Instruction concernant la propagation, la culture en grand et la conservation des pommes de terre/Quatrième partie - Chapitre I

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Société royale et centrale d’agriculture
Madame Huzard (née Vallat la Chapelle) (p. 156-161).



QUATRIÈME PARTIE.

EMPLOI DES POMMES DE TERRE, ET DE LEURS PRODUITS :

1°. À la nourriture des hommes ;

2°. À celle des animaux ;

3°. Aux besoins de l’industrie.




CHAPITRE PREMIER.


§ 1. Nourriture des hommes.


Le tableau des ressources que procurent les pommes de terre démontrera, on l’espère, combien on aurait tort de négliger leur culture, même dans les temps d’abondance, puisqu’elles peuvent fournir aux grandes exploitations, comme aux simples ménages, des subsistances disponibles à tous les instans, si, comme les chefs de famille économes et prévoyans, on a soin de tenir constamment à la disposition des commerçans et ouvriers des tubercules fraîchement cuits et chaudement conservés. Cette précaution a non seulement l’avantage de satisfaire aux besoins momentanés et imprévus, mais encore de diminuer la consommation du pain et de montrer que les pommes de terre sont une sorte de pain préparé par la nature, et qu’il suffît à l’homme de cuire pour en faire usage [1].

Au surplus, ce qui a été dit précédemment, lorsque l’on a parlé des moyens de modifier et de conserver la pulpe et les différentes parties de la pomme de terre, doit suffire pour apprécier ses nombreuses propriétés alimentaires.

Elle en possède d’autres, et elles vont être indiquées successivement.
§ 2. De la Pomme de terre considérée comme préservatif du scorbut.


Personne n’ignore que, dans les vaisseaux, l’usage d’une nourriture végétale et fraîche est très favorable à la santé des hommes de l’équipage, et, sous ce rapport, les pommes de terre offrent de grands avantages, confirmés par le récit de marins qui, à leur retour de l’Inde, ont assuré que, lors de leur embarcation, les Indiens ne manquent jamais de s’approvisionner de ce tubercule ; il leur sert à la fois d’aliment et de préservatif contre le scorbut. Ce fait est encore attesté par M. Brisant de la Garde, officier de marine, qui avait été engagé par M. Julia de Fontenelle à prendre, dans ses voyages, des renseignemens à ce sujet. Il ajoute que plusieurs capitaines étrangers ont profité de cette observation ; enfin, M. le docteur Boche, dans un Mémoire sur le scorbut, déclare qu’ayant à traiter plusieurs scorbutiques, il crut devoir céder aux instances de quelques matelots, qui lui vantaient les pommes de terre cuites comme spécifique, et qu’il les leur administra avec succès, tandis que les médicamens les plus accrédités avaient été inutiles [2].
§ 3. Propriétés diverses des fécules et des autres produits de la pomme de terre, comme nourriture dans l’économie domestique.


On ne fera point mention dans ce paragraphe ni des pâles sucrées, ni des mets recherchés qui se préparent avec de la fécule ou des pommes de terre. Cette instruction n’est destinée qu’à ceux qui, par une vie frugale et laborieuse, sentent le prix de l’économie, et à plusieurs d’entre eux il faut peut-être apprendre que, pour cuire la fécule dans du lait ou dans du bouillon, il suffit de la délayer dans ces liquides à froid, puis d’élever ce mélange à l’ébullition, que l’on soutient pendant quelques minutes, et qu’il est important de porter la coction à ce point, afin que tous les tégumens dont chaque grain de fécule est enveloppé soient crevés et deviennent faciles à digérer [3]. Tel est encore le mode de (1) cuire le tapioka de pommes de terre [4] fabriqué à l’imitation de celui que l’on envoie du pays où croît le manioc. La râpure de pomme de terre crue, égouttée et lavée, fait aussi de bon potage on la faisant cuire dans du bouillon ou dans du lait. On peut également, avec la fécule, fabriquer un sirop, que l’on peut ensuite saccharifier, ou même faire de l’alcool, ainsi que l’on en obtient des tubercules cuits, auxquels on fait subir une fermentation convenable ; mais on ne croit pas devoir s’étendre sur ces différens genres de fabrication, encore qu’ils puissent s’associer utilement à des exploitations rurales, ainsi que cela se pratique en quelques lieux, particulièrement sur les bords du Rhin [5]. En Allemagne, on incorpore des pommes de terre cuites dans le beurre, et en Saxe ce mélange a lieu avec le fromage [6].



  1. On en trouve la preuve consignée dans les Mémoires de la Société royale de médecine, in-40., p. 153, tome 10, année 1789, par M. Tessier, qui rend compte du fait.

    En 1788, une femme veuve avec trois enfans employait cinquante livres de farine par chaque fournée, et elles étaient consommées au bout de dix jours. M. Tessier lui donna deux boisseaux de pommes de terre pesant trente-deux livres, lesquelles, épluchées et cuites, furent réduites à vingt-cinq. Depuis ce moment, elle et ses enfans en mangèrent tantôt cuites sous la cendre, d’autres fois à l’eau et sans apprêts, quelquefois fricassées avec du beurre. Au bout de dix jours, il restait plus d’un dixième de la fournée du pain ; ce qui constata le profit que la consommation des pommes de terre avait opéré. Cette femme prudente n’oublia point la leçon et s’en trouva bien.

  2. Voyez l’Ouvrage de MM. Payen et Chevalier.
  3. Les fécules extraites des végétaux exotiques, dont le prix est fort élevé, qui nous viennent de l’étranger, sont souvent mêlées avec l’amidon des céréales ou des pommes de terre ; cependant on en vante les propriétés extraordinaires, quoique l’effet de toutes ces fécules sur L’économie animale soit absolument le même. Il serait donc plus raisonnable de faire usage de la fécule de pommes de terre, qui est indigène et se vend à meilleur marché.
  4. Pour le préparer, on met la fécule en pâte dans une chaudière graduellement chauffée} on la réduit en grumeaux les plus petits possible avec une spatule. On les étend sur des canevas fixés à des châssis placés dans une étuve ; après leur dessiccation parfaite, on les passe dans un gros tamis de toile métallique et successivement dans de plus petits, selon la grosseur que l’on désire ; et on peut encore les réduire en farine en les passant au moulin.
  5. On trouvera dans l’Ouvrage de MM. Payen et Chevalier les procédés que l'on doit suivre pour fabriquer de l'alcool avec des pommes de terre, et même pour leur enlever le goût désagréable qu'elles contractent quelquefois; on fera bien aussi de consulter les Mémoires de MM. Bottin, Vanrecum et Dubrunfaut.
  6. Une certaine quantité de pommes de terre cuites à la vapeur et réduites en pâte est mêlée à la crème, puis battue avec elle dans la baratte; quand le beurre est formé, on le pétrit, on le lave et on le sale pour le conserver.

    Dans le fromage, on pétrit la pâte avec le caillé, et on laisse la masse reposer deux ou trois jours; on la pétrit de nouveau, on la sale et on met dans les formes.

    Ce beurre et ce fromage se mangent sur le pain; cependant ces préparations économiques ont donné lieu à une fraude; elle consiste à ajouter, par les mêmes moyens des pommes de terre cuites dans des graisses destinées à la fabrication des savons, et dans celles provenant des os.

    Ces fraudes se découvrent en faisant fondre une portion des graisses au bain-marie. Au bout de quelques heures, la pâte de pommes de terre se dépose pour la plus grande partie, et après le refroidissement elle forme une couche distincte au fond du vase. Voyez l'Ouvrage de MM. Payen et Chevalier.