Introduction à l’histoire générale des littératures orientales/Texte entier

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INTRODUCTION
À L’HISTOIRE GÉNÉRALE
DES
LITTÉRATURES ORIENTALES.


INTRODUCTION
À L’HISTOIRE GÉNÉRALE
DES
LITTÉRATURES ORIENTALES,
Leçons faites à l’Université Catholique de Louvain
PAR
Professeur à la faculté de philosophie et lettres, membre de la société
asiatique de Paris.



LOUVAIN,
Chez Vanlinthout et Vandenzande,
Imprimeurs de l’université.
Pour la France,
Pour l’Allemagne,
Benjamin Duprat, Libraire de la
bibliothèque royale, rue du cloître
Saint-Benoît, no 7, à Paris.
Adolphe Marcus, Libraire,
à Born sur le Rhin.
mdcccxliv.


PRÉFACE


Les Leçons que nous offrons au public appartiennent à un Cours qui doit figurer à l’avenir dans le programme des études spéciales du Doctorat en Philosophie et Lettres : la loi sur l’enseignement supérieur en Belgique, discutée dans les Chambres et promulguée en 1835, a consacré sous le titre d’Introduction à l’étude des Langues Orientales une nouvelle branche d’étude destinée à compléter la partie littéraire du même programme qui comprend les littératures Grecque et Latine ainsi que l’Histoire des Littératures modernes. Si les termes de la loi permettent des interprétations diverses, il est évident que, sans faire violence à la pensée du législateur, il faut attribuer à cette matière de l’examen une valeur et un but littéraires : on ne concevrait pas que l’obligation d’acquérir une connaissance élémentaire des langues principales de l’Orient fût imposée indistinctement aux futurs docteurs, soit que la force de leur esprit les portât aux études philosophiques, soit qu’une vocation prononcée les appelât à l’enseignement de l’histoire ou des langues anciennes dans les établissemens d’instruction moyenne ; l’étude nécessairement imparfaite de la grammaire de quelques langues ne pourrait qu’être stérile pour tous ceux qui ne seraient point poussés par un goût personnel et déterminé à leur étude approfondie. Il parait donc indispensable, pour rendre l’article de la loi susceptible d’application et l’enseignement de cette branche profitable au plus grand nombre, de la mettre en rapport avec les autres études qu’exige l’épreuve du Doctorat : communiquer une connaissance générale de l’Orient littéraire, n’est-ce pas à la fois satisfaire aux besoins immédiats de la majorité et procurer à quelques esprits les moyens de poursuivre avec succès des études et des recherches spéciales ?

C’est ce qui a été bien compris par mon collègue, Monsieur G. A. Arendt, qui a donné ce Cours dans les premières années de la fondation de l’Université Catholique sous le titre d’Introduction aux Langues Orientales : ayant été au nombre des premiers auditeurs de Mr Arendt, je suis heureux de redire ici comment, en accordant une place plus grande aux faits littéraires qu’aux faits de linguistique, il a réussi à inspirer un intérêt soutenu pour un sujet jusqu’alors négligé dans notre patrie et il a donné dans l’accomplissement de cette tâche des preuves nouvelles d’un talent déjà connu. Suspendu quelques années à cause de la non-application de la loi nouvelle sur le Doctorat, le Cours vient d’être repris en vue des examens pour lesquels les dispositions de cette loi seront mises en vigueur. Je demeure convaincu de la nécessité de maintenir dans ce Cours la prédominance du point de vue littéraire et, pour ne pas laisser de doute sur la nature et la portée des leçons commencées, j’ai cru devoir substituer à l’expression vague de la loi les mots d’Histoire générale des Littératures Orientales ; la matière conserve ainsi son utilité première, celle d’introduction à l’étude des langues elles-mêmes, soit des langues Sémitiques, dont l’enseignement a été confié depuis plusieurs années à Mr J. Th. Beelen, soit d’autres langues Asiatiques, telles que le Sanscrit, l’Arménien, le Persan, qui, en raison de leur intérêt littéraire ou historique, figurent justement dans le cadre des travaux universitaires.

En publiant les premières leçons du Cours qui vient de commencer, j’ai pour but de signaler à quel point de vue l’histoire des littératures Orientales forme une étude importante et bien distincte, quelles en sont les limites, quelles en sont les grandes divisions : j’ai aussi en vue de rattacher cette étude à l’histoire des littératures anciennes dont je suis chargé depuis trois années. L’histoire littéraire a des procédés analogues partout où on la transporte et on l’applique ; pour fournir à la critique quelques idées fécondes, elle exige tout d’abord un plan bien arrêté et ces divisions claires qui ont la valeur et les avantages d’une bonne définition. J’ai dû par conséquent expliquer le principe de division littéraire que j’ai puisé dans l’histoire des religions ; j’ai voulu le soumettre à l’appréciation du public instruit qui a quelquefois tourné ses vues vers les littératures de l’Asie. Il ne m’a point paru inutile non plus de présenter des données précises sur la classification des langues Orientales en l’absence de livres élémentaires et méthodiques : c’est indiquer les matériaux qui doivent servir à chaque étude prise à part, c’est chercher dans le langage le lien extérieur de ces études diverses. Faire embrasser d’un coup d’œil tout le développement des études Orientales depuis le moyen âge jusqu’à notre époque qui est celle de leur renaissance, c’est montrer la place qu’elles ont prise aujourd’hui dans le cercle agrandi des études scientifiques, c’est offrir un ensemble d’idées générales indispensable à quiconque veut entendre avec fruit toutes les parties du Cours.

Louvain, 1er Décembre 1844.


DISCOURS D’OUVERTURE[1].


Messieurs,

À la faveur du travail intellectuel qui a depuis un siècle prodigieusement agrandi le champ de toutes les sciences, les études historiques et les études littéraires, fortes désormais par leur alliance, ont réclamé à leur tour une juste part dans l’activité générale des esprits ; elles ont dû leur rapide accroissement à la découverte des faits nouveaux qui ont été soumis à l’examen des critiques avant d’être proposés au jugement des philosophes : aussi ont-elles déjà fourni beaucoup de résultats importans, destinés à éclaircir les origines et à caractériser dans leurs phases principales les révolutions du monde social et religieux.

Depuis l’époque de la renaissance des lettres jusques au milieu du XVIIIe siècle, non seulement la connaissance en quelque sorte exclusive de l’antiquité classique était restée la base de l’érudition ; mais encore elle apparaissait au plus grand nombre comme la condition d’une haute culture de l’intelligence. Il restait à la pensée Européenne un seul point de contact et pour ainsi parler une seule voie de communication avec le mystérieux Orient d’où lui était venue la lumière : c’était la Bible, dépôt des vérités et des promesses de la Révélation, c’était encore l’étude de l’hébreu et des langues de l’Asie Occidentale, étude progressive et féconde qui était appelée par la science chrétienne à rendre hommage à la véracité des Livres saints ainsi qu’à leur interprétation authentique et traditionnelle. Le voile qui dérobait encore la plus grande partie du continent Asiatique aux regards de l’Europe savante ne devait être levé qu’au moment où la lutte des dogmes religieux et des opinions philosophiques eut provoqué dans son sein un mouvement extraordinaire qui entraîna les penseurs dans des recherches plus étendues sur la vie des anciens peuples et sur l’histoire des pays les plus reculés.

Dans le but d’apprécier le degré de civilisation de tous les peuples anciens et modernes, on se mit à comparer non seulement leurs croyances, leurs lois, leurs usages, mais encore les formes littéraires dont ils avaient revêtu leur pensée ; c’est alors que leurs langues diverses furent successivement recueillies, bientôt livrées à une analyse, systématique et classées d’après les données générales de l’ethnographie : interrogées comme les plus sûrs témoins des relations primitives des peuples qui les parlaient, elles sont devenues les meilleurs interprètes de leur civilisation. L’étude du vieux monde Oriental, naguère dédaignée parce que son importance était en partie inconnue, devait occuper une des premières places dans le nouvel héritage que la science Européenne allait joindre à ses richesses et approprier à ses œuvres ; son histoire devait fournir l’introduction nécessaire à l’histoire universelle ; elle s’offrait comme la clef de tant d’énigmes qu’on n’avait pu résoudre jusqu’alors sur l’origine des races et des religions, sur l’invention des arts, sur le premier développement des sciences. C’est sous l’empire d’une telle pensée que de nombreux travaux étaient entrepris sur les monumens déjà connus des nations Asiatiques, et tandis que des voyageurs visitaient dans l’intérêt de la science des régions encore inexplorées, des savans essayaient de reconstruire d’après les sources authentiques les annales du continent qui vit naître le premier homme et qui fut peuplé par les premières familles humaines : la religion et la philosophie, la politique et la législation, les mœurs et les usages, les arts et la poésie, l’histoire et la géographie, tels furent les points principaux sur lesquels s’exerça tour à tour leur profonde sagacité, et que souvent ils s’efforcèrent d’embrasser à la fois dans leurs ardentes investigations. Citer le nom d’Anquetil Duperron[2], c’est rappeler à l’instant la plus haute puissance du dévouement et les plus heureux résultats de la persévérance du génie. Un monde nouveau était découvert : c’était l’Orient qui apparaissait enveloppé dans la majesté des siècles ! En même temps. Messieurs, l’étude, je dirai presque la science de l’Orient était née, comme pour venir en aide dans un moment marqué aux recherches incomplètes de l’histoire ou aux théories hasardées de quelques études spéculatives. C’est cette science dont la génération présente a recueilli les premiers fruits, dont elle travaille elle-même à reculer les limites, dont elle transmettra le vaste domaine à la génération suivante, sans qu’il soit épuisé par cet incessant labeur. La tâche est grande et difficile, puisque tant de fables nous cachent le berceau des premiers peuples, puisque tant d’empires ont disparu sans laisser de traces dans une suite interminable de révolutions, puisqu’il est sans doute des mystères à jamais impénétrables aux regards de l’homme dans les traditions confuses de l’antique Orient : mais d’autre part, ne sommes-nous point attirés vers la connaissance du passé par une merveilleuse clarté que, dans un sentiment mêlé de crainte et d’espérance, nous entrevoyons à travers les ténèbres des âges ? Ne savons-nous pas que sur cette terre qui a été le berceau de l’humanité nous allons retrouver partout les titres primitifs de son histoire, et que nulle part l’action divine n’a laissé plus de traces de sa présence ?

L’Orient a commencé le monde : mais lui-même, il ne fut pas condamné à une longue et douloureuse enfance ; il entendit retentir les premiers enseignemens que la Providence dispensait à l’homme dans ces âges reculés où l’intelligence créée à l’image divine était encore en possession de toute sa force et de toute sa spontanéité. Les traditions primitives y vécurent longtemps au sein des familles patriarcales d’où sortirent les cités, les nations, les empires, et l’on ne peut nier qu’une partie de cette énergie créatrice qui appartenait à l’esprit humain dans les anciens jours ne se soit encore manifestée à des époques plus rapprochées de nous dans les conceptions grandioses des philosophes et des poëtes. Ainsi, dès l’origine du monde, l’Orient avait en partage la sagesse d’un vieillard et, s’il est permis de chercher dans ses livres un symbole de cette maturité précoce de l’intelligence, ne semble-t-il pas personnifié dans Lao-Tseu, ce philosophe que les traditions Chinoises nous représentent né avec les cheveux blancs et dont le nom signifie vieillard-enfant[3] ?

Notre siècle, Messieurs, en se tournant vers l’Orient, n’aborde pas une terre perdue au milieu des océans, où, naguère rebelle aux efforts de l’homme, la nature est aujourd’hui muette, ou bien un sol, comme celui de l’Amérique, sur lequel on foule partout les ruines de civilisations nées tardivement et rapidement évanouies, où des débris de langues et de tribus laissent entrevoir l’existence éphémère de quelques peuples, dont l’origine commune remonte peut-être à des migrations Asiatiques. L’Orient n’est pas une terre où tout est nouveau : l’Orient ! c’est l’ancien monde, le sol primitif, la terre des prodiges, la patrie des miracles ; c’est le théâtre des grands faits historiques qui ont précédé la fondation des sociétés de l’Occident, et peut-être la sagesse providentielle qui l’a fait jadis le point de départ d’une régénération universelle veut-elle de nos jours l’arracher à un sommeil séculaire et l’appeler à remplir un nouveau rôle dans les destinées du monde. Mais que ce regard d’espérance vers l’avenir nous suffise ! Si le moment d’agir est venu pour les puissances Européennes, si des routes nouvelles favorisent les relations extérieures et l’échange des produits étrangers, si plusieurs contrées semblent préparées à l’action du prosélytisme Chrétien, il faut que la science de son côté prépare des voies plus larges encore à l’influence de la politique, de l’industrie et de la religion ; la part qui lui revient dans cette mission, c’est d’étudier l’Orient dans tous les âges de son histoire, de l’étudier dans ses traditions et ses souvenir, dans ses monumens religieux, dans sa poésie toujours pleine de jeunesse et de beauté. Cette étude ne peut d’ailleurs être stérile pour les nations qui l’entreprennent ; elle doit étendre le cercle des connaissances positives et contribuer ainsi aux progrès des sciences historiques et philosophiques.

L’Orient est un élément nécessaire dans l’histoire générale des sociétés ; il manquait aux anciens qui ne pouvaient bien comprendre les questions d’origine ; il a manqué aussi aux vues de Bossuet et à la synthèse de Vico ; il n’a pu être que deviné par le génie puissant de Leibnitz. Sans ce premier terme toutefois, la philosophie de l’histoire, prise dans son sens le plus étendu, resterait incomplète ; et c’est la gloire de Herder et de Frédéric Schlegel d’avoir tenté les premiers, bien qu’avec des vues différentes, la réhabilitation du monde Oriental dans le domaine du savoir historique. C’est en effet un grand spectacle que celui des civilisations diverses qui se sont succédé sur le sol de l’Asie, et qui ont laissé chacune son empreinte sur les monumens littéraires transmis jusqu’à nous ; leur caractère particulier s’y dessine nettement avec la différence des temps et des climats ; mais toutes ensemble sont liées l’une à l’autre par des traits non méconnaissables d’une affinité primordiale. Aussi l’étude philosophique de l’Orient ne peut être entreprise d’une manière plus large et plus féconde que par la connaissance approfondie des sources ; elle repose alors sur une intelligence plus vraie, plus intime de la pensée Orientale. Mais les difficultés des langues différentes, pour la plupart si riches et si compliquées, dans lesquelles les œuvres nationales de chaque peuple sont écrites, en ferment l’accès aux hommes qu’un esprit étendu et philosophique rendrait capables de les apprécier à leur juste valeur et d’en soumettre le contenu à une analyse sévère. Il est donc nécessaire qu’à côté de la science qui découvre et de la science qui déchiffre ou explique les textes, il existe une étude auxiliaire qui généralise les faits acquis et en répande la connaissance sous une forme plus simple et plus familière. C’est l’Histoire générale des Littératures Orientales qui doit servir ainsi d’intermédiaire entre le petit nombre des savans qui travaillent sur les sources encore inédites ou peu connues et les savans plus nombreux qui attendent avec impatience et s’empressent d’appliquer les résultats du labeur des premiers ; cette histoire aura pour but de classer, d’après leur âge et leur importance, toutes les productions dues aux peuples de l’Orient, et de fournir à tout homme lettré une connaissance générale des différentes branches de ce sujet et des travaux qu’elles exigent.

On demandera peut-être si le temps est venu de formuler aujourd’hui une histoire littéraire de l’Orient, avant que l’étude de toutes les langues ait été approfondie, avant que la plupart des textes importans aient été publiés et que les documens de même nature aient été comparés dans leur ensemble aussi bien qu’éclaircis dans leurs détails. Sans aucun doute, il est quelques littératures qui ne sont pas suffisamment connues dans leurs monumens principaux, dont les proportions immenses effrayent jusqu’ici la patience des érudits ou dépassent la munificence des gouvernemens ; il en est d’autres qui présentent encore bien des problèmes à résoudre sous le rapport de l’âge de leurs productions et non moins sous celui de l’interprétation des idées. Mais, si l’on est forcé de laisser plus d’une question sans réponse décisive, n’y a-t-il pas un intérêt de premier ordre à recueillir les données les plus sûres de la science et à grouper autour d’elles les hypothèses les mieux fondées en attendant leur confirmation légitime ? S’abstenir de ce premier travail, ne serait-ce point faire injustement un mystère de précieuses découvertes qui sembleraient devoir rester cachées à qui n’est point initié aux secrets de leur recherche ? Aussi, Messieurs, je crois accomplir une tâche utile en vous présentant, comme en une suite de tableaux qui retracent les scènes diverses d’une même histoire, les destinées si variées de la littérature chez les Orientaux ; je viens de vous avertir des difficultés inséparables d’une semblable étude qui consumera encore plus d’une vie d’homme ; je dois en outre vous rappeler qu’il n’existe point pour le présent d’ouvrage systématique qui embrasse les principales littératures de l’Asie et qu’on n’a fait qu’amasser des matériaux pour une telle entreprise. Ainsi vous ne serez pas surpris des lacunes que plusieurs de ces littératures nous offriront dans le rapprochement des faits et vous comprendrez aisément quelles sont les sources de plus d’un genre d’obscurités dans l’appréciation des choses elles-mêmes. Il m’importe maintenant de vous décrire plus particulièrement la nature du sol que nous avons à parcourir et à explorer : je recherche d’abord à quelle condition il nous sera donné de contempler distinctement toutes les parties du tableau si étendu qui va se dérouler devant nous ; je m’attache à déterminer quelle idée nous allons prendre pour fil conducteur dans un sujet aussi vaste que l’histoire générale des littératures de l’Orient.

Il serait difficile d’appliquer à une telle multitude de peuples et de civilisations une seule et unique mesure, au point de vue de la culture des lettres et des sciences, de les juger par exemple d’après le système politique qu’ils ont particulièrement représenté, et il en serait de même d’une idée littéraire, d’un principe d’esthétique, d’après lesquels on prononcerait sur le développement de l’intelligence et du goût chez un peuple ou dans un groupe de peuples. On voit tout d’abord la nécessité de trouver ici un principe de synthèse qui ramène la connaissance de littératures si diverses à quelques vues générales dans leur portée, faciles et uniformes dans leur application : ce principe, quand il s’agit de l’étude de l’Orient, découle naturellement de la foi religieuse des nations, qui a été la base de leur culture intellectuelle, la règle de leur vie politique. Ce sera donc l’histoire des religions, considérées dans leur formation et leur développement, qui offrira la division la plus naturelle et la plus vraie de toutes les productions du génie Oriental ; si le principe de vie de chaque littérature a été la religion du peuple qui lui a donné naissance, il est incontestable que les rapports de toutes les littératures ne peuvent être bien compris qu’à la condition de remonter au même principe ! « Dans ce qui concerne la haute antiquité et ces temps placés en quelque sorte sur les confins du monde primitif, a dit un philosophe[4], il faut principalement s’attacher à connaître l’esprit et la pensée de chaque peuple, c’est-à-dire, sa religion. » Si la connaissance des religions est indispensable dans l’étude des temps primitif, elle ne l’est pas moins dans l’histoire de tous les monumens de l’antiquité Orientale, puisque c’est le continent Asiatique qui a été dans le cours des siècles le berceau des grands systèmes religieux, et qui a été aussi le premier siège de la religion réparatrice, annoncée plus tard dans l’univers entier.

Comme c’est la première fois que l’on soumet à ce principe de synthèse l’étude historique des littératures Orientales, je crois nécessaire, Messieurs, de vous en exposer avec quelque détail l’usage et l’application ; ce sera en même temps vous communiquer le plan du cours qui, commencé dans le présent semestre, ne pourra en raison de l’abondance des matières être achevé dans l’espace d’une seule année. En prenant pour base le domaine ethnographique des religions, je partagerai toutes les littératures de l’Orient, anciennes ou modernes, en trois grandes classes, en trois groupes principaux : la première classe renfermera les littératures Chrétiennes de l’Asie Occidentale qui ont pour introduction naturelle l’histoire de la littérature Biblique, la seconde classe, les littératures Musulmanes qui ont fleuri au sein de races différentes depuis le VIIe siècle de notre ère ; la troisième classe enfin comprendra les littératures païennes qui se sont développées dans les vastes régions de l’Asie Occidentale sous l’influence d’un polythéisme idolâtrique ou d’un panthéisme idéaliste.

Cette division générale ainsi établie, il me reste à vous communiquer dans une esquisse rapidement tracée la classification des littératures qui trouveront place chacune dans l’un des trois groupes indiqués. La classification des langues est d’une autre nature, et elle sera l’objet d’un tableau particulier.

L’histoire de la littérature Biblique et des littératures Chrétiennes a droit d’être étudiée en premier lieu, puisque non seulement elles ont eu pour théâtre les contrées de l’Asie les plus rapprochées de notre continent, mais encore elles sont l’expression des vérités de notre foi et le témoignage de ses premières conquêtes : la Bible leur sert à toutes de préface, et les livres qui la composent peuvent revendiquer une priorité littéraire autant qu’une supériorité religieuse ; leur antiquité les rendrait les plus vénérables d’entre les livres sacrés des anciens peuples, quand leur caractère d’inspiration divine ne nous imposerait pas un saint respect pour leurs doctrines et n’agrandirait point notre admiration pour la simplicité, la hardiesse et la sublimité de leur style. C’est donc l’histoire de la langue et de la littérature Hébraïques, qui doit nous donner l’initiation à une étude intelligente du monde Oriental, où Terreur vient sans cesse se mêler à la lumière pure de la vérité : les livres de la Bible, portés aussi loin que la prédication de l’Évangile, ont transmis aux nations Chrétiennes de l’Europe et ensuite du Nouveau-Monde non-seulement l’explication, mais encore l’usage de la pensée et de l’expression Orientales ; ils ont rendu familier à l’esprit même du peuple ce qu’elles ont de mystérieux et de vraiment grand ; à cet autre point de vue, l’étude littéraire des Livres saints ne pourrait nous paraître indifférente et rester pour nous complètement étrangère[5]. Après avoir apprécié la valeur esthétique des monumens de l’ancienne Loi, qui contiennent les premières révélations de Dieu aux patriarches et aux prophètes hébreux, nous aurons à jeter un coup d’œil sur deux contrées voisines de la Judée, la Samarie, occupée par un peuple observateur de la loi de Moïse qu’il possédait dans un dialecte particulier, et la Phénicie où une nation de race Chananéenne, puissante par son commerce et ses colonies lointaines, mais enchaînée aux superstitions de l’idolâtrie, a vécu dans un perpétuel antagonisme avec les adorateurs du vrai Dieu ; puis, nous serons témoins, en descendant le cours des siècles, des destinées fatales de cette postérité du peuple élu, qui a conservé dans la Synagogue les traditions religieuses d’Israël, mais bientôt obscurcies et défigurées par les inventions subtiles de ses docteurs. Ce sera le lieu de présenter un tableau historique des grands ouvrages qui font jusqu’aujourd’hui autorité pour les Juifs dispersés dans le monde entier, les commentaires Chaldaïques de la Bible appelés Thargums et les livres principaux appartenant au corps immense du Thalmud ; dans l’étude des œuvres Rabbiniques il faudra aussi comprendre toutes les productions profanes des écoles juives du moyen âge et des temps modernes, la philosophie et ses commentaires, ainsi que les diverses branches des compositions poétiques. Cette excursion une fois faite dans le domaine d’une littérature qui est la négation du dogme Chrétien et comme un défi obstiné porté à la civilisation Chrétienne, nous reviendrons en Asie, autour du berceau du Christianisme, sous l’action duquel nous verrons plusieurs littératures se former successivement. La première qui s’offre à nos recherches, c’est la littérature Syrienne qui a eu pour organe le dialecte Araméen parlé dans la contrée du Liban et appelé spécialement Syriaque : elle a fleuri depuis le IVe siècle jusqu’au temps des Croisades, toujours imprégnée d’un esprit Chrétien et soumise à une tendance parement théologique comme la plupart des littératures dont je vais bientôt parler ; elle a survécu à la mine de l’Église patriarcale d’Antioche au milieu des populations Maronites et aussi dans les ouvrages liturgiques des Nestoriens de la Chaldée. La littérature Copte a pris naissance parmi les Chrétiens d’Égypte qui vécurent d’abord rassemblés en grand nombre dans les solitudes de la Thébaïde ; elle a pris pour instrument l’ancienne langue des habitans, enrichie et assouplie par le contact des Grecs, et elle a été cultivée avec succès dans toute la juridiction du patriarcat d’Alexandrie jusque sous le gouvernement des dynasties Arabes : au Sud de l’Égypte, dans les pays compris sous le nom général et ancien d’Éthiopie, s’est formée aussi une littérature Chrétienne après les prédications de S. Frumence ; elle a subsisté longtemps au sein des royaumes Chrétiens qui se sont succédé sur le sol de l’Abyssinie. Si nous remontons vers le Nord, nous trouvons la littérature théologique et historique de l’Arménie qui a été fondée avec son Église au IVe siècle par S. Grégoire l’Illuminateur et dont chaque période a été marquée par un nombre extraordinaire de productions originales ; elle est encore cultivée ou, pour mieux dire, elle est continuée dans un esprit national par les Arméniens répandus aujourd’hui sur différens points de l’Asie et de l’Europe. La Géorgie, où l’œuvre de la conversion marcha plus lentement, a possédé au moyen âge une littérature dont le développement a été analogue et parallèle à celui de la littérature du peuple Arménien. Telles sont les contrées qui ont dû leur culture littéraire à l’influence directe et incessante du Christianisme, avant que le morcellement des états, les intrigues de l’ambition et surtout l’esprit de schisme aient assuré le triomphe presque universel des puissances Musulmanes dans l’Asie antérieure comme à l’Ouest et au Nord de l’Afrique.

La seconde classe des littératures Orientales nous est fournie exclusivement par les nations Musulmanes répandues sur une immense étendue de pays depuis l’Inde et ses dépendances méridionales jusqu’au Maroc et jusqu’à l’Espagne, leurs frontières historiques à l’Occident : ces littératures appartiennent à différens âges et à des peuples d’origine diverse ; mais elles présentent une sorte d’unité, puisqu’elles ont toutes pour principal fondement la loi religieuse de l’Islamisme. La première dans l’ordre des temps est la littérature Arabe, dont la langue si riche et si sonore était celle de la péninsule peuplée par les Enfans d’Ismaël ; elle a été consacrée à la propagation et à la défense de la religion de Mohammed par le Coran, qui est resté son chef-d’œuvre et son modèle perpétuel ; elle a été cultivée avec zèle aussi bien à Cordoue que dans Bagdad et a servi à tous les besoins de la science dans les contrées les plus éloignées où les conquérans Arabes établirent leur domination. Elle ne consiste pas seulement en productions poétiques et oratoires, mais encore en travaux sérieux de théologie et de jurisprudence Musulmanes, de philosophie et de dialectique, d’histoire et de géographie, de grammaire et de critique : en un mot, elle peut être appelée la littérature savante de l’Orient infidèle. Trois siècles après Mohammed, la Perse qui avait été subjuguée par les armes des Khalifes subit complètement l’influence de la religion du Prophète et, dans sa langue harmonieuse qui se mêla et s’enrichit de plus en plus de formes arabes, elle donna le jour à une littérature nouvelle, dans laquelle a été produite jusque dans les derniers temps une masse innombrable d’ouvrages : c’est surtout dans les genres les plus variés de la poésie que le génie Persan s’est joué avec une grâce exquise et une fécondité infinie. La littérature Persane à son tour a concouru avec la littérature Arabe à la formation d’une troisième littérature Musulmane, celle des Turks ou Osmanlis, qui cultivèrent les lettres et les sciences après l’époque de leurs invasions dans toute l’Asie occidentale ; de même que leur langue de souche Tartare a adopté un nombre considérable de mots arabes et persans, leur littérature est née en grande partie de la traduction ou de l’imitation des œuvres qui étaient le patrimoine de ses deux sœurs aînées. Un seul groupe des nations Turques a conservé son dialecte original encore pur en acceptant les dogmes et la civilisation de l’Islamisme : c’est celui des peuples Ouïgours et Tchakatéens dont la langue, caractérisée par le seul nom de Turk oriental, a été également cultivée par des écrivains Musulmans. Il importe de comprendre dans le même cadre les trois littératures Arabe, Persane et Turque, puisqu’elles se sont développées sous l’influence du même principe et aussi puisqu’elles sont étroitement liées l’une à l’autre par les procédés de l’imitation ; elles demandent à être étudiées parallèlement pour qu’on puisse reconnaître ce qu’il y a d’original ou d’emprunté dans chacune d’elles, et en même temps faire de leur connaissance approfondie la base d’un jugement critique sur l’état moral et religieux des races Musulmanes et sur le degré de culture intellectuelle qu’elles ont pu atteindre dans la durée de leur histoire.

Une troisième classe de peuples et de religions servira à constituer dans notre plan le groupe des littératures Païennes, polythéistes ou panthéistiques, qui appartiennent presque toutes à l’Asie centrale et orientale : nous chercherions en vain un développement littéraire proprement dit, qui se serait formé et perpétué sous l’inspiration d’un culte idolâtrique de la nature ou des Génies, tel que fut le Chamanisme des nations les plus anciennes de la Sibérie et de la Tartarie[6] ; la plupart des littératures qui ont joui de longues et glorieuses destinées se sont produites au sein d’un vaste système de polythéisme naturaliste qui s’est étendu, en manifestant toutefois des tendances diverses, de l’Égypte à la Perse et à l’Inde ancienne. À l’appréciation générale de ce qu’a été la littérature sacrée de l’Égypte, que nous révèle peu à peu la langue à peine déchiffrée des Hiéroglyphes, succédera un aperçu des systèmes d’écriture de la Babylonie et de l’Assyrie, qui retraçaient en caractères cunéiformes les mots de langues aujourd’hui perdues : nous pouvons attacher un intérêt littéraire à cette branche d’étude en présence des succès déjà obtenus dans la lecture des papyrus Égyptiens et dans l’interprétation des inscriptions de Persépolis ; nous pouvons croire que les formules hiératiques qui recouvrent sans doute les briques et les cylindres de Babylone ne resteront plus longtemps inconnues[7]. Les productions religieuses de la Perse ancienne nous seront représentées par le recueil des livres de Zoroastre, le Zend-Avestâ, transmis dans deux idiomes précieux par leur antiquité, le Zend et le Pehlvi ; ici comme dans les ouvrages Indiens, nous rencontrons des souvenirs de la vie primitive des peuples Ariens dans une patrie commune au centre de l’Asie, la contrée vénérable célébrée sous le nom d’Iran[8]. Mais, tandis que l’adoration du Feu domine dans le Magisme Perean, la mythologie Brahmanique est plutôt fondée sur un puissant syncrétisme de toutes les manifestations de la pensée religieuse, entraînée à l’idolâtrie par les erreurs du naturalisme antique : aussi l’Inde nous présente dans sa littérature le travail prodigieux de l’imagination s’exerçant sur des conceptions souvent bizarres, toujours grandes et originales. Le Sanscrit est l’instrument parfait (comme le dit son nom) de l’esprit Indien dans les monumens immenses que celui-ci n’a pas cessé de produire d’âge en âge ; il est resté la langue sacrée du Brahmanisme quand déjà les autres idiomes de l’Inde commençaient à être l’objet d’une culture littéraire : c’est en Sanscrit que sont rédigées tant d’œuvres poétiques aujourd’hui offertes à nos études, épopées, drames, légendes, poëmes et traités philosophiques[9] ; les autres langues Indiennes, même celles qui ne sont point de souche Sanscrite, n’ont fait le plus souvent que reproduire ce qui avait été composé originairement dans la langue antique et privilégiée des castes supérieures ; semblables aux lianes et aux plantes parasites des forêts de l’Indoustan, elles se sont attachées au tronc de la littérature Sanscrite et elles en ont tiré leur nourriture et leur vie.

Si de l’Inde nous avançons encore vers l’Orient, nous sommes en présence d’une grande diversité de nations et de langues du milieu desquelles est sortie en quelque manière une seule littérature, qu’on peut appeler du nom collectif de Littérature Bouddhique[10] ; en effet chacune de ces nations n’a joui de son plus haut développement intellectuel que sous l’influence prédominante de la religion de Bouddha et leurs littératures ont dû à cette communauté d’idées et de mœurs un style uniforme et une ressemblance parfaite ; elles sont toutes l’expression fidèle du mysticisme quiétiste qui est au fond des doctrines panthéistiques rattachées au nom de Bouddha. Comme la philosophie idéaliste du Réformateur est sortie de l’Inde, les littératures particulières des peuples placés au-delà du Gange ou de l’Himalaya reproduisent des conceptions Indiennes rarement modifiées ou altérées ; elles ne possèdent en réalité les livres de Bouddha « qu’à titre de traductions faites sur le Sanscrit[11]. »

Le Bouddhisme, en se répandant à l’Est de l’Inde, à Ceylan et dans une grande partie de la presqu’île Transgangétique, donna naissance à plusieurs littératures qui eurent pour organe commun le Pâli, langue d’origine Indienne, qui devint ainsi langue sacrée dans les états d’Ava, d’Arrakhan, de Pégu, de Siam, de Laos ; c’est aussi le Bouddhisme qui fait le fond des productions littéraires composées dans les langues Indo-Chinoises, soit de l’empire Birman, soit des royaumes de Pégu, de Siam et d’Annam. Pour bien juger l’ascendant qu’a pris au dehors la religion nouvelle, importée avec ses livres, il ne faut pas oublier quel était l’état des pays Transgangétiques avant la propagation successive du Bouddhisme Indien, qu’on n’y connaissait que le culte grossier des élémens accompagné de superstitions, que leurs populations étaient encore plongées dans l’ignorance et réduites à une vie nomade. Expulsée de l’Inde par la force, la Réforme Bouddhique fut d’abord implantée au Nord dans le Tibet dont la langue, dès lors plus cultivée, servit à reproduire les livres doctrinaux de la secte et devint dans la suite des temps la langue sacrée de la religion des Lamas et de son sacerdoce hiérarchique : l’étude des collections Bouddhiques ne permet plus de douter « que les Hindous n’aient été les instituteurs des Tibétains, comme des peuples Tartares[12], en civilisation, en morale et en littérature. » Les peuples encore sauvages du Nord-Est de l’Asie se sont en effet soumis au même joug de la métaphysique Indienne : ce sont les mêmes livres qui ont été traduits dans la langue des Mongols, et plus tard dans celle des Mandschous, soit sur les originaux sanscrits, soit sur les versions authentiques en tibétain. Les idiomes de la Tartarie étaient incultes avant l’adoption et l’imitation d’une littérature déjà formée ; les peuples n’étaient point sortis encore d’une vie dure et sauvage ; et rien ne peut justifier l’hypothèse d’une haute civilisation du monde primitif qui aurait eu son siège dans la haute Asie, dans les régions désignées par le nom général de Tartarie[13]. Un spectacle différent nous est offert par la Chine : dans une antiquité reculée nous y voyons dominer la religion du Tao ou de la raison primitive, transformée en philosophie par Lao-Tseu six siècles environ avant l’ère Chrétienne. D’autre part, le culte des ancêtres, l’idolâtrie de la coutume, l’ascendant d’une morale pratique et traditionnelle y avaient servi d’aliment à une suite d’œuvres littéraires, dont le caractère officiel et sérieux contraste avec le ton enjoué et frivole de la littérature Chinoise aux époques d’une civilisation plus raffinée. L’étude de la Chine ancienne devra donc nous arrêter quelque temps, si nous voulons bien connaître les productions qui datent des siècles de son indépendance politique et religieuse. Quand la religion de Fo (c’est le nom mutilé de Bouddha) vint détrôner en Chine la religion nationale, il s’opéra une révolution complète dans la littérature qui prit un plus grand développement entre les mains des Bouddhistes qu’entre celles des Tao-sse ; c’est cette littérature, mêlée d’ailleurs d’élémens profanes, qui se propagea, grâce à la prépondérance du Céleste Empire, dans les contrées qui l’entourent, à la Corée et au Japon : les découvertes, dues à la première civilisation de la Chine, se fondirent dans sa civilisation nouvelle qui devait absorber tour à tour ses farouches vainqueurs et s’étendre aux îles des mers voisines. Sans nous occuper des conjectures sur la transmission probable du Bouddhisme jusqu’en Amérique, où l’auraient porté des colonies Asiatiques, il nous est déjà permis de constater quelle a été l’extension géographique de cette idolâtrie contemplative qui compte depuis deux mille ans des millions de sectateurs[14], et nous apercevons aussitôt quelle doit être la volumineuse richesse de la littérature Bouddhique, dont tant de langues n’ont fait que répéter les idées fondamentales ou les paraphraser avec peu de variété dans leur interprétation : c’est au point de vue de l’influence des doctrines autant que de la persistance originale des formes que nous pourrons trouver plus d’un genre d’attrait à passer en revue les monumens littéraires de Ceylan, de l’Inde Transgangétique, du Tibet, de la Mongolie et de la Mandschourie, de la Chine, des pays Coréens et Japonais. En sachant l’intérêt philosophique qui entraîne à l’étude complète du Bouddhisme un grand nombre d’esprits éminens et les travaux consciencieux qui sont entrepris dans cette vue sur les sources indigènes[15], on peut en attendre de grandes découvertes qui contribueront à éclaircir l’histoire religieuse de l’antiquité Orientale et à déterminer la marche, les progrès, les vicissitudes de la vie littéraire dans la partie la plus considérable et la plus peuplée de l’Asie.

Après avoir ainsi suivi dans l’histoire des lettres les destinées diverses du Brahmanisme et du Bouddhisme, nous n’avons plus qu’à jeter un regard sur la civilisation et la littérature des peuples Malays qui sont compris dans les grandes divisions du monde Océanien, mais chez lesquels l’influence Asiatique s’est fait sentir à diverses époques : ce sont surtout les peuples de l’archipel Indien qui ont subi cette influence dans le double domaine de la religion et du langage[16] ; les doctrines Brahmaniques et Bouddhiques ont régné tour à tour à Sumatra, à Java et dans les îles adjacentes, avant que la conquête Musulmane ait dans des temps assez modernes substitué à la culture Indienne les idées et les formes de la littérature Arabe.

En dehors des limites tracées par la nature même des faits à l’extension des littératures Orientales, nous ne trouvons plus sur notre route que de pures hypothèses concernant leur transmission ou leur influence passagère dans des pays éloignés ; nous n’avons pas à nous enquérir de questions isolées qui entrent dans les recherches spéciales de la numismatique ou de l’archéologie et qui ne peuvent intervenir qu’à titre d’auxiliaires dans l’histoire détaillée des lettres à une époque donnée.

Telle est, Messieurs, la division générale que je me propose de suivre dans l’étude des littératures de l’Orient ; elle vous fait connaître leur patrie, où nous devons chercher leur formation et leur premier développement ; elle repose, comme vous avez pu l’observer, sur ce qu’il y a de plus intime, sur ce qu’il y a d’essentiel dans la vie des nations Asiatiques, la nature des idées religieuses ; elle est favorable aussi à l’appréciation du beau, tel que les grands peuples de l’Asie l’ont conçu, tel qu’ils l’ont exprimé dans leurs œuvres presque toutes poétiques par leur forme, puisque l’inspiration religieuse n’a pas cessé d’être parmi eux l’âme de la poésie et des beaux-arts. La pensée Orientale est toujours grande, parce qu’elle rapporte les choses du monde à la conception idéale d’une beauté et d’une perfection surnaturelles : aussi son expression est-elle empreinte d’une imposante élévation et renferme-t-elle toute la richesse d’imagination qui puisse être réalisée dans les œuvres d’art. Quand la poésie, s’appliquant aux problèmes les plus sérieux de l’existence, est en Orient la raison chantée, elle emprunte encore au langage ses formes les plus variées et ses couleurs les plus brillantes ; elle s’adresse à la fois à toutes les facultés de l’intelligence ; si elle est trop souvent employée à donner un corps à des abstractions subtiles ou à de riantes illusions, son étude n’est point cependant sans attraits ou sans intérêt, et il semble que la connaissance même de ses défauts ne soit point chose inutile à l’éducation littéraire de l’esprit Européen. Certes, on aurait tort de vanter sans distinction les chefs-d’œuvre du style Oriental, de les prendre sans discernement pour des modèles du bon goût ou d’y chercher les règles d’une poétique universelle ; il serait également injuste de les rejeter comme ne satisfaisant pas aux exigences de la critique moderne, qui s’est formée à l’école des anciens, mais qui, en acceptant leurs exemples, ne peut sacrifier sa liberté d’examen et son indépendance littéraire. Il est donc nécessaire, Messieurs, pour rester dans le vrai, de juger les productions Orientales sans prévention et surtout sans admiration exagérée en tenant compte sans cesse de l’âge et des lieux, d’apprécier leur valeur individuelle par le rapprochement d’œuvres semblables choisies dans des littératures mieux connues : c’est l’unique moyen d’assigner à ces productions une importance légitime dans la culture générale des lettres, comme on la conçoit aujourd’hui sans exception de temps et de nationalité, et de conserver à leur étude l’utilité incontestable qu’elle présente au point de vue historique.


DE L’ÉTUDE ET DE LA CLASSIFICATION
DES LANGUES DE L’ORIENT DANS LEUR RAPPORT
AVEC L’HISTOIRE LITTÉRAIRE[17]




Messieurs,

Je vous ai faits juges des raisons qui m’ont porté à chercher dans la vie des nations et en dehors de l’affinité des langues le principe d’une division synthétique des littératures Orientales ; si je n’ai point classé les littératures d’après les langues qui en ont été les organes, j’ai voulu éviter les difficultés que présentent à l’historien les destinées de tant de langues qui se transforment et s’altèrent dans le cours des siècles, en même temps que leur culture littéraire est soumise à des influences d’une nature opposée ; c’est à dessein que j’ai renoncé à renfermer dans les limites géographiques d’un idiome ancien et longtemps cultivé l’histoire d’un développement littéraire qui a pu s’étendre à un grand nombre de contrées. Chaque littérature a ses frontières naturelles, qui lui sont tracées par l’empire des idées qu’elle représente et qu’elle propage : assujétir son étude aux exigences de sciences particulières, telles que la linguistique et l’ethnographie, ce serait sacrifier en quelque sorte l’intelligence à la matière, les idées à des noms propres de personnes et de lieux.

Cependant, une connaissance précise de la nature et des rapports des langues Orientales est un élément essentiel qui doit entrer dans l’histoire des littératures ; aussi sans empiéter sur un autre domaine, le domaine indépendant de la grammaire et de la linguistique, je trouve la matière d’une introduction utile à ces leçons dans quelques aperçus généraux sur les langues elles-mêmes ; c’est dans cette vue que je vais examiner tour à tour les questions suivantes : ce qu’il faut entendre par langues Orientales, à quels points de vue différens on peut envisager l’étude des langues Orientales ; par quelles méthodes on a recherché dans les temps modernes leur affinité ou leur filiation. C’est seulement, après avoir exposé les procédés de la philologie comparée dans son application aux langues de l’Orient, que je pourrai présenter une classification de ces langues qui repose sur des bases scientifiques ; en mettant ainsi en œuvre les résultats d’une science qui, s’agrandissant tous les jours, a besoin d’être cultivée à part, je me crois obligé à faire mention des sources les plus importantes auxquelles pourraient puiser ceux à qui les études spéciales de linguistique offriraient de plus puissans attraits[18].


Le nom de langues Orientales est susceptible d’interprétations diverses, en raison même du sens étendu que présente le mot Orient ; sa signification a en effet varié dans le langage du monde savant, et il ne sera pas inutile de dire sa première acception avant de déterminer quelle idée nous devons y attacher. On n’a entendu longtemps par langues Orientales que les langues de la seule famille Sémitique, parlées surtout dans les contrées occidentales de l’Asie ; le nom ainsi compris est resté en usage jusqu’à la fin du siècle dernier, tant que l’hébreu et les idiomes auxiliaires de la même souche ont été l’objet exclusif d’une culture sérieuse et systématique dans les écoles et les académies de l’Europe[19]. Aujourd’hui la signification des mots langues Orientales ne peut être aussi restreinte, puisque les langues des autres familles de peuples Asiatiques ont réclamé à leur tour une place dans l’enseignement ou dans les travaux de la science. En présence de la carrière bien plus vaste qui est ouverte à nos recherches, les mêmes mots nous révèlent à l’instant une idée plus grande aussi : ils désignent l’ensemble des langues parlées et cultivées dans toute l’étendue de l’Asie, ainsi que dans une partie de l’Afrique et de l’Océanie où leurs rejetons se sont propagés, en un mot toutes les langues qui appartiennent au groupe immense des pays situés à l’Est de l’Europe et tour à tour éclairés par les formes multiples de la civilisation Asiatique. Telle est la portée nouvelle de la dénomination anciennement usitée de langues Orientales ; elle s’applique aux langues originales du vaste continent d’où plusieurs idiomes, à la suite des révolutions intérieures et de la migration des plus grands peuples, se sont répandus avec eux sur d’autres terres et ont porté dans d’autres climats l’influence de leurs mœurs et de leur pensée. Il y a un intérêt naturel à suivre les langues d’origine Asiatique dans leurs conquêtes lointaines sur le continent de l’Afrique, dans l’archipel Malay ou dans la Polynésie ; cependant, pour mieux rapporter cette étude à son but littéraire, il importe de lui assigner certaines limites : ainsi l’Éthiopien, le Copte, l’Arabe des états barbaresques seront compris dans le tableau des langues Orientales par des raisons historiques d’affinité, et il en sera de même des langues Malayes fortement imprégnées d’élémens Indiens ; mais il n’entrera pas dans notre plan de classer à la suite des langues de l’Orient les langues de l’intérieur de l’Afrique, langues informes et pauvres la plupart, parlées par des peuplades sauvages, ou bien les langues de l’Amérique, mélangées et multipliées à l’infini, comme les tribus qui en ont gardé quelques débris. Je ne fais qu’indiquer en passant des études spéciales qui supposent la connaissance des langues Asiatiques comme un critérium infaillible dans le jugement des questions d’origine et de parenté : les recherches déjà entreprises sur les langues Africaines, Polynésiennes et Américaines, ont fourni d’assez abondans matériaux pour constituer dès à présent un genre d’étude bien distinct, et qui promet de grands résultats à la philosophie comme à l’histoire, si la philologie y apporte les procédés d’une synthèse intelligente[20].

L’étude des langues Orientales offre une grande variété d’application, surtout si on les prend chacune en particulier et dans un but spécial ; considérée dans ce qu’elle a de plus général, elle peut être ramenée à une triple destination : leur étude peut être grammaticale, littéraire, comparative d’après le point de vue qui dirige les recherches individuelles.

Le premier genre d’étude, la grammaire, fournit la connaissance même d’une ou de plusieurs langues, connaissance élémentaire et pratique quand elle n’est envisagée que comme préparation à d’autres études, connaissance approfondie et théorique, quand il s’agit de recueillir les élémens et de formuler les lois essentielles d’une langue donnée. Des recherches sur l’alphabet d’une langue Asiatique et sur son système d’écriture, recherches dont l’ensemble constituerait la Paléographie Orientale, et celles qui ont pour objet la formation des formes du langage, les propriétés et les ressources de la phraséologie, concourent à ce double but, qui fait de la science grammaticale l’auxiliaire de la plupart des travaux scientifiques.

Une deuxième étude, celle que j’appellerais l’étude littéraire des langues Orientales, présuppose la première ; elle se produit sous des formes diverses, interprétation des textes, critique littéraire, histoire littéraire, et si elle acquiert ainsi sous plusieurs rapports une importance légitime, elle n’atteint pas un but moins utile et moins élevé en mettant l’intelligence en possession de jouissances nouvelles, en donnant à l’esthétique la matière de nouveaux jugemens et de nouvelles règles.

L’étude de la grammaire et des lettres a tiré de nos jours des secours nombreux et puissans d’une troisième étude qui peut être désignée par le nom d’étude comparative des langues Orientales, mais qui a reçu plusieurs noms dans les diverses écoles : synglosse, grammaire comparée, linguistique, ou philologie comparative. Cette étude qui, envisagée dans sa direction et ses tendances nouvelles, a déjà mérité le titre de science eu égard à la rigueur et à l’enchaînement de ses principes, a pour but de constater l’affinité des langues et de déterminer quel est ou quel a été le domaine des langues de chaque famille ; elle est intimement liée à l’Ethnographie générale parce qu’elle fournit à cette branche des sciences historiques les moyens de reconnaître l’origine des peuples dont l’histoire positive est à jamais perdue. La grammaire comparée est une étude toute moderne ; elle est parvenue après des essais infructueux à des conclusions d’une haute importance dont la plupart sont considérées avec raison comme des vérités acquises à la science ; énumérer les résultats généraux obtenus par la linguistique reviendrait à une histoire de sa marche et de ses travaux : matière trop vaste et trop étrangère à mon sujet, pour que je puisse lui donner place ici, malgré l’intérêt et l’instruction qui s’y attachent[21]. Il me suffit de signaler à quel point la synglosse a contribué à résoudre tant de problèmes dans l’histoire et les antiquités de l’Orient en jetant un jour nouveau sur le placement primitif des races Asiatiques, sur leurs mutations et leurs guerres, sur le passage de leurs migrations soit en Europe, soit sur le sol d’autres continens. La philologie comparative qui a emprunté à l’étude systématique des langues Orientales ces données précieuses, mais inespérées qui manquaient encore à l’histoire, est aussi la science qui doit nous servir de guide dans la classification de ces mêmes langues : avant de vous en présenter le tableau, je suis dans l’obligation de vous faire connaître les procédés de la linguistique moderne dans l’étude comparative de toutes les langues que nous comprenons à l’avenir sous le nom d’Orientales.


Depuis le XVIe siècle qui s’est déjà préoccupé de l’affinité universelle des langues, trois méthodes principales ont été appliquées par les modernes soit à la découverte de leur affinité, soit à la recherche de leur filiation ; les idiomes de l’Orient, en raison même de leur caractère d’antiquité, ont joué dès le principe un grand rôle dans les rapprochemens téméraires ou forcés, le plus souvent infructueux, qui furent tentés dans l’enfance de cette branche d’étude, avec une persévérance qui honore leurs auteurs ; l’abus que l’on a fait à diverses reprises de l’une ou de l’autre des langues Asiatiques, afin de rendre raison de toutes les autres, nous surprendra moins, si nous tenons compte de la marche longtemps incertaine des linguistes, qui se réduisaient volontairement à l’emploi exclusif d’un seul système d’investigation. Après avoir apprécié la portée des deux méthodes d’abord employées, l’une généalogique, l’autre, physiologique, nous verrons comment une troisième, la méthode ethnographique a fait justice des conjectures et des erreurs accumulées laborieusement par l’emploi des deux premières.

La plus ancienne des méthodes usitées dans l’étude comparative des langues, c’est la méthode généalogique, ainsi nommée, parce qu’elle reposait sur l’idée préconçue de faire remonter toutes les langues à une souche unique ; elle a conduit à rattacher de proche en proche tous les idiomes écrits et parlés à une seule langue, prise pour la mère de toutes les autres, et cependant choisie arbitrairement. Dans les applications diverses de cette méthode que l’on a faites et répétées mainte fois avec une égale confiance, la prétendue harmonie des langues n’était basée que sur des rapprochemens faux, hasardés, en réalité inadmissibles : la ressemblance syllabique de quelques mots suffisait pour qu’une langue fût déclarée, avec la majorité des autres, appartenir à la même descendance d’une langue réputée primitive sans égard ni à l’ensemble des racines ni aux formes grammaticales. Mais le sort en était jeté ; tout devait découler d’une seule et même source, et l’on fondait la science du langage universel sur la nature de la langue privilégiée, décorée du nom de primitive, sans qu’elle réunît les caractères constitutifs de cet idiome unique des premiers jours du monde, idiome mystérieux, qui était le signe de l’empire de l’homme sur la nature, mais qui est à jamais perdu pour la postérité d’Adam et que des hypothèses philosophiques sont impuissantes à reconstruire. Un penseur, Court de Gébelin, a indiqué une vérité incontestable, et toutefois indémontrable par des faits, quand il a dit que « toutes les langues ne sont que des dialectes d’une seule » : mais qu’une langue primitive ait réellement existé, comme la logique, d’accord avec la tradition, nous porte à le croire ; ses mots, ses formes, son génie, nous ont à jamais échappé, et combien sera toujours vain le travail de ceux qui prétendront encore refaire des élémens les plus simples d’idiomes vraiment anciens une langue simple, antique, rudimentaire, vrai prototype des autres !

Tout le monde sait que l’hébreu a été longtemps choisi exclusivement comme langue mère universelle, et qu’en vue de lui assurer une telle prérogative, aucun effort n’a été épargné pour y rapporter violemment toutes les langues de la terre. L’erreur est aujourd’hui bien constatée et généralement reconnue ; elle n’est plus renouvelée que par quelques esprits qui s’obstinent à poursuivre les hypothèses favorites de leur pédantisme, par exemple en Angleterre où des adeptes de l’église officielle mettent tout leur savoir biblique et classique au service d’une opinion repoussée par les plus éclairés des hébraïsans juifs et chrétiens[22]. Qu’on ne croie point toutefois que l’abandon de cette opinion porte quelque préjudice au respect légitime que commande le caractère antique et inspiré de la langue sainte : l’autorité du texte original de la Bible n’en reste pas moins grande, et la voix des prophètes moins solennelle. La prétention de faire de l’Hébreu la langue primitive n’est pas entrée dans l’esprit des écrivains sacrés ; on peut donc sans crainte lui refuser un titre que l’Écriture elle-même n’a point revendiqué pour lui.

Un sort analogue était réservé aux systèmes également faux qui faisaient dériver toutes les langues, soit du Grec, soit du Latin ; et que méritaient, sinon une vogue éphémère, les hypothèses plus extraordinaires encore, qui ont salué tour à tour la langue primitive dans le Celtique, dans le Basque, dans le Flamand et même dans le Chinois[23] ? C’en est assez, pour établir que la méthode généalogique n’a pu saisir que des analogies partielles, et qu’elle n’a produit en réalité que des résultats exclusifs et souvent opposés ; si elle est restée dominante jusqu’aux dernières années du XVIIIe siècle, on peut dire qu’elle n’a plus de valeur aujourd’hui et qu’elle est rejetée par la majorité des linguistes contemporains.

La méthode physiologique dont je ferai mention en second lieu n’a pas produit de meilleurs fruits, faute d’une marche uniforme et systématique ; elle a consisté à établir l’affinité des langues d’après des traits extérieurs de ressemblance, à supposer des rapports de parenté entre certaines langues ou certains groupes de langues en raison de l’identité de quelques mots ou de l’analogie de quelques constructions. Sans être aussi exclusive que la précédente, cette méthode a manqué de principes fixes et sûrs pour parvenir à une classification historique des langues en groupes et en familles. Elle n’a pu fournir que des distinctions vagues et stériles[24], ou bien des rapprochemens isolés et sans portée ; aussi n’est-elle point venue au secours de la philologie Orientale dès qu’il s’est agi d’expliquer l’affinité originelle de plusieurs idiomes en usage dans des pays fort éloignés l’un de l’autre, et l’on a reconnu l’insuffisance d’une méthode qui n’avait le plus souvent qu’entassé des analogies illusoires[25].

Il est une troisième méthode qui a paru satisfaire jusqu’ici à toutes les exigences d’une comparaison systématique des langues, telle que la concevait et la souhaitait Leibnitz, entrevoyant, il y a deux siècles, la portée des rapprochemens et des jugemens de la linguistique. C’est la méthode qu’on peut nommer ethnographique, parce qu’elle met l’histoire des langues en rapport avec celle des nations. Elle prend en effet pour point de départ la parenté historique d’un groupe de peuples, et soumet ensuite leurs langues à un examen raisonné qui constate la nature et détermine le degré de leur affinité réciproque ; quand le tableau des racines lui a fourni un premier terme de comparaison, elle rapproche les diverses parties du discours, et prononce sur l’analogie ou la diversité des flexions grammaticales dans les langues de même origine. C’est à l’aide d’une telle méthode que l’on a pu, en abandonnant l’espoir de retrouver une langue primitive, distribuer en quelques groupes la plupart des langues Orientales et travailler ensuite à établir des principes d’affinité entre les familles d’un même groupe. Presque toujours on voit une langue se subdiviser elle-même dans la suite des temps en plusieurs dialectes, et se partager aussi en langues dérivées ; mais plusieurs langues, prises dans leur état d’affinité originelle, forment ensemble une famille, et si plusieurs familles possèdent les mêmes caractères, il en résulte un groupe de familles qui comprend les langues presque identiques d’un nombre immense de peuples.

C’est ainsi que l’on parvient à décrire le règne ethnographique des langues : dans chaque groupe principal se dessinent plusieurs familles caractérisées par des qualités qui leur sont particulières, mais conservant en propriété commune un même organisme, et, pour ainsi parler, les mêmes habitudes grammaticales ; dans chaque famille les langues les plus anciennes se sont développées en liberté et se sont fixées régulièrement, sans perdre les traits d’une consanguinité primitive ; enfin c’est au sein de chaque langue en particulier qu’il se forme un nombre plus ou moins grand de dialectes ou bien de langues dérivées qui remplacent bientôt dans l’usage des peuples leur souche commune. D’après ce mode de classification qui est fourni par l’investigation analytique des langues, on ne peut plus prétendre donner dans chaque groupe l’une ou l’autre langue comme la mère des autres : la langue qui réunit à une haute antiquité le développement complet de ses formes et des caractères marqués de perfection grammaticale peut être prise comme un des termes nécessaires de comparaison dans les opérations de la synglosse ; mais elle n’est pas avec les langues les plus anciennes du même groupe dans un autre rapport que dans celui de sœur, et toutes ensemble sont des langues affiliées, remontant à un idiome perdu dont toutes les familles ont conservé les lois principales dans leur originalité individuelle ; c’est ainsi que la langue Sanscrite n’est pas langue mère en dehors de la famille indienne, mais seulement langue sœur des langues les plus anciennes de chaque famille dans le groupe des idiomes congénères de l’Europe et de l’Inde.

Il est évident que, grâce à une analyse plus rigoureuse de l’organisme des langues, à un examen de la partie essentielle de leur vocabulaire et de la nature de leurs flexions, leurs affinités réelles peuvent être solidement établies et l’on voit en même temps que leur prodigieuse diversité s’efface peu à peu par la formation successive de groupes qui embrassent de nombreuses familles de langues et de peuples. C’est ainsi que, tandis que la connaissance générale des langues est simplifiée, l’histoire des nations primitives tend à être de plus en plus éclaircie. Tout fait présager que la même unité, qui est rétablie d’une manière irréfragable entre les langues d’une multitude de peuples éloignés, sera reconnue plus tard comme existant également entre les grandes familles qui, dans l’état actuel de la philologie, semblent encore complètement séparées l’une de l’autre[26] : ce sera à de nouveaux progrès de la science que l’on devra la démonstration non moins exacte et moins sûre de l’unité primitive du langage confirmant l’unité de la race humaine, que déjà l’on a reconnue à travers la diversité des trois races principales admises par la physiologie. Les deux ordres de recherches me semblent avoir une analogie frappante et incontestable : si des observations multipliées sur les caractères distinctifs des races ont fait découvrir des types intermédiaires qui fournissent une transition naturelle entre les configurations les plus opposées et attestent l’unité originelle, sinon l’identité organique de l’espèce, si la science la plus haute se refuse à conclure de quelques différences plus ou moins marquées « l’origine propre, c’est-à-dire, l’indépendance absolue des races humaines[27] », il en sera de même pour le langage dont on a nié l’unité originelle en raison de ses formes multiples ; on découvrira dans des idiomes isolés et encore peu connus des termes intermédiaires qui lieront l’un à l’autre les groupes de langues, déclarés sans affinité réciproque. La tradition rapportée par Moïse sur l’unité du langage des hommes après le déluge sera justifiée par les résultats successifs d’une étude comparative, mais systématique des langues, puis de leurs groupes ou règnes principaux. Sans doute, la multiplication en quelque sorte infinie des idiomes humains s’est opérée sous des influences différentes dans le cours de l’histoire ; cependant il semble inadmissible que la diversité essentielle et la séparation profonde des grandes familles de langues proviennent uniquement d’une altération naturelle qui aurait été produite par l’action du climat, par l’éloignement des races, par la différence des usages, ou bien encore par la volonté même de l’homme : on est porté à soutenir avec les Rémusat et les G. de Humboldt, qu’elles sont dues à une scission subite et violente, ce qui revient à dire, à un événement anté-historique, comme cette confusion de Babel décrite par Moïse. Ainsi nous voyons des vérités historiques, qui étaient naguère traitées avec dédain, justifiées l’une après l’autre par les découvertes tentées en linguistique fort souvent même dans un but tout à fait opposé[28]. Déjà, à la vue des travaux entrepris jusqu’ici, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître qu’une puissance providentielle a dirigé les esprits dans d’aussi pénibles labeurs, afin de mettre dans un plus grand jour des faits qu’une science encore confuse avait déclarés insoutenables.

Si j’ai insisté autant sur l’application et les résultats de la méthode ethnographique, c’est en raison de la révolution qu’elle a réellement opérée dans I étude des langues Orientales. De plus amples détails appartiendraient à un cours de grammaire générale ou de linguistique comparative ; la discussion même des principes deviendrait nécessaire dans des leçons sur la philosophie du langage : en me bornant ici à définir les principes, j’ai eu en vue de vous rendre compte des procédés bien plus solides qui ont servi de base à la classification des langues de l’Orient, telle qu’elle est généralement admise aujourd’hui ; vous accepterez ainsi avec plus de confiance des divisions qui ont été créées et vérifiées dans un même esprit systématique. Je ne crois pas inutile de vous faire connaître en même temps, en Joignant une courte appréciation de leur valeur, les ouvrages de notre époque qui ont surtout contribué à établir et à répandre la classification ethnographique des langues du monde et en particulier des langues Orientales.

Les premiers recueils dignes d’être cités sont les ouvrages de L. Hervas, Jésuite Espagnol, qui avait fait un long séjour en Amérique[29], et du célèbre Pallas, naturaliste Allemand, qui avait voyagé dans l’Asie Septentrionale sous les auspices de la Russie[30] : mais, malgré la reconnaissance qui est due au zèle de leurs auteurs, on doit les considérer comme des compilations où l’on a réuni les langues d’un même pays sans essayer une classification systématique, sans adopter quelques principes uniformes de comparaison. Un travail plus scientifique, mais encore incomplet, est celui de Frédéric Adelung, intitulé le Mithridate en souvenir du royal polyglotte de l’antiquité[31] : résidant à Pétersbourg, il a profité des ressources préparées sous le règne de Catherine II et a pu faire usage des collections encore manuscrites de nombreux vocabulaires. Une application plus rigoureuse des principes de l’affinité ou de la parenté originelle des langues (Stammverw andtschaft) a été faite par Jules Klaproth dans son Asie Polyglotte[32], qui présente encore pour la linguistique la même importance que ses Tableaux de l’Asie pour l’histoire[33] : l’auteur y a donné les premiers rapprochemens entre plusieurs langues regardées jusque là comme dissemblables et y a publié les vocabulaires de langues inconnues de l’Asie Septentrionale et Orientale, vocabulaires qu’il a tirés de sources inédites ou recueillis dans ses propres voyages ; on lui a reproché avec raison d’avoir accordé trop de poids aux analogies du lexique, trop peu à celles de la grammaire dans la décision des questions d’affinité. Le baron de Mérian, auteur d’un immense recueil fait sans ordre et plein de rapprochemens hasardés[34], avait adopté des idées analogues à celles de Klaproth dans la partie théorique de ses travaux[35]. L’essai le plus étendu d’une application des recherches de la linguistique à l’ethnographie est l’Atlas du célèbre géographe Italien, Adrien de Balbi, qui a mis en œuvre les meilleures sources et qui en outre a obtenu des renseignements neufs et inédits d’un grand nombre de savans[36]. Ces diverses publications, qui ne sont pas exemptes d’ailleurs d’inexactitudes, renferment nécessairement bien des erreurs de fait et aussi bien des lacunes, qui étaient en quelque sorte inévitables à l’époque où elles ont paru : mais en attendant qu’elles soient remplacées par des ouvrages plus parfaits, elles forment encore une partie indispensable de l’arsenal du linguiste. Sous le rapport de l’histoire et de l’ethnographie, elles sont complétées par le travail fondamental qui a été entrepris sur l’Asie par le plus savant des géographes contemporains, M. Charles Ritter, professeur à l’université de Berlin[37], et qui prouve un égal talent dans la combinaison des faits et dans la vérité des descriptions. Sous le rapport philologique, les premiers ouvrages de linguistique comparée sont corrigés ou complétés par des travaux partiels qui se rapportent aux principales familles de langues aujourd’hui étudiées et qui, pour la plupart récents ou peu connus, méritent d’être mentionnés dans les cadres qu’une classification générale des langues Orientales assigne à chaque famille.

En terminant cette partie de l’introduction à l’histoire des littératures par le tableau des langues Orientales, je n’oublierai pas que je vous le présente comme destiné surtout à l’éclaircissement des faits littéraires, et je me croirai sous ce rapport dispensé de longues digressions sur les langues peu connues de l’une ou l’autre famille, ou bien sur la division en dialectes des langues qui n’ont point eu de littérature : laissant les détails aux tableaux ethnographiques des langues et les discussions aux traités spéciaux, je dois attacher ici une importance bien plus grande à la simplicité et à la clarté de la classification. Je partagerai les langues Orientales en six Groupes, que je nommerai groupes Indo-Européen, Sémitique, Caucasien, Sibérien, Tartare, Transgangétique ; c’est dans le même ordre que je vais vous faire connaître les Familles qui composent chacun de ces groupes, en vous faisant observer que l’Asie polyglotte se trouve ainsi divisée en deux vastes régions, l’une Occidentale, où se trouvent les langues des grands peuples historiques : Hébreux, Arabes, Mèdes et Perses, Indiens, nations du Caucase ; l’autre, Orientale, qui comprend les idiomes Sibériens du Nord, les langues dites Tartares, le Chinois et ses dépendances littéraires. Vous remarquerez en même temps que ces deux régions, distinctes par leurs idiomes, sont aussi partagées entre deux races caractérisées par leur configuration et leur couleur, la race blanche ou Caucasienne, à l’Occident, la race jaune, dite Mongolique, à l’Orient. J’ajoute aux six groupes des langues Asiatiques un septième qui renferme les langues de l’archipel d’Asie appelé aussi archipel Indien ou Malay, et qu’on pourrait appeler en général groupe Malayen.


I. Groupe Indo-Européen.

Je donne la première, place dans cet aperçu ethnographique au groupe de langues qui relie l’Asie à l’Europe ; appelé successivement Indo-Persan, Indo-Germanique, d’après l’extension qu’on lui attribuait, il est désigné plus justement peut-être par le nom d’Indo-Européen, parce que les langues qui lui appartiennent sont répandues du centre de l’Asie à l’extrémité Occidentale de l’Europe, de l’Inde à l’Islande. « Il a été aussi appelé Japhétique, parce qu’il embrasse la portion de la terre couverte très anciennement par les peuples descendants de Japhet[38]. Ce groupe est un des mieux connus aujourd’hui, depuis que son étude s’est accrue par la réunion successive de langues qui naguère lui semblaient étrangères[39] ; les analogies du Persan avec les langues Germaniques, déjà observées par les savans du XVIIe siècle, ont été confirmées par le premier examen du Zend et du Sanscrit, et les langues classiques de l’antiquité sont dès lors entrées dans le même domaine. L’organisme commun de ces langues nous est maintenant révélé par la comparaison systématique des idiomes qui sont les représentans les plus anciens et les plus complets de chaque famille[40] : sans parler de l’intérêt historique qui résulte de la découverte de leur affinité, nous pouvons mieux juger quel est le caractère distinctif des langues de ce groupe, quelles sont la souplesse et la régularité de leurs formes, par quel génie elles sont éminemment propres à l’expression des idées scientifiques et elles ont répondu à la vocation littéraire et philosophique des grands peuples anciens et modernes.

Des six familles qui composent le groupe Indo-Européen, deux seulement, la famille Indienne et la famille Persane, appartiennent proprement à l’Asie ; les quatre autres sont Européennes : ce sont la famille Thraco-Pélasgique, dont le Grec et le Latin forment les deux branches principales, la famille Slavonne qui embrasse toutes les langues de l’Est de l’Europe, la famille Germanique dont les ramifications nombreuses s’étendent des bords du Danube aux forêts de la Scandinavie, la famille Celtique dans ses deux rameaux Gaëlique et Cymrique[41].

Les langues des familles Indienne et Persane qui doivent ici nous occuper exclusivement pourraient être appelées d’un nom commun, celui de langues Ariennes, qui indiquerait bien leur étroite affinité ; il aurait une signification historique, puisqu’il se retrouve également dans les livres et les noms propres des deux races qui se sont répandues, l’une dans l’Inde, l’autre dans la Médie et la Perse, et se sont montrées opposées de mœurs et ennemies de croyance, après être sorties du même foyer, la Bactriane des Grecs, la terre sacrée de l’Iran. Le nom d’Ariennes ou d’Iraniennes, donné à ces langues serait un témoignage de l’antique confraternité des peuples[42] : cependant il semble devoir céder dans l’usage littéraire et grammatical aux deux noms qui établissent la distinction historique et géographique des deux familles. Le mot serait plus justement appliqué à la seule famille Persane, dont les peuples ont maintenu d’une manière plus expresse la tradition d’une mystérieuse patrie, illustrée par des faits héroïques ; il pourrait être pris au moins comme un poétique synonyme de la première épithète.


A. Famille Indienne.

Les langues Indiennes, si nous comprenons sous ce nom les langues dominantes des pays qui s’étendent de la vallée de Cachemire à l’extrémité méridionale de la péninsule dite Dekkan et qui forment pour l’Europe l’Inde par excellence, se présentent à nous avec un principe d’unité ; anciennes ou dérivées, elles se rapportent presque toutes à une même souche :

Le Sanscrit, idiome antique, riche, cultivé, officiel de la religion et de la science Brahmaniques ; langue sonore, achevée dans ses formes[43], assouplie par l’improvisation poétique ; langue sacrée, dite langage des Dieux (Surabâni, dévabâni), de même que son alphabet est appelé écriture des Dieux (dévanâgari). C’est une des langues qui ont eu la plus longue existence littéraire, et nous possédons toute son histoire dans une série de monumens écrits, depuis les hymnes du Rig-Véda, chants religieux des pasteurs de l’Himâlaya, jusques aux commentaires des Pandits de l’Inde Anglaise.

C’est ici le lieu de citer la langue nommée Fan, qui n’est autre que le Sanscrit altéré des Bouddhistes répandus hors de l’Inde, et qui nous est connue par leurs anciens livres retrouvés dans les cloîtres du Népal et du Tibet : le mot Fan est une mutilation du mot chinois Fan-lan-ma, qui est lui-même la transcription des mots sanscrits brahma ou brahmana, et par conséquent il doit désigner parmi les sectes la langue de l’Inde ou des Brahmanes.

Deux langues anciennes ont coexisté dans les contrées florissantes de l’Inde avec le Sanscrit d’où elles étaient issues ; elles s’en sont le plus rapprochées par leurs formes grammaticales et par l’extension de leur culture littéraire. Ce sont :

α) Le Pali, premier né du Sanscrit, répandu dans une grande partie de l’Inde, d’où il fut expulsé violemment avec le Bouddhisme et porté par le prosélytisme des fugitifs dans tous les pays situés à l’Est de la péninsule Indienne ;

β) Le Pracrit, ou plutôt l’ensemble des dialectes Pracrits : si le nom de Pracrita, signifiant dérivé, inférieur, imparfait, est donné dans les sources indigènes à toutes les langues secondaires de l’Inde, dérivées du Sanscrit pris pour leur type originel, il faut restreindre l’usage littéraire du même nom à certains dialectes provinciaux consacrés surtout aux compositions dramatiques dont les rôles inférieurs ne pouvaient être écrits dans la langue savante ; le Pracrit de la scène, qui n’a pas manqué de grammairiens et de commentateurs chez les Hindous, a déjà trouvé en Europe un habile interprète et un ingénieux historien[44].

Viennent ensuite les langues dérivées postérieurement du Sanscrit et restreintes à des provinces déterminées d’où elles ont tiré leur nom. Les plus connues d’entre elles, parce qu’elles ont joui de la plus longue culture dans les siècles modernes de l’Inde, sont :

γ) Le Bengali ou Gaure, encore parlé par trente millions d’hommes dans le Bengale, le Népalais, le Cachemirien, le Penjabien, le Guzarate, le Bikanérien avec le Braj-bhâkhâ et les autres dialectes de l’Hindoustan proprement dit, le Mâghadique, le Mahratte[45].

δ) En dehors de ces langues provinciales existe une langue qui n’a pas de domaine nettement circonscrit, mais qui est commune aux classes supérieures de toute l’Inde centrale depuis Calcutta jusqu’à Bombay : c’est l’Hindoustani, formé des dialectes Indiens de l’Hindoustan, mêlé d’une foule de mots arabes et persans, cultivé dans l’esprit des littératures Musulmanes ; à l’Hindoustani, langue du commerce et des relations sociales, se rattache l’Hindi qui, resté plus pur de mots étrangers, est devenu la langue des poëtes nationaux au centre de l’Inde[46].

ε) Il faut joindre aux langues de l’Inde septentrionale le Zingane, parlé dans les contrées voisines de l’Indus par les Zinganes avant leur émigration en Europe qui ne date que de quelques siècles. Quoique disséminés au milieu de populations hétérogènes, sous les noms de Zigeuner, Zingani, Gitanos, Bohémiens, Gypsies, ils ont conservé leur type et leur couleur, leurs mœurs et leurs superstitions, ainsi que le fond de leur langue de souche sanscrite, dont les élémens, recueillis et analysés par quelques savans, viennent d’être réunis sous la forme systématique de grammaire[47].

Les langues de l’Inde, étrangères à la souche sanscrite, sont répandues surtout dans sa partie méridionale, restée en dehors des plus anciennes conquêtes de la race civilisatrice des Aryas ; mais, quoique leur grammaire soit indépendante de celle du Sanscrit, elles relèvent de son influence sous le rapport littéraire ; car elles ont servi aussi à chanter les Dieux et les héros du monde Brahmanique. Les principales d’entre elles sont : le Tamoul, le Malabar ou Malayalam, le Telinga ou Telugu, le Carnâtique ou Cannadi, le Talava.

B. Famille Persane.

Cette famille de langues, que l’on a appelée aussi Médo-Persane en vue de l’histoire des peuples, et que quelques auteurs ont pu nommer Arienne dans le sens restreint qui a été défini précédemment, nous est connue dans un idiome fort ancien et en même temps dans plusieurs langues disséminées entre l’Indus et le Tigre, depuis les frontières du Penjab jusque dans les gorges du Caucase :

a) Le Zend est la langue hiératique des peuples Médo-Persans, adorateurs du feu : consacré par Zoroastre aux dogmes du Magisme dans les trois parties du Vendidad-Sadé, il a cessé d’exister comme langue vivante avant l’ère Chrétienne ; analogue dans ses formes au Sanscrit primitif, l’idiome des Védas, il est aussi l’expression naïve de la pensée antique.

Le Pehlvi, dans lequel est écrite la partie cosmogonique du Zend-Avesta, le Boundehesch, est une langue mixte, plutôt Sémitique par son organisme, mais remplie de mots Zends ou Persans en raison de sa destination religieuse ou politique. Quelques auteurs en ont voulu faire une classe séparée sous le nom de langue Médique.

b) Le Parsi, recueillant l’héritage du Zend, a fleuri dans la monarchie des Arsacides et des Sassanides comme langue usuelle et littéraire ; demeuré pur et indépendant jusque dans les premiers siècles de notre ère, il s’est altéré après l’époque des invasions Musulmanes, par le mélange d’élémens étrangers dans la double transformation qu’il a subie : le Gebri ou langue des Guèbres ignicoles, aujourd’hui dispersés dans les contrées occidentales de l’Inde, et le Persan moderne, langue de la province de Fars ou du Farsistan, perpétuée glorieusement par plusieurs générations de poètes sous les dynasties indépendantes de la Perse, mais pénétrée dans sa phraséologie de formes et de locutions Arabes.

c) L’Afghan, dit aussi Pouschtou, s’est conservé au sein d’une population belliqueuse de montagnards placée entre la Perse et l’Inde et capable encore d’humilier dans ces derniers temps l’orgueil Britannique[48].

d) Le Béloudsche est l’idiome d’un vaste pays, voisin de l’Indus, resserré entre les montagnes de l’Afghanistan et la mer et occupé par la confédération des Béloudschis[49].

e) Le Kurde est resté usité jusqu’à nos jours parmi les peuplades sauvages et guerrières qui habitent les montagnes et les défilés du Kurdistan[50].

f) L’Arménien, qui a été longtemps considéré comme une langue indépendante, mais qui appartient à la famille Persane par ses racines et ses flexions grammaticales[51], est la langue nationale du peuple Arménien qui l’a fait servir à tous les besoins de sa vie intellectuelle même dans les temps d’une domination étrangère. L’Arménien littéral nous est connu par une série non interrompue d’ouvrages originaux depuis quatorze siècles ; l’Arménien vulgaire est encore répandu, mais partagé en plusieurs dialectes, dans les populations Chrétiennes du Levant.

g) L’Ossète ou Ossétique est l’idiome d’un petit peuple renfermé dans les montagnes du Caucase ; il confirme par l’analogie des racines et des formes la consanguinité qui unit aux nations de race Arienne les Irons (ou Iraniens), comme se nomme lui-même le peuple à qui ses voisins ont donné le nom d’Ossi et l’Europe celui d’Ossètes[52]. Il est probable que les peuples des bords de la mer Caspienne, appelés Albaniens par les anciens et Aghovans par les Arméniens, appartenaient à la même race, comme la philologie l’a conclu de la ressemblance radicale de leur nom, et parlaient une langue d’origine Persane.

II. Groupe Sémitique.

Le groupe ainsi nommé, parce qu’il comprend les langues des peuples que l’Écriture nous dit issus du patriarche Sem, se partage en plusieurs familles qui ont elles-mêmes formé des branches nouvelles ; les langues de ce groupe sont en possession des mêmes racines et d’un même génie grammatical, qui les rend merveilleusement propres à l’expression du symbolisme religieux, de la prière, de la prophétie, du commandement ou de l’exhortation ; cependant elles affectent une forme distincte par le degré de richesse de leur vocabulaire, par la variété de leurs flexions et par les idiotismes de leur syntaxe.

Nous distinguerons quatre rameaux ou quatre familles dans le domaine des langues Sémitiques :

a) La famille Hébraïque ou Cananéenne, qui renferme l’Hébreu, langue du peuple d’Israël et des Livres saints, le Phénicien, reconstruit à l’aide des inscriptions et des médailles, le Punique, porté sur les côtes Africaines par les fondateurs de Carthage. Le Rabbinique est une transformation postérieure de l’Hébreu, qui devait rester la langue scientifique et religieuse des Juifs, quand, sortis de la Palestine, ils ont été exposés au contact de différens peuples ; il porte la marque de nombreux emprunts faits à des langues d’une nature étrangère au Sémitisme.

b) La famille Chaldéenne ou Araméenne[53], à qui appartient le Chaldéen primitif, une des plus anciennes formes du Sémitisme, mais qui s’est plus tard séparée en deux idiomes distincts par leur grammaire : le Chaldéen, usité à l’Est du pays d’Aram, langue des livres de Daniel et d’Esdras, ainsi que des Thargums, du Zohar et de plusieurs autres livres des anciennes écoles Juives de la Palestine ou de la Babylonie, et le Syriaque, cultivé dès les premiers siècles du Christianisme dans tout le Libanon et subdivisé en plusieurs dialectes d’après les localités. Le Samaritain n’est autre chose qu’une branche de la famille Chaldéenne, mais mêlée de formes hébraïques.

c) La famille Arabe, répandue de bonne heure dans toute la péninsule Arabique chez les peuples nomades, pasteurs ou marchands, indociles descendans d’Ismaël, et partagée plus tard en deux idiomes ou dialectes : le dialecte Himyarite, qui s’est perdu après l’époque de Mohammed, et dont nous devons demander la connaissance aux nombreuses inscriptions récemment recueillies par des voyageurs Européens, et le dialecte Koréischite qui, usité à la Mecque et dans l’Arabie occidentale, est devenu par suite des conquêtes des Arabes la langue de la plupart des pays convertis par la force des armes à la religion du Coran.

d) La famille Éthiopienne ou Abyssinique, dont les langues offrent la plus grande analogie avec l’Arabe, surtout avec le dialecte Himyarite parlé à l’Est et au Sud de l’Arabie, et qui s’est répandue à l’Ouest de l’Afrique dans de nombreux dialectes qui peuvent se ramener à deux idiomes dominans : le Gheez, langue ancienne du royaume d’Axum dans l’Abyssinie, et l’Amharique, langue cultivée dans le royaume d’Amhara et dans d’autres royaumes Abyssins jusque dans les siècles modernes.

Le Copte, dérivation de l’ancien Égyptien, qui convenait par sa concision et sa roideur au laconisme des divers systèmes d’écriture hiéroglyphique, n’appartient pas au groupe Sémitique ; cependant un examen plus rigoureux de ses élémens constitutifs a fait découvrir une double affinité avec les langues Asiatiques des deux groupes, que je viens de décrire[54].

III. Groupe Caucasien.

Nous comprendrons sous ce titre les idiomes presque innombrables, qui ont existé dans la grande chaîne des montagnes du Caucase entre les deux mers qui la défendent[55], et qui ont fait surnommer sa région Orientale montagne des langues (djebal-allesan) par les Arabes : on n’a pu jusqu’ici ramener avec sûreté les langues du Caucase à l’un ou l’autre des groupes précédents, malgré les rapports offerts par quelques parties de leur vocabulaire. Nous distinguerons dans ce troisième groupe des langues Orientales les familles suivantes qui n’ont pas toutes joui d’un développement littéraire, mais qui nous sont désignées par les recherches des voyageurs comme les plus importantes eu égard à la prépondérance historique des peuples :

a) La famille Géorgienne, ou plutôt Ibérienne, pour reprendre un nom qui vient des géographes de l’antiquité et qui embrasse plusieurs nations[56] ; elle comprend, d’abord, le Géorgien ou Karthouli, qui s’est maintenu jusqu’à nos jours dans le Caucase méridional et dont l’étude a été recommandée aux encouragemens intéressés de la Russie par l’abondance des sources historiques ; puis, le Mingrélien, le Souane, le Lasien parlé par le peuple autrefois puissant des Lasis : la tentative qui a été faite de rattacher le Géorgien et le Lasien aux langues affiliées au Sanscrit a besoin d’être confirmée par de nouveaux faits, comme le reconnaissent ses auteurs[57] ; il s’agit d’établir que le Géorgien tient par l’Arménien aux antiques idiomes de la Perse et par leur intermédiaire au Sanscrit.

b) La famille des langues Lesghiennes, qui sont parlées par les nations dites Lesghis et dont la branche principale est l’Avare avec ses nombreuses ramifications[58] ;

c) La famille Mizdjeghi, répandue dans la Circassie méridionale ;

d) La famille Circassienne ou Tcherkesse qui est dominante parmi les tribus belliqueuses de la Circassie, dont l’Europe admire encore la résistance héroïque aux armes étrangères ;

e) La famille Abasse ou Absne, dont les langues appartiennent aux différentes hordes des peuples du même nom au sud du Caucase.

IV. Groupe Sibérien.

Ce groupe renferme les langues encore incultes qui dominent chez les peuples de l’Asie Septentrionale adonnés au fétichisme grossier qui porte le nom général de Chamanisme ; caractérisées par des sons âpres et durs, douées d’un organisme particulier, possédant quelques racines analogues à celles des langues de l’Asie centrale, elles ont déjà attiré l’attention des linguistes et mérité un examen comparatif en l’absence d’études littéraires[59].

Les principales familles du groupe Sibérien sont :

α) La famille Samoyède, qui se présente la première, en allant de l’ouest à l’est, comme parlée par un grand nombre de nations nomades fort anciennes ;

β) La famille Jenisséi, qui comprend aussi la langue des Youkaghires, dont les tribus habitent les bords de l’Océan-Glacial ;

γ) La famille Koryèke, au N. E. de l’Asie ;

δ) La famille Kamtschadale, dans la presqu’île du Kamtschatka ;

ε) La famille Kourilienne, qui comprend les langues de l’archipel Kourilien, au sud des familles précédentes.

On ne peut oublier ici les langues d’origine Finnoise qui s’étendent au nord-ouest de l’Asie comme au nord-est de l’Europe et qui feraient nommées avec justesse Ouraliennes en raison du séjour primitif de la race qui les parle dans les monts Ourals, limite des deux continens.


V. Groupe Tartare ou Tatare.

Le nom de ce groupe de peuples et de langues est une dénomination vague dont les historiens Européens ont étrangement abusé ; il a été appliqué aux races du nord de l’Asie sans distinction ; cependant il ne convient qu’à la seule race des Mongols, ainsi appelés le plus souvent par les écrivains étrangers[60]. Évidemment, le nom de Tartares ne peut être donné que par convention à l’immense groupe de peuples et de langues échelonné dans l’Asie septentrionale des frontières de la Chine aux bords de la mer Caspienne. Peut-être serait-il mieux de l’appeler groupe de la haute Asie (hoch asiatisch), comme l’a proposé un Orientaliste allemand dans un travail grammatical sur cette classe de langues[61]. L’usage a consacré jusqu’ici le mot Tartares, qui n’est pas même d’orthographe Asiatique et qui ne provient en réalité que d’un jeu de mots, mainte fois rapporté : il faudrait s’en tenir au nom indigène, Tatar, Tatares, comme on le trouve dans les sources Chinoises ainsi que dans la plupart des livres Orientaux et des historiens Musulmans.

Nous trouvons dans le groupe des langues Tartares ou Tatares trois familles principales qui sans doute n’ont point de rapport nécessaire et qui sembleraient être trois souches différentes de langues, mais qui d’autre part sont rapprochées par le même lien qui unit dans l’histoire les peuples envahisseurs de la haute Asie[62] :

1o La famille Toungouse est celle qui répond aux peuples de l’Asie Orientale, habitant la Mandschourie entre la Chine et les déserts du Nord : ses langues sont divisées en général, comme les populations elles-mêmes, en deux classes, celle des Mandschous, race conquérante de l’empire Chinois, et celle des Toungouses, restés barbares à l’Est de la Sibérie même sous la domination Russe.

2o La famille Mongole est celle qu’on peut appeler proprement Tatare ; elle appartient aux populations placées entre les puissans états de la Russie, de la Chine et du Tibet, et elle se subdivise dans les idiomes suivans : le Mongol, langue cultivée sous l’influence des idées Bouddhiques, le Bouréte, le Kalmouck ou Olète.

3o La famille Turque, répandue à l’Ouest des deux familles précédentes, possède un grand nombre de langues cultivées par une race puissante, mêlée à toutes les révolutions intérieures de l’Asie. Les branches principales de cette famille de langues sont :

a) L’Ouïgour ou Turk oriental, dont l’alphabet, réputé longtemps d’une antiquité fabuleuse, a été emprunté aux caractères Estrangelo portés dans l’Asie centrale par les Nestoriens de la Syrie ; b) le Tchakatéen, poli comme l’Ouïgour par une culture littéraire ; c) le Kuptschak, parlé par les Turks civilisés des gouvernemens Russes de Kasan et d’Astrakan :

d) Le Turk ou Osmanli, qui règne dans les Turquies d’Europe et d’Asie avec la race Ottomane, maîtresse de Constantinople, et qui a été propagé par son influence jusque sur les côtes de Barbarie :

e) Le Kirghis, qui domine dans les vastes régions du Turkestan ; f) trois dialectes qu’on peut regarder comme langues sœurs : le Nogaïs avec le Tchoulym ; le Yakoute, usité au N. E. de la Sibérie, le Tchouwache, répandu dans la Sibérie méridionale.


VI. Groupe Transgangétique.

Ce groupe renferme les langues de la plupart des pays situés au-delà du Gange qui les sépare de l’Inde proprement dite : Tibet, Chine, Ava, Pégu, Siam, Annam, Camboge, etc. Ces langues sont presque toutes monosyllabiques, mais variées prodigieusement par l’accentuation, et mêlées le plus souvent d’élémens étrangers[63]. Nous distinguerons encore dans ce groupe trois grandes familles :

1o La famille Tibétaine, dont la langue principale est le Tibétain des livres Bouddhiques : c’est un idiome polysyllabique dans la plupart de ses mots, mais dont la véritable nature n’est pas encore bien connue ; plusieurs auteurs ont voulu lui donner une origine commune avec le Chinois ; M. Abel Rémusat n’a point prononcé sur la question dans la partie de ses Recherches consacrée au Tibétain, qu’il rangeait encore parmi les langues Tartares[64]. Un dernier système, qui est dû à l’un des plus ingénieux philologues de l’Allemagne[65], fait du Tibétain un merveilleux intermédiaire entre les groupes connus, possédant les racines communes avec le Sémitique et l’Indo-Germanique, mais usant de procédés particuliers dans la formation des verbes et de la masse des mots.

2o La famille Indo-Chinoise, dont les langues sont monosyllabiques par leur nature, mais ont été soumises dans leur culture à l’influence des idiomes de l’Inde et surtout du Pâli ; ce sont les langues : a) Rukheng-Barma dans la plus grande partie de l’empire Birman ; b) Moan ou Péguane dans le royaume de Pégu ; c) Siamoise ou Laos-Siamoise, dans la région des Taï ou Thay, nommée Siam par les Européens, Shan dans une des langues indigènes ; d) Annamite, qui comprend le Tonquinois et le Cochinchinois parmi ses dialectes.

3o La famille Chinoise, qui offre d’abord à nos études la langue de l’Empire du Milieu, le Chinois, admettant la distinction littéraire du Kou-wen ou style antique et du Kouan-hoa, style moderne et officiel, et partagé d’un autre côté en nombreux dialectes différant de province en province : deux branches de cette famille sont le Coréen, répandu aux frontières septentrionales de la Chine, et le Japonais, langue polysyllabique et sonore des habitans de l’archipel du Japon ; elles ont dû, sous le rapport littéraire, emprunter beaucoup au Chinois, des caractères, des mots, des termes scientifiques.


VII. Groupe Malayen.

Nous détachons ce groupe de l’immense domaine des idiomes de l’Océanie, étudiés systématiquement et classés d’après leurs caractères généraux d’affinité par le plus profond des linguistes de notre siècle, G. de Humboldt, dans le monument d’érudition philologique qu’il a laissé presque entièrement achevé[66] : parmi les cinq rameaux qui répondent aux divisions de l’ethnographie fondées sur la variété des races et qui s’étendent de l’archipel Indien à Madagascar et aux îles de la Polynésie Orientale, celui qui nous offre le plus d’intérêt est le rameau Malay ou Malayen, qui est le plus rapproché du continent Asiatique et dont les langues ont possédé les élémens d’une culture plus complète[67]. La race Malaye, caractérisée par sa couleur brune, sa bouche grande, ses cheveux frisés, est encore répandue dans des parties plus éloignées du monde Océanien ; mais nous ne devons l’étudier ici que dans son siège principal, l’ensemble des îles riches et fertiles qui porte le nom de Malaisie. C’est dans ces dépendances de l’Asie Méridionale, dispersées dans l’Océan, que nous trouvons deux classes de langues qui se rattachent, sinon par leur organisme, du moins par l’esprit de leurs productions, aux langues Asiatiques.

La première classe, celle des langues Javanaises, nous présente un phénomène bien remarquable dans la longue existence d’un idiome indigène, devenu langue littéraire et sacrée à la condition d’emprunter de nouveaux élémens à une richesse étrangère : c’est le Kawi des îles de Java, de Madoura et de Bali, Océanien dans sa grammaire, Sanscrit dans la majeure partie de son vocabulaire importé par les prosélytes du Brahmanisme Indien. En dehors de cet antique instrument de la pensée religieuse a subsisté le Javanais, distinguant trois formes de langage admises dans la conversation comme dans les ouvrages de littérature[68].

La seconde classe est formée par les langues à qui l’on peut donner le nom commun de Malayes ; le centre de leur domaine est l’île de Sumatra ; mais le Malay, dit aussi Malayou, est répandu, dans ses principaux dialectes, comme langue commerciale bien au-delà des limites historiques que la linguistique pourrait lui assigner ; il est compris sur toutes les côtes de l’Océan Indien ; il est devenu depuis une longue suite de siècles la langue Franque de l’archipel d’Asie, et à ce titre il est un des idiomes du globe qui aient eu le plus d’extension géographique.

Ces deux classes de langues, qui sont les bornes de nos recherches au sud-est de l’Asie, ont subi dans une mesure plus ou moins grande l’influence des langues de l’Inde : mais l’examen des questions d’origine ne laisse plus de doute sur leur indépendance primitive. C’est en vain qu’un célèbre philologue qui a rendu d’ailleurs les plus grands services à la science de la grammaire comparée a voulu établir la parenté des langues Malayes et Polynésiennes avec les langues Indo-Européennes, en donnant les premières comme des filles dégénérées du Sanscrit[69] ; la part de l’influence indienne sur cette division des langues de l’Océanie revient en dernière analyse à des emprunts faits nécessairement au Sanscrit, langue plus riche et plus polie, pour exprimer les idées inhérentes à une religion plus savante et à une civilisation plus avancée. La ressemblance problématique de quelques noms de nombre, de pronoms ou de prépositions, ne prouve rien contre la nature particulière de ses langues en l’absence d’analogies grammaticales ; nous dirons qu’elles forment un groupe indépendant, tant qu’on ne sera point parvenu à les rattacher aux groupes les mieux connus, non par des traces extérieures de ressemblance, mais par des preuves d’une affinité intime et constante.

TABLEAU HISTORIQUE
DE LA MARCHE DES ÉTUDES ORIENTALES
EN EUROPE[70].


Messieurs,

Je crois augmenter l’intérêt qu’offre en elle-même l’histoire littéraire de l’Orient, en la mettant en rapport avec la destinée et les progrès des études Orientales en Europe depuis le moyen âge jusqu’à nos jours : c’est dans cette vue que j’ai voulu compléter l’introduction à l’histoire des littératures par un tableau des travaux de l’érudition, que je me propose de développer dans les mêmes proportions que la matière principale du cours. Je ne fais que vous donner aujourd’hui le programme de la dernière partie de ces leçons sous la forme d’une esquisse historique qui vous fera passer en revue les recherches et les études consacrées par chaque siècle aux langues, à l’histoire, à la civilisation des peuples Orientaux ; avec cette réserve, je n’ai à citer ici ni les sources qui appartiennent à chaque nation et à ses écoles, ni les ouvrages spéciaux qui attestent la culture de quelques langues et de quelques littératures : c’est la portée des travaux que je dois signaler, c’est le mérite scientifique de chaque époque que je dois mettre en lumière.

L’histoire des études Orientales chez les peuples de l’Europe savante n’a pas encore été traitée avec l’étendue que comporte la multiplicité de ses branches ; mais elle est assez connue par des faits généraux, pour que l’on puisse trouver dans les temps qu’elle embrasse quelques points saillans, qui marquent des progrès partiels ou simultanés et qui établissent une division naturelle dans ce sujet de recherches longtemps encore inépuisables. Nous pouvons renfermer cette histoire en trois périodes, qui répondent aux grandes phases de la vie intellectuelle des nations modernes et qui sont caractérisées par l’extension des études elles-mêmes ainsi que par l’esprit qui les dirige.

La première n’aura point de limites rigoureusement déterminées ; elle s’étendra des temps du moyen âge que remplit le mouvement des Croisades au premier siècle de la renaissance qui est un siècle de voyages et de découvertes : c’est à partir du XVe siècle que l’imprimerie et le haut enseignement ont favorisé une culture plus générale et surtout plus systématique des langues Orientales.

La deuxième période, qui appartient à l’histoire littéraire des temps modernes, comprendra trois siècles environ, du commencement du XVIe au milieu du XVIIIe ; cet intervalle est marqué par des progrès incessans dans l’étude des langues dites alors Orientales, en même temps que de nouvelles langues et de nouvelles littératures reçoivent droit de cité dans le domaine des langues savantes et des littératures anciennes.

La troisième période, qui commence avec la seconde moitié du dernier siècle se prolonge jusque dans le nôtre ; elle s’achève de nos jours par les travaux combinés des grands peuples de l’Europe. Le XIXe siècle, c’est l’époque où s’accomplit la Renaissance Orientale, comme le XVIe qui a vu s’accomplir la Renaissance Gréco-Romaine : l’une ne détruit pas l’autre ; il y a assez de force dans l’esprit Européen pour recevoir leur double action sans les confondre, assez d’indépendance pour faire tourner à ses desseins leur double influence sans la subir passivement.


Au milieu des siècles du moyen âge qui succèdent à l’époque trop courte de l’unité Carlovingienne, nous voyons les populations Chrétiennes de l’Occident entrer par la lutte en communication directe avec les peuples belliqueux de l’Asie qui étaient souvent leurs agresseurs et qui restaient toujours leurs ennemis. Quand ces hostilités héroïques cessèrent avec la dernière des Croisades, il y avait trêve, et non pas réconciliation : l’opposition des croyances devait contribuer à rendre longtemps encore étrangères l’une à l’autre, les deux fractions du monde civilisé, l’Europe catholique, l’Asie et l’Afrique musulmanes. À certaines époques de la lutte, les lettres et les arts de l’Asie ont pu exercer quelque empire sur la vie des nations Occidentales ; ils ont obtenu un facile ascendant à la faveur de la paix sur les mœurs chevaleresques des populations Espagnoles demeurées en contact avec les Maures ; ils ont pu même une fois, à la cour d’un empereur Romain, Frédéric II, mettre en péril la conscience Chrétienne : on ne peut révoquer en doute les dangers de l’apostasie en suivant dans ses dernières et malheureuses destinées l’ordre jadis si redoutable des Templiers. Mais, à part ces exemples de l’influence momentanée d’une civilisation brillante et matérielle, en dehors de l’activité de quelques hommes qui se sont initiés à la langue et aux sciences des Arabes par la fréquentation de leurs écoles, les langues et les lettres de l’Orient ne sont point connues ou cultivées parmi les Chrétiens dans les siècles du moyen âge : c’est d’abord l’effet des circonstances extérieures, la conséquence de la séparation géographique des peuples, ainsi que de la distinction sociale et politique des races ; c’est aussi, et dans une mesure bien plus grande, le résultat de l’aversion naturelle des Chrétiens pour les nations ennemies de l’Évangile, pour leurs langues et leurs écrits, comme pour leurs mœurs et leurs usages ; au milieu d’eux sont les Juifs qui nient et provoquent, et autour d’eux, les Musulmans qui attaquent et détruisent. Ainsi placé sous l’empire d’un sentiment légitime de défiance et de crainte, le plus grand nombre ne peut apercevoir de quel avantage serait pour la défense de la république Chrétienne la connaissance des idées et des croyances répandues en dehors d’elle et soulevées contre elle. L’utilité religieuse de cette connaissance commence à être mieux comprise en présence des désastres qui, dans les dernières guerres du Levant, rendent inutiles les efforts de la chevalerie, le dévouement des masses et les sacrifices de deux grands siècles ; l’attention se porte alors sur l’étude des idiomes et des opinions de l’Orient en vue de la polémique que les Chrétiens pourront soutenir contre les Infidèles, non plus les armes à la main, mais par la discussion, par la controverse, par la science. C’est dans le cours du XIIIe siècle que sont faites les premières tentatives de cette Croisade intellectuelle, et aussitôt plusieurs Papes la favorisent par tous les moyens que leur fournit l’ascendant du pouvoir spirituel[71] : parmi les hommes éclairés, qui travaillent efficacement à répandre la connaissance des langues Hébraïque et Arabe comme instrumens de controverse et de conversion, se trouve le fameux Raymund Lulle[72], qui enseigne et qui établit des écoles, qui excite le prosélytisme des princes, qui organise le nouveau plan d’attaque, et qui lui-même meurt à la peine. C’est dans le même siècle que les voyages des Marco-Polo et des Rubruquis dans l’Asie centrale répandent dans les états de l’Occident des relations qui décrivent assez fidèlement des pays inconnus, mais qui ont en apparence le caractère merveilleux de la fable ; le moment n’est pas venu, où les peuples de l’Europe peuvent porter si loin leurs vues ; comme le merveilleux est trop voisin de l’incroyable, c’est à peine s’ils doivent croire à la riche et brillante culture de la haute Asie, telle qu’elle est décrite dans les premiers récits. L’insouciance des peuples à l’égard de promesses qu’ils traitent encore d’illusions s’explique d’ailleurs par leurs préoccupations du présent. Un profond découragement a fait place au premier enthousiasme des guerres saintes et l’affaiblissement des états Chrétiens est résulté du morcellement de leur territoire et des querelles de leurs princes.

Au XIVe siècle, alors que les forces divisées de l’Occident ne suffisent plus pour renouveler la Croisade, reste la voie de la prédication, et les Pontifes ne désespèrent point encore de l’ardeur scientifique des Chrétiens : la création de chaires spéciales pour l’Hébreu, l’Arabe et le Chaldéen est décrétée en 1311 par le concile général de Vienne[73], et dès lors elle est étendue des écoles de Rome et de l’université de Paris aux grandes Universités de la Chrétienté, Bologne, Oxford, Salamanque. Son but religieux inspire d’abord pour ce genre d’étude un grand élan, qui n’est comprimé dans le cours du même siècle que par l’issue malheureuse des événemens extérieurs ; les rapports des peuples deviennent plus rares et les tentatives de conversion presque impossibles par suite de l’infériorité politique des Chrétiens devant les Infidèles ; l’étude des langues envisagées comme moyens d’attaque et de défense semble avoir perdu toute son utilité et toute sa force, quand, au milieu du XVe siècle, on voit s’avancer sur le sol de l’Europe, et jusque sur les rives du Danube, les Osmanlis, conquérans de l’empire Byzantin sous Mohammed II. Il faut clore ici la première période des études Orientales qui, à l’exception des encouragemens donnés par les chefs de l’Église, ne durent leur existence le plus souvent qu’à des vocations rares et individuelles : la science des apologistes, ou Chrétiens ou Juifs convertis[74], pouvait être grande, comme leur zèle qui nous étonne ; mais l’exemple et l’enseignement de quelques hommes ne pouvaient propager efficacement le goût de ces études dont la portée n’était guère bien conçue en dehors des centres scientifiques.

Une autre période, la seconde, s’ouvrit pour les études Orientales au commencement du XVIe siècle à la faveur du réveil de l’esprit littéraire et des moyens nouveaux qui lui assuraient un aliment : ce fut d’une part l’application de l’imprimerie à la reproduction des textes, et l’on comprend qu’il ne s’est agi longtemps que de textes Hébreux, et d’autre part, ce fut la place importante accordée d’abord à l’Hébreu, puis aux langues de la même famille, dans l’enseignement des universités. La culture de l’Hébreu comme langue savante fut dès lors mise en concurrence avec celle des lettres Grecques et Latines, sources et objets de l’érudition dite classique ; elle s’étendit de l’Italie et de l’Espagne à la France et à l’Angleterre, aux Pays-Bas et à l’Allemagne ; elle fut reconnue comme une des branches essentielles des hautes études par la fondation du Collège des Trois-Langues à Louvain, du Collège royal à Paris, et d’établissemens semblables à Oxford, à Alcala, ainsi que dans les principaux foyers d’instruction[75]. C’était le temps où la grammaire hébraïque, en passant des mains des Juifs dans celles des Chrétiens, acquérait des formes plus claires et plus méthodiques, où l’étude de la langue sainte, rendue ainsi plus facile, devenait aussi plus familière et plus générale : on ne peut douter de l’ardeur et de l’habileté des hébraïsans Chrétiens du XVIe siècle, en voyant la multitude des travaux qui leur sont dus, grammaires, lexiques, paraphrases, commentaires, en considérant l’étendue des matériaux rassemblés par eux pour l’exécution d’œuvres achevées, telles que la Polyglotte d’Alcala ou de Complute et la Bible royale ou Polyglotte d’Anvers. Pendant que ces travaux d’une profonde érudition s’accomplissaient par le concours des écoles de l’Europe, les voyages de découverte et de colonisation préparaient l’agrandissement futur du domaine de la science Orientale : à peine les Portugais avaient-ils pénétré dans les mers de l’Inde et jeté sur les côtes méridionales de l’Asie les fondemens de leur puissance, que déjà les missionnaires de plusieurs ordres catholiques, et surtout de la Compagnie de Jésus, exploraient l’Inde, la presqu’île de Malacca, la Chine et le Japon, et envoyaient à l’Europe les premiers documens officiels sur le climat et les habitans de ces contrées : le prosélytisme religieux qui inspirait de si grands sacrifices devait faire concourir dès lors à ses nobles entreprises l’activité ingénieuse d’un grand nombre d’hommes qui s’exerçait en vue du même but sur la connaissance des peuples nouveaux, sur l’observation de leurs mœurs et sur la culture de leurs langues. Les efforts d’un zèle éclairé, qui n’avaient pas cessé pendant un siècle entier, furent couronnés par la fondation de la Propagande, institution Romaine par son siège, par son esprit et par son universalité[76] ; asile ouvert aux hommes de toutes les nations, elle est devenue en Europe le premier centre des études Orientales ; elle leur a offert de bonne heure le secours d’une des imprimeries les plus riches en caractères exotiques et elle a donné le jour à une masse d’ouvrages utiles aux savans et de textes destinés aux diverses nations de l’Asie.

Le XVIIe siècle a perfectionné plusieurs branches de l’érudition Orientale : il lui était réservé de compléter et d’éclaircir l’étude de l’Hébreu par celle des autres langues Sémitiques qui n’avaient été jusque là l’objet que de travaux partiels ; la grammaire de ces langues, dites Orientales par excellence[77], est alors combinée et simplifiée par procédé de comparaison ; leur lexique, expliqué et augmenté par la même voie, réunit bientôt à l’Hébreu et au Chaldéen le Syriaque, l’Arabe, l’Éthiopien. Quelques savans essaient de réaliser dans des ouvrages systématiques ce qu’ils peuvent appeler sans présomption l’harmonie des langues Orientales : Louis de Dieu, Hottinger, Sennert, pour la grammaire ; Castell, Schindler, Nicolaï, pour la lexicographie. La critique philologique ne manque pas non plus aux premiers éditeurs des textes Orientaux dont le choix est encore très limité : l’étude de quelques langues dans les sources originales est le partage d’hommes infatigables qui ne balancent pas d’y vouer leur vie ; aussi leurs noms restent attachés à des études particulières, comme les noms du P. Kircher et de F. Ludolf à l’étude du Copte et de l’Éthiopien, de J. Morin et de Chr. Cellarius à celle du Samaritain. Une connaissance plus complète de l’Arabe, qui embrasse désormais la lecture de ses monumens littéraires, fait l’illustration de l’époque qui réunit Fr. Raphelengius, Th. Erpenius, J. Golius en Hollande, Ed. Pococke et J. Greaves en Angleterre ; Abr. Hinckelmann et L. Maracci publient les premières éditions complètes du Coran[78]. Le Persan commence aussi à être mieux connu : tandis que l’esprit de sa littérature revit dans les traductions d’Olearius et de Gentius, il devient l’auxiliaire des recherches historiques et philologiques dans les ouvrages des Th. Hyde et des Schickhard. Si les anciens idiomes de l’Inde ne sont encore représentés que par la langue du Malabar[79], le Chinois est déjà révélé à l’Europe dans quelques productions littéraires que les missionnaires ont choisies dans la multitude des ouvrages indigènes : livres classiques, traités moraux, romans historiques. C’en est assez de ces traductions et des notes intelligentes qu’y ont jointes leurs auteurs, les Intorcetta, les Rougemont, les Couplet, pour faire connaître la vie intérieure de la Chine, le caractère de sa civilisation, l’étrangeté de sa langue et les particularités de ses mœurs. Toutes ces choses, dépeintes au naturel par de si savans interprètes[80], ont formé bientôt un ensemble de faits capables de constituer l’opinion du monde Occidental sur l’antique empire qui n’est pas encore ouvert aujourd’hui à l’influence politique des états de l’Europe.

La grammaire, la littérature, l’histoire, ont fourni trois points de vue principaux dans l’étude de l’Orient au XVIIe siècle : l’exégèse Biblique, la Science sacrée, est venue puiser à son tour à la même source et elle en a tiré des accroissemens considérables ; elle s’est enrichie des différentes découvertes de la géographie Orientale, quand de la Judée, théâtre de l’histoire sainte, l’interprète eut porté ses regards sur les contrées voisines ; elle a recueilli comme de droit tous les résultats des sciences positives, géographie, botanique, zoologie, et les a déposés dans des livres consciencieux comme ceux des Sam. Bochart et des D. Calmet ; elle s’est approprié les fruits de l’érudition profane, dont elle avait naguère, à elle seule, provoqué la naissance. Les Polyglottes de Paris et de Londres sont restées, pour ainsi dire, les colonnes qui marquent à leur époque le terme possible d’incroyables, mais fructueux efforts ; l’exactitude et la perfection des détails n’y ont point souffert des vastes proportions de l’entreprise : dans de telles œuvres, nous trouvons les travaux d’un siècle entier assemblés et coordonnés par des hommes d’un génie patient.

Le XVIIe siècle, qui a uni la gloire de l’érudition à la gloire des lettres, devait laisser, à côté des publications aussi importantes que variées que nous venons de passer en revue, des monumens non moins durables du prodigieux savoir alors déployé dans l’étude des sources Orientales ; il lui a été donné d’ajouter à sa couronne scientifique l’essai d’une somme, d’une espèce d’encyclopédie de l’Orient, mais de l’Orient Biblique et Musulman, tel qu’il était connu par l’Ecriture et dépeint par les historiens Arabes : après les tentatives déjà remarquables du savant Hottinger[81], parut la Bibliothéque Orientale de d’Herbelot, œuvre colossale, tirée laborieusement par son auteur de sources manuscrites, Arabes, Persanes et Turques, la plupart encore inconnues ; malgré les défauts inséparables de l’exécution d’un si vaste plan, elle est un trésor dont les richesses conservent tout leur prix, jusqu’à ce que le texte complet des mêmes sources ait été publié, ou qu’on ait mis au jour une nouvelle bibliothèque rédigée dans un ordre encore plus systématique, puisée aussi dans les ouvrages originaux et par dessus tout s’étendant à toutes les nations de l’Asie. Un autre monument fut un demi-siècle après élevé par la France à une branche non moins considérable des mêmes études : comme la Bibliothèque de d’Herbelot, œuvre contemporaine de la traduction des Mille et une nuits par A. Galland, était consacrée à l’histoire de l’Orient Musulman[82], le travail du P. Lequien, qui mériterait également le nom de Bibliothèque, embrassait l’histoire de l’Orient Chrétien, traitée d’une manière complète et d’après des documens authentiques[83] ; il réalisait sur l’histoire des Églises Orientales des recherches neuves comme celles qu’Eus. Renaudot avait faites sur leurs Liturgies[84]. Un troisième monument qui remonte à la même époque vit le jour à Rome sous les auspices de l’autorité pontificale : c’est la Bibliothèque Orientale du Vatican, publiée à l’imprimerie de la Propagande par les soins de J. S. Assemani, le plus ancien membre de la famille des savans Maronites du même nom, et restée jusqu’ici le dépôt le plus considérable des textes Syriaques[85].

Les travaux que le XVIIe siècle avait consacrés à l’Orient ont été achevés dans la première partie du XVIIIe, comme le prouve la date des dernières publications qui se rattachent par leur méthode et leur portée à l’entreprise de d’Herbelot ; mais il n’y a alors, pour ainsi dire, aucune manifestation de l’esprit de conquête qui animera les représentans de l’érudition Orientale dans la seconde moitié du même siècle : car c’est là l’aurore d’un jour nouveau, le principe du mouvement qui poursuit aujourd’hui son cours.

Une troisième période a commencé vers 1750 pour les études Orientales ; elle est marquée par les grandes entreprises de quelques hommes réduits à leurs propres forces, avant qu’il se soit formé des associations spéciales comme celles de notre temps : mais c’est l’instinct du génie qui détermine et dirige leur vocation ; c’est la puissance du génie qui opère leurs étonnantes découvertes et qui signale leurs conceptions et leurs œuvres. Voyons d’abord quel genre de progrès s’est manifesté dans les branches déjà cultivées de la littérature Asiatique.

La philologie Sémitique est approfondie dans toutes ses ramifications ; l’Arabe est pris non seulement comme terme de comparaison, mais encore comme la clef des difficultés et comme la mesure des lacunes, que présentent la grammaire et le lexique des autres idiomes de la même souche. C’est au sein de l’école Batave, alors illustrée par Alb. Schultens, que s’est produite surtout cette tendance à expliquer par la nature et les propriétés de l’Arabe l’organisme des langues Sémitiques, même de l’Hébreu assez distinct par ses caractères d’ancienneté. On doit à la même école la publication d’un grand nombre d’ouvrages de la littérature Arabe dans le texte original ; l’Allemagne, qui prit part à ces différentes études vers la même époque, peut s’enorgueillir des éditions de Reiske et de la réimpression plus complète et plus scientifique du Trésor de Meninski, comprenant le dictionnaire des langues Turque, Arabe et Persane[86].

L’étude exégétique de la Bible est éclaircie, au moins dans les questions de détail, et elle est agrandie extérieurement par les progrès simultanés de la philologie et de l’histoire ; elle est l’occasion des recherches variées, déposées dans des collections périodiques ou dans les Bibliothèques Orientales et Bibliques, dont les principales sont celles de F. D. Michaelis et de J. G. Eichorn.

La littérature Arménienne, qui a été importée en Europe par l’établissement des presses d’Amsterdam et de Marseille a désormais un siège et un asile dans l’île de St-Lazare, en face de Venise ; établie par son fondateur dans cette retraite ouverte à ses frères d’Orient, la congrégation des moines Mékhitaristes ne cesse pas depuis un siècle de communiquer à l’Europe la connaissance des monumens nationaux, dont elle est restée la dépositaire et l’interprète.

L’étude du Chinois et des langues de l’Asie Orientale reçoit de nouveaux secours des missionnaires du XVIIIe siècle ; le P. Prémare laisse des travaux de grammaire qui font encore autorité ; le P. Amiot rassemble les matériaux nécessaires à une connaissance raisonnée du Tartare-Mandschou ; ses recherches et celles de ses savans confrères, mémoires, lettres, documens et observations, composent la collection curieuse intitulée : Mémoires concernant l’histoire, les sciences et les arts des Chinois[87]. En même temps, aux théories vagues et arbitraires de Fourmont sur la langue et la civilisation de la Chine succèdent les travaux sérieux de J. De Guignes : son Histoire générale des Huns a démontré toute l’importance des sources Chinoises pour l’histoire de l’Asie Orientale qui est venue dès lors élargir le cercle des recherches historiques[88].

Deux découvertes inespérées contribuent surtout à agrandir le champ des études Orientales en proposant des faits nouveaux aux méditations des savans : c’est d’abord celle des livres de Zoroastre, retrouvés par Anquetil Duperron au milieu des Parsis ou Guèbres de l’Inde[89] ; le voyageur intrépide, qui est aussi leur traducteur, les a apportés en Europe comme le plus beau trophée de sa patience et de son courage ; il a sauvé les débris uniques d’une langue ancienne et savante, que l’on croyait à jamais perdue, dans leur texte Zend, restitué avec bonheur par un des plus spirituels critiques de notre époque. Presque vers le même temps avait lieu la révélation non moins subite et inattendue de l’Inde Brahmanique à l’Europe savante, par les travaux des Anglais qui, affermis dans leurs possessions d’Asie par de longues guerres, s’occupaient déjà d’étudier l’histoire et les langues de leurs nouveaux sujets dans l’intérêt de leur domination : quelques savans, Halhed, Wilford, et surtout le fameux W. Jones, ont recueilli avec habileté les documens les plus propres à signaler tout d’abord l’importance des connaissances qu’ils puisaient à des sources nouvelles ; c’est la publication des Recherches Asiatiques de Calcutta qui a le plus puissamment concouru avec les ouvrages de Jones à répandre en Angleterre et ensuite sur le continent les faits généraux qui allaient constituer l’étude historique et littéraire de l’Inde[90]. Les élémens du Sanscrit, donné comme langue savante de l’antique civilisation des Indiens, étaient à peine propagés dans des ébauches de grammaire, que déjà l’attention d’une certaine classe du public savant témoignait assez qu’il entrevoyait et devinait l’utilité multiple d’une connaissance approfondie de cette langue. Son attente n’a pas été trompée ; une littérature nouvelle, connue successivement dans ses plus anciennes productions, a été mise en comparaison, sinon en concurrence avec les littératures classiques de l’antiquité ; une langue parfaite dans son euphonie et dans ses flexions est venue apporter la lumière dans les procédés encore incertains de la linguistique ; c’est en communiquant plus de logique aux recherches, plus de force et de fixité aux conclusions, que cette langue a été prise comme un des fondemens de l’étude comparative des langues Européennes. L’œuvre que les Anglais avaient commencée dans l’Inde au siècle dernier a été reprise de nos Jours avec l’ardeur de l’émulation par les peuples les plus avancés de l’Europe : l’étude grammaticale du Sanscrit et la critique des textes ne doivent pas moins aux efforts persévérans de la France et de l’Allemagne qu’à la science des deux Indianistes Anglais, Colebrooke et Wilson, dont les noms valent l’illustration de toute une école.

Telle était déjà l’extension acquise aux études Orientales avant la fin du XVIIIe siècle par les recherches simultanées des voyageurs et des savans. Le XIXe poursuit ces recherches et il les complète : il agrandit le domaine de chaque littérature en rapportant à l’histoire des lettres chez un peuple tous les faits qui appartiennent à la même époque et dépendent de la même civilisation : c’est ainsi qu’il forme par la comparaison systématique des sources une sorte d’encyclopédie historique et littéraire qui résume la pensée du monde Oriental, Qu’on observe bien qu’il ne s’agit pas seulement des patientes et graves études de l’érudition : les productions de ce monde qui est si loin de nous ont joui d’un empire plus immédiat et plus réel sur l’intelligence des contemporains ; elles ont fourni à l’opinion des idées nouvelles et imprimé des formes nouvelles au style littéraire. N’est-ce pas avec raison que nous donnerions au mouvement opéré par ces idées et ces formes le nom de Renaissance Orientale[91] ? Ne voyons-nous pas depuis le commencement de ce siècle philosophes et historiens, prosateurs et poètes, payer tribut aux conceptions du génie Oriental répandues en Europe sous toutes les formes ? Le chantre Allemand des Héros de l’Iran, rival de Ferdousi dans son énergique paraphrase, J. Goerres a tiré des premiers livres apportés d’Orient son ingénieuse Histoire des mythes du monde Asiatique ; F. Creuzer, venu après lui, a puisé dans les mêmes fragmens la partie comparative de sa Symbolique des peuples de l’antiquité. On sait que Fr. Schlegel, comme Herder, a donné la première place à l’Orient dans l’histoire primitive de l’humanité ; que J. F. Molitor a recherché dans les sources hébraïques la Philosophie de la Tradition ; que J. Ch. Windischmann a interrogé sur les problèmes des sciences spéculatives la sagesse de l’Inde et de la Chine, et enfin que Hégel lui-même n’a pas dédaigné de mêler à sa nébuleuse métaphysique les abstractions dérobées aux enseignemens philosophiques des écoles Orientales. Goethe et Byron ont emprunté aux poèmes de l’Orient des conceptions et des images qu’ils ont fait servir à l’expression de la pensée plus sérieuse et aussi plus inquiète de l’Occident. Fr. Rückert a tenté avec un merveilleux succès d’assouplir la langue des Germains à toutes les formes, à tous les rhythmes de la poésie Orientale : la réaction romantique y a cherché les motifs d’une libre inspiration et en même temps l’exemple de ses propres hardiesses ; un poète Français a fait succéder un recueil d’Orientales à ses Odes et Ballades ; un autre poète a demandé à la nature de l’Orient des pensées et des impressions, des images pour ses tableaux, des tons pour de nouvelles harmonies.

Telle est l’influence en quelque sorte naturelle et directe de la littérature Orientale sur la pensée de l’époque et en particulier sur celle des poètes ; mais revenons à cette littérature prise dans son ensemble comme objet de recherches scientifiques ; voyons comment son étude promet d’être féconde en résultats et combien de labeurs et d’efforts elle exige pour répondre à sa destination. Nous ne serons point étonnés du concours des travailleurs en présence d’une mine dont les richesses sont dispersées en un si grand nombre de régions : le développement des lettres Orientales a constitué en effet des branches d’étude aussi distinctes qu’il y a eu de grands peuples sur la surface du continent Asiatique. Il importait à la science Européenne de créer des moyens d’investigations sans cesse plus nombreux et plus efficaces : les collections de manuscrits, les imprimeries, les académies et les universités, les associations, les recueils périodiques ont été les instrumens extérieurs de la propagation rapide des études Orientales depuis cinquante années.

Les collections de manuscrits Orientaux, rassemblées dans quelques capitales, ont été mises en œuvre de notre temps avec plus d’ardeur et surtout avec plus d’accord dans le choix des ouvrages destinés à voir le jour : des acquisitions précieuses et souvent considérables sont venues accroître le fond Oriental des bibliothèques de Paris, de Rome, de Leyde, de Londres et d’Oxford, de Berlin et de Dresde, de Gotha, de Vienne et de Munich ; les musées et les bibliothèques de St-Pétersbourg ont pris place parmi les dépôts les plus importans d’antiquités et de livres Asiatiques. Les grandes imprimeries ont perfectionné les procédés appliqués à l’impression des diverses écritures Orientales et elles se sont enrichies de nouveaux corps de caractères dans des langues auparavant à peine connues. Les universités des grandes monarchies de l’Europe ont vu créer dans leur sein des chaires spéciales pour l’enseignement des langues et des littératures de l’Orient ; tandis que les universités de l’Allemagne ont déjà pu atteindre une gloire différente, mais également grande, dans le cercle particulier de leurs travaux, l’École spéciale des langues Orientales et le Collège de France perpétuent à Paris l’éclat que les Chézy, les Rémusat, les Silvestre de Sacy ont jeté naguère sur cette partie de la science, honneur héréditaire de leur patrie. L’Institut de France et les célèbres académies de Berlin, de Munich, de Turin et de Pétersbourg, ont donné place dans leurs mémoires à des dissertations étendues sur l’histoire et la littérature des Orientaux ; il faudrait rappeler ici les noms de leurs auteurs la plupart encore vivans, pour faire ressortir la valeur de chacune de ces collections académiques. Des recueils ont été fondés dès le commencement de ce siècle pour mettre au jour les trésors encore enfouis dans les dépôts de manuscrits ou pour en faire connaître le prix par de savantes analyses ; c’est le but qu’ont atteint des publications telles que les Mines de l’Orient[92] ainsi que les Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi[93] ; c’est aussi celui que se proposent les deux comités établis en Angleterre, l’un pour l’impression des traductions d’ouvrages Orientaux, l’autre pour la publication des textes[94]. Il faut rapprocher de ces grandes entreprises les recueils périodiques dirigés par les membres de quelques sociétés savantes en vue de communiquer à un public nombreux les travaux commencés ou bien les découvertes déjà obtenues : les principaux de ces organes de la science progressive sont les Journaux Asiatiques de Calcutta, de Madras, de Bombay, de Londres et de Paris, ainsi que le Journal pour la connaissance de l’Orient publié par les philologues les plus distingués de l’Allemagne sous la direction de Mr Chr. Lassen[95]. L’union des hommes qui cultivent les langues et les littératures Orientales n’était pas moins nécessaire que la publicité rapide des recherches scientifiques ; c’est ce qui a déterminé la fondation des Sociétés Asiatiques du Bengale, de Paris, de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, et plus récemment de la société Orientale de Boston ; l’influence de ces différentes sociétés est plus ou moins étendue d’après l’activité des hommes qui dirigent leurs

travaux et en raison des ressources dont chacune d’elles peut disposer. L’Allemagne à laquelle le mobile de l’émulation littéraire n’a d’ailleurs jamais manqué n’a point possédé jusqu’à présent une semblable association ; elle a compté depuis longtemps des noms illustres dans les diverses branches de la science Orientale ; mais pour la première fois, elle vient de rallier ceux de ses enfants qui se vouent à l’étude de l’Asie dans le congrès annuel de ses philologues, en y conviant avec eux les Orientalistes des autres pays de l’Europe. Le congrès de Dresde, qui est à peine terminé, a compris cette fois une section d’Orientalistes dont les conférences ont eu pour but la propagation et l’encouragement des différentes études qui concernent l’Asie ; c’est là une première tentative d’unir ceux qui, quoique séparés par de grandes distances, sont occupés de la réalisation de semblables desseins et doivent joindre leurs forces en vue d’un plus rapide accomplissement. Il est digne de remarque que le nom même qui a cours aujourd’hui pour désigner collectivement cette classe d’hommes dans la république des lettres est d’un usage tout moderne : Orientaliste est un mot nouveau, dont la formation et l’emploi sont dûs à la création d’une science nouvelle qui, quelque restreinte qu’elle soit ou qu’elle paraisse, exige des études longues et spéciales pour donner des fruits abondans. On pourrait avec non moins de justesse comprendre sous le nom d’Orientalisme l’ensemble des travaux de toute nature entrepris avec une heureuse persévérance pour parvenir à une connaissance complète et vraie du monde Oriental, tel qu’il apparaît dans le cours entier de l’histoire. Ces mots sont au nombre de ceux qui naissent dans les langues, quand la chose qu’ils expriment est née elle-même dans l’intelligence des peuples, quand tous les esprits ont conscience de la réalité d’un nouvel ordre d’idées et de faits.

Vous venez de voir, Messieurs, dans quelles circonstances et par quels moyens le cercle des études Orientales s’est élargi sans cesse depuis un siècle, au point de constituer en quelque sorte une carrière nouvelle et spéciale parmi les carrières scientifiques ; je dois attirer encore votre attention sur les intérêts divers, mais également puissans, qui déjà y ont fait entrer un grand nombre d’hommes. Un genre d’intérêt qu’on peut appeler historique a poussé des esprits élevés, voués à des sciences particulières et capables d’en étendre les limites, à les appliquer à l’étude approfondie de l’Asie ; les derniers progrès de quelques sciences, histoire, ethnographie, géographie, climatologie, ont en effet été marqués par de grands ouvrages consacrés par leurs auteurs au continent Asiatique : telles sont les compositions historiques des Heeren et des Klaproth[96], des Hammer et des Mouradja d’Ohsson[97] ; telles sont la description ethnographique de l’Asie, due aux recherches savamment groupées de C. Ritter, et sa description géographique, entreprise par H. Berghaus en rapport avec les exigences des sciences mathématiques et les découvertes des sciences naturelles[98] ; telles sont encore les publications d’Alexandre de Humboldt, expliquant à l’aide d’une étude comparative des grandes divisions du globe les lois géologiques et météorologiques de l’Asie et surtout de sa région centrale[99]. En vous citant les œuvres qui représentent la science la plus avancée, je vous indique quelle large place a été faite à la connaissance de cette partie du monde dans les travaux les plus considérables des modernes. Une activité non moins grande et non moins heureuse a été déployée dans la culture des branches plus spéciales de l’érudition Asiatique, et l’on pourrait, en raison de sa portée générale, nommer philosophique l’intérêt qui a guidé toutes les classes des Orientalistes dans leurs études diverses embrassant le plus souvent des objets nouveaux : c’est cet intérêt qui les a entraînés vers les littératures inconnues de l’Orient, qui les a conduits à l’analyse et à la comparaison des langues, qui les a soutenus au milieu des difficultés des recherches les plus minutieuses, et qui les a éclairés dans la critique des sources. Je vous ai déjà entretenus de l’étude philosophique de l’Orient ; j’ai signalé aussi les procédés ingénieux et sûrs de la linguistique comparative ; je devrais redire ici avec quelle sagacité quelques esprits ont interrogé les plus anciens systèmes d’écriture pour y découvrir la langue et la pensée des peuples, s’il suffisait de quelques définitions pour caractériser les progrès de la grammaire philosophique du Chinois, la lecture d’une partie des inscriptions cunéiformes et surtout le déchiffrement des hiéroglyphes de l’Égypte. Mettant au nombre des expressions multiples de la pensée Orientale l’antique écriture de la monarchie des Pharaons, je prends pour exemple des plus heureuses découvertes de l’époque l’œuvre de Champollion le Jeune, la recomposition du système hiéroglyphique qui avait caché aux regards de tant de siècles la vie religieuse et politique d’une grande nation ; un seul homme a tiré de ces caractères mystérieux et jusqu’alors incompris une langue hiératique dont il a reconstruit la grammaire et le dictionnaire[100] ; depuis lors on n’a guère fait que répéter la substance de ses recherches ou les amplifier dans un cercle restreint d’applications[101]. Les études Égyptiennes, dont la première phase remonte à l’Expédition Française et dont la seconde a été marquée par les découvertes de Champollion, ont paru sommeiller depuis quelques années ; mais une splendeur nouvelle leur semble réservée par les résultats de la nouvelle expédition d’Égypte, entreprise par des savans Allemands sous la direction de Rich. Lepsius et avec la protection du gouvernement Prussien. La Chine, l’Inde, la Perse n’ont rien à envier à ces études Égyptiennes, que nous voyons encouragées avec une munificence royale et favorisées plus puissamment encore par l’attente de l’opinion ; c’est le même intérêt philosophique qui a suscité dans toute l’Europe de patientes, recherches ou de longs et ardens travaux sur l’écriture, la langue, la littérature, la religion et l’histoire des plus grands peuples de l’Asie. Un intérêt social vient s’ajouter aux deux autres et leur donne plus de force en leur communiquant sa propre actualité : l’Europe transporte sur le sol de l’Asie les questions de prépondérance politique qui s’agitent entre ses gouvernemens ; elle assure son influence chez les peuples à qui elle transmet les arts de la civilisation ; elle accroît en même temps sa puissance maritime et crée pour son commerce d’importans débouchés. Quand on se représente l’immense continent, voisin du nôtre, ainsi cerné ou plutôt envahi de toutes parts, on ne peut s’empêcher d’ajouter foi à une rénovation sociale de l’Asie qui est déjà en voie d’accomplissement et que l’Europe semble destinée à mener à son terme, à la condition d’une politique généreuse qui vienne en aide aux intérêts religieux et moraux des peuples Asiatiques non moins qu’à leurs besoins d’un ordre matériel.

Si la question d’Orient, transportée de l’Égypte à la Syrie, de la Perse à la Chine, a pris en peu d’années des aspects divers et a grandi pour ainsi dire à vue d’œil dans d’effrayantes proportions, l’importance scientifique de l’Orient s’est fait sentir longtemps auparavant dans la vie intellectuelle de l’Europe ; il est évident qu’une ère nouvelle a été dès la fin du dernier siècle ouverte à la science par la conception plus large de tous les élémens qui doivent entrer dans l’étude philosophique de l’humanité, et l’on ne peut méconnaître en même temps qu’une telle révolution avait un but élevé, providentiel, caché d’abord aux prévisions humaines. Car, si les progrès de la science ont semblé quelquefois menacer les fondemens de nos croyances et opposer des témoignages contradictoires aux traditions positives qui s’y rattachent si étroitement, une science plus avancée, et par conséquent plus complète, est toujours venue proclamer la sublimité du dogme Chrétien, ainsi que la certitude et la supériorité des traditions Bibliques perpétuées par l’enseignemens de l’Église. Vous savez, Messieurs, que les études Orientales ont mis de nos jours des armes puissantes entre les mains d’illustres apologistes depuis le comte Frédéric de Stolberg jusqu’au savant N. Wiseman[102]. Que des attaques non moins violentes ni moins perfides que celles du siècle dernier soient dirigées mainte fois encore contre le Christianisme au nom de la science par l’esprit négatif de quelques écoles où dominent dans une mesure fatale les procédés de l’analyse[103] : et vous verrez de nouveau la vérité des faits, mise tout à coup dans un jour plus éclatant, faire rentrer dans l’oubli, les doutes et les hypothèses qu’une critique orgueilleuse ne craint pas de formuler. N’oubliez pas que la guerre de destruction qui se poursuit encore aujourd’hui dans quelques parties de l’érudition Orientale trouvera nécessairement un terme dans les excès mêmes du scepticisme historique ; du milieu des ruines qu’il aura accumulées s’élèveront de plus vastes édifices, reconstruits par le génie patient et laborieux de générations croyantes.

TABLE.


Page
Notes.
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  1. 29 octobre 1844.
  2. 1 Le nom d’Anquetil n’a rien perdu de sa première célébrité ; il a même grandi en raison des talens déployés dans la même carrière. Ne nous montre-t-il pas réunis dans une seule personne le savant et le voyageur, l’homme de science et l’homme d’action ? Le traducteur du Zend-Avesta, l’éditeur de l’Oupnekhat, est aussi l’auteur d’ouvrages d’un intérêt plus immédiat et plus pratique : la Législation Orientale et l’Inde en rapport avec l’Europe ; c’est le publiciste qui succède au linguiste philosophe.
  3. C’est ce que rapporte la Légende de Lao-Tseu, mise par Mr Stan. Julien en tête de sa magnifique traduction du Tao-te-King. Le même philosophe a aussi reçu le nom de Lao-Kiun, ou vieillard-prince, eu égard sans doute à l’origine merveilleuse et à la supériorité intellectuelle qui lui ont été attribuées. — Il y a également une signification symbolique dans la tradition du Schah-Nameh ou Livre des Rois qui représente un des héros de la Perse, Sâlser, fils de Sâm, né avec la chevelure d’un vieillard : « L’enfant, dit Ferdousi, surpassait la splendeur du soleil par l’éclat de son visage ; mais sa chevelure était entièrement blanche. » Le berceau du futur guerrier, d’après l’épopée héroïque, fut le nid de Simourg, l’oiseau fabuleux du mont Elbourz.
  4. Fréd. de Schlgel, Philosophie de l’histoire, leçon IVe (trad. franc, t. I, p. 101). — L’auteur du Génie des Religions a exprimé la même idée, sans doute dans des intentions opposées, mais avec une force de conviction qui conviendrait au langage de la vérité (p. 4-5). « Si vous connaissez le dogme d’une société, dit-il, vous savez vraiment pourquoi et comment elle vit ; vous possédez son secret… »
  5. 4 Cette considération est développée par l’illustre critique déjà cité, Fr. de Schlegel, dans son ouvrage sur la Langue et la Sagesse des Indiens. (Livre III, histoire. — Trad. fr. de Mazure, p. 198-99.)
  6. 5 Le nom de ce fétichisme septentrional est tiré de celui de ses prêtres ou devins qui évoquent les esprits et pratiquent la magie : schaman ou plutôt saman, pluriel samana, est un mot qui ne peut être d’origine Indienne et se rapporter aux prêtres Bouddhiques ; il appartient exclusivement à la langue des Toungouses et il est attribué par les sources Chinoises seulement aux prêtres magiciens de la Haute-Asie. (Schott, über den Doppelsinn des Wortes Schamane, — Lu à l’Académie de Berlin, en 1842.)
  7. 6 Je n’ai besoin que de rappeler les ingénieuses conjectures de Mr G. Grotefend, de Hanovre, déposées dans une suite de publications détachées. Il faut savoir gré aussi à la Société Asiatique de Paris d’avoir inséré naguère dans son Journal les inscriptions cunéiformes de Van et plus récemment celles de Ninive recueillies par Mr Botta avec de nombreux dessins de sculptures, afin de les proposer aussitôt que possible aux études des linguistes et des archéologues.
  8. 7 Ces souvenirs précieux à recueillir pour l’histoire des lettres, comme pour celle des religions Asiatiques, se retrouvent dans les noms de pays et de peuples : l’Iran des poètes persans rappelle l’Eriene des livres Zends et la contrée dite Ariana par les géographes anciens ; l’âryâvarta des ouvrages sanscrits est le siège le plus ancien de la civilisation Brahmanique. Les peuples qui ont reçu de leurs voisins d’autres noms plus connus conservent le nom d’Ariens comme leur nom national ; les Indiens, celui d’Aryas, ou excellents, vénérables ; les peuples Zends, celui d’Airya : les Mèdes, qu’Hérodote appelait ἄριοι, sont appelés Arikh par les Arméniens dont le nom semble avoir la même étymologie. L’analogie de signification des noms cités et leur valeur ethnographique ont été jugées par Mr Lassen dans un résumé complet de la question qui ouvre son nouvel ouvrage sur l’Inde (Indische Alterthumskunde, t. I, part. I, p. 4-9, p. 527 suivant. — Bonn, 1844).
  9. 8 Depuis vingt années on a fait connaître à l’Europe la plupart des genres de la littérature Sanscrite dans des textes ou des traductions et une saine critique, s’élevant au-dessus des préjugés nationaux, a pu faire sur le champ la part de l’éloge et du blâme ; la masse du public littéraire était libre cette fois encore de juger selon ses caprices, de louer ou de mépriser d’après ses instincts du moment ; mais il est pour ainsi dire incroyable qu’une grande partie du public savant, se piquant d’ailleurs d’érudition classique, ait affecté si longtemps le dédain de l’ignorance, sans concevoir que pour comprendre les productions Sanscrites, il faut les rapprocher patiemment et, pour les bien juger, reconstruire en pensée le monde qui les a créées avec le climat qui leur a imprimé ses vives couleurs. Qu’on les condamne, mais seulement au nom de ce sens d’une critique intelligente, qui est propre aux grands peuples du monde civilisé et qui conçoit la beauté des formes de l’art comme inséparable de l’harmonie constante des proportions !
  10. 9 Pouvions-nous mieux faire que d’emprunter à M. Abel-Rémusat cette épithète heureuse qui définit si brièvement une vaste littérature, commune à tous les peuples de même croyance sans appartenir à aucun en particulier ? Nous complétons sa définition de la littérature Bouddhique par les termes dont il s’est servi lui-même pour l’expliquer : « … c’est la théologie de Bouddha qui en est la base. De vastes traités de morale, de métaphysique et de cosmologie, apportés de Ceylan ou de l’Hindoustan, et attribués à Bouddha lui-même, des romans historiques ou mythologiques où sont racontées les aventures fabuleuses des dieux, des plus illustres pénitens, des bienfaiteurs de la religion, des rituels, des prières, de longues formules pour les invocations, les exorcismes : voilà quel en est le fond, que chaque peuple a ensuite brodé, en ajoutant ses traditions particulières, ses légendes nationales, la vie des héros et des saints les plus célèbres de chaque contrée. On voit par là en quoi doivent se ressembler et en quoi doivent différer les matières qui constituent la littérature chez les peuples Bouddhistes… et il faut surtout remarquer que nous entendons toujours ici par littérature l’ensemble des connaissances d’une nation, depuis l’art d’écrire jusqu’à la poésie, depuis les élémens des sciences les plus vulgaires jusqu’à la métaphysique et à la théologie. Ce serait peut-être philosophie qu’il faudrait dire, car la théologie de ces nations comprend tout… » (Recherches sur les langues tartares ou Mémoires sur différens points de la grammaire et de la littérature des Mandschous, des Mongols, etc. etc., tome l, Paris, I. R., 1820, 4o, p. 377-78).
  11. 10 Recherches, ibid. p. 379, p. 387-88.
  12. 11 Rech., ibid., p. 393 et la Conclusion, p. 394-98.
  13. 12 Tandis qu’Abel Rémusat, dans le Discours préliminaire de son grand ouvrage déjà cité, ruinait à jamais par de solides raisons l’hypothèse de Bailly qui expliquait toute l’histoire primitive sans égard aux traditions Mosaïques, l’étude des lois du globe servait à l’illustre naturaliste, Alex, de Humboldt, à démontrer la fausseté d’une hypothèse longtemps accréditée dans les mêmes vues, celle d’un plateau central de l’Asie, qu’on avait aussi nommé plateau de la Grande-Tartarie.
  14. 13 Nous ne pouvons nous empêcher de rapporter ici comment une des raisons immédiates de la diffusion rapide du Bouddhisme chez plus de vingt nations de l’Asie a été appréciée par Mr Landresse dans une introduction qu’il a consacrée à une histoire des études des modernes sur cette matière (Édit. du Foe Koue ki ou Relation des royaumes Bouddhiques, trad. d’Abel Rémusat, Paris, 1836, 4o — p. VIII) : les fictions du Bouddhisme ne présentaient pas un seul côté d’application ; elles avaient « le double avantage d’offrir du merveilleux au vulgaire, et aux esprits contemplatifs des sujets de méditations » ; c’est par cette cause peu remarquée qu’elles ont exercé un égal ascendant sur les tribus de l’Asie septentrionale et sur les nations policées comme l’étaient les Chinois.
  15. 14 Le plus grand des philosophes de l’Italie contemporaine, Mr Vinç, Gioberti, a saisi toute la portée des recherches sur le Bouddhisme et il en a tiré admirablement parti dans son livre Del buono, quand il recherche l’idée du bien chez les peuples hétérodoxes. La tâche que la mort a empêché Abel Rémusat d’accomplir, l’histoire du Bouddhisme, est reprise avec ardeur par son illustre et ingénieux compatriote, Mr Eugène Burnouf, qui s’y est préparé par d’immenses études : l’Introduction à l’histoire du Bouddhisme Indien, qu’il est près de livrer à la publicité, répandra avec l’appréciation des doctrines la connaissance critique de nouvelles sources littéraires. La personne de Bouddha ne peut manquer non plus d’une histoire ; on devra bientôt à Mr Ph. Ed. Foucaux la publication du Lalita Vistara, qui est la Légende du Réformateur, d’après les textes sanscrit et tibétain.
  16. 15 La Hollande a eu longtemps le monopole des travaux littéraires sur les langues de l’Archipel indien ; si elle partage avec l’Angleterre l’avantage de posséder de riches collections de manuscrits, elle peut s’enorgueillir du plus grand nombre de belles publications, comme celles des Roorda Van Eysingha, des Gericke et des Élout, qui complètent les ouvrages de Marsden et les récits de J. Crawfurd, l’historien de la Malaisie. La France va la suivre sur le même terrain, grâce à l’enseignement et aux travaux que Mr Ed. Dulaurier a entrepris à un point de vue d’émulation scientifique et d’utilité nationale : le spirituel Mémoire où il exposait ses vues sur les langues et la littérature de l’archipel d’Asie sous le rapport ethnographique, littéraire et commercial, a été réuni aux Lettres et Rapports relatifs à ses cours et à ses voyages (Paris, 1843, in-8o) ; la littérature des Malays et des Javanais nous y est décrite comme également riche en poëmes, en documens historiques, en monumens d’une législation très remarquable, dont l’auteur se propose de faire connaître sous peu une partie importante, celle des lois maritimes de Malaca et des principaux états Malays.
  17. Leçons du 5 et du 12 Novembre.
  18. Il ne s’agit pas ici d’une bibliographie complète, comme un traité de linguistique le comporterait, mais seulement des documens les plus nécessaires sur des livres qui peuvent servir à différentes branches d’études, à l’histoire, à la géographie, à l’ethnographie, comme à toutes les branches de la philologie.
  19. C’est en vain que dans la Préface des Mines de l’Orient et ailleurs Mr de Hammer cherche à revendiquer le titre exclusif de langues Orientales pour trois langues, l’Arabe, le Persan et le Turk, celles auxquelles l’interprète impérial de Vienne a voué dès sa jeunesse un culte passionné.
  20. Si Alexandre de Humboldt a eu la gloire de décrire, avec ce génie qui devine les progrès de la science, la nature du sol et les lois du climat de l’Amérique, il était réservé à son illustre frère, le baron Guillaume de Humboldt, d’analyser le premier les langues à peine recueillies de ce double continent ; son immense ouvrage sur les langues Américaines, digne pendant de son travail déjà connu sur les langues de l’archipel Malay et de la Polynésie, est déposé à la bibliothèque royale de Berlin ; la publication en est confiée encore au professeur Buschmann, qui a parcouru lui-même plusieurs contrées de l’Amérique pour réunir de nouveaux vocabulaires.
  21. Il est à désirer qu’un semblable tableau de l’étude comparative des langues en Europe soit entrepris par un linguiste qui traite le sujet dans toute son étendue et qui puisse porter personnellement des jugemens décisifs sur ses diverses parties. On ne possède jusqu’ici qu’un résumé historique fait avec habileté par Mgr Wiseman en vue de relever les témoignages de la linguistique et de l’ethnographie en faveur de la science chrétienne : c’est l’objet des deux premiers discours dans son ouvrage Sur les rapports entre la science et la religion révélée, déjà traduit de l’anglais en français et en allemand.
  22. Pour invoquer à l’appui de cette assertion des noms qui font autorité dans toutes les écoles, je n’ai besoin que de citer ceux de Drach et de Molitor, d’Ewald et de Gesenius, de Delitzsch et de J. Fürst, le célèbre éditeur de la dernière Concordance hébraïque de la Bible.
  23. On n’est pas peu surpris de voir que ce dernier genre d’illusion n’a pas manqué à la jeunesse querelleuse d’un des grands Orientalistes de notre temps : le paradoxe a d’abord été soutenu sérieusement en faveur du Chinois par J. Klaproth dans une brochure intitulée : Hic et ubique ou vestiges de la langue primitive recueillis dans le Chinois (in-4o sans date).
  24. Je prendrai pour exemple de ce défaut la distinction adoptée par J. G. Eichorn en faisant l’histoire de la linguistique chez les modernes jusqu’aux premières années du XIXe siècle, distinction qui sépare les langues Orientales en deux groupes, les langues monosyllabiques et les langues polysyllabiques (Geschichte der Literatur, B. V., 1o Abtheil, Goettingen, 1807) ; il n’en est pas de même d’une autre distinction qui est fondée sur l’observation générale de l’organisme des langues, si d’ailleurs elle ne peut éclaircir leur classification individuelle : c’est la distinction des langues à flexions, dont la grammaire est formée par les mutations euphoniques de la racine, et des langues à suffixes, dans lesquelles la racine immuable dans sa forme reçoit sa valeur grammaticale par l’accession de certains mots juxtaposés ; ce sont les idiomes Américains qui ont surtout fourni avec le Chinois l’exemple de cette seconde classe de langues par l’application perpétuelle de ce système d’affixes ou suffixes, indépendant de la variété des radicaux.
  25. Dans son Introduction à l’Atlas ethnographique (p. XVIII), Balbi a bien apprécié le vice de la méthode physiologique avant de caractériser les procédés meilleurs qui lui ont succédé : « L’identité ou la ressemblance de quelques terminaisons, de quelques mots isolés, offertes par des langues séparées par des espaces immenses et appartenant à des règnes ethnographiques différens, ne sont que l’effet du hasard, et ne sont d’aucun poids pour prouver l’affinité de deux langues. Ces analogies fortuites se rencontrent surtout parmi les monosyllabes et les dissyllabes des idiomes les plus distincts, vu le nombre borné de ces sons différens que nos organes sont capables de prononcer ».
  26. Il ne sera pas sans intérêt de faire ici mention des efforts déjà tentés pour rapprocher les langues des deux groupes Sémitique et Indo-Européen qui ont le plus d’importance sous le rapport littéraire : c’est le Copte qui a paru une sorte d’intermédiaire entre ces deux groupes de langues eu égard à la formation analogue de certaines parties du discours ; aux essais de R. Lepsius appliqués surtout aux pronoms et aux noms de nombre, vient s’ajouter la nouvelle tentative de Th. Benfey qui met en rapport les formes grammaticales du Copte avec celles des langues Sémitiques et promet la comparaison des vocabulaires (Ire partie, Leipzig, 1844). En attendant que les rapprochemens du professeur de Gœttingen soient admis et confirmés par la critique, il faut aussi tenir compte des analogies découvertes dans les élémens des deux groupes cités et exposés pour la première fois par Fr. Delitzsch dans son Jesurun ou introduction à la grammaire hébraïque (Grimma, 1838) ; il y a plus d’arbitraire dans les rapprochemens proposés par Wullner pour établir la parenté de ces mêmes langues (Munster, 1838), à cause de l’extension qu’il attribue aux interjections comme fondemens du langage.
  27. Dans son mémoire sur la pluralité des espèces humaines, Mr Forichon a rapproché des données de la science les témoignages désintéressés des voyageurs et des navigateurs, afin de démontrer qu’il n’y a point une ligne de démarcation précise entre les principales divisions que l’on établit dans le genre humain. Mettant à profit ses propres observations pour mieux juger celles de Buffon et de Cuvier, Mr Flourens, secrétaire perpétuel de l’Acad. des Sciences de Paris, vient de consacrer un chapitre décisif à l’unité de l’homme qu’il défend contre l’hypothèse des races distinctes, en prouvant « que l’espèce seule a une origine primitive et propre. » (Buffon, histoire de ses travaux et de ses idées, Paris, Paulin, 1844.)
  28. Balbi a déjà pu dire, il y a quinze ans, dans la Dédicace de son grand ouvrage d’ethnographie : « L’étonnante diversité et à la fois les traits de ressemblance des langues humaines, appartenant aux contrées les plus éloignées, obligent aujourd’hui à vénérer dans cette étude, comme dans les autres, les traces de ces antiques révolutions dont la sainte Écriture nous a transmis l’important souvenir. »
  29. De ses travaux de linguistique, le plus important est l’édition espagnole de son Catalogue des langues des nations connues (Madrid, 6 vol. in-4o, 1800-5). Le second volume est consacré aux langues des îles du grand Océan et du continent Asiatique.
  30. L’impératrice Catherine prit part à la publication qu’elle fit exécuter par le savant voyageur en fournissant l’ordre de la liste des mots : Vocabularia linguarum totius orbis comparativa, St.-Pétersbourg, 2. vol. 1787-89, — 2e éd. 4 vol in-4o, 1790-91.
  31. Mithridates oder allg. Sprachkunde mit dem Vater Unser als Sprachprobe in beynahe 500 Sprachen und Mundarten. L’ouvrage, achevé par J. S. Vater, a été publié à Berlin de 1805 à 1816, 4 vol. in-8o en cinq parties : le premier volume comprend les langues de l’Asie.
  32. Asia Polyglotta, Paris, 1823, 4o (en allem.), avec atlas in-folio contenant des listes de mots dans les langues les moins connues et une carte de l’Asie où les nations sont classées d’après les rapports des langues.
  33. Tableaux historiques de l’Asie, depuis la monarchie de Cyrus jusqu’à nos jours, Paris, 1826 (27 cartes ou tableaux in-folio, avec un texte explicatif et des mémoires historiques in-4o).
  34. Tripartitum sive de analogia linguarum libellus, Viennæ, 4 vol. in-folio, 1820-23.
  35. Principes de l’étude comparative des langues, Paris, 1828, 1 in-8o (publié par J. Klaproth).
  36. Atlas ethnographique du Globe en classification des peuples anciens et modernes d’après leurs langues, Paris. 1826 (41 tableaux in-fol., avec un volume d’Introduction in-8o).
  37. Die Erdkunde von Asien forme la seconde partie de la Géographie générale et comparative envisagée par l’auteur « dans son rapport avec la nature et avec l’histoire de l’homme ». La deuxième édition de ce monument colossal d’érudition est déjà parvenue au VIIe volume de la partie Asiatique.
  38. Les Indo-Germains, peuples privilégiés des ethnographes modernes, ne sont autres que les Grecs et les Barbares de l’histoire ancienne, les Gentils de l’histoire sainte, les Japhétites de Moïse.
  39. L’état de la science a déjà permis de résumer les faits acquis : c’est la tâche utile qu’a remplie Mr F. G. Eichoff, aujourd’hui professeur à la Faculté des Lettres de Lyon, en publiant son Parallèle des langues de l’Europe et de l’Inde (Paris, I. R. 1836, 1 in-4o). Plus tard est venu Mr A. F. Pott, qui a présenté avec une grande rigueur de critique tous les résultats obtenus par la philologie comparée dans son mémoire étendu intitulé : Indogermanischer Sprachstamm et inséré dans l’Encyclopédie allemande de Ersch et Gruber (Sect. II, Th. 18, p. 1-112, Leipzig, 1840).
  40. La comparaison grammaticale n’a été établie nulle part avec plus de netteté et de logique que dans le principal ouvrage de Mr F. Bopp, prof, à l’univ. de Berlin, qui est aussi l’auteur d’un grand nombre de dissertations détachées sur la même matière : c’est la Vergleichende Grammatik des Sanskrit, Zend, u. s. w., dont quatre parties ont paru (Berlin, 1833-42, 4o).
  41. Je m’éloignerais de mon sujet en descendant aux subdivisions des familles ici nommées ; je me borne à observer que la famille Celtique est une des dernières conquêtes réunies au règne des langues Indo-Européennes, grâce aux résultats affirmatifs obtenus par Mr Ad. Pictet, de Genève, (de l’affinité des langues Celtiques avec le Sanscrit, Paris, 1837, 8°), et confirmés par les recherches postérieures de M. Bopp ( Die Celtischen Sprachen in ihrem Verhältnisse zum Sanscrit u. s. w., 1839, 4°).
  42. On a proposé de donner le même nom d’Ariennes à toutes les langues du groupe Indo-Européen en raison de l’antiquité de la double branche Arienne ; mais puisque les familles de l’Europe n’en sont point des rejetons, le mot ferait supposer à tort une filiation qui n’existe pas. Il en serait de même de la dénomination de Sanscritique proposée par le baron G. de Humboldt : elle constituerait en apparence une langue-mère au lieu d’un idiome ancien pris pour premier terme de comparaison.
  43. Tel est le sens du mot Sanscrita : ce qui est composé et orné comme il doit l’être, ce qui est achevé en soi-même (compositum, adornatum, perfectum).
  44. Après Mr Hoefer qui a tiré les règles du Pracrit des textes des drames Indiens (De prakrita dialecto libri duo, Berolini, 1836, 8o), est venu Mr Lassen qui a basé à la fois sur les textes et sur les grammaires indigènes ses Institutiones linguæ Pracriticæ (Bonnæ, 1837, 1 in 8o).
  45. Dans un excursus de sa grammaire pracrite, Mr Lassen classe les langues vulgaires d’origine sanscrite et en compte jusqu’à vingt-quatre, y comprenant l’Hindoustani, p. 17 — 26.
  46. L’intérêt littéraire de ces deux idiomes est maintenant bien connu en Europe, grâce aux publications multipliées de Mr Garcin de Tassy, digne émule des Indianistes anglais.
  47. C’est la première partie de l’ouvrage du Dr Pott, professeur à Halle : die Zigeuner in Europa und Asien (1844, 8°), ouvrage d’ethnographie et de linguistique, intéressant par l’emploi de sources encore inédites, et qui sera terminé par un dictionnaire et un choix de textes dans l’étrange idiome des Bohémiens.
  48. La découverte de l’affinité était due à J. Klaproth qui la communiqua dans un mémoire spécial (St.-Pétersb., 1810, 4o) ; les recherches les plus complètes sur le Puschtu ou langue des Afghans ont été insérées par B. Dorn dans le t. V (6e série ), 1840, des Mémoires de l’Acad. de St.-Pétersbourg (Sciences historiques).
  49. Un recueil de mots, établissant la parenté, a été donné par J. Klaproth dans l’Asia Polyglotta, p. 74-75.
  50. Son affinité lexicographique et grammaticale avec les autres langues Persanes a été démontrée par Rœdiger et Pott dans une suite de mémoires intitulés : Kurdische Studien (Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, B. III-V).
  51. Les preuves en ont été fournies par les études faites parallèlement par deux orientalistes de l’Allemagne, Mr Petermann (Grammatica linguæ Armeniacæ, Berolini, 1837) et Mr Fréd. Windischmann. (Die Grundlage des Armenischen im Arischen Sprachstamme. — Travail depuis longtemps terminé, mais qui vient de paraître dans les Mémoires de l’académie de Munich — Ite Classe, IV. Bd. Abtb. II.)
  52. Les recherches comparatives, commencées par J. Klaproth (dans son Asia Polyglotta, p. 82-97, et dans le Voyage au Mont Caucase, t. II), viennent d’être couronnées par la publication de la Grammaire Osséthique de Mr Sjögren (Mém. de l’acad. de St.-Pétersb., 1843).
  53. Ce double nom en détermine la position géographique, d’une part, le pays des Chaldéens (Chasdim) sur les rives du Tigre et de l’Euphrate, d’autre part, la vaste contrée nommée Aram dans l’Écriture, s’étendant des bords de l’Euphrate à la Méditerranée.
  54. Voir plus haut la note Ire, page 58.
  55. Consulter pour les détails le tableau IVe de l’Atlas de Balbi : Langues de la région Caucasienne.
  56. V. sur les langues des peuples Géorgiens l’Asia Polyglotta de Klaproth, p. 109 suiv.
  57. M. M. Brosset et Bopp, l’un dans plusieurs articles du Journal Asiatique, l’autre dans un des bulletins les plus récens des séances de l’Acad. de Berlin (Bericht u. s. w. aus dem Jahre 1844, 8o).
  58. V. Klaproth, Asia Polygl., p. 124 suiv., et le tome IIe du Voyage au Mont Caucase et en Géorgie, où des listes de mots assez étendues sont données pour les langues principales.
  59. V. le tableau IXe de l’Atlas ethnographique de Balbi, et l’Asia Polygl. p. 138 suiv., p. 164 suiv.
  60. « Was sind Tataren ? » Klaproth, Asia Polygl., p 202-9.
  61. W. Schott, prof, à l’univ. de Berlin, dans sa dissertation intitulée : Versuch über die Tatarischen Sprachen (Berlin, 1856, 4e — p. 2).
  62. Des études spéciales sur le groupe entier sont déposées dans l’ouvrage d’Abel Rémusat (Recherches sur les langues Tartares) et dans l’Asia Polygl. de J. Klaproth (p. 210 suiv.) : elles sont mises à profit par Balbi dans le tableau VIIIe de son Atlas ethnographique.
  63. V. Balbi, tableau Ve de l’Atlas. — Langues de la région Transgangétique. — Introduction, p. 136 suiv.
  64. Recherches. — Chap. VII. De la langue Tibétaine, pag. 330 suiv. pag. 351 suiv.
  65. Fr. Wûllner, über die Verwandtschaft des Indo-Germanischen, Semitischen und Tibetanischen, § 28-33 (Münster, 1838, 8o).
  66. Ueber die Kawi-sprache auf der Insel Java (publié après la mort de l’auteur par M. Buschmann), Berlin, 1836-39, 3 vol. in-4o.
  67. Les autres rameaux comprennent les langues de l’île Célèbes et des Moluques, celles de Madagascar, celles des Philippines et de l’île Formose, et enfin celles de la Polynésie Orientale. — Balbi a consacré son XXIIe Tableau aux langues Malaies, et le voyageur Domeni de Rienzi a inséré des documens curieux sur les langues et les chants de plusieurs peuples dans la description de l’Océanie (Univers de Didot, 5 vol. in-8o).
  68. Le Krama ou Kromo, ou haut Javanais ; le Madhjo, langue intermédiaire ; le Ngoko dialecte populaire.
  69. Cette prétendue démonstration est l’objet d’une dissertation qui fait grand tort à la méthode appliquée ailleurs avec tant de justesse et de précision par M. Bopp : Ueber die Verwandtschaft der malayisch-polynesischen Sprachen mit den Indisch-Europäiscken (lu à l’académie de Berlin en décembre 1840), Berlin 1841, p. 164, in-4o. Qu’on prouve tout ce que l’hypothèse du savant académicien a cette fois d’arbitraire et d’incomplet, mais qu’on n’oublie jamais à quelle reconnaissance a droit celui qui a consacré par tant de travaux les rigoureux principes de l’analyse grammaticale des langues !
  70. Leçon du 21 novembre.
  71. Quatre Pontifes de ce siècle ont surtout recommandé l’étude de l’Arabe et ordonné son enseignement à l’université de Paris : Innocent IV, Alexandre IV, Clément IV et Honorius IV.
  72. Rayhundus Lullus, né dans l’île de Majorque en 1235, mourut en 1314, après une longue carrière d’étude, d’agitation et de souffrance ; celui qui avait prêché le christianisme aux Musulmans dans leur langue est le philosophe chrétien, auteur de la célèbre méthode qu’il a comprise sous le nom d’Ars magna sive generalis et qu’il a appliquée principalement à la démonstration de la foi catholique.
  73. C’est le pape Clément V qui a ainsi renouvelé solennellement l’ordre donné par plusieurs de ses prédécesseurs.
  74. Il suffit de rappeler ici avec le nom de S. Raimond de Pennafort, contemporain de Raymond Lulle, les noms de deux illustres néophyte, Raymond Martini, dominicain Espagnol du XIIIe siècle et Nicolas de Lyra, franciscain Normand du XIVe.
  75. La renommée du Collegium trilingue ouvert en 1518 s’étendit bientôt et fit sentir dans plusieurs pays la nécessité de la même institution ; guidé par les conseils d’Érasme et de Budé, François I fonda le Collège de France par lettres patentes du 25 mars 1529 ; c’est vers la même époque que les universités d’Oxford et d’Alcala furent dotées par leurs illustres protecteurs, les cardinaux Rich. Fox et Ximenès, d’un enseignement spécial pour les trois langues savantes.
  76. Cette institution permanente et spéciale n’a pas existé officiellement à Rome avant le XVIIe siècle ; c’est en 1622 que Grégoire XV a établi la Congrégation de la Propagande, dont le Collège, destiné aux élèves-missionnaires de toutes les parties du monde, fut institué en 1627 par Urbain VIII : elle est encore aujourd’hui une vivante image de l’union religieuse des nations, consacrée par la plus haute expression de l’autorité spirituelle.
  77. Voir plus haut, p. 28-29.
  78. Le premier, à Hambourg (1694, 4o), et le second, à Padoue, avec traduction latine, commentaire, réfutation (1698, 1 in-folio).
  79. Le Malabar a pu être donné longtemps comme la langue principale de l’Inde ; c’est sa partie littéraire qui a reçu dans les relations des Européens le nom de Grantham, c’est-à-dire, langue des livres, avant que le même mot fût appliqué au Sanscrit.
  80. On ne peut oublier quelle expérience avaient acquise en Chine les Lecomte et les Verbiest au milieu des hauts emplois que leur science leur avait valus : leurs travaux et leurs services ne sont que résumés par le P. Dubalde dans son édition des Lettres édifiantes et dans sa Description de la Chine, restée classique parmi les ouvrages spéciaux des modernes (4 vol. in-fol. ou in-4o, plusieurs fois réimprimés).
  81. Parmi les nombreux ouvrages de J. H. Hottinger, théologien et professeur de Zurich (1620-67), les suivans se rapportent à une étude encyclopédique de l’Orient : Historia Orientalis ex variis monumentis collecta, Tiguri, 1651 et 1660, in-4o, Smegma Orientale, Heidelbergæ, 1657, et Promptuarium sive Bibliotheca Orientalis, ibid., 1658, in-4o.
  82. Bibliothèque Orientale ou Dictionnaire universel, contenant généralement tout ce qui regarde la connaissance des peuples de l’Orient, Paris, 1697, in-folio. Parmi les meilleures éditions de l’ouvrage, il faut compter celle de Maestricht, 1776, avec le Supplément par le P. Visdelou et A. Galland, 1780, in-fol., et celle de La Haye (1777-82, 4 vol. in-4o), enrichie des corrections de Schultens et de Reiske.
  83. Oriens Christianus, in quatuor patriarchatus distributus ; quo exhibentur ecclesiæ, patriarchae, cæterique præsules totius Orientis. Paris, I. R., 1740, 3 vol. in-fol.
  84. Liturgiarum Orientalium collectio, Paris, 1716, 2 vol. in-4o : ouvrage que n’a pas fait oublier la partie orientale du Codex liturgicus Ecclesiæ universæ (Rome, 1749-66, 13 vol. 4o).
  85. Bibliotheca Orientalis Clementino Vaticana, etc. etc. — Jussu et munificentiâ Clementis XI. — Romæ, 1719-28, III tomes en 4 parties, in-folio. — L’éditeur de cette belle collection a aussi coopéré à la publication faite peu après des œuvres de St Éphrem en Grec et en Syriaque d’après les manuscrits du Vatican (Rome, 1732-54, 6 vol. in-fol.).
  86. Lexicon turcico-arabico-persicum, nunc secundis curis recognitum et auctum, Viennæ, 1780, 4 vol. in-fol.
  87. Paris, 1776-91, 18 vol. in-4o.
  88. Cet ouvrage, digne d’être placé à côté de la Bibliothèque de d’Herbelot, a paru à Paris, 1736-58, en 5 vol. in-4o.
  89. Le Zend-Avesta, ouvr. de Zoroastre, Paris, 1771, 3 vol. in-4o.
  90. Le recueil a paru à Calcutta sous la surveillance de la Société Asiatique instituée en 1784 et présidée longtemps par Sir W. Jones ; il a pour titre : Asiatic Researches, or Transactions of the Society instituted in Bengal, Calcutta, 1788 et années suiv., vol. I-XX in-4o ; on y a fait en outre une édition in-8o des premiers volumes. — Les œuvres de Jones ont été réunies à Londres, 1807, en 6 vol. in-4o ou en 13 vol. in-8o.
  91. M. Edgar Quinet s’est servi de la même expression dans son Génie des Religions où il esquisse en termes poétiques le mouvement Oriental des temps modernes ; il lui donne toutefois une extension bien plus grande en faisant remonter cette seconde renaissance aux découvertes des Portugais chantées par Camoens ; puis, dans son style de prophète, il conclut par la prédiction d’une réforme religieuse et civile qui se manifeste déjà dans le panthéisme Oriental de l’Allemagne.
  92. Fundgruben des Orients, Vienne, 1809-19, 6 vol. in-folio. Leur principal éditeur est, J. de Hammer, célèbre par la sagacité avec laquelle il a puisé dans un usage plus complet des sources la connaissance des monumens et de l’histoire des deux littératures Persane et Turque.
  93. Dans cette collection, publiée par des membres de l’Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres et parvenue à son XIVe tome (1788-43, Paris, I. R., 4o), la première partie de chaque volume est consacrée exclusivement à la littérature Orientale.
  94. Le premier (Oriental translation fund) a déjà publié plus de cinquante ouvrages depuis 1828, époque de sa création ; le second (Society for the publication of Oriental texts) ne fait que jeter les bases de son entreprise.
  95. Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes. — Ce recueil, commencé en 1837 à Gœttingen, et arrivé déjà au VIe volume, paraît maintenant à Bonn sur le Rhin.
  96. Les anciens peuples de l’Asie sont l’objet des premières recherches de Heeren, dans ses Idées sur la politique et le commerce des peuples de l’antiquité ; Klaproth a la gloire d’avoir demandé aux livres indigènes l’histoire des peuples presque inconnus de la haute Asie, ainsi que des nations du Caucase.
  97. On doit au premier, outre plusieurs ouvrages historiques d’un grand mérite, l’Histoire de l’empire Ottoman (10 vol. in-8o. — 2e éd. Pesth und Leipzig, 1840, 4 vol, gr. in-8o en allemand), et au second le Tableau général de l’empire Ottoman (3 vol. gr. in-folio, avec planches, Paris, 1787-1821, ou 7 vol. in-8o).
  98. Auteur d’une géographie générale qui le place à côté des Maltebrun et des Balbi, Mr H. Berghaus a commencé la publication d’un grand Atlas de l’Asie, accompagné de mémoires scientifiques (Gotha, Perthes, ann. 1832 sq.).
  99. La publication la plus récente du voyageur naturaliste, qui a pour titre : Asie centrale (Paris, 1843, 2 in-8o), résume ses vues et embrasse ses recherches sur les chaînes de montagnes et la climatologie comparée ; on y joindra naturellement l’exposition scientifique de ses voyages en Amérique et en Asie, mise au jour par J. Löwenberg (Berlin, 1842-43, 2B. in-8o).
  100. La base de la théorie était jetée dans le Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens (2e éd., Paris 1828, 8°) ; la grammaire Égyptienne, publiée après la mort de l’auteur (1 vol. petit in-fol., Didot), renferme les principes généraux de l’écriture sacrée appliqués à la langue parlée ; le Dictionnaire hiéroglyphique, dont la publication vient d’être achevée, sera le complément des règles d’interprétation.
  101. Par ex., dans deux ouvrages assez récens de l’érudition allemande, le Hermapion de J. L. Ideler, et l’Égypte ancienne du Dr Schwartze que vient de couronner l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
  102. Voir les premiers volumes de l’ouvrage de Stolberg : Geschichte der Religion Jesu Christi, et parmi les ouvrages de Mgr. Wiseman, les Horæ Syriacæ (Rome, 1827, 8o) et le 10e et le 11e Discours de son recueil déjà cité sur les rapports des sciences et de la religion.
  103. C’est le reproche qu’on peut adresser au nom d’une saine philosophie surtout aux écoles philologiques de l’Allemagne qui ont réalisé de magnifiques recherches sur les questions d’une nature positive et matérielle, mais qui ont méconnu la tradition des siècles et foulé aux pieds la raison et la vraisemblance en niant les faits qui sont la seule lumière de l’histoire primitive de l’humanité, sans les remplacer même par de poétiques hypothèses.