Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Première partie/07

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 18-19).


CHAPITRE VII

DE LA SECONDE PURGATION, QUI EST CELLE DES AFFECTIONS DU PÉCHÉ


Tous les Israélites sortirent en effet de la terre d’Égypte, mais ils n’en sortirent pas tous d’affection ; c’est pourquoi emmi le désert plusieurs d’entre eux regrettaient de n’avoir pas les oignons et les chairs d’Égypte. Ainsi il y a des pénitents qui sortent en effet du péché et n’en quittent pourtant pas l’affection : c’est-à-dire, ils proposent de ne plus pécher, mais c’est avec un certain contrecœur qu’ils ont de se priver et abstenir des malheureuses délectations du péché ; leur cœur renonce au péché et s’en éloigne, mais il ne laisse pas pour cela de se retourner souventefois de ce côté-là, comme fit la femme de Loth du côté de Sodome. Ils s’abstiennent du péché comme les malades font des melons, lesquels ils ne mangent pas parce que le médecin les menace de mort s’ils en mangent ; mais ils s’inquiètent de s’en abstenir, ils en parlent et marchandent s’il se pourrait faire, ils les veulent au moins sentir, et estiment bien heureux ceux qui en peuvent manger. Car ainsi ces faibles et lâches pénitents s’abstiennent pour quelque temps du péché, mais c’est à regret ; ils voudraient bien pouvoir pécher sans être damnés, ils parlent avec ressentiment et goût du péché et estiment contents ceux qui les font. Un homme résolu de se venger changera de volonté en la confession, mais tôt après on le trouvera parmi ses amis qui prend plaisir à parler de sa querelle, disant que si ce n’eût été la crainte de Dieu, il eût fait ceci et cela, et que la loi divine en cet article de pardonner est difficile ; que plût à Dieu qu’il fût permis de se venger ! Ah, qui ne voit qu’encore que ce pauvre homme soit hors du péché, il est néanmoins tout embarrassé de l’affection du péché, et qu’étant hors d’Égypte en effet, il y est encore en appétit, désirant les aulx et les oignons qu’il y soûlait manger ! comme fait cette femme qui, ayant détesté ses mauvaises amours, se plaît néanmoins d’être muguetée et environnée. Hélas ! que telles gens sont en grand péril !

O Philothée, puisque vous voulez entreprendre la vie dévote, il ne vous faut pas seulement quitter le péché, mais il faut tout à fait émonder votre cœur de toutes les affections qui dépendent du péché ; car, outre le danger qu’il y aurait de faire rechute, ces misérables affections alanguiraient perpétuellement votre esprit, et l’appesantiraient en telle sorte qu’il ne pourrait pas faire les bonnes œuvres promptement, diligemment et fréquemment, en quoi gît néanmoins la vraie essence de la dévotion. Les âmes lesquelles sorties de l’état du péché ont encore ces affections et alanguissements, ressemblent à mon avis aux filles qui ont les pâles couleurs, lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont malades : elles mangent sans goût, dorment sans repos, rient sans joie, et se traînent plutôt que de cheminer ; car de même, ces âmes font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes, qu’elles ôtent toute la grâce à leurs bons exercices, qui sont peu en nombre et petits en effet.