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Jean Chrysostome/Après le retour de saint Chrysostome de son voyage d’Asie

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Première Homélie après son retour d’exil.
Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1894)


HOMÉLIE.

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APRES LE RETOUR DE SAINT CHRYSOSTOME DE SON VOYAGE D’ASIE.

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AVERTISSEMENT.

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Nous n’avons que le latin des trois opuscules suivants. Le texte est perdu ou caché quelque part. Ils sont néanmoins authentiques, ainsi que le prouvent les sujets, l’ordre des matières et le style. Saint Chrysostome fit le premier de ces discours sur la fin d’avril de l’an 409, le lendemain du jour où il revint de son voyage en Asie, voyage qui avait duré cent jours et qu’il avait entrepris pour arranger les différends de l’Église d’Éphèse et chasser les évêques simoniaques. Pendant son absence il avait été extrêmement regretté de son peuple qui le chérissait. Les habitants de Constantinople auraient désiré qu’il fût du moins de retour pour célébrer avec eux la fête de Pâques ; mais il ne put revenir qu’après ; c’est pourquoi il les console : « La Pâque, leur dit-il, se célèbre toutes les fois que nous participons au corps et au sang de Jésus-Christ. » Voici à quelle occasion fut prononcé le deuxième discours : Sévérien, évêque de Gabales, se trouvant à Constantinople, s’était, par de faux dehors, concilié l’amitié de saint Jean Chrysostome. Pendant le voyage que le saint archevêque fit en Asie, Sévérianus, croit-on, voulut profiter de son absence, pour s’attacher le peuple, en le détournant de celui qui avait son admiration et son amour. Saint Jean Chrysostome, averti par Sérapion, retrouva, à son retour d’Asie, une foule heureuse de le revoir, empressée à le féliciter ; et il ne parait pas s’être fort préoccupé de cette affaire. Mais voici qu’un jour la colère de Sévérianus contre Sérapion éclata en paroles impies ; le peuple s’agita, s’irrita, et l’évêque des Gabales fut chassé de Constantinople. Rappelé par les soins de l’impératrice Eudoxie, de l’empereur lui-même, il fut admis, quoique à contre-cœur, même par celui qu’il avait voulu supplanter. Le peuple était toujours furieux ; saint Jean Chrysostome pouvait seul le calmer ; de là les paroles qu’il lui adressa. Le lendemain  Sévérien monta en chaire et fit un éloge de la paix ; c’est le troisième des discours sur lesquels roule cet avertissement.
Moïse, ce grand serviteur de Dieu, le prince des prophètes, qui i ; e fit un chemin au sein de la mer, agita les espaces de l’air, dressa la table pour son peuple ; Moïse, exposé à la mort par celle qui lui donna le jour, recueilli par une femme qui était son ennemie (vous savez que sa mère ne lui donna que le jour, ce fut une Égyptienne qui le prit et le nourrit), Moïse, qui recevait en Égypte sa nourriture ; et qui conversait dans le ciel ; cet homme, qui érigea un si grand trophée, vous savez quel trophée ; cet homme, ce grand homme, après avoir quitté son peuple, pour quarante jours, le trouva fabriquant les idoles et respirant les séditions. Moi, je ne vous ai pas quittés pour quarante jours seulement, mais pour cent cinquante et plus, et je vous retrouve dans la joie, dans la sagesse, persévérant dans la crainte de Dieu. Suis-je donc plus élevé que Moïse ? Loin de moi cette pensée ! l’exprimer, ce serait le comble de la démence.
Mais ce peuple que je vois, a des pensées plus hautes que le peuple ancien ; aussi le grand Moïse, descendant de la montagne, réprimandait Aaron à cause de la sédition du peuple, et laissait tomber sur lui sa colère, parce qu’il avait acquiescé à leur volonté. Moi, au contraire, à mon retour, je vous adresse des éloges, et je veux vous tresser des couronnes. Car, si la prévarication nécessite l’accusation et la réprimande, au contraire, l’amendement des mœurs veut des éloges et des couronnes ; voilà pourquoi, quelque prolongée qu’ait été mon absence, je n’en éprouve aucun chagrin ; j’étais sûr de votre charité, de l’intégrité de votre foi ; je savais bien que mon épouse avait sa chasteté pour rempart, comme il arrive même entre les époux de la terre. En effet, l’homme qui sait que son épouse manque de pudeur, ne lui permet pas seulement de regarder hors de la maison ; est-il parfois contraint de voyager, vite il se sent forcé de revenir ; le soupçon, pour ainsi dire, l’aiguillonne ; tandis que l’époux qui sait avoir une épouse sobre et chaste, s’attarde sans inquiétude hors de sa maison ; pour veiller soir son épouse, pour la protéger, il lui a laissé une garde suffisante, ses mœurs. Voilà donc ce qui nous est arrivé, à moi, à Moïse. Il avait une épouse incorrigible, la synagogue ; il la laissa un moment seule, elle se livra à la fornication. Alors Dieu dit à Moïse : Allez, descendez, car votre peuple a péché. (Exo. 32,7) Mais moi, je n’ai reçu aucun ordre de ce genre ; et, quand il m’est survenu une légère indisposition, je ne me suis pas inquiété à vous savoir loin de moi, et, tranquille à votre sujet, j’ai attendu la guérison de mon mal. En effet, ce ne sont pas ceux qui se portent bien, qui ont, besoin de médecin, mais les malades. (Mat. 9,12)
Si je suis resté un peu de temps loin de vous, mon absence ne vous a causé aucun détriment ; au contraire, elle vous a servi, je pense, à augmenter vos richesses ; car ce que vous avez corrigé, grâce à mon zèle, ou plutôt par la grâce de Dieu, voilà votre couronne, voilà votre profit, votre avancement. Aussi, je suis dans la joie et je trépigne d’allégresse, et il me semble que j’ai des ailes, et la grandeur du ma joie, je ne puis l’exprimer. Que ferai-je donc ? Comment indiquerai-je le transport de mon âme ? J’en appelle au témoignage de votre conscience, puisque je vois que mon arrivée la remplit de joie : cette joie, c’est ma couronne et ma gloire. En effet, si ma présence, la présence d’un seul homme remplit un si grand peuple d’un tel plaisir, comprenez, si vous le pouvez, celui qui me vient de ce que je vous vois tous. Jacob ne voyait qu’un seul de ses fils, Joseph ! et le vieillard se réjouissait, et son esprit était récréé ; mais moi, je ne vois pas seulement un Joseph, mais je vous vois tous, qui lui ressemblez, et je m’en réjouis ; j’ai recouvré mon paradis, l’autre paradis ne le valait pas : vous savez bien que, dans celui-là, il y avait le serpent, toujours occupé à suggérer le mal ; ici, le Christ célébrant les mystères ; là, il y avait Eve exerçant ses séductions ; ici, c’est l’Église couronnant ses fidèles ; là, il y avait Adam qui se laissait séduire ; ici est le peuple qui demeure attaché à Dieu ; là, des arbres de diverses espèces ; ici, la variété des dons du Seigneur ; dans le paradis, des arbres se flétrissant ; dans l’Église, des arbres fructifiant ; dans cet ancien paradis, chaque plante persiste en son état ; dans ce paradis que vous me faites, si je trouve une vigne sauvage, je la rendrai une vigne fertile ; si je trouve un olivier sauvage, je le rendrai un bon olivier : car telle est la nature de cette terre où Jésus-Christ vous a plantés. Aussi je me réjouis, et j’oublie de vous rendre les comptes que je vous dois : mais comment se fait-il qu’un si longtemps m’ait tenu séparé de vous ? recevez ici mes comptes, ô mes bien-aimés. Quand vous avez envoyé quelque part un esclave qui a fait attendre son retour, vous exigez de lui les causes de ce retard ; il doit vous dire où il a séjourné si longtemps ; et moi, je suis l’esclave de votre charité ; car vous m’avez acheté, non pas en donnant une somme d’argent, mais en montrant votre charité. Je me réjouis d’un tel esclavage, je ne veux pas en être affranchi ; cet esclavage, qui m attache à vous, est pour moi plus beau que la liberté ; cet esclavage a marqué ma place à ce tribunal heureux ; cet esclavage n’est pas le joug de la nécessité, mais le choix de ma volonté. Qui hésiterait à se faire l’esclave de votre dilection, de votre affection si noblement belle ? J’aurais une âme de pierre, que vous l’auriez rendue plus tendre que la cire.
Que dirai-je de ces touchants souhaits, de cet empressement, de cet amour qu’hier vous m’avez montré ; de vos voix, de votre allégresse pénétrant jusque dans le ciel ? Vous avez sanctifié l’air, vous avez fait de la cité une église j’étais honoré, Dieu était glorifié, les hérétiques confondus, l’Église couronnée : car c’est pour la mère une vive joie quand ses fils sont dans l’allégresse. C’est un grand plaisir pour le pasteur, lorsque les agneaux du troupeau bondissent. J’ai goûté les joies de vos vertus ; j’ai appris que vous avez lutté avec les hérétiques, et comme ils ont mal agi à l’occasion du baptême, vous les avez repris et réfutés. Avais-je tort de dire qu’en l’absence de son époux, l’épouse chaste repousse les adultères ; qu’en l’absence du berger, elle chasse les loups ; que les matelots, sans le pilote, ont sauvé le navire : que les soldats sans leur général ont remporté la victoire ; que les disciples sans leur maître ont fait des progrès ; que les enfants sans leur père se sont fortifiés ? Je me trompe, il ne faut pas dire sans leur père : car votre avancement c’est ma joie ; votre glorification, ma couronne.
Mais nous désirions, dites-vous, faire avec vous la Pâque. Je veux satisfaire votre affection, puisque votre mécontentement s’est éteint du moment que mon retour a contenté vos yeux. Car, si le père en recevant l’enfant prodigue, se réconcilie aussitôt avec lui, ne réclame pas contre lui de châtiment, mais l’embrasse à l’instant même ; ainsi font, à bien plus forte raison, des enfants qui reçoivent leur père. Cependant je veux répondre même à ce que vous désiriez : c’est la Pâque que vous vouliez faire avec moi ; or personne ne vous empêche aujourd’hui de faire avec moi la Pâque. Mais peut-être me direz-vous : est-ce que nous ferons deux Pâques ? Non, mais une seule et la même, un grand nombre de fois. En effet, le soleil se lève toujours, et nous ne disons pas qu’il y a beaucoup de soleils, mais qu’il y a un soleil qui se lève chaque jour ; il en est de même de la Pâque : nous aurons beau la consommer toujours, la célébrer toujours, ce n’en est pas moins une seule et même solennité pour nous. Nous ne ressemblons pas aux Juifs, nous ne sommes pas esclaves de tel ou tel lieu, ni soumis à la nécessité du temps, affermis que nous sommes par la parole du Seigneur. Toutes les fois, dit-il, que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. (1Co. 11,26) En effet, nous annonçons aujourd’hui la mort du Christ. Mais c’est que la fête était à telle époque : eh bien ! aujourd’hui aussi, c’est la fête. Car où la charité se réjouit, là est la fête ; et où j’ai recouvré mes enfants qui se réjouissent, je célèbre la plus grande de toutes les fêtes. Et en effet, cette fête-là, c’est encore la charité, car Dieu, dit l’Apôtre, a tellement aimé le monde, qu’il a donné soit Fils unique pour lui. (Jn. 3,16)
Mais beaucoup de personnes, me dit-on, ont été baptisées en votre absence. Eh bien, après ? La grâce n’en est pas moins la grâce ; le don de Dieu n’en est pas infirmé : ces personnes n’ont pas été baptisées en ma présence, mais c’est en la présence du Christ qu’on les a baptisées. Est-ce que c’est l’homme qui baptise ? L’homme étend la main, mais c’est Dieu qui gouverne la main. Ne doutez pas de la grâce, mon très-cher frère, c’est le don de Dieu. Appliquez avec soin votre attention aux paroles qui se disent quand, par hasard, pour un motif quelconque, il faut expliquer un rescrit de l’empereur ; après avoir présenté vos prières, après avoir reçu la communication de l’empereur, vous ne recherchez pas la qualité de la plume dont il s’est servi, ni la qualité du papier, ni la qualité ou la nature de l’encre, mais voici uniquement ce que vous tenez à savoir, l’empereur a-t-il signé ? de même, en ce qui concerne le baptême, le papier, c’est la conscience ; la plume, c’est la langue du prêtre, la main, c’est la grâce du Saint-Esprit. En effet, soit par moi, soit par celui qui exerce les fonctions sacerdotales, c’est la même main, la main du Saint-Esprit qui écrit, nous ne sommes que des ministres, nous ne sommes pas les auteurs du mystère. Paul lui-même n’est qu’un ministre : Que les hommes nous considèrent comme les ministres du Christ, et les dispensateurs, des mystères de Dieu. Car qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? (1Co. 4,1, 7) Si j’ai quelque chose, je l’ai reçu ; or si je l’ai reçu, cela n’est pas de moi, mais de celui qui m’a octroyé le don. Ainsi ne doutez pas, mon très-cher frère ; car la grâce de Dieu a reçu son accomplissement. Le lieu n’est pas un empêchement, que vous soyez baptisé, soit ici, soit sur un vaisseau, soit chemin faisant. Philippe a baptisé dans la rue ; Paul, en prison ; le Christ, sur la croix, le larron crucifié à côté de lui, et aussitôt il a mérité d’ouvrir la porte du paradis.
De là, ma joie et mes transports, et je vous demande vos prières avec lesquelles j’ai fait le voyage d’Asie, avec lesquelles je suis revenu, avec lesquelles j’ai franchi les flots, vos prières qui m’ont aidé à obtenir une heureuse traversée ; je ne me suis pas embarqué sans vous ; je ne suis pas parti sans vous, je ne suis pas dans une cité quelconque sans vous ; dans une église, sans vous ; on m’avait, par le corps, arraché à vous, mais je vous restais joint parla charité. Car je voyais votre Église, même en fendant la ruer, et mon âme tressaillait de joie. Car c’est là ce que montre la charité qui ne se laisse pas emprisonner : j’entrais dans une église, je m’approchais de l’autel, j’offrais mes prières et je disais : Seigneur, conservez l’Église que vous m’avez confiée. Sans doute j’en suis absent par le corps, mais votre miséricorde y est présente ; c’est elle qui m’y a conduit, et qui m’a accordé plus que je ne méritais. Et la preuve que le Seigneur l’a agrandie cette Église, c’est la multitude de ceux que je vois présents. Je vois fleurir 1 s, vigne, et nulle part je n’aperçois d’épines, nulle part aucunes ronces ; les brebis bondissent, et pas un loup. Que si quelque part on en a découvert un, il se change en brebis. Car si grande est votre foi, si grande votre charité, que vous provoquez l’émulation. C’est le Seigneur lui-même qui vous a conservés, lui-même qui m’a ramené ; dans mon infirmité, j’ai senti le secours de vos prières, dont je vous demande pour chaque jour les suffrages. Mon voyage a été pour votre cité l’occasion d’une couronne : L’amour que vous me portiez dès le commencement, est maintenant manifeste pour tous. Absent, j’ai été pour vous comme si j’étais présent. Quand j’étais dans l’Asie, occupé à corriger les Églises, des voyageurs venus d’ici, me disaient en arrivant là-bas : vous avez embrasé la cité. On le sait bien pourtant, à la longue l’affection se fane ; au contraire votre attachement pour moi augmentait chaque jour. Et celui que vous aimiez ainsi pendant son absence, je crois bien qu’il vous arrive de l’aimer encore plus présent auprès de vous. Voilà le trésor que je vous dois, voilà mes richesses. Et aussi je vous demande vos prières. Vos prières sont pour moi un mur et un renfort. Ne dites pas, je suis languissant, comment pourrai-je prier pour le prêtre ? Écoutez la parole de l’Écriture : Or la prière était continuelle. (Act. 12,5) Et la prière de l’Église a brisé les liens de Pierre et dilaté la confiance de Paul pour la prédication. La prière a éteint la fournaise ; la prière a fermé les gueules des lions ; la prière a calmé la sédition ; la prière a ouvert le paradis ; la prière a fait tourner sur leurs gonds, pour les ouvrir, les portes du ciel ; la prière a fécondé celle qui était stérile ; la prière de Corneille a pénétré dans les dieux ; la prière a justifié le publicain. Voilà le renfort que je requiers de vous ; voilà la grâce que je demande : et puisse le Dieu de gloire, accueillant vos prières, mettre dans ma bouche un discours capable de fortifier le peuple qui m’a été confié et de le pousser dans les voies du salut, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient, comme à Dieu le Père, comme au Saint-Esprit, l’honneur, la gloire, la puissance dans les siècles des siècles Ainsi soit-il.