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Introduction aux études historiques/2/3

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Librairie Hachette et Cie (p. 66-78).
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Livre II

CHAPITRE III

CRITIQUE DE PROVENANCE

Il serait absurde de chercher des renseignements sur un fait dans les papiers de quelqu’un qui n’en a rien su, ni rien pu savoir. Il faut donc se demander tout d’abord, quand on est en présence d’un document : « D’où vient-il ? quel en est l’auteur ? quelle en est la date ? » — Un document dont l’auteur, la date, le lieu d’origine, la provenance, en un mot, sont totalement inconnaissables, n’est bon à rien.

Cette vérité, qui paraît élémentaire, n’a été pleinement reconnue que de nos jours. Telle est l’ἀϰρισία naturelle des hommes que ceux qui, les premiers, ont pris l’habitude de s’informer de la provenance des documents avant de s’en servir, en ont conçu (et ont eu le droit d’en concevoir) de la fierté.

La plupart des documents modernes portent une indication précise de leur provenance : de nos jours, les livres, les articles de journal, les pièces officielles et même les écrits privés sont, en général, datés et signés. Beaucoup de documents anciens sont, au contraire, mal localisés, anonymes et sans date.

La tendance spontanée de l’esprit humain est d’ajouter foi aux indications de provenance, lorsqu’il y en a. Sur la couverture et dans la préface des Châtiments, Victor Hugo s’en dit l’auteur : c’est donc que Victor Hugo est l’auteur des Châtiments. Voici, dans un musée, un tableau non signé, mais dont le cadre est orné, par les soins de l’administration, d’une planchette où se lit le nom de Léonard de Vinci : ce tableau est de Léonard de Vinci. On trouve sous le nom de saint Bonaventure, dans les Extraits des poètes chrétiens de M. Clément, dans la plupart des éditions des « Œuvres » de saint Bonaventure et dans un grand nombre de manuscrits du moyen âge, un poème intitulé Philomena : le poème intitulé Philomena est de saint Bonaventure, et « on y recueille de précieuses notes sur l’âme même » de ce saint homme[1]. Vrain-Lucas apportait à M. Chasles des autographes de Vercingétorix, de Cléopâtre et de sainte Marie-Madeleine, dûment signés et paraphés[2] : voilà, pensait M. Chasles, des autographes de Vercingétorix, de Cléopâtre et de sainte Marie-Madeleine. — Nous sommes ici en présence d’une des formes les plus générales, et en même temps les plus tenaces, de la crédulité publique.

L’expérience et la réflexion ont montré la nécessité de réduire par la méthode ces mouvements instinctifs de confiance. Les autographes de Vercingétorix, de Cléopâtre et de Marie-Madeleine avaient été composés par Vrain-Lucas. Le Philomena, attribué par les scribes du moyen âge tantôt à saint Bonaventure, tantôt à Louis de Grenade, tantôt à John Hoveden, tantôt à John Peckham, n’est peut-être d’aucun de ces auteurs, et il n’est certainement pas du premier. D’insignes pauvretés ont été affublées, sans l’ombre d’une preuve, dans les plus célèbres musées d’Italie, du glorieux nom de Léonard. D’autre part, il est très vrai que Victor Hugo est l’auteur des Châtiments. — Concluons que les indications les plus formelles de provenance ne sont jamais suffisantes par elles-mêmes. Ce ne sont que des présomptions, fortes ou faibles : très fortes, en général, quand il s’agit de documents modernes, souvent très faibles quand il s’agit de documents anciens. Il en est de postiches, collées sur des œuvres insignifiantes pour en rehausser la valeur, ou sur des œuvres considérables pour glorifier quelqu’un, ou bien avec l’intention de mystifier la postérité, ou pour cent autres motifs, qu’il est aisé d’imaginer et dont on a dressé la liste[3] : la littérature « pseudépigraphe » de l’antiquité et du moyen âge est énorme. Il y a en outre des documents entièrement « faux » ; les faussaires qui les ont fabriqués les ont, naturellement, munis d’indications très précises de leur provenance supposée. — Donc il faut contrôler. — Mais comment ? — On contrôle la provenance apparente des documents, lorsqu’elle est suspecte, par la méthode même qui sert à déterminer, autant que possible, celle des documents dépourvus de toute indication d’origine. Les procédés sont les mêmes dans les deux cas, qu’il n’est pas nécessaire, par conséquent, de distinguer davantage.

I. Le principal instrument de la critique de provenance est l’analyse interne du document considéré, faite en vue d’y relever tous les indices propres à renseigner sur l’auteur, sur le temps et sur le pays où il a vécu.

On examine d’abord l’écriture du document : saint Bonaventure est né en 1221 ; si des poèmes attribués à saint Bonaventure se lisent dans des manuscrits exécutés au xie siècle, ce sera une excellente preuve que l’attribution n’est pas fondée : tout document dont il existe une copie en écriture du xie siècle ne peut pas être postérieur au xie siècle. — On examine la langue : certaines formes n’ont été employées qu’en certains lieux et à certaines dates. La plupart des faussaires sont trahis par leur ignorance à cet égard : des mots, des tournures modernes leur échappent ; on a pu établir que des inscriptions phéniciennes, trouvées dans l’Amérique du Sud, étaient antérieures à telle dissertation allemande sur un point de syntaxe phénicienne. — On examine les formules, s’il s’agit d’actes publics. Un document qui se présente comme un diplôme mérovingien et qui n’offre pas les formules ordinaires des diplômes mérovingiens authentiques est faux. — On note enfin toutes les données positives qui se trouvent dans le document : faits mentionnés, allusions à des faits. Lorsque ces faits sont connus d’ailleurs, par des sources qui n’ont pas pu être à la disposition d’un faussaire, la sincérité du document est établie, et la date en est approximativement fixée entre le fait le plus récent dont l’auteur a eu connaissance et le fait le plus voisin de celui-là qu’il aurait sans doute mentionné s’il l’avait connu. On argumente aussi de ce que certains faits sont signalés avec prédilection, et de ce que certaines opinions sont exprimées, pour reconstituer par conjecture la condition, le milieu et le caractère de l’auteur.

L’analyse interne d’un document, pourvu qu’elle soit faite avec soin, fournit en général des notions suffisantes sur sa provenance. La comparaison méthodique entre les divers éléments des documents analysés et les éléments correspondants des documents similaires dont la provenance est certaine a permis de démasquer un très grand nombre de faux[4], et de préciser les circonstances où la plupart des documents sincères ont été produits.

On complète et on vérifie les résultats obtenus par l’analyse interne en recueillant tous les renseignements extérieurs, relatifs au document soumis à la critique, qui peuvent se trouver dispersés dans des documents de la même époque ou plus récents : citations, détails biographiques sur l’auteur, etc. Il est quelquefois significatif qu’il n’existe aucun renseignement de ce genre : le fait qu’un soi-disant diplôme mérovingien n’ait été cité par personne avant le xviie siècle et n’ait jamais été vu que par un érudit du xviie siècle, convaincu d’avoir commis des fraudes, donne à penser qu’il est moderne.

II. Nous avons envisagé jusqu’ici le cas le plus simple, où le document considéré est l’ouvrage d’un seul auteur. Mais de nombreux documents ont reçu, à différentes époques, des additions qu’il importe de distinguer du texte primitif, afin de ne pas attribuer à X, auteur du texte, ce qui est d’Y ou de Z, ses collaborateurs imprévus[5]. — Il y a deux sortes d’additions : l’interpolation et la continuation. — Interpoler, c’est insérer dans un texte des mots ou des phrases qui n’étaient pas dans le manuscrit de l’auteur[6]. Les interpolations sont d’ordinaire accidentelles, dues à la négligence des copistes et s’expliquent par l’introduction dans le texte de gloses interlinéaires ou d’annotations marginales ; mais, parfois, c’est volontairement que quelqu’un a ajouté (ou substitué) aux phrases de l’auteur des phrases de son cru, avec le dessein de compléter, d’embellir ou d’accentuer. Si nous avions le manuscrit où l’interpolation volontaire a été faite, les surcharges et les grattages la décèleraient tout de suite. Mais, presque toujours, le premier exemplaire interpolé est perdu ; et, dans les copies qui en dérivent, toute trace matérielle d’addition (ou de substitution) a disparu. — Il est inutile de définir les « continuations ». On sait que beaucoup de chroniques du moyen âge ont été « continuées » par diverses mains sans qu’aucun des continuateurs successifs ait pris soin de déclarer où commence, où finit son travail propre.

Les interpolations et les continuations se distinguent sans effort, au cours des opérations nécessaires pour restituer la teneur d’un document dont il existe plusieurs exemplaires, lorsque quelques-uns de ces exemplaires reproduisent le texte primitif, antérieur à toute addition. Mais si tous les exemplaires remontent à des copies déjà interpolées ou continuées, il faut recourir à l’analyse interne. Le style de toutes les parties du document est-il uniforme ? le même esprit y règne-t-il d’un bout à l’autre ? n’y a-t-il pas des contradictions, des hiatus dans la suite des idées ? — En pratique, lorsque les continuateurs et les interpolateurs ont eu une personnalité et des intentions tranchées, on réussit, au moyen de l’analyse, à isoler le document primitif comme avec des ciseaux. Mais, lorsque tout est flou, on n’aperçoit pas bien les points de suture ; en ce cas il est plus sage de l’avouer que de multiplier les hypothèses.

III. L’œuvre de la critique de provenance n’est pas achevée dès que le document est localisé, précisément ou approximativement, dans le temps et dans l’espace, et que l’on sait enfin sur l’auteur ou les auteurs tout ce que l’on peut savoir[7]. Voici un livre : suffit-il, pour connaître la « provenance » des renseignements qui s’y trouvent, c’est-à-dire pour être en mesure d’en apprécier la valeur, de savoir qu’il a été composé en 1890, à Paris, par un tel ? Supposons qu’un tel ait copié servilement (sans le citer) un ouvrage antérieur, écrit en 1850. Pour les parties empruntées, ce n’est pas un tel, c’est l’auteur de 1850 qui, seul, est responsable et garant. Or, de nos jours, le plagiat, prohibé par la loi et tenu pour déshonorant, est rare : autrefois, c’était une habitude, acceptée et impunie. Beaucoup de documents historiques, en apparence originaux, ne font que refléter (sans le dire) des documents plus anciens, et les historiens sont exposés, de ce chef, à des déconvenues singulières. Des passages d’Eginhard, chroniqueur du ixe siècle, sont empruntés à Suétone : il n’y a rien à en faire pour l’histoire du ixe siècle ; que serait-il arrivé, cependant, si l’on ne s’en était pas aperçu ? Un événement est attesté trois fois, par trois chroniqueurs ; mais ces trois attestations, dont on admire la concordance, n’en font qu’une, s’il est constaté que deux des trois chroniqueurs ont copié le troisième, ou que les récits parallèles des trois chroniques ont été puisés à la même source. Des lettres pontificales, des diplômes impériaux du moyen âge contiennent des tirades éloquentes que l’on ne doit pas prendre au sérieux : elles étaient, en effet, de style, et c’est dans des formulaires de chancellerie que les rédacteurs de ces lettres et de ces diplômes les ont textuellement copiées.

Il appartient à la critique de provenance de discerner, autant que possible, les sources dont se sont servis les auteurs de documents.

Le problème à résoudre ici n’est pas sans analogie avec celui de la restitution des textes, dont il a été parlé plus haut. Dans les deux cas, en effet, on procède en partant de ce principe que les leçons identiques ont une source commune : plusieurs scribes, transcrivant un texte, ne feront pas exactement les mêmes fautes aux mêmes endroits ; plusieurs écrivains, racontant les mêmes faits, ne se seront pas placés, pour les voir, aux mêmes points de vue, et ne diront pas exactement les mêmes choses dans les mêmes termes. À cause de l’extrême complexité des événements historiques, il est tout à fait invraisemblable que deux observateurs indépendants les aient rapportés de la même façon. On s’attache à former des familles de documents, de la même manière que l’on forme des familles de manuscrits. On aboutit pareillement à dresser des tableaux généalogiques.

Les examinateurs qui corrigent les compositions des candidats au baccalauréat ont quelquefois à s’apercevoir que les « copies » de deux candidats (placés l’un à côté de l’autre) ont un air de famille. S’il leur plaît de rechercher quelle est celle dont l’autre dérive, ils le reconnaissent aisément, en dépit des petits artifices (modifications légères, amplifications, résumés, additions, suppressions, transpositions) que le plagiaire a multipliés pour dépister les soupçons. Leurs erreurs communes suffisent à dénoncer les deux coupables ; des maladresses, et surtout les erreurs propres au plagiaire qui ont leur source dans une particularité de la copie du complaisant, révèlent le plus coupable. — De même, soient deux documents anciens : quand l’auteur de l’un a copié l’autre sans intermédiaire, il est en général très aisé d’établir la filiation ; que l’on abrège ou que l’on délaie, on se trahit presque toujours, en plagiant, par quelque endroit[8].

Quand trois documents sont apparentés, leurs relations mutuelles sont déjà, en certains cas, plus difficiles à spécifier. Soient A, B et C. Supposons que A soit la source commune : il est possible que A ait été copié séparément par B et par C ; que C n’ait connu la source commune que par l’intermédiaire de B ; que B n’ait connu la source commune que par l’intermédiaire de C. Si B et C ont abrégé la source commune de deux manières différentes, ces copies partielles sont sûrement indépendantes. Lorsque B et C dépendent l’un de l’autre, on est ramené au cas le plus simple, celui du paragraphe précédent. Mais supposons que l’auteur de C ait combiné A et B ; que d’ailleurs A ait été déjà utilisé par B : les relations généalogiques s’entrecroisent et s’obscurcissent. — Bien autrement compliqués encore sont les cas où l’on est en présence de quatre, cinq documents apparentés, ou davantage ; car le nombre des combinaisons possibles augmente très rapidement. — Toutefois, pourvu qu’il n’y ait pas trop d’intermédiaires perdus, la critique réussit à débrouiller les rapports à force de rapprochements et d’ingénieuse patience, par le simple jeu de comparaisons indéfiniment répétées. Des érudits modernes (M. B. Krusch, par exemple, qui s’est occupé surtout des écrits hagiographiques de l’époque mérovingienne) ont récemment construit, de la sorte, des généalogies d’une précision et d’une solidité parfaites[9].

Les résultats de la critique de provenance, en tant qu’elle s’applique à établir la filiation des documents, sont de deux sortes. — D’une part, elle reconstitue des documents perdus. Deux chroniqueurs, B et C, ont-ils utilisé, chacun de leur côté, une source commune, X, qui ne se retrouve pas ? Il sera possible de se faire une idée de X en détachant et en recollant les extraits encastrés dans B et dans C, tout de même que l’on se fait une idée d’un manuscrit perdu en rapprochant les copies partielles qui en ont été conservées. — D’autre part, la critique de provenance ruine l’autorité d’une foule de documents « authentiques », c’est-à-dire non suspects de falsification, en prouvant qu’ils sont dérivés, qu’ils valent ce que valent leurs sources, et que, quand ils embellissent leurs sources par des détails de fantaisie ou des phrases de rhétorique, ils ne valent rien du tout. En Allemagne et en Angleterre, les éditeurs de documents ont pris l’excellente habitude d’imprimer en petits caractères les passages empruntés, en caractères plus gros les passages originaux ou dont la source est inconnue. Grâce à cette pratique, on voit au premier coup d’œil que des chroniques renommées, souvent citées (bien à tort), sont des compilations, sans valeur par elles-mêmes : c’est ainsi que les Flores historiarum du soi-disant Mathieu de Westminster, la plus populaire peut-être des chroniques anglaises du moyen âge, sont presque entièrement tirés des ouvrages originaux de Wendover et de Mathieu de Paris[10].

IV. La critique de provenance garantit les historiens d’erreurs énormes. Les résultats qu’elle obtient sont saisissants. Les services qu’elle a rendus en éliminant des documents faux, en dénonçant de fausses attributions, en déterminant les conditions où sont nés des documents que le temps avait défigurés et en les rapprochant de leurs sources[11], — ces services sont si grands qu’elle est aujourd’hui considérée comme « la critique » par excellence. On dit couramment d’un historien qu’il « manque de critique » lorsqu’il ne sent point la nécessité de distinguer entre les documents, qu’il ne se méfie jamais des attributions traditionnelles, et qu’il accepte, comme s’il craignait d’en perdre un seul, tous les renseignements, anciens et modernes, bons et mauvais, d’où qu’ils viennent[12].

On a raison : mais il ne faut pas se contenter de cette forme de la critique, et il ne faut pas en abuser.

Il ne faut pas en abuser. — L’extrême méfiance, en ces matières, a des effets presque aussi fâcheux que l’extrême crédulité. Le P. Hardouin, qui attribuait à des moines du moyen âge les œuvres de Virgile et d’Horace, n’était pas moins ridicule que la victime de Vrain-Lucas. C’est abuser des procédés de la critique de provenance que de les appliquer, comme on l’a fait, pour le plaisir, à tort et à travers. Les maladroits qui s’en sont servis pour arguer de faux des documents excellents, comme les écrits de Hroswitha, le Ligurinus et la bulle Unam Sanctam[13], ou pour établir, entre certaines « Annales », des filiations imaginaires, d’après des indices superficiels, les auraient discrédités, si c’était possible. — Et puis, il est louable de réagir contre ceux qui ne mettent jamais en question la provenance des documents ; mais c’est aller trop loin que de s’intéresser exclusivement, par réaction, aux périodes de l’histoire dont les documents sont de provenance incertaine. Les documents de l’histoire moderne et contemporaine ne sont pas moins dignes d’intérêt que ceux de l’antiquité ou du haut moyen âge, parce que leur provenance apparente, étant presque toujours la vraie, ne soulève point de ces délicats problèmes d’attribution où se déploie la virtuosité des critiques[14].

Il ne faut pas s’en contenter. — La critique de provenance, comme celle de restitution, est préparatoire, et ses résultats sont négatifs. Elle aboutit en dernière analyse à éliminer des documents qui n’en sont pas et qui auraient fait illusion : voilà tout. « Elle apprend à ne pas employer de mauvais documents, elle n’apprend pas à tirer parti des bons[15]. » Ce n’est donc pas toute « la critique historique » ; c’en est seulement une assise[16].



  1. R. de Gourmont, Le Latin mystique (Paris, 1891, in-8), p. 258.
  2. Voir ces prétendus autographes à la Bibl. nat., nouv. acq. fr., no 709.
  3. F. Blass a énuméré les principaux de ces motifs, au sujet de la littérature pseudépigraphe de l’antiquité. (o. c., p. 269 et suiv.)
  4. E. Bernheim (o. c., p. 243 et suiv.) donne une liste considérable de documents faux, aujourd’hui reconnus pour tels. Il suffit de rappeler ici quelques mystifications fameuses : Sanchoniathon, Clotilde de Surville, Ossian. — Depuis la publication du livre de M. Bernheim, quelques documents célèbres, nullement soupçonnés jusque-là, ont encore été rayés de la liste des documents à consulter. Voir notamment A. Piaget, La Chronique des chanoines de Neuchâtel (Neuchâtel, 1896, in-8).
  5. Quand les modifications du texte primitif sont du fait de l’auteur lui-même, ce sont des « remaniements ». L’analyse interne et la comparaison d’exemplaires appartenant aux différentes éditions du document les accusent.
  6. Voir F. Blass, o. c., p. 254 et suiv.
  7. Peu importe, en principe, que l’on ait réussi ou que l’on n’ait pas réussi à découvrir le nom de l’auteur. On lit cependant dans l’Histoire littéraire de la France (XXVI, p. 388) : « Nous avons négligé les sermons anonymes : ces œuvres trop faciles n’ont vraiment pas d’importance pour l’histoire littéraire quand les auteurs n’en sont pas connus ». Quand les auteurs sont nominativement connus, en ont-elles davantage ?
  8. Dans des cas très favorables, on est arrivé quelquefois à déterminer, par l’examen des confusions commises par le plagiaire, jusqu’à l’espèce d’écriture, jusqu’au format et à la disposition matérielle du manuscrit-source qu’il avait sous les yeux. Les démonstrations de la « critique des sources » sont quelquefois appuyées, comme celles de la « critique des textes », par l’évidence paléographique.
  9. Les travaux de M. Julien Havet, réunis dans le tome de ses Œuvres (Questions mérovingiennes, Paris, 1896, in-8) sont considérés comme des modèles. Des problèmes très difficiles y sont résolus avec une élégance irréprochable. — La lecture des mémoires où M. L. Delisle s’est attaché à élucider des questions de provenance est aussi très profitable. — Les questions de cet ordre sont celles où triomphent les érudits les plus habiles.
  10. Voir l’édition de H. R. Luard (t. I, London, 1890, in-3), dans les Rerum Britannicarum medii ævi scriptores. — Les Flores historiarum de Mathieu de Westminster figurent à l’« Index » romain, à cause des passages empruntés aux Chronica majora de Mathieu de Paris, tandis que les Chronica majora elles-mêmes ont échappé à la censure.
  11. Il serait instructif de dresser la liste des ouvrages historiques célèbres, comme l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, d’Augustin Thierry, dont l’autorité a été tout à fait ruinée, depuis que la provenance de leurs sources a été étudiée. — Rien n’amuse davantage la galerie que de voir un historien convaincu d’avoir appuyé une théorie sur des documents falsifiés. S’être laissé tromper en prenant au sérieux des documents qui n’en sont pas, rien n’est plus propre à couvrir un historien de confusion.
  12. Une des formes les plus grossières (et les plus répandues) du « manque de critique » est celle qui consiste à employer comme des documents et sur le même pied que des documents, ce que les auteurs modernes ont dit à propos des documents. Les novices ne distinguent pas assez, dans les affirmations des auteurs modernes, ce qui est ajouté aux sources originales de ce qui en provient.
  13. Voir une liste d’exemples dans le Handbuch de E. Bernheim, p. 283, 289.
  14. C’est parce qu’il est nécessaire de soumettre les documents de l’histoire de l’antiquité et du moyen âge à la critique de provenance la plus sévère que l’étude de l’antiquité et du moyen âge passe pour plus « scientifique » que celle des temps modernes. Elle n’est que plus encombrée de difficultés préliminaires.
  15. Revue philosophique, 1887, II, p. 170.
  16. La théorie de la critique de provenance est aujourd’hui faite, ne varietur ; elle est exposée en détail dans le Lehrbuch de E. Bernheim, p. 242-340. C’est pourquoi nous n’avons éprouvé aucun scrupule à la résumer brièvement. — En français, l’Introduction de M. G. Monod à ses Études critiques sur les sources de l’histoire mérovingienne (Paris, 1872, in-8) contient des considérations élémentaires (cf. Revue critique, 1873, I, p. 308).