Initiation musicale (Widor)/ch08

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Librairie Hachette (p. 41-43).


CHAPITRE VIII

LE QUATUOR

L’ANCÊTRE DU VIOLON.
LES VIOLONS À LA COUR DE FRANCE.
LUTHIERS D’AUTREFOIS.



L’ancêtre du violon. ↔ C’est de la Viole qu’est né le quatuor, d’elle que sont issus le Violon (violino, diminutif de viola), puis le Violoncelle (viola di gamba), enfin la Contrebasse (contraviolone). C’est toujours la Viole, avec l’archet fortement arqué par la tension des crins, que représentent les primitifs quand ils groupent le chœur des anges, ou qu’ils dessinent un jongleur jouant de son instrument. Le Violon est venu plus tard ; il est postérieur à la Renaissance. Quant à la Contrebasse, elle n’apparait qu’au xviie siècle. L’orchestre de l’Opéra ne l’admet qu’en 1706.

Les violons à la Cour de France. ↔ Les Valois aimaient les arts, Charles IX, voulant réformer sa chapelle, s’adressa au plus célèbre luthier du temps, Steiner (d’Inspruck), pour ses violons et ses violes, à la profonde humiliation des luthiers français[1].

En grand honneur sous Louis XIII, les Menuets des violons de la Cour, dont quelques-uns, dit-on, étaient de la composition du roi. Certaines proses de l’Antiphonaire parisien, à l’Ascension, à l’Assomption, par exemple, rappellent thèmes et rythme de ces Menuets, lesquels d’ailleurs dérivent des rapsodies des ménestrels, au Moyen Âge.

En contant les derniers moments de Louis XIV, Saint-Simon nous montre le rôle des « Violons » à la cour du Grand Roi :

« Le vendredi 9 août, grande musique chez Mme de Maintenon[2]. Lundi 12, le soir, petite musique. Vendredi 16, grande musique. Dimanche 25, fête de saint Louis : le roi est couché, mais n’a voulu aucun changement au traditionnel programme du jour ; comme d’habitude, aubade des tambours et des hautbois sous ses fenêtres, et ses « vingt-quatre violons » dans l’antichambre, à l’heure du diner.

« Les violons reviennent un peu plus tard, pour le concert de 7 heures, mais l’état du roi a subitement empiré, tout le palais est en émoi ; on congédie les musiciens et l’on court chercher le curé de la paroisse. Louis XIV mourait le Ier septembre.»

Il n’y avait pas uniquement des violons dans l’orchestre de Lulli ; le bon La Fontaine s’en plaint :

La voix veut le théorbe et non pas la trompette :
Et la viole, propre aux plus tendres amours.
N’a jamais, jusqu’ici, pu se joindre aux tambours.

Puis, rêvant d’une jeune cantatrice :

De cette aimable enfant le clavecin unique
Me touche plus qu’Isis et toute sa musique.
Je ne veux rien de plus, je ne veux rien de mieux
Pour contenter l’oreille, et l’esprit, et les yeux.

L’oreille toutefois, nous l’avons constaté, est préparée à de plus rudes accents. Après Lulli, viendra Rameau, et après Rameau, Gluck avec les trombones d’Alceste.

Luthiers d’autrefois. ↔ C’est l’Italie qui, presque à la naissance du violon et dans l’espace d’un siècle (1630-1730), a produit ces luthiers illustres de Brescia et de Crémone, les Maggini, les Amati, les Stradivarius, les Guarnerius, les Bergonzi, etc. Et c’est l’Allemagne qui, presque aussitôt, glorifie leur œuvre le jour où, vers 1740 ou 45, Bach écrit cette page magistrale, la Chacone.

Que ces grands luthiers d’Italie ne nous fassent pas oublier les nôtres, les Lupot (1758-1824), les Gand et Bernardel, les Vuillaume et leurs successeurs.

Depuis trois cents ans, les violons d’Amati, de Stradivarius, de Guarnerius, etc., se transmettent de main en main, de virtuose en virtuose, sans donner aucun signe de fatigue, toujours plus recherchés, plus admirés. Ils conservent leur vigueur, leur éclat, leur charme, parce qu’on les joue et qu’ils vivent des battements du cœur de celui qui les joue. Mettez-les au tombeau, c’est-à-dire dans la vitrine d’un musée, ils sont perdus. Le bois que ne secoue jamais plus l’onde sonore se dessèche et perd sa force de résistance à la tension des cordes.

Le musée de notre Conservatoire possède quelques-uns de ces beaux instruments qui, dans quelques années, ne seront plus que de tristes épaves, si on les y oublie.

  1. Il y a quelques années, l’un de ces instruments, en parfait état se vendait à Paris. C’était une Viole de Gambe (un grand Violoncelle), portant au dos un élégant écusson doré, aux armes de France.
  2. La bande des Vingt-quatre violons du roi date de Louis XIII (grande musique). Lulli forma celle des Violons de Cabinet (petite musique), composée de quelques instruments à cordes avec des hautbois et des bassons.
    xxxLes douze Trompettes, quoique dits de la Chambre, faisaient partie de la Grande Écurie, ainsi que les Timbaliers (État de la France, 1798).