Ivanhoé (Scott - Montémont)/Chapitre 21
CHAPITRE XXI.
Tandis que l’on prenait en faveur de Cedric et de ses compagnons les mesures dont il vient d’être parlé, les hommes armés qui les avaient faits prisonniers les conduisaient vers la place de sûreté destinée à leur servir de prison. Mais la nuit étant sombre, et les sentiers de la forêt n’étant connus qu’imparfaitement de ces nouveaux maraudeurs, ils furent obligés de faire plusieurs haltes, et même une ou deux fois de retourner sur leurs pas pour retrouver la direction qu’ils devaient suivre. Les premiers rayons de l’aurore vinrent enfin les aider à reprendre la bonne voie ; et dès ce moment ils marchèrent d’un pas plus sûr et plus rapide. Le dialogue suivant s’établit alors entre les deux chefs des prétendus outlaws :
« Il est temps que tu nous quittes, sire Maurice de Bracy, dit le templier, afin de jouer le second acte de la pièce ; car maintenant tu dois prendre le rôle de chevalier libérateur.
— J’ai fait de meilleures réflexions, répondit de Bracy ; et je ne te quitterai qu’après que notre prise aura été déposée en sûreté dans le château de Front-de-Bœuf. Là, je me montrerai à lady Rowena dans mon costume ordinaire, et je me flatte qu’elle rejettera sur l’entraînement irrésistible de ma passion la violence dont j’ai usé à son égard.
— Et quelle raison t’a fait changer d’avis ?
— Cela ne te regarde point, mon cher templier.
— J’espère pourtant, sire chevalier, que ce changement n’est pas causé par les injurieux soupçons que Fitzurse a cherché à te faire concevoir sur mon honneur.
— Mes pensées m’appartiennent. Le diable rit, dit-on, quand un voleur en vole un autre ; et nous savons que quand même, au lieu de rire, Satan lui soufflerait flamme et bitume, il n’empêcherait pas un templier de suivre son penchant.
— Ni le chef d’une compagnie franche de craindre d’être traité par un ami et un camarade de la même manière qu’il traite les autres.
— Cette récrimination est aussi vaine que peu honnête. Je connais la morale de l’ordre du Temple[1], et je ne te donnerai pas l’occasion de m’enlever la jolie proie pour laquelle j’ai couru tant de risques.
— Mais que crains-tu donc ? Ne sais-tu pas quels sont les vœux de mon ordre ?
— Je les connais très bien, et je sais également de quelle manière ils sont observés. Templier, crois-moi, les règles de la galanterie s’interprètent largement dans la Terre-Sainte, et en cette occasion je ne veux rien confier à ta conscience.
— Sache donc la vérité : je ne me soucie aucunement de la belle aux yeux bleus ; il y a parmi nos prisonnières deux beaux yeux noirs qui me plairont davantage.
— Eh quoi ! chevalier, tu t’abaisserais à la suivante ?
— Non, par ma foi, je ne porte jamais les yeux sur une femme de cette classe. J’ai parmi les captives une prise non moins belle que la tienne.
— Par la sainte messe ! tu veux parler de la charmante Israélite ?
— Eh bien ! s’il en est ainsi, que peut-on y trouver à redire ?
— Absolument rien, à moins que votre vœu de célibat ou un remords de conscience ne vous empêche d’avoir une intrigue avec une juive.
— Quant à mon vœu, notre grand-maître m’a accordé une dispense[2], et la conscience d’un homme qui a tué trois cents Sarrasins n’a pas besoin de s’alarmer pour une peccadille, comme celle d’une jeune paysanne qui va se confesser le vendredi-saint.
— Tu connais mieux que moi tes privilèges ; mais j’aurais juré que tu étais plus amoureux de l’argent du vieux Juif que des yeux noirs de sa fille.
— Je puis aimer l’un et l’autre ; mais le Juif ne m’offre qu’un demi-butin, car je dois partager ses dépouilles avec Front-de-Bœuf, qui ne nous prête pas son château pour rien. Il me faut quelque chose qui m’appartienne exclusivement, et j’ai fixé mon choix sur l’aimable Juive, comme ayant à mes yeux une valeur spéciale. Mais à présent que tu connais mon dessein, ne reprendras-tu pas ton premier projet ? Tu n’as rien, comme tu le vois, à redouter de ma part.
— Non, je ne m’éloignerai pas de ma belle captive. Ce que tu dis peut être vrai ; mais je n’aime ni les dispenses du grand-maître, ni le mérite résultant du massacre de trois cents Sarrasins : vous avez trop de droit à un plein pardon pour vous montrer scrupuleux sur quelques peccadilles de plus. »
Pendant ce dialogue, Cedric faisait de vains efforts pour apprendre quels étaient ses gardiens. « Vous devez être Anglais, leur disait-il, et cependant, juste ciel ! vous tombez sur vos compatriotes comme s’ils étaient des Normands. Vous êtes sans doute mes voisins, et par conséquent vous devriez être mes amis ; car quel est l’Anglais du voisinage qui aurait des raisons pour être mon ennemi ? Même parmi vous, yeomen qui avez été mis hors la loi, plus d’un sans doute ont eu recours à ma protection ; j’ai eu pitié de leurs malheurs, et j’ai maudit la tyrannie de leurs oppresseurs féodaux. Que voulez-vous donc faire de moi ? Quel profit tirerez-vous de cet acte de violence ?… Vous ne me répondez pas ! Vous êtes pire que des brutes dans votre conduite ; voulez-vous être muets comme elles ? »
Ce fut en vain que Cedric cherchait ainsi à faire parler ses gardiens ; ils avaient de trop bonnes raisons pour garder le silence et rester insensibles à ses reproches. Ils continuèrent à marcher d’un pas rapide jusqu’à l’entrée d’une avenue bordée d’arbres de diverses espèces, et à l’extrémité de laquelle on aperçut Torquilstone, ancien château qui appartenait alors à Reginald Front-de-Bœuf : c’était une forteresse peu considérable, consistant en un donjon, ou vaste tour haute et carrée, entourée de bâtiments moins élevés, au milieu desquels était une cour circulaire. Autour du mur extérieur régnait un fossé qui recevait les eaux d’un ruisseau voisin. Front-de-Bœuf, à qui son caractère altier attirait souvent des querelles avec ses ennemis, avait ajouté à son château de nouvelles tours qui flanquaient chacun des angles. L’entrée principale, suivant l’usage du temps, était placée sous les voûtes d’une barbacane ou fortification extérieure, qui était protégée par deux petits bastions latéraux auxquels elle se liait.
Cedric n’eut pas plus tôt découvert les tourelles de Torquilstone, qui élevaient dans les airs leur créneaux chargés de mousse et de lierre, et sur lesquels brillaient les premiers rayons du soleil levant, qu’il ne lui resta plus de doute sur la cause de sa captivité. « J’étais injuste envers les outlaws de ces forêts, lorsque je supposais que mes ravisseurs appartenaient à ces bandits, « dit-il à ses gardes ; « j’aurais pu confondre avec autant de raison les renards de ces halliers avec les loups dévastateurs de France. Dites-moi, chiens d’étrangers, est-ce à ma vie, est-ce à mon or que vous en voulez ? Est-ce trop encore que deux Saxons, le noble Athelstane et moi, possèdent aujourd’hui des terres dans un pays qui autrefois était le patrimoine de notre race ? Qu’on nous mette donc à mort, et que l’œuvre de la tyrannie se complète en nous arrachant la vie comme vous nous avez déjà ravi la liberté. Si Cedric le Saxon ne peut délivrer l’Angleterre, il mourra volontiers pour elle. Dites au tyran votre maître que je lui demande seulement la mise en liberté de lady Rowena. Il ne doit rien craindre d’une femme, et avec nous périront tous ceux qui oseraient combattre pour sa défense. »
Les gardiens de Cedric restèrent muets comme auparavant, et on arriva devant le château sans qu’il eût pu obtenir d’eux un seul mot de réponse. De Bracy sonna trois fois du cor, et des archers vinrent le reconnaître ; puis le pont-levis fut baissé et la cavalcade entra dans la cour. L’on fit descendre de cheval les prisonniers pour les conduire dans une grande salle où leur fut dressé un repas impromptu, auquel le seul Athelstane prit part. Le descendant d’Édouard-le-Confesseur n’eut pas même le temps de faire complètement honneur à la bonne chère étalée devant lui, car on vint lui annoncer que Cedric et lui-même allaient être enfermés dans une autre chambre que lady Rowena. Toute résistance eût été inutile, et ils furent obligés de suivre leurs guides dans un vaste appartement soutenu par deux rangs de piliers massifs, pareils à ceux des réfectoires qu’on voit encore dans les ruines des anciens monastères et des maisons chapitrales.
Lady Rowena, séparée de sa suite, fut conduite avec courtoisie à la vérité, mais sans qu’on eût consulté son inclination, dans un appartement plus éloigné. Cette distinction un peu alarmante fut également accordée à Rébecca, en dépit des instances de son père qui, dans cette cruelle extrémité, alla même jusqu’à offrir de l’or pour qu’il lui fût permis de rester avec elle. « Lâche infidèle, lui répondit un de ses gardes, lorsque tu auras vu la tanière qui t’est réservée, tu ne désireras plus que ta fille la partage. » Et, sans plus de discours, on poussa le Juif d’un côté et la fille de l’autre. Les domestiques furent désarmés, fouillés avec soin, et confinés dans une autre aile du château. Enfin on refusa même à lady Rowena de conserver près d’elle sa suivante Égiltha.
L’appartement dans lequel furent conduits les chefs saxons, car c’est d’eux que nous allons nous occuper d’abord, bien qu’il fût transformé tout-à-coup en une sorte de prison, avait été jadis la grande salle du château ; mais il était devenu l’habitation des rats, parce que le seigneur actuel ayant amélioré son château, tant sous le rapport de la sûreté que sous celui de l’agrément, il existait une autre salle d’honneur dont le plafond était soutenu par des piliers plus grêles et plus élégants, et décorée des ornements que les Normands avaient déjà introduits dans l’architecture.
Cedric se promenait à grands pas en s’abandonnant à sa fureur et à mille réflexions sur le passé et le présent, tandis que l’apathie de son compagnon lui tenait lieu de patience et de philosophie pour l’aider à tout endurer, si ce n’est le désagrément de sa position actuelle. Il y était même si peu sensible que les explosions de colère de son ami Cedric pouvaient à peine, à de longs intervalles, éveiller sa sympathie.
« Oui, » dit ce dernier, moitié se parlant à lui-même, moitié s’adressant à Athelstane, « ce fut dans cette même salle que mon père dîna avec Torquil Wolfganger lorsque celui-ci reçut le vaillant et infortuné Harold qui s’avançait contre les Norwégiens réunis au rebelle Tosti. Ce fut dans cette salle que Harold fit une si belle réponse à l’envoyé de son frère révolté. Combien de fois mon père ne m’a-t-il pas conté cette histoire avec enthousiasme ! L’envoyé de Tosti fut admis dans cette salle où la foule des nobles chefs saxons, assis au même banquet et entourant leur monarque, était si grande qu’à peine pouvait-elle les contenir.
— J’espère, » dit Athelstane que cette fin du discours de son ami tira de son demi-sommeil, « j’espère qu’on n’oubliera pas de nous envoyer du vin et des rafraîchissements à l’heure de midi ; à peine avons-nous eu le temps de déjeuner. D’ailleurs, quoique les médecins préconisent l’usage de manger en descendant de cheval, je ne m’en suis jamais bien trouvé. »
Cedric continua son histoire sans faire aucune attention à l’interruption de son ami.
« L’envoyé de Tosti s’avança dans cette salle sans être intimidé par la contenance rébarbative de ceux qui l’entouraient, et vint se placer près du trône de Harold. « Seigneur roi, lui dit-il, quelles conditions peut espérer ton frère s’il dépose les armes et te demande la paix ? — L’amour d’un frère, » répondit le généreux Harold, « et le beau comté de Northumberland. — Et si Tosti accepte ces conditions, reprit l’ambassadeur, quelles terres assignerez-vous à son fidèle allié Hardrada, roi de Norwége ? — Sept pieds de terrain, » reprit fièrement Harold ; « ou, comme Hardrada passe pour un géant, peut-être lui en céderons-nous quelques pouces de plus. » La salle retentit d’acclamations, et les chefs saxons, en vidant leurs coupes, exprimèrent le vœu que le Norvégien fût bientôt mis en possession de son nouveau domaine.
— Je ferais comme eux de toute mon âme, dit le noble Athelstane, car la soif colle ma langue à mon palais.
— L’envoyé, » continua Cedric avec feu, malgré le peu d’intérêt que son ami prenait à son histoire, « s’en retourna tout confus porter cette noble réponse à Tosti et à son allié. Ce fut alors que les tours éloignées d’York et les flots du Derwent[3] furent témoins de cet horrible combat dans lequel, après avoir déployé la plus insigne valeur, le roi de Norwége et Tosti succombèrent tous deux avec dix mille de leurs plus braves soldats. Qui aurait pensé que ce beau jour, qui éclairait un semblable triomphe, voyait aussi voguer la flotte normande, qui allait débarquer sur les côtes du comté de Sussex ? Qui aurait pensé que Harold, peu de jours après, n’aurait plus de royaume, et n’aurait pour toute possession que les sept pieds de terre que, dans sa noble indignation, il avait concédés au Norwégien envahisseur ? Qui eût pensé que vous, noble Athelstane, vous né du sang de Harold, et que moi dont le père ne fut pas un des plus faibles défenseurs du trône saxon, nous serions un jour prisonniers d’un vil Normand, dans le lieu même ou nos ancêtres assistaient à de pareils banquets ?
— Cela est assez fâcheux, répondit Athelstane ; mais j’aime à croire que nous en serons quittes pour une rançon raisonnable. Dans tous les cas, il ne peut y avoir de leur part aucun dessein de nous affamer ; et cependant, bien qu’il soit près de midi, je ne vois pas arriver le dîner. Regardez à cette fenêtre, noble Cedric, et assurez-vous si les rayons du soleil n’indiquent pas midi sur le cadran.
— Cela peut être, répondit Cedric ; mais je ne puis regarder cette fenêtre, sans qu’il me vienne des réflexions bien différentes de celles qui ont rapport à notre état présent. Quand on construisit cette fenêtre, mon noble ami, nos dignes ancêtres ne connaissaient point l’art de faire le verre ni celui de le peindre. L’orgueil de votre aïeul Wolfganger fit venir de Normandie un artiste pour orner son château de ces nouvelles décorations, qui donnent à la lumière dorée du ciel tant de couleurs fantastiques. L’étranger arriva ici, pauvre, mendiant, bas et servile, prêt à ôter son bonnet au moindre domestique de la maison ; il s’en retourna, opulent et plein d’orgueil, révéler à ses rapaces compatriotes les richesses et la simplicité des nobles saxons. Cette folie, Athelstane, avait été prévue et prédite par les descendants de Hengist et de ses tribus grossières, qui conservaient religieusement les mœurs de leurs pères. Nous appelâmes ces étrangers, nous en fîmes des amis, ou des serviteurs de confiance ; nous adoptâmes leurs arts, et en accueillant leurs artistes nous méprisâmes l’honnête simplicité, la rustique bonhomie de nos aïeux, et nous devînmes énervés par le luxe des Normands, long-temps avant d’être vaincus par leurs armes. Notre régime domestique, paisible, libre et sans apprêts, était bien préférable à ces mets sensuels, dont la recherche nous a rendus esclaves de ces conquérants étrangers.
— Maintenant, reprit Athelstane, je trouverais excellente la plus modeste nourriture, et je suis étonné, noble Cedric, que vous puissiez vous rappeler si fidèlement des faits déjà loin de nous, lorsque vous oubliez jusqu’à l’heure du dîner.
— C’est temps perdu, » se dit à lui-même Cedric impatienté ; « je vois bien qu’il ne faut lui parler que de son appétit. L’âme de Hardicanut s’est emparée de son corps, et il n’a pas d’autre plaisir que de bâfrer, avaler des flots de vin, et en demander toujours. Hélas ! » ajouta-t-il en le regardant avec une sorte de compassion, « pourquoi faut-il qu’un si noble extérieur serve d’enveloppe à un esprit aussi lourd ? Pourquoi faut-il qu’une entreprise telle que la régénération de l’Angleterre roule sur un pivot si imparfait ? Une fois marié à lady Rowena, elle pourrait relever et ennoblir cette âme lourde et assoupie dans des organes si matériels ; elle pourrait réveiller en lui des sentiments de patriotisme. Mais comment y penser, lorsque Rowena, Athelstane, et moi-même, nous sommes les prisonniers de ce brutal maraudeur, et que nous ne le sommes peut-être que parce qu’on craint de nous voir rendre à notre nation son indépendance. »
Pendant que le Saxon était plongé dans ces pénibles réflexions la porte s’ouvrit, et on vit entrer un écuyer tranchant, tenant en main la baguette blanche, emblème de son office. Ce personnage important s’avança d’un pas grave, suivi de quatre domestiques portant une table chargée de mets dont la vue et l’odeur ranimèrent sur-le-champ la contenance d’Athelstane. Ces serviteurs étaient masqués, de même que l’écuyer tranchant.
« Que veut dire cette mascarade ? s’écria Cedric ; votre maître pense-t-il que nous ignorons de qui nous sommes prisonniers dans ce château ? Dites-lui, » ajouta-t-il en voulant profiter de cette circonstance pour entamer une négociation en faveur de sa liberté, « dites à Reginald Front-de-Bœuf que nous ne lui supposons d’autres motifs pour nous traiter ainsi qu’une vile cupidité ; dites-lui, enfin, que nous cédons à sa rapacité, comme en pareil cas nous céderions à celle d’un vrai brigand. Qu’il fixe la rançon à laquelle il prétend, et nous la lui paierons, si elle est proportionnée à nos moyens. »
L’écuyer tranchant ne répondit que par un signe de tête. « Dites encore à Reginald Front-de-Bœuf, ajouta Athelstane, que je lui envoie un cartel à outrance, à pied ou à cheval, dans tel lieu de sûreté qu’il m’indiquera, et dans les huit jours qui suivront notre mise en liberté : s’il a de l’honneur, s’il est chevalier, il ne refusera point. »
L’écuyer salua une seconde fois, en disant : « Je ferai part de votre défi à mon maître. »
Athelstane n’articula pas nettement ce défi : il avait la bouche pleine ; sa mâchoire était très occupée, ce qui, outre l’hésitation qui lui était naturelle, rendait ses paroles d’autant moins menaçantes. Toutefois Cedric accueillit le discours de son compagnon avec une sorte de joie, en voyant qu’il ressentait convenablement l’insulte qu’on leur avait faite, et qu’il commençait à perdre patience. Il lui serra la main, en signe d’approbation ; mais il se refroidit lorsque Athelstane eut ajouté « qu’il combattrait douze hommes tels que Front-de-Bœuf, pour sortir plus promptement d’une prison où l’on mettait de l’ail dans les ragoûts. » Nonobstant cette rechute et ce retour de son compagnon à son apathie et à sa sensualité, Cedric s’assit en face de lui, et l’imitant de son mieux, prouva bientôt que les malheurs de son pays ne l’empêchaient pas d’avoir un excellent appétit, surtout lorsqu’il se trouvait devant une bonne table.
Les prisonniers ne jouirent pas long-temps de leurs délices gastronomiques ; elles furent troublées tout-à-coup par le son d’un cor qui se fit entendre à la porte, et qui fut répété jusqu’à trois fois, avec autant de force que si celui qui en donnait eût été le chevalier errant devant lequel devaient s’écrouler les murailles et les tours, la barbacane et les créneaux, aussi rapidement que les vapeurs du matin sont chassées par le vent. Les deux Saxons tressaillirent sur leur siège, se levèrent aussitôt, et coururent à la fenêtre ; mais leur curiosité ne put être satisfaite, car les croisées donnaient sur la cour, et le bruit du cor venait de l’extérieur. Il semblait pourtant annoncer quelque chose de sérieux, à en juger par le soudain tumulte qui s’éleva dans le château.
- ↑ L’interlocuteur a une bien fausse idée de cette morale, et Walter Scott le fait parler d’après les ennemis les plus acharnés des templiers, ainsi qu’eussent parlé les bourreaux à la solde de Philippe-le-Bel. Les templiers faisaient vœu de pauvreté, sans être soumis à une pauvreté absolue, car par ce vœu on entendait qu’ils devaient être toujours prêts à partager leurs biens avec les malheureux, et même à les sacrifier pour les besoins de leur ordre. Ils faisaient vœu de chasteté, c’est-à-dire, d’avoir l’impudicité en horreur, afin de n’outrager ni la décence ni les mœurs. a. m.
- ↑ Voilà une calomnie gratuite comme toutes les précédentes et comme beaucoup d’autres qui vont suivre. Sir Walter Scott les a trouvées dans les écrits des moines ; mais sa raison judicieuse aurait dû faire la part des temps et des positions respectives. Nous ne prétendons pas soutenir que les anciens templiers aient tous été des modèles de sagesse et de vertu ; mais il y a loin de quelques faiblesses humaines à des perfidies et à des monstruosités. a. m.
- ↑ Une grave erreur typographique avait été commise ici dans les premières éditions.
Il y était dit que la sanglante bataille à laquelle il est fait allusion dans le
texte, livrée et gagnée par le roi Harold contre son frère, le rebelle Tosti, et ses
forces auxiliaires, Danois et Norses (habitants des îles Orcades), avait eu lieu à
Stamford, dans le comté de Leicester, et sur la rivière de Welland. L’auteur avait
commis cette faute en se confiant à sa mémoire et en confondant deux endroits du
même nom. Le Stamford, Strangford ou Stamford, où fut donnée la bataille, est un
gué sur la rivière de Derwent, à sept milles d’York. On y voit encore des débris ou
piliers d’un pont en bois sur lequel on se battit avec acharnement. Un seul Norwégien,
nouvel Horatius Codés, le défendit long-temps ; mais enfin, percé, à travers
les planches, par la lance d’un soldat qui se trouvait sur un bateau sous ce pont,
il succomba.
Dans le voisinage de Stamford sur la Derwent on retrouve encore plusieurs vestiges de la bataille, tels que des fers de chevaux, des épées et des têtes de hauberts ; un endroit s’appelle la Fontaine du Danois, et l’autre la Plaine de la Bataille.