Journal d’un bibliophile/Une surprise — Quelques revues

La bibliothèque libre.
Imprimerie « La Parole » limitée (p. 29-32).


VI

Une surprise — Quelques revues


Pendant les trente ans que j’ai collectionné, il m’est souvent arrivé des surprises désagréables et agréables et dont la portée pouvait paraître inconcevable pour plusieurs.

Une fois, j’avais acheté d’un particulier un vieux livre rare. À quelques jours de là, j’étais à examiner ce volume, quand je constatai avec dépit qu’il lui manquait deux pages.

Ce livre, que j’estimais d’un haut prix, ne valait plus, par là, que presque rien pour moi.

Le particulier, de qui je le tenais, avait déménagé je ne savais où et il m’était impossible de faire une réclamation.

Il me fallut concentrer en moi-même ma colère et mon dépit.

Deux ans après, j’achetai, d’une dame Gauthier, quelques vieux livres et, le soir, je me mis en frais d’examiner mon acquisition.

En feuilletant ces livres, une feuille tomba, tout à coup, de l’un d’eux, et alla se déposer en voltigeant sur le parquet.

Je ramasse ce papier, jette les yeux dessus et, ô surprise ! agréable cette fois, c’étaient les deux pages qui manquaient au vieux livre acheté deux ans auparavant.

Le lendemain, j’allai aux informations. La famille Gauthier et la famille du particulier étaient parentes et le livre avait dû passer de l’une à l’autre.

C’était presqu’un miracle, toutefois, que cette feuille vînt, après deux ans d’absence, tomber dans mes mains.

Je continuai toujours à acheter de ces livres trouvés au hasard et, en 1912, j’avais quinze cents volumes canadiens et aussi plusieurs revues et publications de petit format : « L’Opinion Publique », « Le Monde Illustré », « L’Album Universel », « Le Bazar et la Kermesse », « Le Foyer Canadien », « Le Foyer Domestique », « La Revue Canadienne », « La Revue des Deux Frances », « La Revue Nationale », « La Bibliothèque Canadienne », « L’Étudiant » et « La Revue Franco-Américaine ».

Dans cette dernière revue, j’avais été intéressé par une annonce de vente de livres très rares.

J’écrivis à la revue et je reçus l’adresse de la Maison G. Ducharme, librairie de Montréal, qui ne s’occupait que de la vente de livres traitant de l’Amérique en général et surtout du Canada.

C’était mon affaire et, en quelques années (mon salaire et quelques transactions heureuses me permettant enfin de faire de telles dépenses), je m’étais procuré presque tout ce qu’il y avait d’important dans les ouvrages canadiens.

Dans les revues, j’avais ajouté : « L’Abeille », « La Ruche Littéraire », « Le Foyer Canadien », « Les Soirées Canadiennes », « Nouvelles Soirées Canadiennes », « La Feuille d’Érable », « Le Bulletin des Recherches Historiques », « La Nouvelle France », « Les Annales Criminelles Canadiennes », « Les Cloches et le Bulletin Historique de St-Boniface », « L’Album de La Minerve », « Échos du Cabinet de Lectures Paroissiales », « Le Canada Français » avec ses suppléments, « Le Canada-Revue », qui fut interdit par les autorités vu la violence des écrits de ses collaborateurs, « L’Annuaire Ville-Marie », « Le Naturaliste » et combien d’autres de moindre importance qu’il serait trop long d’énumérer ici.

J’avais aussi des ouvrages comme : « Répertoire National », quatre volumes ; « Mémoires de la Société Historique de Montréal », douze volumes ; « Mémoires de la Société Historique de Québec », huit volumes ; « Édits et Ordonnances », trois volumes ; « Lettres curieuses et édifiantes », vingt-six volumes ; les œuvres très complètes de l’abbé Casgrain et de Laverdière y compris « Le Journal du Maréchal de Lévis », douze volumes ; les œuvres de : F. Parkman, quatorze volumes ; Rév. J.-B. Proulx, quinze volumes ; Fréchette, Chauveau, Lemay, Chapais, Dionne, Roy, St-Maurice, d’Arles, Dugas, Taché, Sulte, Tardivel, etc., sans omettre les vieux ouvrages tels que : « Mère Marie de l’Incarnation », « Champlain » et ceux de Hennepin, Charlevoix, Bossu, J.-G. Shea, Lafitau, Lescarbot, Lehontan, Franchère, Sagard, les Relations des Jésuites, les œuvres de Martin, Vincent, Chabert, Ulao, la Collection de Manuscrits et tant d’autres ouvrages qu’il me faudrait un volume pour en classifier tous les auteurs.