au point de vue de la science, même purement légale, est immense : dans toutes les langues du monde, calculer et prévoir sont synonymes.

Dans le cas de la perche et de la boule, la substitution de l’objet à la sensation est chez nous inconsciente, elle est l’effet de ce que l’on appelle le sens commun dont, un peu plus tard, nous tâcherons d’étudier le fonctionnement. Cette substitution est tellement rapide, qu’il nous faut un effort pour revenir à la sensation pure. La langue d’ailleurs est pour ainsi dire incapable d’exprimer cette dernière, elle est, comme on l’a remarqué depuis longtemps, tout entière modelée sur le sens commun et se réfère constamment non pas à la sensation, mais à l’objet extérieur. En substituant au son ou à la couleur des vibrations, phénomène quantitatif, nous faisons également pénétrer les mathématiques dans un domaine de la sensation qualitative, mais, comme nous agissons consciemment, la substitution est moins complète, l’élément quantitatif ne vient pas se mêler à notre sensation.

En restant strictement dans le domaine de la qualité, la science que l’on pourra construire sera extrêmement limitée, puisque le nombre des sensations différentes est infini, et que le retour de sensations véritablement identiques est excessivement rare. En réalité, personne n’a jamais essayé de construire une science de ce genre ; celle d’Aristote en est certes fort éloignée. Mais il essaie vraiment de traiter « le chaud » comme une qualité pure et simple ; et l’on voit alors avec netteté, par la vanité de l’effort tenté par ce grand esprit, que cette voie est impraticable. À côté du « chaud », Aristote est obligé d’établir le « froid » comme qualité distincte, étant donné qu’en effet ce sont là deux sensations totalement différentes[49]. Mais même en se servant de ces deux qualités opposées, il ne peut parvenir à la conception claire d’une gradation de la chaleur, conception qui nous paraît d’une grande simplicité. Il n’aurait pu y atteindre, en effet, qu’en considérant le chaud et le froid comme de véritables substances qui se mélangent en des proportions variables : c’eût été, bien entendu, s’écarter davantage encore du point de vue qualitatif. Ses expressions sont d’ailleurs suffisamment ambiguës pour que ses sectateurs au moyen âge aient pu le comprendre parfois de cette manière.

Mais si le chaud et le froid deviennent des substances, il est plus simple de supprimer l’un des deux, à peu près comme dans la science de l’électricité la théorie des deux fluides a dû céder devant celle d’un fluide unique. On arrive alors à la conception de chaleur-substance ou chaleur-fluide qui, en effet, a longtemps prévalu dans la science. Elle se rattache encore nettement aux théories de la qualité, et c’est sous cet aspect que nous l’avons considérée plus haut ; mais c’est une théorie qualitative fortement mitigée par des considérations de quantité, puisque c’est par ce moyen qu’on rattache les unes aux autres les différentes gradations de la chaleur.

On voit d’ailleurs que si les théories purement qualitatives sont condamnées à rester tout à fait stériles au point de vue scientifique, il n’en est pas de même de ces théories intermédiaires. La conception de chaleur-fluide a rendu de grands services aux physiciens du xviiie siècle, elle a permis d’établir les lois de la mixtion, d’étudier les conditions du changement de l’état d’agrégation, etc. On sait que Carnot encore s’en est servi dans son célèbre opuscule. Comme il a, dans une note, reconnu qu’il considérait la chaleur comme un mouvement, on en a inféré quelquefois qu’il n’avait fait usage de la notion de chaleur-fluide que pour se conformer à l’opinion générale du public savant de son temps. C’est peut-être conclure un peu hâtivement. On semble bien deviner, en lisant attentivement les Considérations, que la conception de la chaleur en tant que fluide cherchant à s’épandre ne lui a pas été entièrement inutile. Ce qui est certain, c’est que des conceptions mécanistes n’auraient pu lui rendre, en l’occasion, aucun service : elles l’auraient plutôt gêné, car il est difficile de faire cadrer le mécanisme strict avec le principe de Carnot (chap. viii, p. 254). Il reste, nous l’avons vu, dans la science et notamment en chimie, de ces conceptions qualitatives ; il n’est pas dit quelles ne soient pas destinées à rendre encore des services considérables. Elles s’arrêtent à l’explication du devenir et n’aspirent pas à donner celle de l’être, elles sont donc l’expression d’une application moins étendue du principe d’identité que les théories mécaniques ; elles peuvent quelquefois guider la pensée scientifique là où justement, comme pour le principe de Carnot, le principe d’identité absolue est nécessairement en défaut.

Un trait distinctif des théories qualitatives, comparées avec les théories mécaniques, c’est qu’elles admettent le continu : tant qu’on croyait que la chaleur et l’électricité étaient des fluides, une constitution atomique ne paraissait nullement s’imposer pour l’une ni pour l’autre. C’est là, remarquons-le en passant, un argument contre la thèse d’après laquelle ce seraient les mathématiques qui introduiraient le discret en physique. Pour nous, la cause de cette distinction gît dans la déduction que nous avons présentée plus haut (chap. ii, p. 85). L’atome discret devient nécessaire quand nous attribuons le changement à l’arrangement de parties, qui doivent être immuables dans le temps et, étant étendues par essence, conserver indéfiniment leurs propriétés spatiales qui ne peuvent dès lors être que définies. Les qualités hypostasiées, au contraire, ne sont nullement spatiales par essence. Si je me figure la chaleur comme un fluide, je ne lui attribuerai pas de volume défini, la même quantité pourra occuper n’importe quel volume. L’identité ici sera assurée non pas, comme pour l’atome, par la persistance des limites spatiales, mais par celle d’un signe d’intensité, primitivement fondé sur la considération d’une sensation — la même chaleur étant celle qui me paraît telle à l’attouchement — à laquelle nous substituons ensuite un concept dérivé, tel que celui basé sur l’échelle thermométrique. Dès lors, le discret ne s’impose plus.

Mais, bien entendu, toutes les théories qualitatives, quelque mitigées qu’elles soient, présentent le même inconvénient essentiel, c’est que le domaine de la qualité supposée paraît absolument délimité, entouré en quelque sorte d’un fossé infranchissable et hors de tout rapport possible avec le reste des phénomènes de la nature. Tant que la chaleur était un fluide et l’électricité un autre fluide différent du premier, aucune transition entre les deux n’était possible ; ou, pour être plus précis, on aurait pu se figurer à la rigueur que l’un se transformait dans l’autre par une sorte de réarrangement des molécules à peu près comme le phosphore blanc devient phosphore rouge, mais alors le fluide cessait d’être spécifiquement calorique, ce caractère devenant un attribut du mode d’arrangement de ses particules. En d’autres termes, le fluide n’était plus l’hypostase d’une sensation et la théorie cessait d’être qualitative. On croit parfois distinguer, au xviiie siècle, des idées de ce genre. Mais la science n’a conçu clairement les rapports entre les diverses formes de l’énergie que par la transformation de l’énergie mécanique en énergie calorique, etc. ; d’ailleurs, antérieurement déjà, la similitude entre la chaleur et la lumière d’une part et le mouvement vibratoire d’autre part était clairement établie ; la conception s’imposait donc, qu’il s’agissait partout, non pas d’arrangements, mais de modes de mouvement. Dans le même ordre d’idées, l’établissement de rapports nets entre les divers éléments chimiques conduirait directement à faire prévaloir le concept de l’unité de la matière, c’est-à-dire que les différences qualitatives, spécifiques, que nous sommes encore obligés de supposer à l’heure actuelle, disparaîtraient pour faire place à des différences d’arrangement ou de mouvement.

Ainsi donc, en partant d’une théorie qualitative, la science, à mesure qu’elle progresse, arrive de plus en plus à substituer la quantité à la qualité. Il est à noter que le principe de légalité seul, le souci permanent d’étendre les rapports entre les choses, suffit à motiver ce progrès. Mais il ne faut pas oublier que le point de départ, la théorie qualitative, est déjà une conception causale, en ce sens qu’elle stipule la persistance de quelque chose (qui est, en l’espèce, une sensation hypostasiée). En outre, ce progrès, qui aboutit à remplacer un concept causal par un autre, se fait aussi dans le sens de la causalité. En effet, chaque fois que nous passons d’une qualité à une quantité, nous nous éloignons de la sensation et lui substituons de plus en plus un concept hypothétique. Quand, au lieu du chaud et du froid d’Aristote, nous introduisons la chaleur, puis le fluide calorifique, nous avons déjà créé un concept fort abstrait ; ce fluide est très différent de notre sensation, puisqu’il crée en nous au moins trois sensations bien caractérisées : froid, chaud, brûlure. La différence s’accentue encore au moment où la chaleur devient un mouvement. Or, tous ces concepts n’ont et ne sauraient avoir avec notre sensation d’autre rapport que celui d’être une cause supposée de cette sensation. C’est donc en substituant à la sensation ce qui est censé être sa cause que le progrès s’est accompli. C’est aussi dans ce sens et non seulement parce qu’il ne s’arrête pas au devenir, mais prétend aussi expliquer la cause de l’être, que le mécanisme constitue une expression plus complète du principe causal.

Des conceptions analogues aux théories de la qualité constituent en très grande partie le fond d’un groupe de doctrines qui ont surgi dans la première moitié du xixe siècle. Cependant, les spéculations des Naturphilosophen allemands auxquelles nous faisons allusion ici se sont produites plutôt en marge de la science ; si elles ne sont pas restées absolument sans influence sur son développement, — il ne faut pas oublier qu’elles ont inspiré Œrsted auquel est due la découverte de l’électro-magnétisme, — elles n’ont, semble-t-il, à aucun moment, constitué de vraies théories scientifiques. Nous n’avons donc pas à les examiner à ce titre. Mais une autre théorie a été formulée récemment qui, tout en se rattachant par certains côtés à ces doctrines anciennes, est cependant d’essence vraiment scientifique. Le nom de son auteur, M. Ostwald, le célèbre théoricien de la chimie, suffirait seul à attirer l’attention sur ces conceptions, d’ailleurs remarquables à plus d’un titre.

Pour M. Ostwald, le monde extérieur constitue la manifestation d’un seul principe, l’énergie ; nous ne connaissons le monde que par nos sensations ; or, celles-ci ne sont autre chose que des différences d’énergie[50]. On peut subordonner tous les phénomènes au concept de l’énergie ; celle-ci seule les détermine tous[51]. Le concept de l’énergie englobe celui de cause[52]. L’espace même ne nous est connu que par la dépense d’énergie nécessaire pour le pénétrer[53]. Si nous le supposons immuable, si nous en postulons la conservation, c’est qu’il s’agit de la conservation d’une forme particulière de l’énergie, l’énergie de volume[54]. L’énergie est à la fois la plus générale des substances et le plus général des accidents[55]. Elle est une réalité, tandis que la matière est une invention « assez imparfaite d’ailleurs que nous nous sommes forgée pour représenter ce qu’il y a de permanent dans toutes les vicissitudes[56] ». Si l’on sépare l’énergie de la matière, celle-ci s’évanouit[57]. L’énergie est, en somme, à un degré bien plus grand que l’éther chez certains physiciens atomistes, l’élément ultime, le substrat unique de toute réalité. Il va sans dire que nous ne saurions songer à la décomposer réellement ; mais, dans notre idée, nous nous livrons bien à cette opération, puisque nous la décomposons en facteurs, de diverses manières. Certains de ces facteurs appartiennent à la classe que M. Ostwald désigne sous le nom de « facteurs d’intensité », tels que, par exemple, la vitesse ou la température. Ce ne sont pas de vraies grandeurs, puisqu’elles ne s’ajoutent pas les unes aux autres : deux corps de poids identique forment ensemble un corps de poids double, mais deux corps de même vitesse ou de même température ne fourniront qu’un corps de vitesse ou de température identique. M. Ostwald observe que si l’on divise l’énergie par un « facteur d’intensité » on arrive à des grandeurs qui demeurent constantes, c’est-à-dire qui ne peuvent se modifier que si le système reçoit de l’énergie de l’extérieur : telles sont la masse, la quantité de mouvement, la quantité d’électricité. Le principe de la conservation de la matière cesse de paraître, comme jusqu’à ce jour, un énoncé primordial de la science et devient un cas particulier de la conservation de ces grandeurs que M. Ostwald appelle les « capacités[58] ».

Il faut reconnaître que le système de M. Ostwald est par certains côtés extrêmement séduisant. La déduction des « capacités », ce concept général qui paraît embrasser tout ce qui, dans les phénomènes, doit se conserver, ce procédé qui permet de le prévoir a priori, nous inclinent, à première vue, à supposer que nous avons réellement surpris un des secrets fondamentaux de la nature, peut-être le principe le plus général qui la dirige. À regarder de plus près, de graves doutes surgissent.

Faisons abstraction de l’étonnement qu’on éprouve à voir déduire l’immutabilité de l’espace, — notion que nous sentons sinon antérieure, du moins simultanée à l’origine même de toute expérience, — d’une conception aussi compliquée que l’énergie de volume, c’est-à-dire, en dernière analyse, de la conservation de l’énergie. Ce n’est peut-être pas là une affirmation qui tienne essentiellement au système et M. Ostwald pourrait l’abandonner sans que sa théorie fût mise en danger. Considérons le fondement même du système, le concept de l’énergie et le principe qui en énonce la conservation. C’est là, nous l’avons vu, pour M. Ostwald, quelque chose qui domine et détermine l’expérience entière. Cependant, il n’entend pas que ce principe soit a priori (en quoi il a évidemment raison), mais lui assigne une origine empirique[59]. Il faudrait alors au moins, semble-t-il, que ce fût une constatation d’expérience continue et journalière, qu’elle eût été faite de tout temps. Or, nous l’avons vu, elle est toute récente ; à aucun moment, avant le xviie siècle, non seulement nul ne l’énonça (contrairement à ce qui eut lieu pour la conservation de la matière) mais nul n’en eut même le pressentiment ; et la formule en est si malaisée à connaître que, quand elle fut énoncée pour la première fois (par Descartes), ce fut d’une manière erronée. À l’heure actuelle même, elle demeure, en tant que loi empirique, d’une vérification difficile et, dans bien des cas, impossible ; sans compter que les découvertes récentes, celle notamment des corps radioactifs, tendent certainement à l’infirmer en tant que notion déduite directement de l’expérience. En réalité, l’énergie, Hertz nous l’a dit, n’a rien d’une substance ; sa conservation est simplement plausible ; mais alors il faut la déduire du principe de causalité, et non inversement, comme le veut M. Ostwald.

D’autre part, le système infiniment ingénieux des intensités et des capacités conduit à une anomalie qui le menace dans sa partie essentielle. La température est incontestablement, selon la définition de M. Ostwald, un facteur d’intensité des mieux caractérisés, puisque deux corps ayant même température, si on les réunit, n’en changent pas. En divisant l’énergie calorique par la température, on arrive à l’entropie. L’entropie devrait donc, d’après M. Ostwald, rentrer dans la classe des capacités, c’est-à-dire rester constante. Or, nous savons que sa caractéristique essentielle (excepté le cas limite, irréalisable dans le monde physique) est au contraire de grandir constamment. M. Ostwald a cherché à écarter cette difficulté destructive de son système. En s’appuyant sur certaines données expérimentales, et notamment, semble-t-il, sur celles de M. Landolt, il déduit que la masse pourrait bien être une grandeur non pas constante, mais soumise à des modifications incessantes dans une même direction[60]. Évidemment, cette supposition modifie tout à fait la notion de capacité établie par M. Ostwald lui-même, toutes les capacités s’assimilent à l’entropie. Qui ne voit ce qu’un tel système a d’artificiel ? Que la matière puisse se dissocier, comme le suppose aussi M. G. Le Bon, cela est assurément admissible : mais les faits par lesquels on conclut à cette dissociation, en prenant les choses au mieux, sont rares et menus. Quelle analogie y a-t-il entre cette situation et la manière dont se comporte l’entropie dont la tendance à l’accroissement, manifeste et incessante, nous apparaît comme le grand ressort réglant le devenir des phénomènes, ainsi que du reste M. Ostwald le reconnaît lui-même ? N’est-il pas évident au contraire qu’au lieu de se comporter comme l’entropie, la masse se comporte plutôt comme l’énergie, que le principe de la conservation de la masse ne ressemble en rien à celui de Carnot et est tout à fait analogue au principe de la conservation de l’énergie ? Les anomalies expérimentales découvertes pour le premier de ces principes ne sont certainement pas moindres que celles constatées pour le dernier. Sans parler du fait que, comme l’observe justement M. Étard[61], les concepts de matière et d’énergie sont indissolublement liés pour nous, au point que la destruction de l’un entraîne la disparition de l’autre : pour m = 0, mv² s’annule également, la vitesse devant évidemment rester finie. Et comment d’ailleurs s’imaginer l’énergie n’ayant pas pour substrat la masse ? Dans ces conditions, ériger la conservation de l’énergie en fondement inébranlable d’une théorie du monde et supposer que la conservation de la masse n’est qu’une apparence que les faits se chargeront de démentir, semble vraiment contraire à toutes les règles de la logique.

Constatons d’ailleurs que M. Ostwald, en formulant sa théorie énergétique, se mettait en contradiction avec les principes généraux qu’il avait lui-même proclamés. Ces principes, nous l’avons vu par un passage cité au début de cet ouvrage (chap. i, p. 2) sont ceux d’Auguste Comte. Ils se résument dans l’affirmation que la loi seule suffit pour l’explication du phénomène ; c’est donc le hypotheses non fingo, poussé jusqu’à l’abandon, la proscription de tout ce qui va au delà de la loi. Est-il besoin de démontrer que l’hypothèse énergétique, telle que la conçoit M. Ostwald, ne rentre pas dans ce cadre ? Plus et mieux que les atomes de n’importe quel théoricien mécaniste, l’énergie du savant de Leipzig est un véritable être ontologique, une chose en soi[62]. Elle existe absolument, indépendamment de toute autre chose, embrassant la substance et l’accident, l’espace et la cause, étant elle-même sa propre cause, causa sui, et causant le monde phénoménal tout entier. Le fait qu’un esprit aussi éminent que M. Ostwald, en dépit de sa profession de foi si nette, n’ait pu se cantonner dans le domaine de la loi pure, qu’il ait cherché, en dehors de celle-ci, à constituer un véritable système d’explications, est certes des plus significatifs. Et il est également digne de remarque qu’une fois sorti de la stricte légalité, il ait aussitôt adopté comme fondement de sa théorie un concept immuable dans le temps, une constance. Enfin, il est très curieux d’observer à quel point dans ce système, tout comme dans la théorie atomique, le principe de Carnot apparaît comme une anomalie[63]. M. Ostwald, nous venons de le voir, a cherché à tourner la difficulté en supposant que les autres « capacités » ne se conservent peut-être pas non plus. Mais, en réalité, la logique de son système exige plutôt une assimilation en sens inverse : c’est l’entropie qui devrait se comporter comme la masse et la quantité de mouvement, et se conserver indéfiniment. En d’autres termes, l’accroissement de l’entropie étant le grand ressort du changement, il ne devrait pas y avoir de modification dans le temps. C’est bien, nous l’avons vu, la formule de toutes les « explications ». Peut-être même trouvera-t-on qu’à ce point de vue les théories cinétiques sont encore supérieures à celle de M. Ostwald. Il est certes moins paradoxal de vouloir expliquer le principe de Carnot par la statistique que de chercher à établir une analogie entre la masse et l’entropie.


  1. P. Tannery. Les principes de la science de la nature chez Aristote. Congrès de philosophie de 1900, vol. IV. p. 214.
  2. Condillac. Logique, Œuvres. Paris, an VI, vol. XXII, p. 83.
  3. Galeni De elementis secundum Hippocratem, lib. I, Opera, éd. Kuehn, vol. I, p. 457, 477, 479, 480, 487. — Cf. Lasswitz. Geschichte, p. 229.
  4. Cf. Lasswitz, ib., p. 156.
  5. Scotus Erigena. De divisione naturae. Oxford, 1681, I, chap. xxxi, xxxii. — Cf. Lasswitz, l. c., p. 39.
  6. Elementa philosophiae, dans Beda. Œuvres. Cologne, 1688, vol. II, p. 209. — Cf. Lasswitz, l. c., p. 74.
  7. Lasswitz, l. c., vol. Ier, p. 233 ss.
  8. Pour Paracelse, comme pour la plupart des alchimistes, les éléments d’Aristote se retrouvent au-dessous des éléments chimiques ; il y a là, pour ainsi dire, deux degrés de simplicité (Kopp. Die Alchemie, vol. I, p. 35). À une époque un peu postérieure, Nicolas Le Fèvre identifie au contraire les éléments d’Aristote et ceux des chimistes, le phlegme est l’eau, le principe spiritueux ou mercuriel l’air, le principe sulfureux ou huileux le feu, le principe salin la terre.
  9. Paracelse est l’initiateur de l’iatrochimie. Mais nous avons vu (p. 213 ss.) que les théories sur les éléments restent à peu près les mêmes. Le but seul de la chimie se modifie.
  10. Paracelsus, Œuvres, éd. Huser. Bâle, 1589. Paramirum, l. Ier, p. 74.
  11. Circulus Pisanus Claudii Berigardi Molinensis De veteri et peripatetica philosophia. Udine, 1643, l. IV, Circulus XX, p. 125. — Cf. Lasswitz, l. c., p. 491.
  12. Ib., Circulus II, p. 17. — Lasswitz, p. 490.
  13. Ib., Circ. II, p. 6. — Lasswitz, ib.
  14. Ib., Circ. XVIII, p. 115. — Lasswitz, p. 497.
  15. I. Kopp. Geschichte, vol. I, p. 97.
  16. Ib., p. 182.
  17. Libavius exprime la croyance générale en affirmant que les métaux « distare videntur, non tam substantia, quam accidentium absolutione » (Kopp. Alchemie, vol. I, p. 46). — C’est cette croyance à la facilité de la transmutation qui a constitué plus tard l’obstacle le plus sérieux aux progrès de la chimie analytique. Cf. Kopp. Geschichte, vol. III, p. 56. — Les diffèrences entre les métaux paraissant tout à fait insignifiantes, on a supposé qu’on pouvait les faire disparaître par une sorte de fermentation, ce qui a conduit à attribuer à la pierre philosophale, considérée comme ferment, des propriétés qui nous paraissent si chimériques. De même, on croyait que les métaux pouvaient se multiplier, que du cuivre teint en blanc par l’arsenic et ajouté à l’argent augmentait réellement la quantité de ce dernier métal (Kopp. Alchemie, vol. I, p. 166), ce qui était d’ailleurs conforme à la théorie de la mixtion d’Aristote.
  18. Cf. Berthelot. Les origines de l’alchimie. Paris, 1885, p. 282.
  19. Cf. Berthelot. Les Origines de l’Alchimie. Paris, 1885, p. 208.
  20. Encore Kunckel au xviiie siècle fondait sa croyance à la transmutation sur le changement de couleur que l’or éprouve quand on le traite par le sel ammoniaque ou le borax (Kopp. Alchemie, I, p. 61 ss).
  21. Ib., I, p. 53, 249.
  22. Ib., p. 250.
  23. Kopp (ib., p. 46) croit que c’était la seule recette de transmutation métallique vraiment efficace ; la véritable nature de la réaction a été expliquée par Angelo Sala, au début du xviie siècle.
  24. Cf. Berthelot. La révolution chimique. Paris, 1902, p. 54.
  25. Cf. Kopp. Geschichte, vol. III, p. 307. C’était l’expérience fondamentale de la théorie du phlogistique, expérience qui avait pour cette conception la même importance que celle de l’oxydation des métaux en vase clos a eue plus tard pour les antiphlogisticiens.
  26. Kopp. Geschichte, vol. III, p. 15. — Stahl affirme même avoir transmué l’acide sulfurique en muriatique et nitrique, cf. ib., p. 352.
  27. Ib., vol. III, p. 75.
  28. Ib., vol. III, p. 143.
  29. Ib., vol. I, p. 150.
  30. Kopp. Geschichte, vol. I, p. 151, 153, 222. Cf. Lavoisier. Œuvres, vol. I, p. 154.
  31. Lavoisier. Œuvres, vol. I, p. 468.
  32. « Il est peu de livres de chimie moderne qui annoncent plus de génie que celui de M. Meyer. » Œuvres, vol. I, p. 482). — Plus tard Lavoisier a au contraire célébré le mérite de Black (Essai sur le phlogistique de Kirwan. Paris, 1788, p. 23).
  33. On en trouvera un résumé chez Kopp. Geschichte, vol. III, p. 119 ss.
  34. Ib., p. 155.
  35. Essai sur le phlogistique, p. 23.
  36. Lavoisier. Traité élémentaire de chimie, Œuvres. Paris, 1864, vol. I, p. 9, 48, 57.
  37. Ib., vol. I, p. 61, cf. Davy. Works. Londres, 1839, vol. V, p. 513.
  38. Berthelot. Lavoisier, p. 180. — Cf. Lavoisier. Œuvres, vol. II, p. 180.
  39. Il est très caractéristique à ce point de vue que, dans la théorie des ions, le fait qu’en solution aqueuse toutes les propriétés physiques des sels sont additives, est considéré comme une preuve qu’il y a dissociation complète, c’est-à-dire pas de combinaison du tout. Cf. Arrhénius. La dissociation électrolytique. Congrès international de physique de 1900, vol. II, p. 377.
  40. M. Berthelot. La synthèse chimique. Paris, 1876, p. 7.
  41. Huxley. Lay Sermons. Londres, 1887, p. 118.
  42. A. Comte. Cours, vol. III, p. 18.
  43. Ib., p. 15.
  44. Van’t Hoff. Leçons de chimie physique, trad. Corvisy, IIIe partie. Paris, 1900, p. 3.
  45. Sully-Prudhomme et Richet, l. c., p. 91.
  46. Ostwald. Lettre sur l’énergétique. Revue générale des sciences, VI, 1895, p. 1071.
  47. Ceci suppose évidemment que ma sensation, dans des conditions analogues, sera la même, car il se peut en effet que la même étoffe me paraisse d’une couleur plus ou moins vive, selon la prédisposition de l’œil. Mais, ce postulat implicite admis, on ne voit pas très bien pourquoi M. Lasswitz affirme (Geschichte der Atomistik, vol. Ier, p. 498) qu’on ne saurait reconnaître une qualité comme identique, à moins de la transformer en quantité. Il semble qu’il suffise d’une observation un peu prolongée pour acquérir la conviction qu’un diapason ou une étoffe teinte avec du rouge d’Andrinople (on peut y substituer un verre de couleur) ne se modifient pas sensiblement pendant un laps de temps relativement considérable et qu’on peut dès lors se prononcer en comparant la sensation à celle du type qu’on aura établi.
  48. Cf. plus haut p. 283.
  49. On sait que Gassendi a également supposé l’existence d’une matière du froid à côté de la matière calorifique. Cf. Rosenberger. Geschichte, vol. II, p. 118.
  50. Ostwald. La déroute de l’atomisme contemporain. Revue générale des sciences, VI, p. 956.
  51. id. Vorlesungen ueber Naturphilosophie, 2e  éd. Leipzig, 1902, p. 152.
  52. Ib., p. 153.
  53. La déroute, p. 957.
  54. Vorlesungen, p. 285.
  55. Ib., p. 146.
  56. La déroute, p. 956. Il se peut que, sur ce point particulier, les idées de M. Ostwald se soient quelque peu modifiées, ainsi qu’il semble ressortir de passages que nous citerons dans la suite.
  57. Ib., p. 957.
  58. Vorlesungen, p. 281-282.
  59. Ib., p. 173 et 186.
  60. Vorlesungen, p. 281.
  61. Étard. Les nouvelles théories chimiques. Paris, s. d., p. 12.
  62. Cf. notamment Vorlesungen, p. 242, où M. Ostwald, protestant contre toute autre supposition de « chose en soi », démontre que seule l’énergie doit être considérée comme telle.
  63. M. Ostwald (Vorlesungen, p. 281) le qualifie d’ « irrégularité dans notre image du monde ».