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ILLYRINE,


OU


L’ÉCUEIL DE L’INEXPÉRIENCE.



ILLYRINE,


OU


L’ÉCUEIL DE L’INEXPÉRIENCE.




Ce monde est une comédie,

Où chaque acteur vient à son tour

Amuser les hommes du jour

Des avantures de sa vie.
Épitre à Sophie, par le cit. ALIBERT.


Par G… DE MORENCY.




TOME SECOND.






À PARIS,


L’Auteur, rue neuve St.-Roch, n°. 111. Raimvillx, Editeur, rue Pérou., n°. 991 Mlle. Durand, Libraire, palais Égalité, Favar, libraire, Palais-Égalité. Tous les marchands de nouveautés.


AN VII.

ILLYRINE,
OU
L’ÉCUEIL DE L’INEXPÉRIENCE.




LETTRE PREMIÈRE.

À Julie.


Jeudi matin.

C’est de ma maison de campagne, c’est de cette allée de pruniers où nous nous sommes promenés ensemble, que je vais m’entretenir avec toi du bonheur que tu m’as donné. J’en suis presque encore ivre, adorable amie ! Je te connaissais une ame, je te présumais des sens. Mais, ô ciel ! que j’étais loin de la réalité : tu me fais surpasser moi-même : quelle volupté ! quel doux abandon !… que je fus heureux ! femme délicieuse ! tu es faite pour le plaisir, ou pour mieux dire, tu en est l’essence !…

Que fait mon ange ? t’occupes-tu de ton amant ? as-tu visité souvent la cabane de mousse ? le bosquet de myrthes ? Oh ! c’est celui-là,… Julie ! divine Julie ! vas y lire ma lettre ; réponds-moi de dessous ce myrthe qui se penche tendrement : mais reviens, reviens à la ville. Que fais tu seule aux champs ? je meurs d’ennui, d’impatience ! quand te posséderais-je encore ? Si tu partageais mes désirs, déjà tu serais ici. Viens, viens, amante adorée !…

J’ai vu ton mari dans la société chez madame V… : il m’a battu-froid, et m’a lâché quelques sarcasmes : tu sais que le propos n’est pas ce qu’il a de meilleur ; mais je tolère tout à celui qui a des droits sur Julie. Il entrait dans le parc comme nous en sortions. Comment auras-tu soutenu ce choc ? Je trembles pour toi, ô ma Julie ! Tu es si naïve ! (c’est un défaut de famille chez toi) et lui, il est si poétique ! roué si consommé ! charmante maîtresse ! n’avoue jamais. Tu peux être la seule femme à qui on puisse dire, ne le dis pas. Mais tu es si faible dans de certains momens ! et puis, tu l’aimes !… il est si adroit ! il saura te prendre si à propos ! tu te croiras maîtresse de renoncer à moi ; tu regarderas comme héroïque de lui tout avouer ! crois, mon amie, que tôt ou tard, un époux abuse toujours de cet aveu ; à plus forte raison, le tien… Julie ! je trembles ! sur-tout ne lui écris rien qui soit relatif à nous.

Renouvelle mes remerciemens à ton frère, cette angélique créature ; que de soins il eut de moi ! ô combien il t’aime ! Mais, Julie, toute ta famille est parfaite : tes mamans, ai-je jamais vu tant de candeur, de bonté ? ta mère est encore d’une beauté touchante, ton aïeule d’une beauté vénérable, et ton père, tout bouru qu’il est, ô, Julie ; cette homme-là a encore de bons côtés. Tes jeunes sœurs, qu’elles sont jolies, quoique marquées de petite vérole ! quels traits distingués ; quelle noblesse de taille dans l’aînée ! quels feux dans les grands yeux de la cadette ! Non, Julie, jamais je n’ai vu un si beau sang. Mais sans doute que je suis proscrit dans tes lieux pénates : on ne voudrait plus m’y revoir : nous avons compromis tant de monde ! toi, ma bonne, comment auras-tu pu concilier tout cela ? tu as de l’esprit, Julie ! c’était-là le cas de t’en servir.

Adieu, ma digne amie ; réponds-moi : viens bien vite : S… n’est plus qu’un vaste désert pour moi ; je ne puis vivre où Julie n’est pas. Reçois mille et mille baisers : places-les où bon te semble. Adieu, à jamais tout à toi.

N. Q…te




LETTRE II.

Julie à son ami.


Avec combien d’impatience j’attendais le courier ; il me remet une lettre : je la croyais de mon époux, puisque je lui avais écrit ; mais non, aucune réponse ; cette lettre est de vous, vous que je ne devrais plus voir ! vous que je voulais oublier, quoique j’aye tant de motifs pour vous aimer !… Mais l’honneur, mais le devoir, m’ordonnent de vous fuir à jamais.

Le croiras-tu ? je m’en suis crue capable. Je me suis entourée de ma fille : si-tôt ton départ, je l’ai fait venir : c’est d’elle que j’attendais ma guérison ; la pressant continuellement sur mon sein, j’ai espéré que le sentiment si légitime de la nature étoufferait ceux d’un criminel amour : Mon père m’a fait dire de ne pas paraître chez lui ; ma mère est venue nous voir : nous fûmes très-embarrassées à la vue l’une de l’autre ; elle ne me parla nullement de toi ; mon aïeule n’a pas non plus prononcé ton nom ; mais quelquefois je l’ai surprise en larmes, en me regardant et en carressant ma fille, lui dire : « innocente créature ! tu seras sans doute victime de la faiblesse de ta mère ! Que tout ceci, mon ami, est bien plus cruel que des reproches directs… Crois-tu qu’une ame comme la mienne ne soit pas profondément blessée ? je ne puis plus revoir ces lieux ! Si la grotte de mousse, le bosquet de myrthes, font tressaillir mon cœur de plaisir, en récompense, en rejoignant l’habitation de ma mère, tous les remords assiégent mon ame et la mettent à la torture.

Je retournerai à S… dans deux jours : je quitterai ces lieux, qui n’ont plus maintenant que des souvenirs amers à me donner.

Adieu, adieu : trouve un moyen de concilier mes devoirs avec ma tendresse. Adieu, je t’envoye tous les baisers de la volupté sur les ailes de l’amour.

Julie


LETTRE III.

À Julie.


Chère amie, je me trouve beaucoup mieux ; je n’étais encore que légèrement malade le jour que je n’ai pu te reconduire chez toi ; mais le lendemain, une fièvre violente s’est emparée de moi ; j’ai été alité pendant huit jours ; mais tout à coup je fus ressuscité par un ange ; il faut que tu le devines : je ne le nommerai pas ; tu sauras seulement qu’étant mourant, une divinité qui a la fraicheur et la jeunesse d’Hébé, la chevelure et la taille de Vénus, l’esprit de Minerve, qu’elle mitige avec la philosophie de Ninon de Lenclos ; cette déesse, dis-je, entre dans ma chambre ; elle voulut me donner elle-même ses soins ; bientôt je fus convalescent ; mais à mesure que ma guérison s’opérait, je sentais dans mon cœur une blessure mortelle : ma bienfaitrice s’en apperçut ; elle connaissait le pouvoir de ses charmés ! « Mon ami me dit-elle un jour que nous étions seuls, je ne t’ai pas rappellé à la vie pour te la rendre cruelle ! guéris-toi, et nous serons heureux ! » cette bienfaisance m’arracha des larmes de reconnaissance ; je m’empare de sa main que je baisai avec transport ; bientôt avec cet espoir, j’eus récupéré ma santé. Elle me tint parole. Si-tôt que mon médecin m’eût dit que je pouvais me mettre à la vie commune, monter à cheval ; que même l’exercice de la chasse ne pouvait que me faire du bien, elle me rendit le plus fortuné des hommes.

À la suite d’un de ces momens où l’on savoure tout, elle me demanda si elle avait mes prémices. — Oui, lui dis-je, ceux de mon cœur : je n’ai jamais aimé : mais pendant les deux ans que je fus à Paris, mon tempéramment m’a conduit dans les bras de ces syrènes si communes en ce pays ; mais ce plaisir n’a rien de semblable à celui dont je viens d’être enivré. — Je me flattais, dit-elle, d’avoir donné la première notion du plaisir à toute ta famille. Eh ! vous en profitez si bien !… Toute enfant que j’étais, et ta sœur plus encore, puisque je suis son aînée de deux ans ; ta mère avec son innocence qui vous perdrait tous les uns après les autres, sans s’en douter, nous avait mis coucher ensemble, ta sœur et moi ; elle éprouvait des désirs dont elle ignorait absolument la cause : au moment où j’allais faire le voyage pour me rendre ici, un de mes parens m’avait rendue savante sur le chapitre de l’amour ; je fis part de ma science à ta sœur, qui ne l’a que trop bien perfectionnée… Suzanne était un petit volcan : nous nous croyions seules, jugez quel fût notre étonnement, lorsque de dessous le lit en sortit ton frère René : il était indomptable, rien ne put l’arrêter ; il nous pria, nous menaça de nous vendre ; enfin, il fit tant de train, que ton père se leva et vint nous dire de nous taire : René s’était déshabillé pour se fourrer sous le lit un instant avant que nous entrions dans la chambre. La voix de ton père à notre porte nous effraya tellement, que nous le cachâmes entre nous deux : il nous voulait toutes les deux, ou au moins une. Ta sœur lui représenta les liens du sang, etc. Il se calma un peu. Suzanne fut bientôt plongée dans un profond sommeil ; c’était véritablement celui de l’innocence. René, qui n’avait qu’un cal factice, me prouva bientôt que, quoiqu’il n’eut alors que treize ans, il n’était pas impunément dans le lit d’une femme de seize.

Je n’avais déjà plus mes prémices ; ainsi je reçus les siens et comblai ses vœux. Alors il se retira sans bruit et regagna sa chambre. Pour ta sœur, elle n’avait rien entendu : aussi je lui dis, lorsqu’elle s’éveilla, qu’il était parti de suite ; elle le crut. Tout le tems que j’ai restée ici, nous répétâmes souvent ce même jeu ; il passa même des nuits entières avec moi ; j’avais soin d’endormir Suzanne ; pour cela, j’avais ma recette infaillible : à certain signal, René qui était aux aguets, entrait.

Mais où est-il ? Que fait-il ? Il était à Paris chez un notaire ; il m’a écrit plusieurs fois ; mais il y a bien dix-huit mois que je n’ai point eu de ses nouvelles. Il doit être d’une bien riche taille ; c’est absolument ta figure ; il a cependant les traits plus mâles. Comme je ne répondais rien, que j’avais l’air sombrement occupé, elle ajouta. — Réponds donc, où est-il ? je veux le voir ; est-ce que tu es déjà jaloux ? Je lui baisai la main, et laissai couler quelques larmes. — Ma balle amie ! il n’est plus !… — Comment ? il n’est plus ? C’était la force et la santé ; c’était Hercule en personne : dis-moi donc, mon ami, comment cela peut être ? — Le voici ; tu sais qu’il était à Paris chez un notaire ; sa beauté le fit accueillir de toutes les femmes, son tempérament lui fit tant multiplier ses plaisirs, qu’il est mort d’excès de jouissances ; mais papa, maman, ignorent encore le genre de sa maladie.

Nous versâmes des larmes sur la fin prématurée d’un homme qui promettait être un chef-d’œuvre de la nature.

Nous devons t’aller voir, ma nouvelle maîtresse et moi ; mais avant, contes-moi quelle réception t’a fait ton mari : dis-moi tout, ma bonne amie, tout, tout… Adieu, je t’embrasse comme je t’aime, c’est-à-dire, beaucoup. Ton frère bien-aimé,

C. G. …




LETTRE IV.

Julie à son frère.


J’ai lu ta lettre, ami bien tendre, avec de l’intérêt ; je te félicite sur ta nouvelle amante : tu es bien heureux ! car elle est belle et tendre… Dis-lui que je l’ai tout de suite reconnue, que je la recevrai avec bien du plaisir ; que j’ai bien profité de ses leçons ; que quelquefois elles me sont encore utiles, malgré un époux et un amant : car ce dernier fait de si longues absences ; et le premier n’est qu’un zéro.

Tu veux savoir quelle fût ma réception ? je vais tout t’avouer. J’arrivai chez moi vers les quatre heures du soir ; les chevaux firent du bruit. Mon amant aux aguets n’attendait sûrement que ce signal ; car à peine étais-je dans ma chambre à coucher pour changer de vêtemens, qu’il parut. Il voulut me peindre tous ses transports : je le repoussai ; et se plaignant amèrement : — Julie ! quoi ! tu ne m’aimes plus ? Je ne sais pas mentir ; je ne pus lui confirmer une telle fausseté ; et le regardant d’un air souriant ; — Où prenez-vous, s’il vous plaît, que je ne vous aime plus ? — Vous ne voulez pas me le prouver, Julie ; il y a si long-tems !… si long-tems !….. ô ma Julie ? Puis, essayant de nouveau… — Arrêtez, lui dis-je : pour vous avoir prouvé toute ma tendresse, et toute ma faiblesse ; on n’est pas tout-à-fait sans principes : ce lit nuptial, cette chambre à coucher maritale, ne seront jamais souillés — Eh bien, Julie ! ce joli petit salon, qui représente plutôt un boudoir qu’un salon, je parie que votre mari n’en a jamais fait l’inauguration, avec vous, s’entend ?… Je demeurai incertaine sur ma réponse ; mais bientôt d’un bras vigoureux il m’enleva comme une plume, et me déposa sur la voluptueuse ottomane de ce boudoir : je fais encore quelque faible résistance. Que les hommes sont souples, lorsqu’ils désirent ! Il obtient de nouveaux témoignages de ma tendresse ! je partage son délire ! Puis, le regardant tendrement :

— Mon ami, qu’il me serait doux de te posséder le reste de la soirée ! mais nous ne sommes point ici à H. F…. : je trembles qu’il n’arrive ; que deviendrais-je, s’il te trouvait ici ? Vas, mon ami, vas, il m’en coûte plus que tu ne penses de t’éloigner de moi ; demain nous nous verrons chez madame V… ; je te dirai ce qui se sera passé. Adieu, ame de ma vie ! Il s’éloigne rapidement, il est échappé, il a disparu ! J’étais encore abîmée sous le poids des voluptés, penchée négligemment sur cette ottomane, lorsque mon époux se présenta ; il était monté sans bruit : je reste immobile d’étonnement à sa vue. Tu sais qu’il a la voix très-forte : me regardant avec un air terrible…

— Eh bien, madame, m’avez-vous assez déshonoré ? croyez-vous que votre lâche séducteur, vous et moi, survivront à l’infamie dont vous m’avez couvert ? répondez, madame !

Cet homme-là était trop convaincu, pour que je pusse nier. Puis, les mensonges sont de si petits moyens !…

Tout-à-coup reprenant de l’énergie… — Eh, monsieur ! de quoi vous plaignez-vous ? je fus un bien que vous possédâtes long-tems sans en connaître le prix ; vous me négligeâtes totalement ; vous me préférâtes de viles créatures : un être sensible a cherché à me consoler de vos mépris, et vous avez encore l’injustice de traiter cela de crime. Allez, monsieur, je vais me retirer dans un couvent ; la dot modique que vous avez reçue suffira pour payer ma pension : ma fille restera à ma famille. Adieu ; il ne me reste plus qu’à vous oublier. Un ruisseau de larmes m’inondait : je veux me retirer, il m’arrête. — Non, madame, ce n’est pas votre dernier mot. Encore un instant. J’étais dans un assez galant négligé. Qui ne sait pas combien les larmes et le désespoir embellissent une femme ! Mon époux vaincu par ce nouveau charme… — Arrêtez, mon amie, je sens que je vous aime encore ; que je ne puis penser à l’idée de vous perdre pour jamais. Vous êtes sensible, votre cœur fut séduit, mais il n’est pas corrompu : et il voulut me donner une preuve des nouveaux sentimens que je venais de lui inspirer… — Arrêtez, à votre tour : je n’ai point voulu souiller votre couche nuptiale ; mais vous, ne profanez pas non plus cette ottomane ; j’y ai rendu heureux M. Q…te : il n’a pas démérité dans mon opinion. Croyez-vous que parce que je n’ai pas été unie avec lui par un prêtre, que j’en crois moins mes liens sacrés ? Jusqu’à ce que lui-même, comme vous, les rompe ? Je les crois ceux de l’honneur. Je ne vous eus jamais manqué la première ; mais vous l’avez tant de fois réitéré ! j’en fus tellement offensée ! J’ai besoin d’aimer ; et je me suis attachée lorsque j’en ai cru l’objet digne. Voici le langage que je tiendrais à toute la terre qui oserait me condamner. Vous-même, monsieur, vous-même, oseriez-vous prononcer ? Le ton, la chaleur de ce discours énergique, le pénétra jusqu’aux larmes : il me pressa de nouveau de me rendre à ses desirs. — Non, non, je ne vous appartiens plus ! — Cruelle ! c’en est trop. Mais persuadé de ne rien obtenir dans ce boudoir, il m’emporta dans ma chambre à coucher de la même manière que mon amant m’avait transportée dans le boudoir.

Ô ! quelle bisarrerie de la nature ! Oui, ce moment fut un des plus doux que j’aie ressenti avec mon mari, et qu’il ait goûté avec moi depuis notre hymen. Enfin, il porta l’excès au point, que dans ce moment où l’on est éperdus, il me disait : — Penses-tu que c’est lui !… Ciel ! je ne fus jamais si heureux ! délicieuse infidélité !…

Nous descendîmes ensemble les meilleurs amis que nous fûmes jamais. Fanny qui l’avait vu monter rouge de colère, ne sut à quoi attribuer un changement si innattendu ; elle avait sûrement déjà calculé sur cette rupture pour rétablir son crédit sur les débris de ma disgrace ; sa figure était altérée de se voir ainsi déchue au plus beau moment de ses espérances ; car tu penses bien que depuis que nous sommes en rivalité, comme nous nous haïssons bien cordialement.

Il était fort tard ; elle vint annoncer que le souper était servi : elle surprit mon mari qui me prenait un baiser, comme aurait pu faire un amant timide. Je l’entendis en passant dans la salle à manger, qui disait à l’Espérance : « oh ! pardi, mon maître est un homme sur lequel on ne peut jamais compter : elle en fera toujours tout ce qu’elle voudra ; par ma foi, je crois qu’il en est redevenu amoureux. » Nous soupâmes gaiement ; nous étions aux petits soins l’un pour l’autre : il dit à Fanny ; « Montez mon bonnet de nuit et mes pantoufles chez madame ; j’y couche cette nuit » : en obéissant à son maître, la figure de la soubrette se décomposa.

Après mille autres douceurs de part et d’autre, il fut à ses affaires ; moi, je restai réfléchissant sur la bisarrerie d’un tel être. L’après-dîner, je fus chez madame V…, où mon amant devait se rendre ; je lui contai, à-peu-près, tout ceci. — Rien ne m’étonne d’un tel homme ; mais rien non plus ne me rassure ; j’aimerais mieux que tu ne lui eusse rien avoué ; mais c’est fait : profitons de la tournure que cela a pris : j’irai chez toi à l’issue du dîner. Il vint, mon mari était dans mon appartement : nous rougîmes tous trois à l’aspect l’un de l’autre : mon mari se remit le premier ; il lui fit un accueil assez honnête. Après un petit quart-d’heure de conversation, il dit : — Madame, vous savez que je soupe en ville ; si monsieur veut vous tenir compagnie, sonnez et commandez à souper.

— Monsieur, voulez-vous me faire l’honneur de souper avec moi ; je suis veuve : c’est gagner les indulgences, lui dis-je en rougissant ; Madame, vous êtes bien bonne, j’accepterai d’autant mieux, que mes parens sont à la campagne, et que j’ai besoin demain de bonne heure en ville. Je sonnai Fanny, je lui ordonnai le souper devant mon mari : cette fille ne savait plus à quelle sauce manger le poisson. Mon mari lui dit en sortant qu’il ne reviendrait pas le lendemain avant midi ; qu’il passait la nuit en loge maçonnique ; et il nous quitta.

Jamais je n’ai vu un homme plus étonné que mon amant. — Tout ceci n’est pas naturel, ma chère amie ; je connais le monde ; je n’ai jamais rencontré une telle bisarrerie ; mais profitons-en. Nous passâmes une soirée agréable, et une nuit plus heureuse encore, après avoir barricadé notre appartement : remarquez que j’ai mis moi même des draps au lit de la chambre d’ami, pour ne jamais enfreindre la loi que je m’étais faite.

Le lendemain, mon amant me quitta pour se rendre à son déparlement à L … Il doit revenir samedi coucher à S…, et y passer la journée du dimanche franc.

Si la charmante Lise veut voir et l’amant et l’époux, il faut que vous veniez coucher chez moi ; arrangez vos petites affaires pour cela. Puis, il y a un charmant bal champêtre au cours.

Sitôt que je fus habillée, il me vint en tête, pour témoigner ma gratitude à mon mari, et aussi me venger de Fanny, d’aller chez la petite marchande de modes, la prier de venir chez moi me faire des chapeaux, etc. Je n’ai jamais vu de ma vie une figure aussi embarrassée ; mais je sus bientôt la remettre, en louant son talent, et ce que savent dire les gens qui ont l’usage du monde.

Arrivée chez moi, j’ordonne à Fanny de lui disposer l’appartement d’ami. Oh ! c’est pour le coup que j’ai joui de la rage sourde de ladite Fanny. Mon mari rentra pour dîner ; il vit trois couverts. — Est-ce que M. Q…te dîne ici, Fanny ? — Non, monsieur, c’est Mlle. M… — Tu badines. — Pour ça, elle est en haut avec madame qui en raffole ; pardi, elle lui fait des chapeaux ; tout le monde n’a pas ce talent là. — Toujours de la jalousie ! Il monte. — Bonjour, mon amour ! il m’embrasse ; puis, il adressa un mot d’honnêteté à la petite, dont le minois prit mille couleurs ; véritablement, elle devint tout-à-fait jolie : mon mari ne sut comment reconnaître ce trait généreux ; mais bientôt l’habitude le fatigua de la petite, et honnêtement, il l’expulsa. Comme c’était vraiment une excellente enfant, je lui fis plusieurs cadeaux, et nous nous quittâmes, elle beaucoup plus contente de moi que de mon mari.

Mais voici un in-folio. Adieu, mes amis, en m’écrivant, ne me parlez que de vous ; comme je ne vous parle que de moi ; je vous embrasse bien tendrement : faites-en autant à ceux qui vous entourent et qui m’aiment.

Je dois te dire que Lise, ce nom que tu ne connais peut-être pas à ton amante, était celui qu’elle avait pris avec moi dans ses lettres, de crainte que mon père ne les décachetât : par ce nom de convenance, cela le dépaysait. Ajoute encore qu’elle portait la prudence jusqu’à faire mettre ses lettres à une autre poste que le lieu qu’elle habitait. Lise, ce nom lui était précieux ; c’est celui que lui donna M. de… ce jeune officier qui eut ses prémices, et qui était assez adroit pour passer dans l’appartement où étaient couchés ses père et mère, pour parvenir au sien. Je sais que le nom de Lise lui fut toujours cher, surtout d’après ce couplet qu’il laissa sur sa toilette un jour qu’il s’était un peu oublié :

    Lise déjà je vois le jour,
    Heureuse nuit, tu passes vite.

Mais, adieu pour la dernière fois ; baise bien ma Clarisse qui t’aime tant ; ne manque pas de venir samedi ; à jamais ton amie,


Julie.




LETTRE V.

Lise à Julie.


Tu te souviens encore, charmante amie, de ce joli nom que l’amour me donna ; comme je sais qu’il n’y a rien d’indifférent qui nous vient de cet espiégle d’enfant, je ne te nommerai plus dorénavant Suzanne, mais Julie : Suzanne annonce la sévérité de la sagesse. En vérité, mon ange, nous sommes trop aimables pour nous armer de rigueur : nous ferions trop de malheureux : tu n’es pas non plus la Julie farouche et pusillanime de J.- J. Rousseau : mais tu es la tendre, la voluptueuse, la passionnée Julie d’Ovide : ton amant ressemble aussi plus à ce poète charmant qu’aux langoureux St-Freux… »

Mais c’est ton mari que j’aime ; il est précieux, cet homme là ; qu’il me tarde de le voir ! Quoique tu me parles d’un bal, ce sera plutôt, je t’assure, le plaisir de te voir, de connaître ton mari (dont j’ai entendu parler sous tant de couleurs diverses) et ton amant que le plaisir d’une fête dansante, qui me conduirait à S…. Il est convenu que ton frère et moi, nous irons y coucher samedi ; qu’il y a encore loin d’ici à samedi ! Combien, depuis quatre ans j’ai trouvé l’habitation de ton père embellie, tes sœurs grandes, ta mère vieillie, ton père plus maussade encore. Oh ! quel que soit le mariage que tu as fait, tu es bien heureuse d’être sortie de la maison paternelle ; car c’est un véritable enfer ; tes sœurs s’y ennuient déjà à périr, et quoiqu’elles ne soient encore que des enfans, elles épouseraient le premier venu pour sortir de la domination de leur père. Cependant il les traite avec encore bien plus d’égards que toi.

Ta fille est charmante, et donne les plus belles espérances. Ton frère, la bonté même, va périr d’ennui lorsque je ne serai plus ici ; il frémit de passer un hiver dans ce désert : je ne vois pas quel moyen pourrait le tirer de la tutelle de son père ; puis, il a une si faible santé ! il ne peut se passer des soins de sa digne mère. Ô ! pour elle ; c’est bien la vertu personifiée.

Ton frère m’avait sondée sur le mariage ; mais, outre que je ne suis pas maîtresse de donner ma main, j’ai une répugnance invincible pour ce lien indissoluble ; je t’avoue mon faible ; je ne suis pas constante ; je ne puis aimer long-tems le même objet : il faut attendre que je soie plus mûrie pour m’engager sérieusement ; d’ailleurs, je suis si heureuse !… je voyage agréablement : nous sommes dans l’opulence, j’aime partout où je m’arrête et où je trouve quelque objet qui plaît à mon cœur. Je suis fille unique ; mes vieux père et mère m’adorent : rien n’est plus facile à tromper qu’eux ! Ô ! c’est un beau titre que celui d’être fille unique ; ma mère m’a eue dans un âge si avancé, que c’est une seconde Élisabeth. Ils faillirent tous deux mourir de joie lorsqu’ils se virent reproduire dans mon être ! Ils m’ont toujours idolâtrée ; ils n’ont rien négligé pour me donner des talens, des sciences agréables ; j’ai heureusement assez répondu à leurs vues ; ils ne vivent que pour moi, et je les aime bien tendrement aussi ; mais s’il s’agissait de me marier, tu penses bien que leurs prétentions en pareil cas seraient inaccessibles, et ma mère l’a déjà observé à ton père qui, sûrement, n’avait aucune vue pour que je devinsse sa brue ; car les bonnes gens sont bien loin d’imaginer ce qui se passe entre ton frère et moi.

Ma mère disait : « ma fille a un nom, de la jeunesse, de la beauté, des talens, et vingt mille livres de rente ; je ne gênerai pas ses inclinations ; mais je serai bien difficile sur le choix qu’elle fera d’un époux.

Ma bonne amie, si j’avais du goût pour m’enchaîner, j’avoue que ton frère serait peut-être le seul avec qui j’oserais engager ma liberté ; mais je suis si loin de-là ! Tiens, je ne peux mieux me comparer qu’à Félicia, auteur et héroïne d’un joli petit roman qui vient de paraître tout nouvellement, et toi, tu es le caractère de madame de Leisseval, son amie ; tu as déjà, comme elle, pris un nom d’héroïne d’amour ; elle se nommait, en pareil cas, Clarisse, et toi, Julie ; et comme elle, tu ne différeras en rien des autres femmes galantes, même de celles qui le sont beaucoup, sinon, que chaque caprice sera pour toi une passion, ou en aura la marche (toujours fort rapide de la naissance au dénouement) ; ce sera le nom tendre, Julie, dont tu enobliras très-adroitement tes fréquentes faiblesses. Vas, ma bonne, je connais le monde ; j’ai lire ton horoscope… Au surplus, tu ne te fâches pas, madame de Leisseval, à laquelle je te compare, et moi à Félicia, sont des femmes fort estimables, et sur-tout aimables au-dessus de toute expression : d’ailleurs, tu en jugeras toi-même ; car je t’envoie ce joli petit roman joint à ma lettre.

Adieu, je te quitte brusquement, la gouvernante du curé qui va à S… se charge de ma lettre et de ce joli petit ouvrage ; elle attend après moi ; tous les tiens t’embrassent : de tous ces baisers, tu distingueras facilement celui de ton frère et de Lise. Adieu : à samedi, Lise sera dans tes bras.


Ta Lise.



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LETTRE CIV.

À Julie.


Quoi ! se peut-il, Lili ? quelle épître ! quelle froideur ! ô ! Lili ! tu ne m’aimes plus ! qu’appelles-tu devoir ? en est-il de plus sacré que ceux que le cœur impose ? Lili, tu étais épouse et mère la première fois que tu m’as rendu heureux ! tu étais épouse et mère lorsque tu vint à Anisy ! tu étais épouse et mère lorsque tu vint à V… à C…, à Paris même ! tu étais épouse et mère à l’hermitage ! ô ! Lili ! est-ce que tu serais doublement mère ? sans ce cas même, n’ai-je pas les droits les plus sacrés sur l’innocente créature que tu porterais dans ton sein ? Lili, tu n’avais pas ta tête à toi lorsque tu m’as, pour toutes objections, dit que tu étais épouse et mère. Et sous le pommier du bois du rendez-vous, au bois des adieux, m’as-tu jamais objecté que tu avais des devoirs à violer pour me vendre heureux ? n’as tu pas toujours partager, mes transports, et j’ose dire même provoqué ? qu’à H. F…, chez ton aïeule, tu m’aurais prétexté tes devoirs ! mais aujourd’hui, Lili, c’est du dernier ridicule vis-à-vis d’un homme qui te possède depuis deux ans. Lili, tu n’as pas osé m’avouer que tu ne m’aimais plus ; mais je le sens ; et pour m’en convaincre, dimanche, de dix heures à midi, j’arriverai à Ermenonville ; j’irai droit à l’isle des peupliers. Sur le tombeau de J.-J., c’est-là que j’attendrai le dernier adieu de Julie. Tu n’as plus là rien à m’objecter, sauf, cependant, tes devoirs maritales que tu as donc repris avec bien du plaisir, puisque tu n’y veut plus manquer !…

Quant à ta fille, en deviendra-t-elle moins grande, moins jolie, parce que sa mère me rendra encore heureux une fois ? si au contraire c’est un autre que ton mari t’a fait, eh bien ! il sera à nous deux. Ne me réponds pas, tu n’en aurais pas le tems ; mais, bien sûr, tu viendras me joindre à l’isle des peupliers et passer un jour avec moi ; je m’y rendrai sans même attendre ton consentement. Lili, que je voudrais bien te rendre amante et mère. Ermenonville coupe la moitié du chemin de S…, comme Anisy de L… Lili, je réserve tous mes baisers pour l’isle des peupliers : viens adorable et adorée amante, ou je ne sais à quoi le désespoir peut me porter.

Dimanche, de dix heures à midi, que je serai transporté de joie de voir ma jeune espiègle sauter dans mes bras. Adieu, Lili, adieu ma chère, tout pour moi, Lili, à jamais ton ami.

N. Q…te


Fin du Tome II.


TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)


TOME SECOND


À Julie. 
 5
Julie à son ami. 
 9
À Julie. 
 11
Julie à son frère. 
 11
Lise à Julie. 
 11
À Julie. 
 11
 11
 11
 11
 11
 11
 11
 11
 11


 1
 1
 1
 1
À Julie. 
 358


ILLYRINE,


OU


L’ÉCUEIL DE L’INEXPÉRIENCE.



ILLYRINE,
OU
L’ÉCUEIL DE L’INEXPÉRIENCE.




Ce monde est une comédie,
Où chaque acteur vient à son tour
Amuser les hommes du jour
Des avantures de sa vie.

Épitre à Sophie, par le cit. ALIBERT.




Par G… de Morency.



TOME TROISIÈME.


À PARIS,
Chez
L’Auteur, rue neuve St.-Roch, n°. 111.
Rainville, Éditeur, rue Férou, n°. 991
Mlle. Durand, Libraire, palais Égalité,
Favar, libraire, Palais-Égalité.
Tous les marchands de nouveautés.

AN VIII.

ILLYRINE,

OU

L’ÉCUEIL DE L’INEXPÉRIENCE.




LETTRE CV.

Julie à Lise.


Me voici à Paris, ma chère Lise ; mais ce n’est pas ma faute. Il m’a écrit de venir l’y joindre ; je lui ai observé que je ne le pouvais ; que mes devoirs… ; que j’étais épouse et mère ; il m’a plaisanté sur mes scrupules, et donné rendez-vous à Ermenonville, non à Paris, pour ne pas fronder mes nouveaux principes.

Pouvais-je, mon amie, refuser un dernier adieu à St. Preux sur le tombeau de J.-J. J’y arrivai vers midi ; il faisait beau ce jour-là ; le soleil avait encore de la force, je demandai à l’auberge vis-à-vis les jardins de M. Girardin (propriétaire de ce joli séjour), je demandai, dis-je, si un jeune homme de telle et telle manière n’était point arrivé. — Oui, monsieur, m’a dit un postillon qui rafraichissait, il est allé par-là, dans l’isle des peupliers ; c’est moi qui l’ai conduit ; il était bien pressé, il avait un rendez-vous ; il voulait s’y trouver le premier. Je cours à l’endroit où le postillon m’indique ; je me précipite dans les bras de mon amant, et de nouveau, j’oublie mon époux, ma fille…

Avant que de partir, j’avais laissé une lettre sur le lit de mon époux, où j’étais parvenue tout doucement ; je lui baise la main qu’il avait sortie hors du lit : un songe semblait l’agiter fortement ; je sortis de son appartement ; les forces me manquèrent, je rentre dans le mien ; la lettre de mon amant, que j’avais laissée ouverte sur ma cheminée, frappe ma vue ; j’eus la faiblesse de la considérer, elle triompha ! je me dis : je ne manque pas à mon mari ; je ne fuis pas loin de lui ; je le reverrai demain, quel mal cela peut lui faire ? après que mon cœur eut composé avec ma raison, je pars, et bientôt je suis loin de mes foyers : je m’étais bien promis, et je l’avais spécifié à mon époux ; que le lendemain, ou au plus tard le sur-lendemain, je serais dans ses bras.

Lorsque le lendemain et le suivant furent bien employés dans les bras de mon amant, il fut question du départ, c’est-à-dire, de se séparer ; il y consent : deux voitures sont mandées ; une se tourne vers S… et l’autre vers Paris. J’embrasse mon amant le cœur serré : je mets le pied pour monter dans ma voiture, le pied m’échappe, je faillis me donner une entorse ; mon ami me soutenait, et avec l’exclamation de la sensibilité, s’écrie : tu voulais m’échapper, le ciel me venge ! et m’enlevant d’un bras vigoureux, il me dépose dans la voiture destinée pour lui ; les postillons témoins de cette scène, croyaient que c’était un jeune homme que l’on obligeait de retourner au collége. — Mon ami, lui dis-je, et mon mari !… (fouette, postillon.) Tu retrouveras aussi bien ton mari dans deux jours qu’aujourd’hui, et nous avançâmes toujours. Enfin, nous arrivons chez lui ; un petit appartement simple, mais arrangé avec goût, triste, quoique sur un derrière, (mais je suis accoutumée à la solitude ; puis, qu’est-ce-que l’amour n’embellit pas ?) Pendant huit jours, nous oubliâmes tout l’univers pour ne nous occuper que de nous.

Au bout de ce tems, je fus à l’hôtel de H… demander madame de la W… : on me dit que tu étais partie pour la Lorraine, et de jour en jour je remettais à t’écrire ; puis, je comptais toujours aussi de retourner chez moi à S… J’écrivis à mon mari que j’étais à Paris ; il se piqua au jeu et me dit que puisque j’y étais, j’y restasse.

Je n’avais pas encore rien vu qui dénotât une intrigue à mon amant ; un soir qu’il était à son comité, une lettre, dont l’adresse, était d’une femme timbrée, de la F. M… lui est apportée sur sa cheminée ; je n’ose pas l’ouvrir ; je craignais de violer le droit des gens ; mais le soir, sans faire semblant de rien, comme il n’avait nulle méfiance, je passai derrière lui, et tandis qu’il lisait cette lettre de la F… M… je lui arrachai des mains, et me sauvai avec ; il me promit de me la laisser lire sur l’observation que je lui ai faite, qu’il ne tenait qu’à moi de l’ouvrir si je n’avais craint de violer le droit de l’hospitalité. Enfin, il me donne cette lettre ; on y parlait beaucoup de moi : on se plaignait d’avoir eu une faiblesse pour un homme qui avait le cœur tellement épris ; enfin, on redoutait Julie : à son arrivée, elle devait fixer tous les sentimens : on désirait beaucoup connaître une personne autant aimée, etc. etc.

Ce fut moi qui répondit à la tendre provinciale… Oh ! mon beau monsieur, voilà donc votre fidélité. — Mais, Lili, je ne te fus jamais si fidèle, comme il t’est facile de le voir, même par les tendres plaintes de ta rivale ; je ne te fus jamais si fidèle qu’en te faisant une infidélité. Qui n’eût point été désarmé à un aveu si touchant ! Ma lettre écrite ; il la signa, la cacheta et la fit partir sous son contre-seing ; mais comme cette dame avait un mari, il ne voulait pas me dire son nom, et elle ne me connaissait que sous le nom de Julie.

La dame répondit honnêtement, sentimentalement ; elle desirait beaucoup me connaître, et ne voulait plus être que notre amie ; et pour nous en convaincre, c’est qu’elle avait fait un autre amant, et qu’incessamment elle devait faire un voyage à Paris où elle viendrait nous voir avec lui ; qu’elle voulait devenir mon amie ; que le nom de Claire était celui qui lui convenait désormais, etc.

Il y avait déjà quinze jours depuis cette lettre reçue ; un soir, mon ami et moi seuls auprès de notre feu, nous lisions les lettres de Mirabeau à Sophie, lorsque le domestique annonça M. P… À la vue de cet homme, je tressaillis et fut troublée, bien en peine à quoi attribuer cette agitation ; ce M. P… était un homme de plus de 40 ans, qui n’avait rien de remarquable en beauté ; il avait la tournure d’un laquais de Picardie ; tout cela n’est pas fait pour faire impression sur une femme accoutumée aux plus beaux hommes !… il faut donc en chercher une autre cause : combien l’amour et la jalousie sont pénétrans ! M’approchant de lui, je veux le définir : on ne pouvait douter que cet homme était de province ; son costume l’annonçait assez. Il avait encore l’air d’un mari tout-à-fait commode. Tout-à coup il me vint en tête de lui demander si les vendanges avaient été heureuses dans son pays. — Madame, nous en avons très-peu, mon pays n’est pas vignoble. — J’ai cru que vous étiez Bourguignon ! je vous en ai présumé l’accent. — Non, madame ; je demeure près de V… C… à la F. M… Je ne sais si vous connaissez ce pays ? mais il n’est pas riche en vin. Q…te cherchait toujours à rompre les chiens ; mais revenant de même à mon projet de découvrir si cet homme n’était pas le mari de notre nouvelle Claire. — Oui, monsieur, je connais beaucoup ces cantons ; oh ! c’est la montagne d’or, monsieur ; mais n’êtes-vous pas le mari d’une jolie petite femme qui a demeuré à St.-S… à la cour D… ; j’ai l’honneur de connaître madame ; il n’y a pas longtems qu’elle est venue à Paris, et elle doit y revenir bientôt. Q…te interrompit de nouveau ; mais je ne veux pas lâcher prise ; oui, monsieur dis-je même avec humeur à M. Q…te, M. est le mari de cette petite dame dont vous m’avez parlé ; je ne me trompe pas ; pas vrai, monsieur, que madame P… est comme cela ? comme cela ?… — Oui, madame, vous la connaissez bien ; et puis le benêt me donna tous les renseignemens… La conversation changea de sujet.

Tu crois peut-être que je m’amuse beaucoup des spectacles, des bals et concerts ? point du tout ; depuis six semaines que je suis ici, je n’ai pas encore sorti dans la rue ; je me lève quand mon ami va au corps législatif : comme nous n’avons qu’une chambre, je reste derrière la toile tandis qu’il reçois son monde. Hier, une dame de mon pays, qui demeurait ici, et qui est très-jolie, vint le voir sur un prétexte assez léger ; cette femme est assez galante, et je ne doute pas qu’elle venait pour essayer de séduire le Caton ; elle lui fit des agaceries très-piquantes qui embarrassaient fort le monsieur, car il n’osait pas y répondre. Enfin, elle lui parla de moi assez lestement : il défendit ma cause avec éloquence ; la dame vit qu’il n’y avait rien à gagner, elle s’en fut. Quelques jours après, elle lui écrivit ; il lui répondit froidement, et nous n’en avons plus entendu parler.

Hier, mon amant voulut me mener au corps législatif ; j’étais dans une tribune en bas, j’ai vu passer Séchelles et Ste.-Amaranthe ; je ne crois pas qu’ils m’ayent vus : j’ai attendu bien longtems pour les voir sortir ; mais je ne sais s’ils ont pris une autre issue ; je ne les ai plus vus : je rentrai avec mon ami, nous dinâmes et passâmes notre soirée accoutumée avec Mirabeau et Sophie.

Pourquoi ai-je revu ce Séchelles : de nouveau mon imagination en a été troublée ; j’en ai rêvé cette nuit à côté de mon amant : bizarrerie du cœur !… mais cette Ste.-Amaranthe, parles-m’en donc ? c’est sa maîtresse par excellence, pas vrai ? qu’elle est belle ! qu’il est superbe ! ! !

Adieu, chère amie ; je compte bientôt retourner à S… ; me le conseilles-tu ? voyons ce que fait mon délaissé mari ! il croit que je jouis ici de tous les plaisirs bruyans. Eh bien ! point du tout ; Je ne sors jamais : je ne vis, ne respire exactement que pour mon amant ; mais je réfléchis qu’il ne m’a pas proposé d’aller une seule fois au spectacle ; qu’il n’a jamais fait nulle dépense pour moi, et que ne fût-ce que par économie, il me gardera ; car quelle est la maîtresse ici, qui ne lui coûterait pas un million de fois plus que moi ; et la générosité n’est pas son fort, ni son faible. Adieu, écris-moi ici à son adresse, mes lettres arriveront franc-de-port. Adieu.

Toute à toi, Lili.



LETTRE CVI.

Lise à Julie.


Sitôt ta lettre reçue, je te réponds. Si je te conseille d’aller à S… ; certes, oui ; il est d’absolue nécessité que tu t’y transportes. Tiens, moi je suis toujours l’apôtre de ton mari ; puis, je n’aime pas non plus que ton amant t’ait gardé dans sa chambre ; c’est trop de gaieté de cœur te compromettre ; s’il t’aime, il doit avoir de la confiance en toi ; il devait te donner un logement décent : toi, tu vois tout cela de sa part comme amour ; mais moi qui ne suis point cause intéressée dans tout cela, je ne vois de sa part qu’un intérêt ; car n’eût-il que deux petites chambres, tu devrais être chez toi, et lui chez lui : vous devez avoir chacun votre entrée.

Tiens, Lili, je n’aime pas cela : tu gâtes cet homme-là : tu économise sa bourse, je parierais même, jusqu’aux dépens de la tienne, je te connais ! Eh bien ! tu verras que tout-à coup il fera de folles dépenses pour un minois qui lui aura tourné la tête.

Les hommes, mon amie, sont de si drôles d’animaux ! souvent ils n’apprécient une femme que par ce qu’elle leur coûte : par exemple, je parierais que la petite P… lui a déjà plus coûté que toi depuis trois ans qu’il te fait courir le monde ; qu’il te compromet ; et ne te flattes pas, mon amie ; un homme qui manque de délicatesse vis-à-vis d’une femme, peut en manquer pour toutes ; tu sauras quel genre de séduction il a employé avec elle ; il paraît qu’il lui a parlé de toi ; serait-ce avant ou après sa possession ? Si c’est avant, méfies-toi bien de cette femme ; si c’est après, méfies-toi de ton amant. Mais ta madame P… me paraît bien délurée pour une habitante de la F. M… (je connais cette petite ville) : déjà un autre amant ! Mais comment la F. M… peut-elle avoir fourni un consolateur tout près ? Je suis curieuse de le savoir ; ta madame P…. a l’air piquante.

Mais revenons à mon protégé de Séchelles, tu l’as vu, il a agité tes sens ; c’est bien heureux que tu ayes bien voulu, un instant, les détourner de dessus ton idole, pour les porter sur le plus bel être ; tiens, je voudrais, pour t’apprendre, qu’il ne t’aimât plus. Oui, Ste.-Amaranthe est sa maîtresse par excellence ; c’est elle qui est sa sultane favorite, mais son sérail est nombreux ! Lili, quand donc en feras-tu partie ? c’est pour le bien que je te veux que je fais ce souhait ! adieu, Lili ; j’ignore encore quand je retournerai à Paris. Je suis toujours l’heureuse madame de W…


Ta Lise.



LETTRE CVII

Julie à son frère.


Me voici encore une fois dans mes foyers : j’ai fait un voyage de deux mois à Paris ; mais je n’ai vu personne ; je me suis bien gardé d’aller chez nos parens ; je n’eus pu m’empêcher de leur donner mon adresse : ils seraient venus chez moi les uns ou les autres, ne fût-ce que par curiosité, je partageais le logement de mon amant qui n’est pas spacieux.

Mon mari n’a pas encore rompu le silence : ainsi mon séjour ici est très-maussade, je n’y resterai pas long-tems ; dis-moi si on sait mon voyage à M. F…, ce qu’en disent nos père et mère.

Donnes-moi des nouvelles de Clarisse ; et ta santé, comment va-t-elle ? Adieu, je t’aime de tout mon cœur, et t’embrasse de même.

Ta bien-aimée sœur Lili.



LETTRE CVIII.

À Julie.


Enfin, voici une petite lettre de toi, Lili, après deux mois sans recevoir de tes nouvelles !… On a sçu ton voyage ici : on crie beaucoup contre toi ; ma mère prie tous les jours pour ta conversion qui ne me paraît pas prochaine.

Je n’aime pas que Q…te t’ait fait partager son logement ; une maîtresse de ton genre méritait au moins un chez elle ; c’était le cas de représenter pour M. le représentant : Il aurait bien pu ne pas tant faire de folies à l’hermitage, et dépenser plus à propos à Paris : dans ce cas, tu as bien fait de ne pas aller dans notre famille.

Ma santé est toujours chancellante ; puis, je m’ennuie à périr dans ce désert : heureusement nous touchons à la belle saison. Ta Clarisse se porte toujours bien. Nous t’embrassons tous deux.

Ton ami et frère C. G….



LETTRE CIX.

À Julie.


Il y a déjà bien long-tems que tu es partie, Lili, et je m’ennuie : quand reviendras-tu ? quand tu habitais mon petit manoir, tout était animé ; mais loin de toi, tout rentre dans le sommeil de la nullité.

A propos, madame P. de la F. M… vient la semaine prochaine à Paris ; si tu veux la voir, viens… tout de suite. Jeudi, prends la diligence ; dis-moi si je dois envoyer Barthelemi (mon domestique) au-devant de toi ? écris-moi, Lili : j’attends demain une lettre de toi ; je serais bien aise que madame P…. se trouve chez moi avec toi.

Adieu, Lili ; arrive jeudi : comment vas-tu avec ton mari ? adieu ; n’oublies pas d’amener Nina, je lui ai trouvé un joli petit mari : tu m’as promis un fruit de cette union, pas vrai ?

J’oubliais de te dire que le jour que tu es partie, j’ai eu la visite d’Adélaïde, et la petite Estelle (fille de la chanoinesse) ; elles sont placées toutes deux chez des lingères : je veille à ce qu’elles soient bien. Il me fut bien doux par-là, Lili, de nous acquitter en partie… ; lorsque tu seras ici toi-même tu jugeras mieux que moi si elles sont convenablement. Je te baise des pieds à la tête.


N. Q…te



LETTRE CX.

Julie à son ami.


Je suis bien aise que tu t’ennuies, je suis de même ; tout va ici de mal en pire ; M. ne me parle plus ; je ne vois personne : ma vie ici est fort triste. Ce n’est pas qu’à Paris, comme tu sais, je goûte les plaisirs bruyans ; mais je suis près de ce que j’aime, et cela me tient lieu de tout. Jeudi je me rendrai sans faute à Paris : envoye Barthelemi à la diligence. Je serai bien aise de voir madame P… et son amant : elle a été bientôt consolée de toi ; je suis curieuse de voir ton successeur. Je suis enchantée que tu ayes trouvé à placer Adélaïde, et Estelle : je les irai voir ; comptes sur mes soins pour elles.

Adieu, mon bel ange ; tout me déplaît tant ici, que j’en suis toute malade. Adieu, je te baise les yeux, la bouche, incontinent, incontinent….

À propos, hier en passant rue des Cordeliers, j’ai rencontré M. P… qui m’a abordé et dit : — Madame, vous m’avez reconnu sans me reconnaître ; aujourd’hui me connaissant, me reconnaitriez-vous ? Je le regarde : — Oh ! c’est vous, monsieur : comment vous portez-vous ? comment se porte madame ? — À merveille. — Voulez-vous bien vous charger de mille choses honnêtes de ma part ? Je compte aller à Paris jeudi prochain, et avoir le plaisir de la voir chez M. Q — Avec grand plaisir ; elle compte s’y rendre la semaine prochaine avec un de nos amis. Je l’engageai à venir me voir ; il m’en fit ses excuses ; qu’il se faisait tard, et qu’il allait coucher chez lui : nous nous quittâmes.

Ce grand benêt !… un de leurs amis emmener sa jolie petite femme à Paris. Oh ! pour lui, il m’a l’air d’être un mari commode avec une naïveté !…

Bon soir ; je suis au lit ; je baise ton portrait en attendant l’original. À jeudi.

Ta Lili.



LETTRE CXI.

Julie à Lise.


C’est encore de la capitale que je t’écris ; car que t’aurais-je dit de S… où je fus passer un mois : je n’ai vu personne, monsieur m’a toujours boudé jusqu’à la veille de mon départ, que Fanny lui aura sans doute appris, me voyant faire une malle : alors quittant sa noire encolure, il fut aimable : tu sais qu’il n’a qu’à vouloir, pour l’être. À dîner, me dit des choses jolies : j’y répondis ; car sitôt qu’il me fait des avances, je suis aussi faible avec lui qu’avec mon amant : cependant, j’apportai de la réserve ; car je craignais qu’il voulût se raccommoder avec moi pour m’empêcher de partir ; et tout étant prêt, cela m’eût fort contrariée : à souper, il fit tant, qu’il obtint la permission de passer la nuit avec moi, après, seulement la promesse qu’il me laisserait partir le lendemain par la diligence, et nous passâmes la nuit très-amicalement. Pourquoi t’y prends tu si tard ? il ne manque pas de bonnes excuses à me donner. Étant dans mon lit, il sourit avec un air de persifflage. C’est moi, dit-il, qui, aujourd’hui, suis le rival de Q…te : après nous causâmes tranquillement, amicalement. Le matin, je craignais de sa part quelque objection à mon départ ; aucune. Me voici emballée dans la diligence : nous descendons pour déjeûner à V… J’éprouvai un petit mal aise ; au dîner il augmenta ; je crus que c’était la voiture, je me raffraichis. Le soir augmentait encore, toujours accusant la voiture, je ne m’appésantit pas davantage sur les suites de ces petites fatigues : cependant, lorsque je réfléchissais à l’air gogueniard du perfide en nommant son rival : enfin j’arrive à Paris ; j’attends Barthelemi, il ne vient pas ; un commandant de bataillon, qui avait fait la route avec nous, et qui de moi avait eu des soins innouis, me dit : — madame, vous attendez quelqu’un ? je ne vous laisserai pas seule que la personne ne soit venue. Je me défendis, il insiste ; une heure se passe. — Voulez-vous, madame, que je vous conduise à votre destination ? il n’y avait personne des voyageurs, celui ci était totalement étranger, que risquai-je ? je me fis conduire à la porte de M. Q…te l’officier descendit pour me donner la main. — Je ne m’éloignerai pas, madame, que je ne sois sûr que vous ayez trouvé votre parent, ou au moins son domestique ; il monte avec moi, nous avons beau frapper, sonner, ni maître, ni valet. Mon conducteur me dit : — Voici un crayon, laissez un mot que vous êtes à tel hôtel, telle rue ; je vais vous conduire chez moi jusqu’à ce que l’on vienne vous chercher. Belle dame, si on ne vient que demain, ne soyez pas inquiette j’aurai bien soin de vous.

Je vais chez lui ; c’était assez loin, près la chaussée d’Antin. À dix heures, le monsieur crut bien que je lui restais pour cette nuit ; il fit venir à souper : il avait déjà, en militaire entreprenant, cherché à m’adresser ses hommages ; mais outre que j’étais très-inquiette de la négligence mon amant, et que j’avais beaucoup de mal-aise, j’avais aussi beaucoup d’humeur. Nous nous mîmes à table, et avions à moitié soupé lorsque l’on arracha la sonnette ; c’était le domestique qui venait me dire que son maître m’attendait en bas dans une voiture ; je remerciai mon hôte, qui me fit promettre que j’irais déjeûner avec lui le jour suivant. Je trouve mon amant tout épouffé de cette avanture ; il se rejetta sur son domestique, et son domestique sur lui de ce qui-proquo.

Nous rentrâmes et nous nous couchâmes ; le plaisir de me trouver avec lui eut bientôt dissipé mes allarmes. J’étais confondue ; je ne savais à quoi attribuer ce cruel incident. Dans ma lettre de la surveille je lui avais assuré que mon mari n’avait pas cessé de me bouder, et cela était vrai, et je m’étais signée sa fidèle Lili. Au bout de deux ou trois jours, des symptômes parurent chez moi ; je fus trouver un homme de l’art à qui je contai l’avanture ; il me donna des palliatifs : comme vis-à-vis de mon amant, le mal était déjà fait, que les mêmes symptômes s’appercevaient alors à tous deux, nous nous traitâmes de compagnie ; heureusement, ce fut très peu de chose. Mou mari prit occasion de m’écrire pour me charger d’une commission peu importante, et me demanda avec tant d’emphase des nouvelles de ma santé, que je ne pus pas douter que c’était lui qui m’avait fait ce cruel présent. Mon amie, je crois qu’il n’y a pas deux êtres qui se haïssent autant que ces deux personnages là ; et moi, j’ai le malheur d’aimer l’un, et d’adorer l’autre. Eh bien ! comment trouves-tu cette gentillesse de mon mari ?

J’ai vu madame de P… ; c’est une jolie petite miniature très-aimable, beaucoup d’esprit et d’enjouement ; je la crois un peu rouée. Ô bon Dieu ! comme elle vous mène Q…te ! Que ce n’est pas là la toute douce et bonne Lili ! Son amant est un jeune homme de bonne famille, qui est capitaine de bataillon en garnison à la F. M… Il loge chez elle : ainsi c’est très-commode. Comme elle ne comptait pas beaucoup sur Q…te, elle l’eut bientôt oublié dans les bras du capitaine, qui a une très-jolie tournure et l’œil fort beau ; nous nous voyons souvent ; mais nous ne sommes pas encore en très-grande confidence : son amant ou le mien étant toujours avec nous ; mais il y a à présumer que nous deviendrons amies.

Je compte dans quinze jours retourner vers mon perfide ; mais depuis ce voyage, nous n’avons presque encore cueillé que des épines ; il faut au moins faire la récolte des roses. Adieu ; je t’embrasse.

Ta Julie.



LETTRE CXII.

Julie à Lise.


Cette fois, c’est de S…. que je vais te parler de Paris, ma bonne amie ; je suis née pour Séchelles ; on ne peut éviter son étoile ; et cette fois, c’est le cas de dire ; étoile fortunée.

Quelques jours avant que je revienne ici, en jouant avec mon ami, j’avais cassé le verre de son médaillon où était mon portrait : une glace cassée porte malheur ; c’est, dit-on, signe de rupture : je pose le portrait au souvenir de la cheminée ; il était à demi-visible, nous l’oubliâmes : on ne s’occupe d’un portrait que lorsque l’on n’a pas l’original. Le lendemain, mon ami me dit : Lili, fais un peu de toilette : Hérault, un de mes collègues, dîne ici ; c’est un bel homme : toi qui aimes les beaux yeux ; ô ! celui-là en a de superbes.

J’avais fait une petite toilette assez gentille ; à cinq heures, j’entends la voix de mon ami et une autre qui me fait tressaillir ; mon amant me présente son ami Hérault : je rougis ; il me salua : j’ouvre la bouche pour balbutier quelques mots : il me couvre de ses grands yeux. — Mais, vous êtes M. de Séchelles. — Oui, madame ; j’ai eu l’honneur de dîner avec vous chez M. de B… F.-G…. M. Q…te ne sait pas quel cadeau il me fait de m’amener dîner aujourd’hui ; il prit ma main qu’il baisa. Mon amant rentra ; il était sorti pour donner quelques ordres au domestique ; on se mit à table ; la conversation devint charmante. Que de frais ne fîmes-nous pas pour plaire l’un à l’autre tous les trois !… Hérault de Séchelles, car c’était bien lui, propose des huitres le lendemain à déjeûner : — Vous les aimez, madame ; c’est un repas d’homme ; mais aussi vous savez l’être au besoin. Je dis que j’irais avec plaisir, si mon ami voulait bien me mener : il promit. Après le dîner, nous étions tous trois debout devant la cheminée ; mon ami se baisse pour raccommoder le feu, Séchelles apperçoit mon portrait au souvenir ; il le baise et le glisse dans son sein, me faisant un signe de silence. — Mon ami, on te vole. Séchelles me ferma la bouche avec sa jolie main ; je n’eus plus la force de la rouvrir : il passa la soirée avec nous, et nous fit promettre que le lendemain vers onze heures du matin, nous irions manger des huitres, notamment Jules.

Eh bien ! comment le trouves-tu, Lili ? celui-là est-il de ton goût ? Certes ! je serais bien diilicile !… Puis, je rêvais à ce portrait dérobé.

Qu’as-tu, ma bonne amie ? Est-ce Hérault qui t’occupes ? Tu es fou. — Pas si fou. Enfin, nous nous mîmes au lit, et je ne fis que rêver de Séchelles : j’avais tant peur que mon ami me priât de n’être pas du déjeûné, que je n’osais prononcer le nom de celui qui était l’unique objet de mes désirs.

Le matin, nous nous levons : il me contrarie ; je prends de l’humeur ; c’est pire que mon mari, me dis-je, d’après tout. Eh bien ! je veux y aller : cependant, tout s’appaise, nous partons ensemble ; il faisait beau : nous passons le palais royal, la rue de Richelieu, les boulevards ; enfin, nous arrivons au n°16, rue Basse du Rempart. Nous montâmes au second ; il n’y avait que nous et un autre ami-privé d’Hérault qui arriva après : celui-ci était en redingote de lévite de bazin Anglais, doublée de taffetas bleu, il était coéffé ; qu’il était beau ! Nous passâmes dans son salon ; il fit ouvrir des huitlres et de bon vin blanc, du chocolat, des œufs frais ; rien ne donne tant d’esprit que ces sortes de déjeûnés, c’est-à-dire, de l’aimable enjouement.

Après le déjeuné, il voulut nous faire voir tout son joli logement : nous passâmes dans son cabinet ; il avait une bibliothèque immense ; nous nous y arrêtons tous. Mon ami tire un livre et l’ouvre ; Séchelles me faisant signe de le suivre, et espérant avoir des nouvelles de mon portrait, j’entre dans sa chambre à coucher ; il me prit la main et me conduisit à son boudoir ; un papier jaune Anglais, des bordures en arabesque, des amours au plat-fond ; un lit de repos, une glace du haut en bas et de toute la longueur du lit, des pots de fleurs sur la croisée, des Persiennes qui ne donnaient qu’un demi jour, précurseur, du bonheur ; il me pose sur le canapé qui était élastique, me presse fortement de ses lèvres de rose. À demi éperdue, je m’échappe de ses bras. Je m’assieds dans un fauteuil dans sa chambre à coucher ; je faillis perdre totalement connaissance. Mon ami entre enfin ; — Eh ! qu’as-tu ? Séchelles cherchait dans son secrétaire un flacon d’essence ; je reviens. Je le repoussais d’une main, et de l’autre le pressais tendrement ; il jouissait de tout son triomphe, et bien assuré qu’il ne lui avait manqué que le tems pour être heureux.

Nous rentrâmes tous dans la salle à manger ; et en me reconduisant, il me dit charmante Lili, demain je vous reporterai votre portrait, n’en soyez pas inquiette. Nous sortons, et je rentre accablée sous le fardeau de la volupté. Mon ami me demande ce que j’avais ; je ne suis point en état de te répondre dans ce moment, je ne suis pas encore remise ; mais il ne fut pas dupe qu’Hérault m’avait inspiré un sentiment bien vif.

Madame de P… et son ami dînaient chez nous ; son ami nous mena toutes les deux au spectacle ; pendant les entre-actes, son ami fut faire le roué au foyer (car c’est un homme du monde) ; je lui ai demandé comment elle avait connu mon ami ; nous eûmes à cette occasion une longue conférence, qui sera le sujet de ma prochaine lettre celle-ci est-déjà un in-folio.

Nous revînmes chez mon amant : il nous dit que l’assemblée serait fort intéressante le lendemain ; que l’on y agiterait le divorce ; j’irai, dit aussi-tôt madame P… : voulez-vous y venir, madame ? Q…te répond que j’ai été malade toute la journée ; qu’il me trouve si pâle, qu’il croit bien que le lendemain je ferais mieux de rester fort tard au lit. — C’est que madame ne prend pas assez l’air, dit madame P… Oh ! ce n’est pas moi que vous tiendriez toujours comme cela : — Madame est maîtresse de faire ce qu’elle veut ; si elle ne sort pas davantage, c’est que cela lui convient. Ils sortirent, et nous nous mîmes au lit. — Lili, qu’avait donc madame P… ? elle avait l’air d’avoir de l’humeur ? Et il en prit à son tour ; aussi je ne me souciais pas que tu te lies avec elle ; les femmes sont si dangereuses ! c’est une petite rouée. Nous nous endormîmes. Comme lorsqu’il est levé je reste toujours jusqu’à midi au lit, je combinais mes démarches ; je sentais que j’aimais Hérault, mais qu’il fallait renoncer à cette passion ; je ne pouvais faire cette insulte à mon amant, sur-tout étant chez lui ; cependant, il fallait bien que je le revoye pour avoir mon portrait.

Mais l’occasion est belle ; je n’ai qu’à m’habiller bien vite, lorsque mon amant sera parti, et me rendre à rassemblée ; comme il sera tard, et qu’il y aura beaucoup de monde, je ferai tout naturellement appeller Hérault par un huissier de la salle pour qu’il me place.

Sitôt mon ami parti, je saute à bas du lit ; je me fais donner un joli coup de peigne par Barthelemi, un petit chapeau de castor à la mode, une robe de linon sur un transparent bleu, je me présente à la porte du conseil ; on me refuse : — On n’entre pas, citoyenne : — C’est pour parler à un député. Un garde plus galant me dit ; — Je ne sais jamais refuser une jolie citoyenne. Je pénètre jusqu’à la porte du sanctuaire ; je dis à M. R…, huissier, que je voudrais bien parler à Hérault de Séchelles. — Je vais lui dire qu’une jolie femme le demande, et sûrement qu’il viendra tout de suite : donnez-vous la peine, madame, de vous asseoir. Deux minutes après, Séchelles paraît avec toutes ses grâces. — C’est vous, l’amour ? — Voulez-vous me faire placer ? — De grand cœur ! Nous entrons dans l’entre-deux des deux battans ; il le referme, et à l’instant nous ne voyons plus clair. Il me presse étroitement dans ses bras… — Ma chère Lili, j’ai un peintre qui aura arrangé votre portrait demain, et je vous le rendrai ; quand pourons-nous nous revoir ?… Demain, je vous le rendrai, mais où et comment ? Je connais votre délicatesse ; Q…te vous aime, et vous ne voulez pas lui faire de la peine. Tendre Lili ! U me donne un baiser ; je n’ai pas la force de m’en défendre, la porte s’ouvre…. Nous entrons dans la salle ; il me fait placer dans une tribune basse près du président. Je lui dis qu’incessamment je retournais chez moi à S…. — Vous m’écrirez, Lili ? Souvenez - vous que dans tous les cas, je suis tout à vous. Il s’en fut ensuite à son poste.

L’assemblée était nombreuse ; on écoute quelques pétitionnaires ; puis, on agite la question relativement au divorce. Après quelques débats, on passe à l’ordre du jour. Bientôt je m’abandonne à la rêverie ; j’oublie où je suis, et que déjà beaucoup de tems s’est écoulé ; Séchelles est fait président, mon amant eut aussi des voix, la séance se lève, je sors par le Carouzel et me rends vite chez moi.

Mon ami rentra peu de tems après moi il était si sérieux, que je n’osai lui dire que j’avais été à l’assemblée ; il examinait beaucoup ma toilette. — Est-ce que tu vas ce soir au spectacle ? — Non : c’est pour toi ce galant négligé ; je l’embrasse ; il me rend mon baiser et fait un soupir dont mon cœur est pénétré. — Ô, Lili ! pour moi ! bien, trop tendre Lili !… Le domestique entre, on sert le dîner. Le lendemain ; il fut nommé pour une mission. — Promets-moi, Lili, que tu vas repartir pour S… ; qu’après mon départ, tu ne resteras pas à Paris. — Mon ami bien tendre, non. Je vais retourner tout de suite chez moi ; envoyé retenir une place à la diligence. — Gentille Lili, tu me promets, cela me suffit ; je sais que Lili tient parole. Tu ne reverras pas Séchelles. Ô ! tiens, pour celui-là, je ne peux m’empêcher de le craindre : promets-moi, Lili ! — Tout ce que tu voudras, tout, tout. Lili est toute à toi. Nous nous embrassâmes, et je partis comme je l’avais promis.

Arrivée à S…, je trouvai mon mari lié avec des gens qui, pour bien des raisons, sont dangereux pour lui ; je voulus m’opposer, par le bien que je lui veux, à cette intimité qui le constituait en dépense et le plongeait dans la plus crapuleuse débauche, il prit de l’humeur ; il est impossible de vivre avec lui, tant il est détestable, difficultueux sur tout : je ne sais même pas si j’aurai le courage d’attendre que mon amant soit venu de sa mission pour me rendre à Paris.

Adieu, chère amie : écris-moi, console-moi ; que je suis malheureuse que tu ne sois pas à Paris ! Je vais écrire au président de l’assemblée nationale au sujet du divorce. Adieu, Lise, je te baise.

Ta Lili.






LETTRE CXIII.

Julie à Hérault de Séchelles.


Veuillez bien, monsieur le président, que je m’adresse à vous, pour faire passer, par votre organe, une espèce de pétition à l’assemblée, et la prier de s’occuper d’un objet qu’elle néglige dans ce moment, et qui me paraît très-important.

Vous semblez, monsieur, avoir remis à des tems plus calmes à vous occuper du divorce ; permettez qu’une jeune femme de Province vous fasse une observation. La guerre vous détruit des hommes ; le moyen de réparer cette perte, est de décréter le divorce. Vous avez un nombre infini de jeunes femmes encore en état de donner des soldats à la patrie ; mais les mœurs (qui ne peuvent être régénérées que par le divorce), sont à un tel degré de corruption, que vous avez moitié des ménages qui ne vivent point ensemble. Sitôt que le mari a un enfant qui lui assure la fortune de sa femme, pour éviter sa progéniture, il n’habite plus avec elle ; rarement une jeune femme se contente d’un simulacre de mari qui la fait rentrer dans le célibat ; le mari trouve bientôt les moyens de s’affranchir du lien conjugal, et la femme doit s’y soumettre. Si elle est aimable, tant soit peu jolie, vous pensez bien, messieurs, qu’elle est bientôt séduite ; son jeune cœur a besoin d’alimens, et il faut mille précautions pour s’en procurer qui ne laissent point de traces… Que d’atteintes portées aux mœurs ! que de bons citoyens, que d’hommes, hélas ! qui, peut-être, rendraient de grands services à leur patrie, sont ensévelis avant même que de naître !… Il est tems que les dignes représentans de la nation s’immortalisent, en rompant des nœuds mal assortis ; vous avez brisé les chaînes des victimes de mon sexe qui gémissaient dans les cloîtres ; faites plus encore, séparez les époux mal assortis, rendez leur la liberté d’être heureux et d’en faire d’autres !…. la population en doublera, les bonnes mœurs renaîtront, et vous ramènerez l’âge d’or !… Vous voulez, messieurs, établir l’égalité, c’est encore un moyen infaillible. Par le divorce, vous allez obliger les époux à vivre bien ensemble, ou à se quitter : celui qui, pour doubler sa fortune, ne voudra avoir qu’un enfant, sera obligé d’être d’accord avec sa moitié, ou bien elle pourra prendre un autre mari pour donner des citoyens à la patrie…. Les fortunes, par ce moyeu, seront plus divisées : on se formera moins de besoins, on sera plus heureux ; les époux seront tous amans et pères tendres ; les épouses élèveront avec délices les enfans que l’amour aura formé dans leur sein ; ces enfans nés d’un tel sentiment, seront sains et robustes,au lieu qu’aujourd’hui, les enfans, qui ne sont souvent que le fruit de la complaisance d’une épouse timide, sont presque tous faibles comme le sentiment qui les a produit.

Le moral se ressent du physique. En m’adressant à vous, législateurs éclairés, vous sentez la force de mon raisonnement, et qu’en décrétant le divorce, par cette loi sage, vous allez faire refleurir la France et nos citadins délicats vont devenir robustes comme nos anciens Romains : vous éteindrez la débauche qui énerve l’ame ; et celles de vos jeunes rejettons seront celles des héros. Les liens de la nature et de l’amour, doivent être les seuls entre des époux. Dans un siècle où les préjugés sont abolis, où la saine raison doit seule dominer, ne remettez donc pas, messieurs, à des tems plus reculés une loi qui doit vous honorer, vous immortaliser, vous faire bénir à jamais !

J’ai l’honneur d’être, monsieur le président,

Une amie zélée de la liberté.

P. S, mille jeunes femmes ont la même solicitation avons faire, la timidité les arrête ; moi, je la brave par l’incognito que je garde dans ce moment ; mais lorsque par vous je serai heureuse, j’irai vous faire mes remerciemens ; la reconnoissance, est toujours l’apanage d’un jeune cœur sensible !

À cette lettre était joint ce billet.

Je suis partie de Paris pour vous fuir, monsieur ; c’est le seul moyen de vous échapper. Déjà mon ami a pris de l’ombrage ; et à qui n’en donneriez-vous pas ? Je suis venue reposer mon cœur dans mes foyers ; mais je n’y suis point heureuse, comme la lettre attenante ce billet vous le manifeste assez.

Je vous conjure, monsieur, au nom de l’honneur, renvoyez-moi mon portrait ; celui à qui il appartient ne s’est pas encore apperçu de votre larcin ; mais bientôt mon absence réveillera sans doute son attention sur mon image ; renvoyez-le moi à S…. rue N…, et je donnerai à tout ceci des couleurs qui ne produiront nul mauvais effet. Je compte assez sur votre amitié pour faire cesser les allarmes que cette plaisanterie plus prolongée pourait me donner.

Adieu, monsieur ; il m’eût été bien doux de partager vos transports…. ; mais déjà victime d’un fol amour, je crains les chagrins qu’une nouvelle passion pourait me donner : il vaut mieux me guérir, tandis qu’il en est tems encore. Vous êtes trop multiplié pour faire le bonheur d’une femme sentimentale chez laquelle le phisique n’est qu’accessoire : vous n’auriez jamais pour moi qu’un sentiment éphémère ; et si j’avais appris à vous aimer davantage, votre légèreté eût fait mon désespoir.

Adieu, mon trop cher Séchelles : à vingt lieues de vous, je puis vous dire que je vous aime beaucoup trop pour mon repos, et j’ose me nommer votre amie,

Lili.


LETTRE CXIV.

De Séchelles à Adèle.


Lili, adorable amie ; que ce petit billet signé de Lili est tendre ! Mon amie ! c’est vous qui vous êtes donné ce titre ! Lili, qu’il fait de plaisir à mon cœur ! Ô ! charmante Lili ! qu’il me tarde de vous en donner un plus précieux ! Lili ! ce nom est bien joli ; mais il fut pris et donné par un sentiment dont le souvenir qu’il rappellera toujours nuira à mon bonheur. Eh bien ! pour moi, vous êtes Adèle ; voulez-vous avec moi oublier Lili pour n’être qu’Adèle ? vous me rendrez un mortel bienheureux ! que votre première lettre soit signée Adèle.

Mon Adèle, je vous renverrai votre portrait dans ma prochaine lettre ; le peintre a été malade et n’a pu l’achever ; mais comme il va mieux, et qu’il n’a plus qu’une séance, cela ne peut être long. Si votre ami vous en parle, dites-lui que par étourderie, ou pour qu’il ne soit pas gâté, vous l’avez mis dans votre porte-feuille, et que vous êtes partie sans penser à le laisser chez lui, et que la clef du secrétaire où est ce portrait étant égarée pour le moment, vous ne pourez le lui envoyer qu’à votre prochain courier. Au surplus, nous avons du tems ; car il est en mission dans ce moment ; et j’espérais profiter de cette absence pour aller vous faire ma cour ; c’est même moi qui ai fortement contribué à ce qu’il en fût. Adèle, ne me grondez pas ; cette supercherie est innocente ! mais Adèle, tu m’a déjoué. Pardon ; je me suis échappé, mon amie ; mais comme c’est mon cœur qui te parles, il prend son langage pour être plus directe…

Adèle, cette lettre en forme de pétition est pleine d’esprit, de raisonnemens justes. J’ai pris le parti de la lire à l’assemblée ; elle a été applaudie généralement. Comme beaucoup de mécontens ont fait de même que vous, et ont réclamé la protection de l’assemblée pour la dissolution de leurs liens, je ne doute pas que d’ici à trois mois le divorce ne soit décrété. Si vous en profitez, que m’en reviendra-t-il ! prendrez-vous de nouveaux liens avec votre ami ? ou resterez-vous libre ?

Sortant de l’assemblée, les battant (qui se ferment tous seuls) de cette porte que vous nommez celle du sactuaire, m’ayant encore laissé dans l’obscurité, j’ai pensé à Adèle ; mais j’étais seul.

Mais, Adèle, combien vous faites une belle résistance ! je n’y suis pas accoutumé ! cela est pour moi un plaisir tout neuf : voici déjà trois fois : à la vérité, c’est l’Heureusement de Marmontel. La quatrième fois, sans doute, vous n’attendrez pas que vous soyez à vingt lieues de moi pour me dire que vous m’aimez ! cela finirait par être absurde ; j’aime bien mieux lire une semi-preuve dans vos charmans yeux qu’un aveu complet à vingt lieues de moi.

Adieu Adèle ; croyez que j’ai pour vous beaucoup plus qu’un sentiment éphémère : c’est plus encore sur les sentimens de la vie privée que l’on goûte avec vous, ceux de voire esprit qui ont déterminé mon cœur à vous donner la place d’honneur dans mes pensées. Une femme qui a votre joli phisique, et chez laquelle, à bien juste titre, on doit ne le compter que comme accessoire, n’est-elle pas ce que l’on peut trouver de préférable ? Je vous baise les mains.

H-S…





LETTRE CXV.

Adèle à Séchelles.


À vingt lieues de vous comme à deux pas, je n’ai point d’expression pour vous rendre tout le plaisir que m’a fait votre épître. Oui, je suis Adèle ; que ce nom est précieux à mon cœur ! qu’il prend d’harmonie prononcé par le plus divin organe ! qu’il me tarde de l’entendre sortir de ta bouche !

Quand serait-ce la quatrième fois que nous nous verrons ? Heureusement cesserait de l’être s’il continuait,… Mais je m’échappe à mon tour ! Hélas ! tu es à vingt-deux lieues de moi ! Mon amant est en mission, je n’ai point encore eu de ses nouvelles ; ainsi le peintre a le tems de perfectionner le portrait ; c’est moi-même qui reporterai celui de mon ami ; car je suis si malheureuse ici, que je n’y puis rester. Mes amours avec Q…te m’ont mis à dos toute ma famille et celle de mon mari ; je n’ai encore fait qu’une sottise en ma vie ; mais peut être en ferai-je encore beaucoup d’autres, et ce sera la faute de tous les miens. Il faut être tolérant à propos….

J’ai donc la place d’honneur dans vos pensées ? Cette idée fait évaporer tous mes chagrins. Mon ami, le difficile n’est pas de faire une conquête, mais vous conserver, vous qui avez pour maîtresse un ange d’esprit et de beauté, une créature céleste ; en un mot, Ste Amaranthe ; puis-je jamais espérer de vous, plus que quelques caprices ? et le cœur d’Adèle pourait il s’en contenter ? mon ami, j’ai le malheur d’avoir du penchant à la jalousie !…

Comment ? vous avez fait lecture des délires de mon imagination à l’assemblée ? si ma lettre a été applaudie, je ne le dois qu’à l’onction de votre charmant organe. Peut-on l’entendre, et ne pas être séduit ?

Adieu, Séchelles, adieu, mon ange : je suis à jamais.

Adèle.



LETTRE CXVI.

Séchelles à Adèle.


C’est du comité de Salut-Public, les chevaux mis aux voitures, que je t’écris, chère Adèle ; je pars à l’instant pour le Mont-Blanc, où j’ai une mission secrète et importante, ce voyage durera trois mois au moins ; ainsi, charmante Adèle, nous voilà séparés pour long-tems ; nous ne pourrons pas même correspondre ; car où pourais-je t’adresser mes lettres ? tu es un camp-volant ; et fût-ce à S…. ou à P…., dans le cas où tu ne serais pas dans le lieu où ma lettre t’arriverait, elle n’aurait qu’à être ouverte, cela te perdrait, et je serais désespéré de te causer jamais l’ombre de peine. J’emporte avec moi ton portrait que j’ai dans mon porte-feuille, devant te l’adresser aujourd’hui ; mais obligé de partir à l’instant, et le peintre tenant encore la copie du précieux original, pour perfectionner l’ajustement, je l’emporte ; arranges cela du mieux que tu pourras, Adèle ; c’est pour ne pas t’oublier que j’emporte ton portrait ; toi, mes lettres te resteront seules pour me rappeller à ton cœur. Vas quelquefois à la convention, Adèle, en mémoire de moi.

Tu me dis que tu as de la propension à la jalousie ; Adèle, il n’y a pas un être plus affecté de cette maladie que ton malheureux amant ; voilà pourquoi je ne puis conserver une maîtresse. Ste.-Amaranthe, que tu trouves si belle, et qui l’est en effet, est la plus perfide des femmes ; et elle est si bien connue pour telle, que l’on ne la nomme que perfide Amaranthe ; c’est elle qui a pu me conserver plus long-tems ; car j’ai bien des défauts, mon Adèle : outre que je suis jaloux à toute outrance, je veux, moi, que tout me soit permis ; peu de belles s’accommodent de cette consigne : aussi, je change souvent, et l’on me troque de même.

Mais Adèle, je ne t’ai pas encore parlé de madame de la W…, c’est-à-dire, de Lise : nous nous sommes plu réciproquement ; mais non convenus…. Elle m’a dit de toi quelque chose que je brûle de vérifier, si cela se trouve conforme, je suis tout à toi, si tu veux être tout à moi ! mais d’ici à mon retour, qui n’est pas prochain, soit toute à Q…te ; il t’aime beaucoup : sois heureuse avec lui ; à mon retour, tu verras à qui tu veux donner la pomme. Si j’étais Pâris ! Mais où m’égarai-je ! adieu. Tous les chevaux enragent, et on me croit nationalement occupé, tandis que je ne le suis qu’amoureusement de ma très-chère Adèle.

Ton amant Séchelles.



LETTRE CXVII.

À Julie.


Je suis bien loin de toi, Lili ; ce voyage fut agréable : j’ai vu les armées ; je compte être sous peu de jours à Paris ; sans doute j‘y trouverai des lettres de toi. À propos, Lili, qu’est donc devenu ton portrait ! je n’ai pu le trouver ; où l’as-tu donc serré, Lili ? ce portrait m’inquiette ; est-ce que tu l’aurait emporté avec toi ? Je suis triste, fatigué, et las des honneurs que nous recevons par-tout : un baiser de l’amour vaut mieux que tout l’encens (dont peut-être on voudrait nous brûler le nez) que l’on nous prodigue.

Est tu arrivée à bon port, bonne Lili ? ton mari t’a-t-il bien reçue ? je t’apprends qu’Hérault est parti pour le Mont-Blanc : ainsi, me voila débarrassé d un rival bien dangereux, et qui te plait, Lili ; tu ne peux t’en défendre ; car il se pourait bien que tu eus filé le parfait avec lui comme il y a a ans avec moi ; et que moi, maintenant, je me trouve à l’instar de ton mari alors. Mais, Lili, vous vous connaissiez depuis long-tems ? que je te sais gré d’être partie sans l’avoir vu ! oui, Lili ! tu m’aimes ; mais tu es si bonne, si facile à séduire !ton cœur vrai, juge toujours d’après lui ; je t’en préviens, Hérault est consommé, il t’aime, il n’épargnera rien pour te posséder. Ô ! Lili, je le sens bien ; tu es trop loyale, trop sensible pour habiter une ville où il y a tant d’aimables corrupteurs… ; et peut-être même ne dois-je ta sagesse qu’à ce que tu n’est pas sortie de chez moi. Mais, adieu, Lili ; tout ceci me donne de noires réflexions ; je t’embrasse idéalement, toujours.

Ton ami N. Q…te





LETTRE CXVIII.

Julie à son ami.


Enfin, après trois semaines de silence, le voici cependant rompu par une petite lettre, où seulement tu soupçonnes Lili, d’être bonne, facile à séduire ; en un mot, perfide ! que n’as-tu dit tout de suite que déjà Hérault… eh bien ! je ne puis me défendre de le trouver charmant ; mais je te jure que jamais la première je te serai infidelle. Si cependant tu prenais avec moi la même tournure de conduite que mon mari je ne réponds alors de rien : tu le sais, Lili ne connaît que la loi du Talion !

Ne sois pas inquiette de mon portrait, il reviendra dans tes mains ; que je suis aise de te voir encore assez de tendresse pour préférer un baiser du vrai amour, à tout l’encens dont tu dis fort bien, peut-être on voudrait te brûlerie nez.

Je suis très-malheureuse ici ; mon mari est lié avec des débauchés du plus mauvais genre ; il attire toutes les grisettes chez lui ; en un mot, il achève de se ruiner en mauvaise compagnie ; je ne puis long-tems être témoin bénévole de ce genre si peu fait pour moi. J’arriverai incessamment à Paris, arranges-toi comme tu voudras ; mais je ne puis rester ici: comme de tout ceci tu es un peu cause innocente, qui m’a blessée ma guérisse. C’est pourtant mon inexpérience qui fera notre perte à tous ; ceci me donne aussi de noires réflexions.

Adieu, il ne me reste plus que le courage de l’embrasser, et de me dire.

Ta Lili.




LETTRE CXIX.

Julie à Lise.


Je ne puis me livrer au sommeil : tout bonheur désormais est évanoui pour moi. Hier, mon frère vint dîner chez moi ; je voulus faire des représentations à mon’ mari sur la mauvaise compagnie qu’il recevait ; il se mit dans une fureur affreuse : il m’agonit d’invectives les plus grossières ; enfin, il porta la violence jusqu’à me jetter une partie de ce qui était sur la table à la tête : mon frère se mit entre nous ; sans cela, j’aurais été blessée ; mon frère et moi rentrâmes dans mon appartement mon mari s’enferma dans le sien, et nous ne le revîmes plus. Mon frère est reparti le soir pénétré de douleur : je suis restée seule, désolée, et demain, je repars pour Paris. Tu ne pourrais pas reconnaître mon mari, tant la débauche l’a vieilli ; puis, il est très-maussade ; et tout cela réuni ensemble, le rend inabordable. Oui, Lise, je pars, et j’ignore quand je reviendrai ici ; ainsi adresse-moi ton prochain courier à Paris.

Je te dois des détails sur madame P… : ils ne sont pas à l’honneur de mon ami ; je n’ai pas non plus infiniment à m’en louer ; mais j’ai tant à me plaindre de mon mari !


Madame P…. est la femme d’un Ing…. ; elle demeurait à St.-As…. avant d’être reléguée à la F.-M… ; comme tu sais, elle est jolie, sémillante, sensible ; M. S. F. G…. la connut chez ses parens ;’ il en devint fort amoureux : il avait soixante ans et autant de mille livres de revenu ; cela ôte bien des années !… La petite P…. n’est rien moins que riche ; elle a beaucoup d’enfans, un bonhomme de mari. Le financier fut pressant, généreux, la petite dame se rendit : un prêt de cent louis fait au mari lui fascina les yeux. Elle vint s’installer chez le F.-G. avec une femme-de-chambre, un enfant qu’elle allaitait. Le vieillard ravi, tous les jours les comblait de nouveaux dons ; de fréquens présens envoyés au mari à la campagne (qui, avec une bonne, gardait les autres enfans) ; le prétexte de la santé altérée de sa femme nécessitait sa présence à Paris. Elle était parfaitement heureuse, faisant les honneurs d’une maison dans le genre de celle de ton oncle (puisque c’est un de ses confrères) aussi souveraine que tu l’étais chez lui, assez fine pour aussi se procurer quelques affaires de cœur agréables ; elle jouissait du bonheur parfait : mais la fortune est inconstante !…

Le malheur voulut que M. P…, eut une affaire où il avait besoin des députés de son département, il écrivit à sa femme d’aller les solliciter à lui être favorables ; il lui cita notamment Q…te La jolie solliciteuse joint l’art de la toilette aux agrémens de la nature. Elle prit la voiture du F.-G…. et fut chez tous les députés de son département ; ce sont presque tous des ostrogots, et déjà la petite maîtresse regrettait tout son étalage ; enfin, elle ne se rebute pas ; elle vient à six heures du soir chez M. qu’elle avait manqué le matin ; elle fut frappée de son air de dignité, et lui, de ses grâces touchantes ; elle oublia la fortune, et lui, Lili. — Madame, Ayez la bonté de me donner votre adresse et votre heure, j’aurai l’honneur de passer chez vous ; comptez sur mon zèle à vous obliger ; ils causèrent jusqu’à dix heures du soir ensemble ; il remit la dame à sa voiture.

Le lendemain, à l’heure dite, il se fait annoncer chez elle ; dans un riche salou, près d’un excellent feu, dans une bergère d’édredon était la mère la pl us intéressante, tenant à son sein un petit enfant qui sourit innocemment à celui qui bientôt, va être l’instrument de sa ruine.

Il était déjà midi, que le représentant oubliait sa représentation à la convention : si la charmante nourrice ne lui eût rappellé que sa cause serait agitée cette matinée, et qu’il lui avait promis sa voix : ils avaient déjà changé de rôle, et c’était lui qui sollicitait l’avantage de la conduire au spectacle. — J’ai une loge ; mais, monsieur, si vous voulez venir me prendre à sept heures. (Car j’y vais toujours tard, c’est du bon ton.) Transporté de cette invitation, il se retira tout éperdu de sou bonheur ; mais il emporta encore moins de trouble qu’il n’en laissa à la belle. Elle prévient son ami que M. Q…te député, qui s’était chargé de la réclamation de son mari, viendrait la prendre pour aller au spectacle.

À six heures le Caton se présente ; la belle était prête, et dans la plus aimable parure ; on monte en voiture. — Mon ange, j’ai pensé que vous seriez bien aise de voir l’opéra nouveau qui fait tant de bruit, (Psiché) j’ai retenu une loge grillée. — Vous êtes trop galant… On arrive dans la loge grillée. On ne s’occupe guères du spectacle quoiqu’il soit charmant, et au dernier acte, on est déjà le mieux du monde. Il est onze heures lorsque l’on sort ; il ramène la belle chez elle, et promet de venir le lendemain déjeûner avec elle. Qu’il est amer de se quitter, après une aussi agréable soirée !…

Almaïde (c’est le nom d’amitié que lui donnait le septuagénaire ) reste rêveuse, trouve tout mauvais au souper, jusqu’à son bon ami, tout lui donne de l’humeur ; il n’était pas assez neuf dans le monde pour être la dupe, et Almaïde avait trop d’inexpérience pour dissimuler le sentiment tendre et funeste qui la dominait ; elle renvoyé brusquement le vieillard se coucher ; elle passa une nuit agitée, l’aimable souverain revenait sans cesse à sa pensée ; et lorsqu’elle se reportait sur le septuagénaire, ses bontés, sa générosité ne pouvaient effacer l’hideux que lui donnait la comparaison : il faut connaître le pouvoir indomptable de l’amour pour pouvoir se faire une idée de la position d’Almaïde. Toute la matinée, sa femme de chambre a ordre de ne laisser entrer que le représentant qui doit venir pour des affaires trop majeures pour que, quoique malade, la porte soit fermée pour lui.

Telles instances que fit le vieillard, elle n’était pas visible. Enfin, midi arrive, le domestique de l’être tant désiré est annoncé, il remet une lettre ; c’est là où brille l’aimable séducteur ! Il lui retrace, en style de feu, tous les plaisirs de la veille, et son désespoir de n’avoir pu se rendre au déjeûné ; mais qu’il ira sans faute la joindre dans sa loge dans la soirée. On lui répond avec le même délire : on. ne manque pas d’être au spectacle, même de bonne heure.

Le domestique repartit, la femme de chambre observe à sa maîtresse qu’elle peut faire dire à M. S… qu’elle est visible. Tu as raison, ma Rose ; va tout de suite. Le bonhomme arrive. — Almaïde, mon enfant, vous ne m’aimez plus ; je ne suis pas assez injuste pour vous en faire des reproches ; mon âge ne peut se concilier avec le vôtre ; je serais votre aïeul, et vous ne pouvez être mon amante ; mais que mes bienfaits vous rendent toujours mon amie, je ne me fâcherai même pas de l’infidélité que vous me faîtes, s’il n’y a que moi de ma maison qui la soupçonne ; et pour vous prouver la vérité de ce que je dis, vous pouvez engager votre amant à venir dîner avec vous, et moi-même je n’y manquerai pas lorsque l’occasion s’en présentera sans me compromettre ; il vous aime, il est jeune et bien fait, du meilleur ton ; soyez avec lui depuis sept heures du matin jusqu’à onze du soir ; mais ne découchez jamais ; qu’il ne passe jamais la nuit chez moi. Enfin, que mes gens ignorent ma condescendance pour vous : ayez quelque bonté pour moi, et je suis content. Mais, Almaïde, s’il vous arrive de découcher, ne revenez jamais chez moi : mon cœur alors ulcéré, vous est fermé pour toujours.

Almaïde, pénétrée jusqu’aux larmes de la générosité de son bienfaiteur, l’embrassa tendrement, et lui promit que si elle avait quelque faiblesse pour Q…te, elle ne le compromettrait en rien dans sa maison ; qu’elle avait assez de discernement pour différencier l’amitié d’avec le feu follet de l’amour ; que d’ailleurs, la reconnaissance qu’elle lui devait était à jamais un motif sacré à son attachement éternel ; ils s’embrassèrent.

À quatre heures, on annonça le dîner : Almaïde, en levant sa serviette, trouva dessous une ceinture élastique (mode du jour) avec une plaque taillée en pierres fines, et une emblème où l’amitié gémit d’une perfidie que lui fait l’amour. Almaide, en répandant des larmes, va embrasser son ami, qui, de sa main vénérable, lui posa la ceinture. — Que cette peinture, chère Almaïde, me garantisse du même sort ; j’en mourrais, et je ne pourais jamais vous pardonner, si vous me - compromettiez.

L’heure du spectacle arrive, Almaïde passe à une glace pour ajuster des panaches sur son chapeau (car déjà cette tendre amante connaît tous les goûts de son amant qu’elle a su lui faire avouer) Ô ! qui ne connaît pas là le soin du tendre amour ? sa main tremble en ajustant sa ceinture ; enfin, tout est bien, elle s’est donné le sourire de l’approbation, et avec la légèreté d’un oiseau, elle gagne sa voiture, arrive dans sa loge.

Au second acte, la voix mélodieuse du perfide se fait entendre, c’est lui ! quel moment !… La toile est baissée, les lumières presque éteintes, et l’on ignore ce que l’on a joué, si on ne l’avait appris le matin par les petites affiches. On vient prendre des glaces chez Velony. Il est onze heures pas- sées. — Tu viendras demain chez M. S… dîner à quatre heures. — Oui, mon ange !…

On arrive ; le petit papa était déjà au lit ; il avait eu une légère indisposition : on l’embrasse. L’excellent cœur d’Almaïde quoique tout à l’amour ! Son ame a encore des facultés pour l’amitié ; elle ne veut pas quitter le petit papa, et passe la nuit dans son lit. Ce bon vieillard est bientôt réchauffé par cette aimable Hébé…. ; il ne sait de quels termes se servir pour lui témoigner sa reconnaissance. Almaïde a le pied et la jambe charmante ; le petit papa se lève le premier, va lui-même chercher une paire de bas de soie blanc à coins rose, des souliers bleu brodés en or ; il la chausse et se retire satisfait ; elle lui avait dit que Q…te venait dîner ; il ordonna qu’il fût succulent ; les meilleurs vins de sa cave : ce n’est pis parce qu’il traite un souverain ; mais c’est pour témoigner sa reconnaissance à Almaïde qu’il reçut son amant avec toutes les grâces de l’opulence.

Huit jours se passèrent sans l’ombre de nuages ; tous les deux jours, l’amant d’Almaïde dînait chez son ami, et ils allaient passer leur soirée ensemble ; mais le bonheur peut-il être permanent ? Ne suffit-il pas d’être amans pour éprouver quelques catastrophes ? Tu sais que Q…te n’aime qu’autant que l’on a de nouveaux sacrifices à lui faire ; que personne ne fuit tant la monotonie que lui ; ne lui vient-il pas mille chimères de ce qu’Almaïde ne voulait pas passer la nuit chez lui ; qu’elle aimait trop son petit papa, etc.

Enfin, il exige, pour preuve de son amour, que sa maîtresse lui donnerait une seule nuit ; Almaïde résista long-tems ; mais que l’on est faible lorsque l’on aime ! Une belle journée, ils furent ensemble manger une matelotte au Gros-Caillou ; il la ramena chez lui : il eut l’indignité de retarder sa montre, et de perdre, de gaieté de cœur, son amie pour satisfaire la fantaisie de passer une nuit avec elle. À dix heures, quoiqu’il en fut onze, elle voulut se retirer. — Tu as encore une heure, mon ange !…. L’heure, et plus, s’écoule. Le domestique entre et dit qu’il est minuit passé : elle veut se retirer ; mais le perfide joignant à ce que l’heure était plus que passée, ses tendres instances, il la porte au lit. On a ses instans de faiblesse ; elle n’eut point la force de sortir : cependant cette nuit ne fut rien moins qu’heureuse ! Les remords poignardaient déjà le cœur d’Almaïde, l’idée de son bon amie l’affligeait sensiblement. À sept heures arrivent Rose et un commissionnaire, apportant tous les bagages d’Almaïde ; le bonhomme lui écrivait qu’elle ne remette jamais les pieds chez lui ; que son amant n’était plus qu’un vil séducteur, puisqu’il avait» en quelque sorte, violé les loix de l’honneur, ou au moins de la délicatesse, en lui faisant enfreindre le seul vœu qu’il lui avait osé imposer ; qu’il la priait de recevoir dix louis, comme la dernière preuve de son attachement ; et que sa santé étant mauvaise, il allait profiter de cette événement pour aller prendre les eaux de Bonnières. Il avait aussi fait un cardeau à la femme de chambre, et à l’enfant qui était ; sa filleule ; il partit trois jours après : elle lui écrivit ; mais il ne voulut pas lire ses lettres. Ce noble vieillard était aussi sévère et déterminé lorsqu’il avait pris un parti, que juste et généreux.

Almaïde s’abandonna au désespoir : son amant était muet et stupéfait ; quel embarras pour lui, la mère, l’enfant, la femme de chambre !… et pour l’achever de peindre tandis qu’il est à l’assemblée, une lettre de moi arrive. Almaïde est violente ; que de droits n’avait-elle pas sur lui ? elle ouvre ma lettre, la rage la possède, elle casse et brise tout chez lui. La douleur morne fit place au désespoir, elle a des convulsions effroyables ; le domestique, sa femme de chambre, la tiennent long-tems pour morte. Lorsqu’elle revit son perfide amant, des excès de fureur lui reprirent ; il ne fut jamais si embarassé de sa vie. Enfin, il se pose près d’elle, la ramène à la raison, lui promet… — Mais vous en aviez une autre ? Et tirant ma lettre de sa poche. — Tenez, monstre ! que ne me laissiez-vous chez mon bienfaiteur ?… Il demeure confus. — Vous avez le portrait de cette femme, je veux le voir. Et tout de suite prenant dans ses poches la clef de son secrétaire, elle fouilla tant, qu’elle trouva mon portrait et toutes mes lettres. — Je veux les lire. Mettant la clef dans sa poche, et regardant avidement mon portrait : Tendre Lili, tu es aussi sans doute une victime de ton amour ! Monstre ! que ne me le disiez-vous ? Cette femme est charmante ; elle a sur votre cœur des droits antérieurs aux miens. Que ne restiez-vous en affaire de galanterie passagère avec moi ? Était-il un ami plus accommodant que le mien ? Il l’embrasse. — C’est que je vous aime trop : il y a déjà trois ans que Lili est ma maîtresse ; elle commence à perdre la fraicheur de la jeunesse…

— Mais, selon sa lettre, elle va arriver. Adieu, monsieur ; je retourne dans mes foyers : demain Lili couchera ici, et bientôt vous aurez oublié Almaïde. — Je ne peux disconvenir que j’aime beaucoup Julie, que je la reverrai avec plaisir ; mais Almaïde !… — Non, non, je ne pourais m’apprivoiser au genre de vie obscure qu’il faudrait que je conservasse dans votre petite chambrette, moi que vous avez tiré d’une maison si opulente. Que Lili soit assez tendre pour s’en contenter ; moi, je retourne près de mon mari, de mes enfans. Adieu. Rose, allez retenir des places à la diligence : elle passa encore cette nuit chez lui, et le lendemain elle partit.

Elle m’a avoué qu’elle avait maintenant pour lui plus de haine que d’amour ; qu’à jamais elle devrait lui imputer ses malheurs : ainsi, ma chère Lili, soyez étonnée maintenant qu’il ait toujours tâché que vous ignoriez mon nom, et que vous fassiez société avec moi ; et je vous demande qui de lui ou de moi mérite plus l’épithète de rouée. J’embrassai tendrement Almaïde, et depuis ce moment, son avanture ne m’est pas sortie de la tête ; nous nous jurâmes d’être amies.

Après t’avoir fait le portrait d’Almaïde, tu ne seras pas fâchée d’avoir celui de Q…te :

PORTRAIT DE Q…te.

J’aime tout dans celui qui règne sur mon cœur,
    L’esprit, le ton, le caractère :
    J’aime son regard enchanteur,
    Et son sourire plein de douceur,
Et son humeur grave et légère.

Je pardonne son goût un peu trop libertin ;
    J’aime encore sa lasarerie
    Qui lui fait dire le matin
    Ce qui le soir fait sa folie.

J’aime son air noble et vaurien…
    J’aime le pouvoir despotique
    Que son cœur a pris sur le mien.
  J’aime ses éloges et sa critique,
    Qui font chérir son entretien.

Il n’est que plus charmant alors qu’il est coupable.
En vain se défend-on de vivre sous sa loi ;
    On l’adore en dépit de soi.

Nul n’a plus de défauts, nul n’est plus aimable :
    S’il est par fois un peu trompeur,
    Il sèche avec tant d’art nos larmes !
    Que son retour a plus de charmes :
Son infidélité devient une faveur.

Maintenant sa tendresse à la mienne est égale ;
    Mais s’il venait à changer un jour,
    Il me ferait aimer l’amour
    Qu’il sentirait pour ma rivale.

Tu dois Juger par ce portrait, chère amie, combien j’idolâtre cet aimable séducteur, puisque je regarde encore comme un bonheur pour moi d’être trompée par lui.

Adieu, ma tendre amie. Cette lettre est déjà de beaucoup trop longue. Donnes-moi de tes nouvelles ; elles seront toujours précieuses à ton amie,

Julie.




LETTRE CXX.

Lise à Julie.

Bonne, toute excellente amie, ta dernière lettre me saigne le cœur ; oui, mon ange, tu as à jamais perdu le vrai bonheur ! loin de tes foyers, brouillée avec toute ta famille ; un amant sur lequel tu peux si peu compter !… Qui cessera de t’aimer lorsque tu n’auras plus de sacrifices à faire pour lui prouver ton amour, et je ne vois plus maintenant qu’il te reste encore quelque chose à lui immoler ! que ton Almaïde est intéressante !… Comme elle aimait de bien bonne fois ce Q…te ! que les hommes sont monstrueux, rien ne leur coûte pour satisfaire leur passion…. Mon Dieu ! que par comparaison cela me fait estimer mon époux ; il n’a pas, en toute sa vie, à se reprocher d’avoir perdu une femme : aussi les demoiselles qui se marient, et les parens ne sont pas assez soigneux sur la moralité de celui à qui ils donnent leurs filles, ( cependant, ce ne seront pas les liens que l’on accusera de non scrupule là-dessus ; mais tu aimais, et tu l’as voulu ; ils sont vengés) si le déshonneur était attaché à la conduite d’un homme avant l’himen, comme à celle d’une femme, ces messieurs ne se permettraient pas de gaieté de cœur, de perdre impunément une amante sensible ! si pareille chose m’arrivait, je voudrais mettre ce trait infâme dans toutes les feuilles publiques, et. couvrir d’opprobre un homme aussi perfide.

Mais, tu vas aller à Paris ; si ton amant avait fait encore une nouvelle conquête ! que deviendrais-tu ? ou irais-tu ? moi n’y étant plus, au moment où tu as tant besoin d’un Mentor ; et sans être beaucoup ton aînée, j’ai do plus- que toi une expérience consommée : l’habitude d’avoir toujours vécu libre dans le grand monde ; toi, tu n’as que de l’inexpérience ; tu ne doutes de rien ! beaucoup de fierté dans le caractère, une mauvaise tête, un cœur qui la suit au galop, seule dans un pays où les écueils sont tant multipliés ; ta jeunesse, ta sensibilité ! je tremble, Lili ; et telle mal que tu sois chez ton mari, tu seras toujours mieux que seule à Paris ; n’oublies pas, Lili, que tu es mère de Clarisse : encore pour comble d’infortune, de Séchelles est dans les Pyrénées ! je commence à croire, Lili, que l’on ne peut éviter son sort.

Écris-moi souvent ; dis-moi tout ce qui t’arrive, et compte toujours, telles choses que ce fussent, sur mon attachement pour toi. Parles-moi encore d’Almaïde, elle m’intéresse…. Ne me parles plus de ton idole ; le portrait que tu en fais prouve que tu es trop éprise de ce séducteur.

Adieu, chère Lili : nous sommes encore loin de retourner à Paris.

Ta Lise.



LETTRE Julie

JE

à

CXXI. ’

Lise.

suis ici depuis trois semaines.

pour

coup

le

!

je suis lancée

d’avantures , Lise

je

ne

Oh’ ^

un océan par où com-

dans

sais

mencer.

.Immédiatement après à

toi

je repris la

,

ma dernière lettre

route de Paris avec

un

ami de mon mari qui m’y conduisit dans sa voiture ; et je crois que cette fois ,, ce

mon mon amant

dernier n’était pas fâché de

départ.

Je n’avais pas prévenu

de

mon

arrivée .seülement que je viendrais inces-

samment. matin , je

où nous

Comme il était une heure du me fis donner un lit dans l’hôtel

étions descendus.

Le lendemain , sorti

à

mon

robe

J

je fus

chez lui

son domestique eut

l’air

aspect ; je passe dans j’y

,

il

était

embarrassé

une garde-

trouvé des hardes de femme.

Crispée

DigitiZ’XJ

by

Gu^^Ic Crispée de douleur, je m’en fus tout de suite ; je dis au domestique que lorsque M. rentrerait, il pouvait lui dire que j'étais hôtel de T..... rue ...... Cet hôtel et cette rue se trouvaient justement très-près de Séchelles. Que de réflexions cela me fit faire ! J'avais donné rendez-vous à Almaïde chez le perfide : lui, il arriva chez moi à six heures du soir, frédonnant une ariette ; je l’accueillis froidement ; il se disculpa. — Lili, je t’aime toujours : ne te fâches pas ; c'est une petite religieuse qui, sortie de son couvent, ne savait où aller, je lui ai donné l’hospitalité, et comme c'était plutôt fait, elle partage mon lit. Mais chè

mon

souper avec

je lui

c’était

Mais,

lit.

toi

,

et

y

passer la nuit, demain nous aviserons en-

semble à percher

ment me parut nous soupâmes

la vestale

ce raisonne-

excellent, je l’emhrasse,

et restâmes

ensemble.

Le lendemain matin, l’ami qui m’avait amenée vint me donner le bon jour : je n’avais

qu’une chambre

lorsque j’entendis

frapper, je jettai sur le lit toute la défroque

de

mon

amant.

Tome III.

Mon compagnon de voyàge Il

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)

du jaune, avait du bleu ; c’est ainsi que toutes nous nous reconnûmes t’appartenir ; et toi, tu t’occupas pendant tout,le dîner d’une femme de cinquante ans. Elle fit des frais d’esprit pour te prouver sa reconnais­ sance de tous les soins que tu lui adressas. C’est à toi seul qu’il appartient de sentir et d’aimer ; également éloigné de l’enthou­ siasme qui consume, et de l’indifférence qui fait languir. Assez constant pour faire germer l’amour et l’amitié, mais trop lé­ ger pour sentir ’ leurs peinés, tu imites l’insecte à qui la nature donne des ailes pour embellir les saisons et animer nos part ères. Elevé dans un fluide encore plus léger, le papillon s’y balancé, va, vient, s’éloigne, reparaît, se cache, revient de nouveau caresser toutes les fleurs, ne s’ar­ rête à aucune, jouit de toutes sans les flé­ trir et sans s’exposer au désespoir de les perdre, ni au dégoût. »

Ce portrait n’est-il pas ton image ? “ • • -

...................... • »

<1H »

. ■’

Je te verrai ce soir, pas vrai ? Je serai de sept à huit heures avec Corine au rendezvous au grand bassin des Tuileries, près de l’orangerie, sur le banc du treillage, à côté de la statue le Silence. Il faut, dis-tu, se pourvoir d’un bonnet de nuit ; car tu me mènes coucher aux champs.

Adieu, mon ange ; si j’ai desiré hier avoir soixante ans, c’était pour avoir tous tes soins ; car six lustres de plus m’eussent rendu la rivale de madame F…, puisque, ce jour, tu ne portais ton hommage qu’à sa vénération ; mais combien je me félicite ce soir de n’avoir que vingt-deux ans ! Ce soir, qu’il me sera doux de me dire toute à toi, ton Adèle. Je t’envoye Corine, dans le cas où tu aurais des ordres à lui donner.


Ton Adèle.



LETTRE CXLI.

Adèle à Lise.


Viens, viens ; arrives donc vite ; viens jouir du bonheur de ton amie ; ce sera encore y ajouter. Oui, Lise, Séchelles est le chef-d’œuvre de la nature : son ame est aussi belle que son corps ; il n’a point mis de bornes à sa générosité envers moi : tous les jours, il me surprend par de nouveaux bienfaits : hier, il me mena souper à Chaillot, dans un charmant petit pavillon couvert en ardoises, près Ste.-Perine, Le croiras-tu ? Là, je me trouvai encore chez moi. Ce petit pavillon, nommé l’Amitié, avait été bâti pour une amie de l’abbesse de Ste.-Perine : il a deux entrées ; une par la communauté, et une par le jardin d’un vieux marquis, dont le mur est mitoyen. Cette entrée-ci est la plus commode ; on peut à toute heure du jour et de la nuit entrer chez moi sans être vu, moyennant une séparation que l’on a établie entre le Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/275 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/276 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/277 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/278 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/279 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/280 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/281 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/282 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/283 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/284 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/285 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/286 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/287 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/288 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/289 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/290 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/291 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/292 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/293 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/294 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/295 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/296 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/297 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/298



LETTRE CL.

Lise à Julie.


Ma chère Adèle, dans quel moment ta lettre m’est-elle arrivée ? Mon père venait d’expirer, et mon époux était agonisant. Me voici orpheline et veuve ; une maladie épidémique, que l’on nomme Millet, règne ici depuis quinze jours : tout le monde meurt en foule. Ne m’écris plus ici, j’en pars à l’instant ; je ramasse à la hâte mes effets, et je me sauve de ce pays de morts et de mourans. Je m’éloigne des tristes débris qui affligent mon ame : puisque je n’ai pu suivre au tombeau mes bons amis, mon père et mon époux, c’est dans le sein de mon amie que je vais répandre mes larmes ; elle saura les rendre moins amères : elle a connu ceux que je regrette, j’aurai le douloureux plaisir d’en parler encore avec elle. Je pars, je pars ; mais je ferai la quarantaine à St,- Germain avant que de me rendre à Paris. Je ne veux pas vous porter un air pestilentiel, mes bons amis. Je vous embrasse, Adèle et Séchelles.

Tu connais assez mon cœur pour savoir que ma douleur est sincère. Eh bien ! je n’ai pu m’empêcher de rire de l’espièglerie de ton roué de d’Espagnac : cet homme est intéressant. Adieu : voici les chevaux ; je coucherai après demain, jeudi soir, à St.- -Germain, à l’Écu de France, chez le T. R…,

Ta Lise.



CHAPITRE XXI.

Emprisonnement d’Adèle.


C’est enfin ici, ma chère amie, où finit ma correspondance ; car Lise que je fus trouver le jeudi soir, et que je ramenai le lendemain coucher au pavillon de l’Amitié, ne nous quitta plus : vous savez qu’elle est blonde ; combien son habit lugubre ajoutait à la blancheur de son teint ! Elle était superbe ! Nous employâmes tout pour adoucir son chagrin ; les larmes sont bientôt taries lorsque c’est dans le sein de l’amitié qu’on les verse. Elle avait de la philosophie, et savait que de pleurer les morts, cela ne les rendait pas à la vie ; d’ailleurs, quelle est la douleur que le tems ne calme pas ? D’Espagnac était aimable, il en devint éperdument amoureux ; elle répondit à sa flamme ; et nous jouissions tous quatre de toute la plénitude du bonheur. Que de fois Séchelles, d’Espagnac Lise et moi, entrâmes dans cette jolie Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/302 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/303 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/304 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/305 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/306 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/307 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/308 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/309 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/310 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/311 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/312 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/313 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/314 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/315 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/316 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/317 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/318 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/319 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/320 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/321 fallut encore renoncer l’un à l’autre. Quoique cette séparation me fût cruelle, je commençais à m’accoutumer aux coups du sort, et je m’y résignai.





CHAPITRE XXII.

Nouvel embarras d’Adèle.


Accablée sous le poids de la douleur que me causait la perte de mon amant, mon cœur éprouvait un vuide que toutes les excellentes qualités de mylord ne pouvait remplir. L’habitude d’avoir de grandes passions me devint indispensable.

Comme il fallait que j’aimasse, et que je suis extrêmement difficile dans l’objet de ces passions qui font l’essence de ma vie, mes malheurs avaient presque effacés tous mes avantages personnels ; et si je ne pouvais aimer un être vulgaire, c’était encore moins à un homme médiocre à qui je pouvais faire impression : je tâchais de me procurer des plaisirs dans la société ; et pour dissiper ma mélancolie, j’allai souvent au spectacle.

Un jour, pressée du besoin de me Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/324 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/325 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/326 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/327 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/328 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/329 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/330 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/331 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/332 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/333 trouvé le palais royal et les ponts fermés ; je ne puis me rendre chez moi au F. St.-G. je n’ai d’autre refuge que dans votre commisération. — Je n’ai qu’un lit, lui dis-je, le simple nécessaire d’un philosophe : il m’eût été doux de le partager avec mon cher Auguste ! Hélas ! pourquoi cette affreuse circonstance y met-elle de l’amertume ! — Ma très-chère Olimpe, il m’est cruel de devoir cette première faveur à la terreur générale ! il eût été si doux de ne le devoir qu’au tendre amour !…

Nous entendîmes battre la générale ; la patrie était en danger… Nous nous mîmes au lit, quoique ce fut la seconde fois que nous nous voyions : la circonstance s’opposait à tout cérémonial, et de plaisir, quoique filtré à travers les craintes, nous fit sentir son délicieux empire.

Le jour qui succéda à cette nuit fut moins orageux ; mais je ne voulus pas que mon aimable prisonnier sortît : je le gardai huit jours en charte-privée, après lesquels il reparut tant soit peu au jour. Nous changeâmes de logement ; je fus habiter un hôtel garni où il était protégé, lui et tous ceux de son opinion. Cependant, il n’y eut que moi de nommée, de connue et d’enregistrée. Les maîtres fermèrent complaisamment les yeux sur l’hospitalité que je donnais dans leur maison au plus digne et au plus infortuné des proscrits.

Nous demeurâmes six mois dans cet hôtel : vers le soir, mon amant sortait pour respirer l’air, et à onze heures, j’allais l’attendre dans le jardin du P.-R… ; souvent je passais, j’étais prise pour une fille qui attend le chaland ; même étant reconnue par des gens de mon pays, cela fut rapporté à ma famille, ce qui la fâcha beaucoup ; et quoique mes chers parens me sussent à Paris depuis quatre ans sans un sou de revenu, et notamment depuis la mort d’Hérault de Séchelles, sans aucun moyen d’existence, ils entrèrent en fureur sur les propos que la calomnie, répandait sur mon compte.

Vous allez peut-être croire, mon amie, Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/336 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/337 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/338 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/339 sort, quelqu’occasion avantageuse qui se fût présentée ; ce qui arriva effectivement, comme vous le verrez dans le chapitre suivant.





CHAPITRE XXIII.

Ingratitude du chevalier Auguste de R…


Il est bon que vous sachiez, ma bonne amie, que mon mari ayant témoigné à une de ses amies quelques regrets d’être séparé à jamais de la mère de son enfant, cette dame vint me trouver dans le dessein de réchauffer mon cœur pour le premier qui l’avait possédé : elle me parla de ma fille dans les termes les plus expressifs. Bientôt je fus émue : mes larmes coulèrent ; je promis tout, et ma promesse était sincère ; car si j’ai des défauts, je ne suis pas non plus sans qualités : mon cœur est à l’abri de tout reproche et mon ame est intacte : ma tête seule peut être accusée ; mais quand le cœur est excellent, les ressources sont inépuisables.

J’écrivis à mon époux et lui donnai un rendez-vous ; ensuite, je m’occupai sérieusement de mon départ. La dame qui avait Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/342 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/343 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/344 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/345 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/346 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/347 jeune femme, depuis cette certaine nocturne, me manquait ; portais-je dans mon sein l’enfant du malheur ; celui-là eût été conçu sous de bien funestes auspices. Mes doutes ne se confirmèrent pas davantage : j’allais beaucoup plus mal ; je devins bientôt à charge aux autres et à moi-même. Le croira-t-on ? mon amant, celui pour lequel j’avais tout sacrifié, celui qui était l’auteur de mes malheurs présens, celui auquel j’avais de nouveau immolé mon époux et ma fille, se dégoûta de moi. Robespierre ayant subi son juste châtiment, le calme revint ; mou amant pouvant se montrer, il commença par s’absenter peu à peu, et tout-à-coup il ne reparut plus. La reconnaissance, ce froid sentiment, ne le ramena pas même chez moi, et j’avalai le calice jusqu’à la lie.





CHAPITRE XXIV.

Piège tendu à Olimpe.


Trois mois s’étaient écoulés pendant lesquels j’avais mangé tout ce que je possédais en hardes, effets et bijoux. Je ne savais plus que devenir, et je n’osais m’adresser à ma famille, ni à mon époux : cependant ma dot ne m’avait pas encore été payée : cette ressource était plus que suffisante ; mais il fallait encore avoir les moyens de faire valoir mes droits.

Un soir, j’étais presque réduite au dernier accès du désespoir, lorsque dans une vente publique je rencontrai une espèce de négociant : j’étais alors avec une dame qu’il accosta ; ils causèrent long-tems ensemble : ensuite, il nous proposa un souper que cette dame m’invita d’accepter. Nous fûmes chez un élégant restaurateur, où nous fîmes un excellent repas. La dame avait mis le monsieur au fait de mes Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/350 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/351 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/352 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/353 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/354 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/355 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/356 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/357 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/358 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/359 un mémoire de deux mille et quelques cens livres. Sûrement je n’étais pas assez riche pour soutenir une dépense aussi con- sidérable.

M. de L… me proposa de vendre mes droits à un de ses amis, qui paierait comptant, et que lui me ferait huit cent livres de rente, et qu’il s’arrangerait pour que je pusse toujours rester chez lui. Mon mari, par le dernier traité, devait m’envoyer des meubles et deux mille francs comptant. Je commençai par payer mon hôte, et plaçai chez lui le reste de ma dot aux conditions qu’il m’avait proposées ; et d’accord avec mon amant, je signai encore cet arrangement. Mon amant et moi, nous restâmes tranquilles pendant quelques mois. Il rallentit ses visites, et je ne le vis plus.





CHAPITRE XXV.

Embarras d’Olimpe avec Auguste et son nouvel amant.


Délaissée encore une fois par l’inconstant Auguste, je fis connaissance d’une dame Italienne qui me mit en tête de me mettre chez moi, et de courir les hasards de la fortune et de l’amour, sur-tout de renoncer à ces passions qui finissent toujours par être préjudiciables.

Ayant reçu du linge et un lit de S… Je fus louer un appartement de douze cens francs, un premier charmant près le P. R… Je dépensai en papier et peinture mille écus. Je pris pour deux fois autant de meubles chez un tapissier : comptant sur les huit cens livres de rente que me faisaient M. et madame de L…, je m’installai tranquillement dans mon nouveau logement.

Un soir que j’étais aux expédions, j’entends nommer mon nom sur une petite Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/362 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/363 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/364 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/365 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/366 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/367 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/368 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/369 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/370 l’ame et l’agrément de ces repas. Mais son inconstance habituelle m’avait accoutumée à ne plus penser à lui que lorsqu’il revenait. Je vis bien qu’il fallait que je me pourvusse d’un autre attentif.





CHAPITRE XXVI

Rencontre imprévue de Mylord P…, et maladie d’Hortense qui la fait croire morte.


Me voici donc encore, ma bonne amie, dans une espèce d’inquiétude sur mon sort, tant il est vrai que mon bonheur ne peut être durable.

J’allai souvent au spectacle pour me désennuyer et quelques avantures très-légères furent le résultat de plusieurs jours de désœuvrement, lorsqu’un soir sortant seule du théâtre de la République, je m’arrêtai dans une vente, et mit mon enchère sur des bas de soie de femme. Un petit homme qui se trouvait derrière moi mit encore au-dessus. Je le regarde, il me sourit ; j’avais une idée confuse de le connaître ; il se fit adjuger les bas. Ce n’est pas galant, monsieur, lui dis-je, et je sortis. Il me suivit et me proposa de faire un tour de promenade dans le jardin ; mais Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/373 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/374 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/375 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/376 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/377 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/378 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/379 peu de tems je fus en état de me promener avec les autres. Mylord, qui ne pouvait quitter les lieux de ma sépulture, se trouvant par hasard à rêver dans l’endroit où j’exerçais mes faibles jambes, je crus le reconnaître, à quelques mots qu’il articulait, et je m’approchai de lui ; mais voyant qu’il ne me reconnaissait pas, je l’arrêtai par son manteau. — Mylord, lui dis-je, reconnaissez Hortense ; elle vit encore, et pour vous aimer. Après ce peu de mots, je m’évanouis dans les bras de Mylord, qui me fit reporter à mon lit. Il avait autant besoin de secours que moi ! Enfin, il me fallut encore rester six semaines dans ce lieu de douleur pour être en état d’en sortir. Pendant ce tems, Mylord me prodigua tous ses soins, et fit toutes ses dispositions pour me recevoir chez lui.




CHAPITRE XXVII

Résurrection d’Hortense, et visite qu’elle rend à son premier amant Q…te


Me voici donc arrivée chez le vertueux mylord P…. qui n’avait pu me venir chercher, parce qu’il s’était foulé le pied la veille. J’étais si faible et si fatiguée, qu’il me fit coucher en arrivant. La joie de me revoir dans le monde me fit bientôt reprendre mes forces : la vie sobre que nous menions, proportionnée à nos finances, acheva de me mettre sur pied. Nous passions des jours assez calmes, Mylord et moi, dans une honnête médiocrité ; la possession de mon cœur faisait toute sa félicité : moi-même je m’abusais au point de croire que ce serait là le terme de mes folies, lorsqu’une circonstance vint me prouver que ce cœur ne guérirait jamais et me maîtriserait toujours tyraniquement.

Je lisais les feuilles publiques ; par elles, j’apprends que M. Q…te ; mon premier amant, est de retour de l’Autriche ; qu’il est habitant de Paris. Mon premier mouvement fut d’aller le trouver. Je me dis : comment ! l’idole de mon cœur respire le même air que moi, pourait-il ne plus m’aimer, lui qui m’a tant adoré ? Les mouvemens que mon cœur éprouve ne me sont-ils pas les garans du sien ? D’après cette conjecture, j’oublies qu’il y avait à peu près trois ans qu’il ne m’avait vu ; que depuis ce tems, le burin du malheur avait gravé mes traits ; que j’étais à peine convalescente d’une longue maladie, et que ma mise ne me permettait pas de me présenter à lui, ni de l’engager à venir chez moi, puisque j’étais chez un Anglais ; que de considérations auraient dû m’arrêter ! mais mon cœur brûlant en a-t-il jamais pu connaître !… Non, non : je l’aimais encore ; et ne suivant que le premier élan de mon cœur, je gâtai tout.

J’écrivis à cet ingrat une lettre de feu : il me répondit par une de sentiment, et m’assigna un rendez-vous chez lui………

Trouvez bon, chère amie, que par des raisons de circonstance et de politique, je supprime ici ce que je pourai dire dans un tems plus reculé, et que je jette un voile épais sur deux années de mon existence.

Je coulais mes jours paisiblement avec Mylord, lorsqu’un soir nous promenant, je fus rencontrée par un individu qui me dit qu’une personne de S…. demandait à me parler ; qu’il me priait de passer avant onze heures du matin dans un hôtel garni voisin de la porte St.-Martin ; que je demanderais une personne de S… J’eus beau demander qui c’était, je n’eu pus savoir davantage. Je passai la nuit très-inquiète.

Le lendemain, je fis une toilette légère, mais agaçante, et me rendit au rendez-vous. Un domestique m’introduisit mystérieusement dans le fond d’un appartement ; j’apperçus un grand homme qui écrivait sur une table. Il ordonna au domestique de se retirer ; et d’un pas grave, plus gravement encore il me salua. J’ouvris mes grands yeux ; j’examinai l’homme ; ne nous étant pas vus depuis dix ans, notre silence et notre examen n’avaient rien d’étonnant. Enfin, il le rompit le premier ; il me demanda si je ne reconnaissais pas mon frère ! — Mon frère, dis-je, depuis si long-tems que je suis orpheline, je n’ai plus ni frère, ni sœur ; je n’ai qu’un ami qui me tient lieu de toute ma famille. Si vous êtes mon frère monsieur, êtes-vous trop grand seigneur pour ne pas venir chez moi ? Vous avez mon adresse. Que signifie cette tournure mystérieuse que vous prenez pour me voir ? — Madame, j’ignorais si la lettre de mon père, qui vous fut adressée, était bien à votre nom ; d’ailleurs, savais-je si vous eussiez voulu me voir. Au surplus, madame, je viens pour vous annoncer la mort de notre mère. Un ruisseau de larmes coule de mes yeux. Oh, monstre que vous êtes ! vous avez laissé descendre ma mère au tombeau sans que j’aye pu recueillir son dernier soupir ! Votre intérêt vous oblige maintenant à me voir ; sans cela, vous vous seriez peu inquietté de moi. Je suis donc maintenant une des cordes de l’harmonie à laquelle il était si dangereux que je touche il y a trois mois ? Il défendit de son mieux une cause aussi mauvaise, en prétendant qu’il avait toujours été mon ami.

Sans trop ajouter foi à sa justification, l’aveu de ses torts rétablit bientôt entre nous une certaine confiance. Je déjeûnai chez lui, et il revint chez moi.

Je me déterminai à aller moi-même régler mes droits dans la succession de ma mère ; mon ami n’étant pas à Paris, je ne pouvais y envoyer, personne j’étais bien aise aussi de voir la figure de toutes ces bonnes gens qui trois mois auparavant, m’écrivait avec arrogance de ne pas souiller leur domicile ni troubler leur harmonie. Je disposai tout pour mon départ, et laissai partir mon frère le premier. En approchant de mes lieux pénates, j’éprouvai un saisissement involontaire, : le lieu de la sépulture de ma respectable mère me saisit d’un saint respect. Mon père vint à moi, je l’embrassai et j’éprouvai le doux sentiment de la nature : tous ses torts furent, bientôt oubliés ; mon cœur avait ressenti la commotion filiale, et je fis tout ce qu’il voulut.

Le premier jour, de ma réception fut froid de la part de mes frère et sœurs, de mon père lui-même ; tout le monde usa de politique avec moi ; mais comme je n’entrai dans aucun détail, et que l’on ne m’en demanda pas, nous vécûmes ensemble de même que si nous ne nous étions jamais séparés. Ce fut encore ! moi qui rompit la glace.

Je passai quelques jours dans la douce intimité de sentimens si nouveaux pour mon cœur ; et je les croyais tous épuisés entre ceux filiale et fraternelles. Déjà je me disposais à mon retour à la capitale ; depuis quelques mois je croyais ma fille morte, et depuis si long-tems que je ne l’avais vue, les doux sentimens de la nature avaient tournés au profit de l’amour.

Le soir de la veille de mon départ, nous fûmes dans une maison voisine et amie de celle de mon père. J’y trouvai cinq à six petits personnages de huit à dix ans ; de ce nombre, une petite fille m’intéressa davantage que les autres. De grands yeux : beaucoup de finesse dans les traits, une physionomie spirituelle, bien faite, des grâces naissantes, un son de voix charmant, des cheveux blonds cendrés et en quantité. Ce joli enfant attira tous mes regards ; personne n’eut l’air de s’appercevoir de l’attention que je portais à cette petite fille. On joua tranquillement ; mais moi qui ne joue jamais, je fus toujours de la partie des enfans. Mon choux, dis-je à la petite personne, vous êtes bien jolie ; comment vous nommez-vous ? en même-tems je la pressais sur mon cœur, et en me rendant mes carresses, elle me dit : — madame, vous êtes bien bonne, je me nomme Clarisse. — Clarisse ! se peut-il ? — Avez-vous une maman, mon enfant ? — Non, madame ; maman est morte il y a longtems. — L’avez-vous connu ? — Bien peu. — Où est-elle morte ? — À Paris. — Et votre papa, comment se nomme-t-il ? — Q…et Oh, ma fille ! oui, tu es, ma fille ! Je m’évanouis, et les joueurs vinrent à mon secours. Il n’y a que vous, mon amie, et ceux qui ont bien connu la sensibilité de mon cœur, qui peuvent juger de la situation où Î1 se trouva.

Je ne pouvais plus me séparer de ma chère Clarisse, et je ne pensais plus à partir. De l’héritage qu’il me revenait de manière, je partageai avec ma fille ; et je fus assez généreuse pour préférer qu’elle retourne à une pension où elle était bien, élevée, où elle avait des maîtres, qu’à la garder avec moi. Je ne voulais pas non plus que l’on pût m’accuser d’avoir influencé son caractère naissant. Ma fille est sensible, elle sera belle, elle a de l’esprit ; mais elle ressemble plus à son père qu’à moi ; cependant je lui présume mon cœur et mon ame. Quelle douce sensation de se voir reproduite !

Il fallut me séparer de ma chère fille, l’aimant plus pour elle que pour moi. Ce sensible enfant m’était déjà très-attaché. Elle mé dit des choses si touchantes en faveur de son trop aimable père. Hélas ! que ne paraissait-il Cet aimable enfant me demanda si je n’en avais pas d’autre qu’elle, et me fit tant de questions ingénieuses, que je ne pouvais plus me séparer d’elle. Il fallut appeller là raison et la dissipation à mon secours pour me déterminer à cette cruelle séparation.

De tous les miens, un seul de mes beaux-frères m’avait proposé d’améliorer mon sort, si je voulais me fixer dans mon pays ; Mais ce beau-frère, auquel je suppose un excellent cœur, joint à une mauvaise tête l’avarice et la jalousie : parlant toujours vertu ; ce qui me ferait croire qu’il n’en a pas ; car je regarde toujours comme douteuse celle que l’on affiche. Au surplus, mes très-chers parens, vos vertus ne sont que locales ; car retirés dans le fond d’un désert, si vous n’aviez pas celles domestiques, que vous resterait-il donc ?

Je fis mes adieux et partit. En approchant de la capitale, je sentis mon cœur se dilater. Je revis avec joie mon petit appartement, où je trouvai un petit Carlin que mon ami m’avait laissé en partant. L’absence de ce tendre amant ne tarda pas à me faire retrouver dans une triple position. J’aimais sans jouir, je jouissais sans aimer ; mais bientôt je jouis et j’aimai ; ce que l’on peut appeller le bonheur par excellence. Car, mon amie, n’est-il pas vrai qu’un amant est plus qu’un homme ! c’est la divinité du cœur ! c’est une ame en activité ! Les plus beaux attributs de l’amour n’ont de valeur que par les ressorts qui les animent. Pour une amante tendre, les ressorts de cette méchanique, c’est l’ame ; c’est en elle seule que se trouve toute la source des délices de la volupté. J’ajouterai encore que voilà d’où dérive le goût des femmes sensibles pour les capitales ; c’est qu’étant plus nombreuses en individus, elles peuvent plus facilement satisfaire à tous leurs penchans ; elles peuvent donner plus d’énergie à leur passion et si elles se sont trompées sur un choix, la facilité de le renouveller, l’espérance d’un meilleur les console. Enfin, tous les goûts, même les plus matériels et les plus bisares, trouvent ici, dans le grand nombre, à s’assortir.

Je restai paisiblement chez moi jusqu’à ce que le printems venant embellir notre hémisphère, je me décidai à goûter les charmes de la promenade. Fatiguée d’une fort longue que je venais de faire, j’entre dans un lieu public pour me reposer, et porte mes réflexions sur des propos grotesques, et des figurés qui l’étaient encore plus. J’étais fort occupée à cet examen, lorsque ma lorgnette s’arrêta sur un être charmant. Aussi étonnés l’un que l’autre de nous trouver en un tel lieu, je regardai ma démarche comme une licence philosophique ; et lui, comme observateur du genre humain, c’était un instant de désœuvrement qui le conduisait en cet endroit.

Le désœuvré, le superbe St.-Martin ne tarda pas à devenir le conquérant de mon cœur, que je regardais alors comme libre. Vous jugerez de ma conquête au portrait que je vais vous esquisser.

Celui qui porte ma devise et mes couleurs, réunit à toutes les beautés d’Hercule les grâces d’Adonis, les charmes d’Alcibiade, l’ame d’Ovide, l’éloquence sentimentale du gentil Bernard, le favori des Neuf-Sœurs, l’Apollon moderne, marchant d’un pas aussi ferme dans le sacré valon que dans le boudoir de sa maîtresse.

Voilà, chère amie, le portrait non flatté de l’idole de mon cœur. Il me nomma son Illyrine. Que ce nom m’est cher ! Oh ! je crois que je ne le changerai, jamais !



CHAPITRE XXVIII.

Illyrine fait connaissance d’un Hermite ; sa retraite à l’hermitage.


Que vais-je vous apprendre, ma bonne amie ; ce St.-Martin, cet amant adoré qui possédait à lui seul toutes les qualités de mes autres amans, vient de repartir pour l’armée. J’en suis restée inconsolable jusqu’à ce que je fis rencontre d’un galant hermite dont les principes, les goûts et la manière de penser se trouvèrent si conformes aux miens, que je ne balançai pas à partager son hermitage.

Avant d’entrer avec vous dans aucun détail sur mon nouveau bonheur, je devrais vous gronder, si je n’étais indulgente envers mes amis, lors même qu’ils adoptent des opinions contraires à mes sentimens ; d’ailleurs vous savez que ce n’est pas de l’esprit qu’il faut pour faire fortune, mais de la délicatesse qu’il ne faut pas. Vous me reprochez de faire banqueroute à l’amitié en faveur de l’amour. L’amour, vous le savez, est un sentiment divinisé dans mon ame depuis l’aurore de ma raison ; l’amitié me plaît et me console ; mais j’adore l’amour… L’amitié charme l’homme dans ses peines, l’amour lui donne le bonheur dans ses plaisirs, ; l’amitié est l’enfant de l’estime, l’amour est un don de la divinité ; l’un et l’autre concourent également au bonheur de l’humanité : mais l’homme sensible préfère ce dernier ; c’est mon avis, c’est mon goût.

Vous ne me dites rien de votre séjour à Belle-Ville ; ce que l’on dit, ce que l’on pense, sont toujours bon à savoir. L’esprit inquiet est toujours exigeant. Avez-vous vu A… ? vous a-t-il parlé de moi ? Une autre fois, soyez moins laconique ; la complaisance rend aimable ; et, j’aime à trouver cette vertu dans mes amis. Pour vous en donner l’exemple, je vais vous détailler ma nouvelle position…

Illyrine, mon amie, est heureuse : une douce et paisible retraite, une retraite précoce, et plus honorable encore, a fixé tous ses vœux et comblé tous ses désirs. L’amitié a mis le terme à ma carrière orageuse, et l’amour encore embellit mes jours fortunés ; car l’honnête, le délicat et sensible M. B…, que j’appellerai désormais mon hermite, était comme moi fatigué de la variété et des sentimens trop ardens qui consument l’ame par leur excès, sans cependant, totalement la satisfaire : comme moi inconstant, jusques dans son inconstance, il était occupé depuis des années à chercher une amie qui eût ses mêmes goûts, sa manière de penser et de sentir pour se fixer à elle et se séquestrer dans un hermitage. Là, rire de la folie de ceux qui cherchent le bonheur loin de la nature, et qui croyent, en s’écartant d’elle, aiguilloner leur désir ; et aussi en philosophes, nous amuser réciproquement des extravagances qui ont servi à mûrir nos goûts et notre jugement ; enfin, qu’un même et parfait accord pût rendre durable et à toujours le charme de notre solitude.

C’est encore le hasard qui guida l’aimable hermite vers moi. Étant connaisseurs et observateurs, un regard, un seul mot nous eut bientôt fait apprécier notre juste valeur ; il me communiqua son goût pour la solitude, son projet de retraite et qu’il n’attendait plus qu’une compagne qui pût lui plaire pour l’exécuter.

Laissant échapper un soupir dont mon ame fut émue : — Je ne la trouverai jamais, s’écria-t-il ; toutes mes recherches seront vaines ; car quelle serait la femme jeune encore et qui aurait assez de philosophie pour avoir le courage de renoncer au tourbillon du monde, au charme de cette capitale. Non, non ; je renonce à ce chimérique bonheur.

— Arrêtez, lui dis-je en saisissant une de de ses mains: arrêtez, mon ami ; n’accusez plus le sort : vous avez trouvé cette compague dans Illyrine ; puissiez-vous lui trouver assez de charmes phisiqiies, elle répond du reste ; elle est toute à vous ; vos souhaits sont les siens. Hélas ! mon cher Hermite, quelle route le destin nous a fait prendre pour nous rencontrer ……… De ce moment, M. B… ne balança plus dans son projet, sûr d’avoir rencontré l’objet de toutes ses recherches, il ne s’occupa plus que des moyens de réaliser son plan de retraite.

Pendant un mois qu’il resta à la ville, nous nous vîmes tous les jours : nos goûts s’identifièrent davantage, et nos cœurs furent si parfaitement d’accord, que le plaisir vint y mettre le sceau.

Avant-hier, dimanche, le joquet de mon cher B… entra chez moi, me remit une lettre de lui ; où il m’invitait à me rendre chez lui de suite, pour me conduire de là à l’hermitage qu’il venait de se procurer à une lieue de Paris, afin de juger ensemble si nos goûts étaient bien remplis. Mon cœur tressaillit de joie. Je laissai ma femme de chambre gardienne de mon appartement, et volai dans les bras de l’amitié. J’y fus reçue avec les transports de l’amour. Tout, était prêt pour le départ.

Nous montâmes dans une voiture avec ses domestiques et ses chiens. Il faisait beau quoique très-froid. Nous sortîmes de Paris par le plus beau côté, notre hermitage étant situé à un quart de lieue du bois de Boulogne, par conséquent sur la route la plus agréable et la plus variée. Jamais je n’éprouvai un embarquement aussi délicieux, et ne quittai la capitale avec autant de joie.

Ma main tendrement contenue dans celles de mon hermite, semblait m’annoncer le pilote bienfaiteur qui venait m’arracher de mon vaisseau prêt à faire naufrage.

Sa figure douce et noble, dans laquelle était le sourire de la satisfaction ; semblait jouir d’avance du bonheur qu’il me préparait dans ma nouvelle translation.

Les chevaux s’arrêtent à la porte d’une petite maison d’un goût assez bisarre, mais jolie, ornée avec tout le luxe de la simplicité ; rien de ce qui peut contribuer aux commodités et aux agrémens de la vie n’y était oublié. L’appartement d’Illyrine y est du plus élégant simple, et porte par-tout l’emblême de l’amitié qui fixe l’amour. Une bibliothèque bien choisie et assez nombreuse, achève de rendre ce petit boudoir le temple du sentiment… Sa position est au Sud Sud-Est, et la vue on est charmante par son étendue et sa variation.

L’appartement de mon tendre hermite est contigu au mien, il est aussi d’une simplicité épurée par le goût. D’un côté, il a la même exposition que moi, et de l’autre, qui est au Levant, il a en perspective une petite île charmante, et quantité de jardins dont les murs sont baignés par la Seine. Voilà l’esquisse de la solitude où votre amie doit se reposer d’une vie tumultueuse et en attendre paisiblement le terme.

Ô, mon amie ! félicitez votre Illyrine ; car très peu…. de héros…. peuvent attendre un tel port, après avoir été si longtems le jouet des flots irrités…

Mon cœur, pour cette fois, est fixé ; ma raison est enchaînée, mon ame, toutes mes facultés intellectuelles, sont à jamais à mon délicieux hermite. Mais il est bon que vous sachiez qu’il a environ neuf lustres, d’une riche taille, bien proportionné d’une tournure la plus distinguée, une figure belle, spirituelle, douce ; en un mot, sentimentale ; le son de voix divin ; les manières nobles, aisées, charmantes. Enfin, je n’ai jamais rencontré, dans toutes mes excursions en amour, un homme aussi fait pour fixer l’amitié, l’attachement d’une femme, sensible, tout en remplissant le poste d’un amant aimé.

C’est sous un berceau de lilas que je vous écris, non pas cette lettre, mais que je termine les Mémoires que vous m’avez demandés. Comme le souvenir de ma fille vient souvent ici troubler ma tranquillité, mon bonheur, cette nuit elle s’est présentée à moi accompagnée de son père et l’un et l’autre ayant interrompu mon sommeil, je suis descendue au jardin à l’aube du jour. Il est donc, mon amie, des souvenirs ineffaçables… des souvenirs… qui peut… Oh ! ma Clarisse !… cesse de poursuivre ton infortunée… mère, ta tendre et trop sensible mère !

Enfin, ma chère, comment ferai-je pour donner à ces Mémoires une chûte intéressante ? On a le goût tellement blâsé par les romans Anglais, que quand le lecteur ne finit pas par des hécatombes, quand son ame n’est pas crispée par des morts tragiques, que ce n’est pas la douleur qui fait couler ses larmes, il n’est pas satisfait. Eh bien ! cependant pour lui plaire, je ne veux pas mourir totalement, ni renoncer à tous les plaisirs pour lui en donner. La vie a encore tous ses charmes pour moi. Non, cher lecteur, qui que vous fussiez, je ne me ferai pas enterrer pour vous paraître plus intéressante. Il faut que vous vous contentiez de me savoir jouir d’un bonheur calme et doux, d’une fortune honnête, d’une ame satisfaite par toutes les félicités du sentiment.


FIN.