Imitations (Tolstoï)/Trois paraboles

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Traduction par E. Halpérine-Kaminsky.
(p. 136-169).

TROIS PARABOLES




I

L’IVRAIE


De mauvaises herbes ont poussé dans un bon champ. Pour s’en débarrasser, les propriétaires du champ les ont fauchées ; mais l’herbe n’en poussa que mieux.

Alors, un cultivateur sage et bon vint voir les propriétaires du champ, et parmi les conseils qu’il leur donna, il leur dit qu’il ne fallait pas faucher la mauvaise herbe, car cela ne faisait que l’augmenter davantage ; pour s’en débarrasser complètement, il fallait l’arracher avec la racine.

Mais, est-ce parce que les propriétaires du champ n’ont pas fait attention à celui des conseils de l’homme sage, qui recommandait de ne pas faucher la mauvaise herbe mais de l’extirper, ou bien parce qu’ils ne l’ont pas compris, ou encore qu’ils ne crurent pas utile de suivre ses conseils ? toujours est-il qu’ils n’accomplirent pas cette recommandation comme si elle n’avait jamais été faite, et ils continuèrent à faucher la mauvaise herbe et à la multiplier.

Plus tard, d’autres hommes rappelèrent successivement aux propriétaires du champ la recommandation du cultivateur bon et sage, mais ils ne les écoutèrent pas et continuèrent leurs procédés habituels. À la fin, il est devenu pour eux de tradition de faucher la mauvaise herbe aussitôt qu’elle apparaissait, et le champ devenait de plus en plus inculte.

La mauvaise herbe a complètement envahi le champ et les hommes se lamentaient, imaginaient toutes sortes de moyens pour venir à bout de ce fléau, sans cependant recourir au seul moyen pratique que leur avait conseillé le cultivateur bon et sage.

Enfin, en ces derniers temps, un homme qui, s’étant aperçu de la lamentable situation dans laquelle était le champ, et qui, ayant trouvé dans les enseignements oubliés du cultivateur celui qui disait de ne pas faucher la mauvaise herbe, mais de l’extirper dans sa racine, voulut persuader aux propriétaires du champ que leur manière d’agir était déraisonnable et que ce manque de bon sens leur avait déjà été signalé par le cultivateur bon et sage.

Eh bien ! au lieu d’examiner la justesse de cette remarque et, après s’être convaincus de sa vérité, cesser de faucher la mauvaise herbe, ou bien démontrer et reconnaître sa fausseté, les propriétaires du champ ne firent ni l’un ni l’autre, mais se fâchèrent contre l’homme qui leur avait rappelé l’ancienne recommandation du cultivateur bon et sage et se mirent à l’injurier. Les uns le taxèrent de présomptueux et d’insensé, qui s’était imaginé d’être seul à comprendre les enseignements du bon cultivateur ; les autres affirmèrent qu’il était un faux commentateur et un calomniateur de cet enseignement ; les troisièmes, oubliant que ce qu’il disait n’était que la répétition des paroles prononcées par le cultivateur vénéré de tous, le firent passer pour un homme malfaisant qui voulait augmenter la mauvaise herbe et priver les hommes de leur champ.

« Il dit qu’il ne faut pas faucher l’herbe ; mais si nous ne faisons pas disparaître l’herbe, — ajoutaient-ils, en travestissant à dessein ses paroles, puisqu’il ne disait pas qu’il ne fallait pas faire disparaître la mauvaise herbe, mais qu’au lieu de la faucher, il fallait l’extirper, — la mauvaise herbe poussera davantage et notre champ sera complètement perdu. À quoi bon alors avoir un champ si nous devons y élever la mauvaise herbe ? »

Et l’opinion que cet homme était un fou où un faux commentateur, ou qu’il se donnait pour but de nuire aux hommes s’était tellement implantée dans l’esprit de tous, que partout on l’invectivait ou on le raillait. En vain expliquait-il que son principal soin était précisément de montrer la nécessité de l’anéantissement complet de la mauvaise herbe, on ne l’écoutait pas ; on avait décidé une fois pour toutes que c’était un fou ou un présomptueux qui commentait à tort les paroles du cultivateur bon et sage, ou bien un malfaiteur qui voulait entraîner les hommes à laisser pousser la mauvaise herbe et non pas à l’anéantir.

Une aventure semblable m’est arrivée lorsque j’ai rappelé le commandement de la doctrine évangélique recommandant de ne pas s’opposer au mal par la violence.

Ce commandement a été enseigné par le Christ et, après lui, de tous temps, par ses véritables disciples. Mais est-ce parce que les hommes n’y ont pas fait attention, ou bien parce qu’ils ne l’ont pas compris, ou enfin parce que son accomplissement leur a paru trop pénible ? Il est certain que plus les siècles s’écoulaient et plus le commandement tombait dans l’oubli, plus le genre de vie des hommes s’en éloignait pour aboutir à son oubli complet comme aujourd’hui, au point qu’il apparaît à présent aux hommes comme une recommandation toute nouvelle, inouïe, étrange et même insensée.

J’ai subi le même sort que cet homme qui a rappelé l’ancienne recommandation du cultivateur bon et sage de ne pas faucher la mauvaise herbe, mais de l’extirper dans sa racine.

On a eu recours à mon égard à la tactique des propriétaires du champ qui ont passé à dessein sous silence le fait que les conseils de l’homme sage consistaient non pas à laisser croître la mauvaise herbe mais à la faire disparaître par un moyen rationnel et qui ont dit : « N’écoutons pas cet homme, c’est un insensé : il propose de ne pas faucher les mauvaises herbes et de les laisser se multiplier. »

Aujourd’hui, on dit en parlant de moi : « Ne l’écoutons pas, c’est un insensé ; il nous conseille de ne pas s’opposer au mal pour laisser le mal nous envahir ».

La vérité est que j’ai dit qu’il faut, d’après la doctrine du Christ, faire disparaître le mal, non pas en s’y opposant par la violence, mais en l’extirpant dans sa racine par l’amour.

J’ai dit que, d’après la doctrine du Christ, le mal ne peut pas être déraciné par le mal, que toute opposition au mal par la violence ne fait que l’accroître, que, d’après la doctrine évangélique, le mal est anéanti par le bien :

« Bénissez ceux qui vous maudissent, dit la doctrine des douze apôtres ; priez pour ceux qui vous offensent ; faites le bien à ceux qui vous haïssent ; aimez vos ennemis, et vous n’aurez pas d’ennemis. »

J’ai dit que, d’après la doctrine du Christ, toute la vie de l’homme est une lutte constante contre le mal par la raison et par l’amour, et que de tous les moyens de s’opposer au mal, le Christ exclut le seul irraisonné, celui de la violence, autrement dit la lutte contre le mal par le mal.

Et mes paroles ont été comprises comme si je disais que le Christ enseignait de ne pas s’opposer au mal. Et tous ceux dont la vie est fondée sur la violence et qui, par suite, y sont attachés ont volontiers accepté cette interprétation de mes paroles qui sont simplement celles du Christ, et ils décidèrent que la non-opposition au mal est une doctrine fausse, absurde, blasphématoire et pernicieuse.

Et les hommes continuent avec sérénité d’âme à provoquer et à multiplier le mal, en faisant semblant de l’anéantir.


II

MARCHANDISES FRELATÉES


Des hommes qui faisaient le commerce de la farine, du beurre, du lait et autres denrées alimentaires, désireux d’augmenter leur bénéfice et de s’enrichir au plus vite, se mirent à falsifier leurs marchandises au moyen de différents mélanges peu coûteux mais nuisibles : dans la farine ils mirent du son et de la chaux ; dans le beurre, de la margarine ; dans le lait, de l’eau et de la craie.

Tant que ces denrées n’arrivèrent pas aux consommateurs, tout alla bien ; les marchands en gros les vendaient à d’autres marchands, qui les revendaient aux détaillants. Ils avaient beaucoup d’entrepôts, de magasins, et leur commerce prospérait. Ils étaient contents.

Cependant les gens de la ville, qui, ne produisant pas eux-mêmes ces denrées, sont obligés de les acheter, ne tardèrent pas à souffrir beaucoup de ces fraudes. La farine était mauvaise ainsi que le beurre et le lait, mais comme il n’y en avait pas d’autres sur le marché, on continuait à en acheter, et lorsqu’on leur trouvait mauvais goût ou qu’on en était indisposé, on se disait : nous n’avons pas su les préparer. Et les marchands sans inquiétude augmentaient de plus en plus leurs mélanges.

Les choses marchèrent ainsi assez longtemps ; tout le monde souffrait et personne n’osait se plaindre.

Un jour, une ménagère de la campagne vint habiter la ville. Elle avait toujours préparé elle-même la nourriture de sa famille et, sans être une cuisinière hors ligne, elle savait fort bien faire le pain et tout ce qui compose l’alimentation d’un ménage.

Elle acheta des provisions, rentra chez elle et se mit à l’œuvre. Mais son pain mal levé s’émietta, sa galette cuite avec de la margarine n’eut pas bon goût et son lait forma un dépôt et ne donna aucune crème. Elle comprit aussitôt que ses provisions étaient de mauvaise qualité, et, les examinant, elle trouva en effet de la chaux dans la farine, de la margarine dans le beurre, et de la craie dans le lait.

Ayant reconnu ces fraudes, elle revint au marché et se mit, à haute voix, à accuser les marchands de l’avoir trompée ; elle leur dit que s’ils ne pouvaient pas vendre de bonnes marchandises, ils n’avaient qu’à cesser leur commerce et à fermer boutique.

Ceux-ci ne tinrent aucun compte de ses plaintes ; ils lui répondirent que leurs produits étaient de première qualité, que, depuis des années, toute la ville s’approvisionnait chez eux, et qu’ils avaient même obtenu des récompenses. En effet, ils lui montrèrent des médailles peintes sur leurs enseignes.

Mais la ménagère ne se tint pas pour battue.

— Eh ! que me font vos médailles ? leur dit-elle. Ce n’est pas de médailles que j’ai besoin, mais d’une nourriture saine, d’une nourriture qui ne nous donne pas mal au ventre, à moi et à mes enfants !

— Tu n’as jamais vu sans doute, petite mère, de vraie farine et de vrai beurre, lui dirent les marchands en lui montrant des récipients vernis pleins d’une farine blanche et pure en apparence, de beurre d’un jaune superbe dans de beaux vases, et un liquide éclatant de blancheur dans des jattes d’une propreté parfaite.

— Il faut bien que je m’y connaisse, répondit la campagnarde, puisque toute ma vie je m’en suis servie pour préparer moi-même ma nourriture et celle de ma famille ! — Vos marchandises sont frelatées, et en voici la preuve, ajouta-t-elle en montrant son pain mal levé, sa galette à la margarine et les dépôts de son lait. Il faut jeter tout cela au feu ou à la rivière et le remplacer par de bonnes marchandises.

Et elle continua à crier ainsi devant les boutiques, si bien que les acheteurs commencèrent à s’émouvoir.

Alors voyant le tort que cette femme violente pouvait porter à leur commerce, les marchands dirent aux consommateurs :

— Voyez donc, elle est folle ! Elle veut affamer la ville. Elle demande qu’on détruise toutes les dénrées. Que mangerez-vous donc quand nous n’aurons plus rien à vous vendre ? Ne l’écoutez pas ; c’est une paysanne ignorante qui ne connaît rien aux aliments et qui ne nous attaque que par jalousie. Elle est pauvre et voudrait que tout le monde fût pauvre comme elle.

Ainsi parlèrent les marchands à la foule, disant bien que la femme réclamait la destruction de leurs marchandises, mais ayant soin de ne pas dire qu’elle demandait leur remplacement par des produits de bonne qualité.

Et le public prit parti contre elle et se mit à l’invectiver.

Elle eut beau affirmer qu’elle ne voulait pas la destruction des denrées alimentaires puisqu’elle en avait besoin elle-même pour sa nourriture et celle des siens ; qu’elle demandait seulement que ceux qui se chargent des approvisionnements n’empoisonnent pas les consommateurs en leur vendant des substances qui n’ont que l’apparence d’aliments ; toutes ses protestations furent vaines et on ne voulut pas l’écouter parce qu’on avait admis aveuglément que son but était d’affamer la ville.

Pareille malchance est arrivée à mes idées sur la science et l’art de notre temps.

Toute ma vie je m’en suis nourri, et, bien ou mal, j’ai travaillé à en nourrir les autres. Et comme c’est pour moi une nourriture et non un article de commerce ou de luxe, je sais parfaitement reconnaître quand cette nourriture en est une véritable ou quand elle n’en est qu’une imitation.

Aussi quand j’ai goûté à celle qu’on vend à notre époque sur le marché intellectuel, sous le nom de science et d’art, et que j’ai voulu en nourrir ceux que j’aimais, j’ai constaté qu’elle était grandement falsifiée.

Et lorsque j’ai dit que la science et l’art dont on fait commerce sur le marché intellectuel sont de la margarine, ou du moins contiennent un notable mélange d’ingrédients étrangers à la véritable science et au véritable art ; lorsque j’ai dit que j’en avais la preuve puisque les produits achetés sur ce marché n’ont pu être digérés ni par moi ni par les miens, et que même ils étaient dangereux, — on s’est mis à me huer et à me faire comprendre que mon ignorance me rendait incapable de traiter des matières aussi transcendantes.

Mais lorsque j’ai fait constater que ceux qui débitent cette marchandise intellectuelle s’accusent eux-mêmes mutuellement de tromperie ; lorsque j’ai rappelé que, de tout temps, on a préconisé, sous le nom de science et d’art, bien des choses impures et nuisibles, et que, par suite, le même danger peut nous menacer encore ; lorsque j’ai dit que c’était une chose grave, que le poison moral est bien plus effrayant que le poison matériel, qu’il faut donc examiner avec grande attention les produits intellectuels qui nous sont offerts comme aliments pour repousser énergiquement tout ce qui est frelaté ; quand j’ai dit tout cela, personne, pas un homme, pas un livre, pas un article n’a répondu. Mais de toutes les boutiques on s’est mis à crier sur moi, comme sur la ménagère : « Il est fou ! Il veut supprimer la science et l’art, tout ce dont nous vivons. Écartez-vous de lui, ne l’écoutez pas ! Venez donc chez nous, chez nous nous avons les dernières nouveautés de l’étranger !… »


III

VOYAGEURS ÉGARÉS


Des voyageurs cheminaient. Or, il arriva qu’ils s’égarèrent et que, ayant quitté le chemin battu, ils se trouvèrent au milieu de marécages, de ronces, de broussailles et de branches tombées qui entravaient leur marche et la rendaient de plus en plus pénible.

Ils se divisèrent alors en deux groupes, les uns affirmant qu’ils étaient dans la bonne voie et qu’il fallait continuer à la suivre pour parvenir au but de leur voyage ; les autres persuadés que la direction était fausse, — car autrement on eût déjà atteint ce but, — et décidés à se disperser dans tous les sens pour retrouver au plus tôt la bonne route.

Tous les voyageurs se partagèrent selon ces deux avis. Seul, un homme ne se rangea ni à l’un ni à l’autre. Il émit cette opinion qu’il fallait avant tout s’arrêter pour examiner la situation et, qu’après y avoir mûrement réfléchi, on pourrait adopter l’un ou l’autre parti.

Mais les voyageurs étaient si bien entrainés par le mouvement, ils étaient si inquiets ; ils avaient un tel désir de ne pas se croire perdus mais seulement un peu écartés de la route où il leur était facile de revenir ; et surtout ils éprouvaient un si grand besoin de s’étourdir par l’action pour calmer leur frayeur, que cette opinion isolée fut accueillie par une indignation générale, par les railleries et par les reproches de l’un et de l’autre groupe.

— C’est un conseil d’impuissance, de lâcheté et de veulerie, dirent les uns.

— Rester sur place ! s’exclamaient les autres. Voilà un excellent moyen d’arriver bientôt.

— Nous sommes des hommes, reprenaient quelques-uns. Si nous avons des forces, c’est pour la lutte, le travail, c’est pour triompher des obstacles et non pas reculer lâchement devant eux.

Et vainement le voyageur dissident s’efforçait de leur faire comprendre qu’en continuant leur route dans une fausse direction, ils s’éloigneraient du but au lieu d’en approcher ; qu’ils n’y parviendraient pas non plus en se dispersant ; que la seule chose à faire était d’examiner le soleil ou les étoiles pour déterminer la véritable direction ; que pour cela il fallait tout d’abord s’arrêter, s’arrêter non pas pour rester en place, mais pour rechercher et trouver la bonne voie et la suivre jusqu’au bout : personne ne voulut l’écouter.

Et le premier groupe ayant continué sa marche dans l’ancienne direction, le second s’étant disséminé de toutes parts, non seulement ni l’un ni l’autre ne se rapprocha du but, mais encore aucun des voyageurs ne sortit de la broussaille et des ronces, où ils errent encore.

C’est absolument ce qui m’est arrivé lorsque j’ai osé douter de la voie qui nous a conduits dans la forêt ténébreuse de la question ouvrière et dans le marécage des armements sans limites, lorsque j’ai douté qu’elle fut bien celle qu’il nous faut suivre. Le même sort m’a été réservé lorsque je me suis permis de dire que nous pouvions bien nous être égarés et qu’il serait sage par conséquent de nous arrêter un moment pour réfléchir et pour examiner, d’après les principes immuables de la vérité qui nous a été révélée, si nous sommes réellement sur la bonne voie.

Personne n’a répondu. Personne n’a dit : « Nous ne nous sommes pas trompés ; nous sommes bien dans la bonne voie. Nous en sommes sûrs pour telle ou telle raison. »

Personne n’a dit non plus : « Il se peut, en effet, que nous nous soyons trompés ; mais, sans nous arrêter, nous avons un moyen infaillible de réparer notre erreur. »

Non, personne n’a répondu, mais tous se sont emportés et toutes les voix se sont unies pour couvrir ma voix :

— Ne sommes-nous pas assez indolents, assez en retard ? Voici qu’il prêche la paresse, l’inaction !

— Et l’immobilité ! ajoutèrent quelques-uns.

Et ceux qui voient le salut dans la marche en avant sans s’écarter de la direction qu’on a une fois choisie, comme ceux qui croient le trouver en se dispersant au hasard de tous côtés, s’écrièrent :

— Ne l’écoutez pas ! Pourquoi s’arrêter ? pourquoi réfléchir ! En avant ! en avant ! tout s’arrangera de soi-même.

Et les hommes se sont égarés, et ils en souffrent.

Il semblerait que le premier et le plus grand effort de notre énergie devrait être employé à arrêter, et non pas à accélérer, le mouvement qui nous a conduits dans l’affreuse situation où nous sommes. Il semblerait évident que c’est seulement en nous arrêtant qu’il nous sera possible de reconnaître dans une certaine mesure notre position et de trouver le véritable chemin du bonheur, du bonheur, non pas d’un homme ou d’un groupe d’hommes, mais de l’humanité tout entière, car c’est le but auquel doit tendre le cœur de chacun de nous.

Eh bien ! nous avons recours à toutes sortes de moyens, excepté à celui qui pourrait nous sauver, ou tout au moins améliorer, notre situation, et qui consiste à nous arrêter un instant, au lieu d’augmenter notre misère par une activité à contre-sens. Les hommes sentent bien tout ce que leur position a de déplorable ; ils font tout ce qu’ils peuvent pour la modifier, sauf ce qu’il faudrait faire ; sur ce point, ils ne veulent rien entendre et les conseils ne font que les irriter davantage.

Ce refus obstiné de réfléchir démontrerait mieux que tout, si l’on en pouvait douter, à quel point nous sommes égarés et combien notre désespoir est grand.