Journal d’une enfant vicieuse/1-02

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Jean-Claude Lattès, collection Les classiques interdits (p. 37-53).
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CHAPITRE II

Les amours de Rose et de Valentine

Quelles heures j’ai passées avec mon amie Valentine Dangevert ! Je ne sais pas où commencer mon récit tant je suis encore troublée par le souvenir de ce que nous avons fait ensemble, et cependant j’eus tant de plaisir hier que je ne puis m’empêcher de me raconter, dans ce journal à moi-même, cette journée : ce sera une manière de me la rendre davantage présente à l’imagination.

Dès que j’entendis le bruit des roues sur le sable de l’avenue et le trottement des chevaux, je descendis en toute hâte pour aller au-devant de mon amie, si vite même que je tombai dans l’escalier, je me fis une bosse au front et je déchirai ma belle robe. J’étais déjà confuse et attristée de ma chute qui allait peut-être me valoir, à cause de ma robe gâtée, une sévère remontrance ; quand madame Dangevert, Valentine et ma tante entrèrent dans le vestibule. Je restai immobile et toute honteuse, ne sachant quelle contenance tenir : j’eusse bien voulu me sauver.

— Eh bien Rose, qu’avez-vous ? demandait déjà ma tante.

Manon qui passait me tira encore d’embarras.

— Mademoiselle était si pressée de voir madame Dangevert et son amie, qu’elle a failli se casser les bras, les jambes et la tête. Heureusement qu’elle en est quitte pour avoir déchiré sa robe.

— La pauvre enfant ! s’écria madame Dangevert, elle souffre peut-être beaucoup.

Tout le monde alors s’empressa autour de moi, et ma tante elle-même, dont j’attendais des claques, ne me donna que des soins et des caresses ; je fus si émue de tant de bontés que j’en avais les larmes aux yeux : on crut que je pleurais à cause du mal que je m’étais fait en tombant et ma tante me releva mes robes pour examiner mes genoux. Ils étaient écorchés et Valentine en voyant la plaie à vif ne put retenir un cri.

— Ce ne sera rien dit ma tante, je vais seulement mettre un peu d’arnica sur la plaie.

Après m’avoir fait ce pansement qui me causa plus de mal que ma chute, ma tante me dit d’aller me changer dans ma chambre. Valentine voulut m’accompagner et nous montâmes ensemble.

Valentine était plus jolie encore que l’année passée : je l’avais quittée maigre et pâle, et je la trouvais grassouillette, fraîche et rose. Ses yeux étaient plus vifs et plus malins que jamais, sa bouche, aux lèvres fortes, était entrouverte et découvrait les plus jolies dents que j’aie vues. Elle était coiffée et vêtue avec une élégance qui me fit honte. Même ma robe neuve, si j’avais pu la garder, eût paru bien pauvre auprès de la sienne, en soie rose à raies, aux ramages de dentelles. Elle portait sur son chapeau des plumes noires magnifiques ; et j’avais envie de jeter ma croix d’or quand je regardais les bagues qui lui ornaient les doigts. De la voir si bien mise alors que moi j’avais une toilette si négligée, je conçus un dépit et un ennui que je montrai d’abord beaucoup trop à Valentine, en ne lui répondant, à toutes les aimables et joyeuses questions qu’elle m’adressait, que par monosyllabes. Mais à peine commençais-je à me déshabiller, que voici Valentine empressée à me servir, elle tirait sur un lacet, elle dénouait, déboutonnait sans relâche. Quand je sortis, comme d’un sac, de mes robes et de mes jupes entassées sur le tapis.

— Oh ! fit-elle, comme tu as une jolie peau, et à la campagne, c’est extraordinaire !

J’étais confuse, je ne savais comment répondre à tant d’obligeance, et mon ressentiment contre elle commençait à se dissiper.

Tout d’un coup, comme j’allais passer une robe, je sentis qu’on me serrait les jambes et qu’on me baisait le bas du corps. C’était Valentine qui s’était agenouillée derrière moi et qui m’embrassait ainsi. Je devins toute rouge, mon cœur battit plus fort :

— Cesse, dis-je, cesse, si ma tante venait ! tu sais bien que ce n’est pas convenable de s’embrasser à cet endroit.

— Grosse bête, s’écria Valentine, et elle me donna un dernier baiser, laissa retomber ma chemise qu’elle avait retroussée et se releva.

En ce moment la cloche sonna pour le déjeuner ; j’achevai ma toilette à la hâte et nous descendîmes sans nous rien dire. À table nous étions placées l’une près de l’autre ; et entre chaque plat, Valentine approchait sa jambe de la mienne ou prenait ma main. Je dis après chaque plat, car Valentine est très gourmande et se bourrait de nourriture. Ma tante était assez choquée de voir que sa belle-mère lui avait si peu appris la sobriété et qu’elle redemandait de chaque plat après avoir été servie une première fois. Mais Valentine ne sembla pas plus gênée à la maison que dans sa chambre ; elle boit de grands verres de vin pur, mange énormément, et quand elle a bu et mangé se caresse le ventre, pousse un soupir de satisfaction et dit : « C’est joliment bon ! » Sa belle-mère semble tout à fait indifférente à son éducation, ne la complimente, ni ne la reprend, elle se contente d’éclater de rire quand Valentine lance une de ces réparties extraordinaires dont elle a le secret.

La nourriture, les vins de plusieurs sortes que nous avons pris, la longueur du dîner, la chaleur du jour, l’animation de la causerie, nous avaient donné quelque fatigue ; et nous fûmes heureuses de prendre l’air. Tandis que ma tante se promenait avec madame Dangevert, je fis visiter à Valentine le jardin. Comme nous passions dans une allée ombragée, voici que Valentine se jette à mon cou, me donne un baiser sur la bouche, tandis que sa main me touche entre les jambes. J’étais toute confuse, je regardai Valentine avec frayeur, comme si elle avait été le diable, mais elle était si jolie, avec ses dents et ses yeux brillants, que je l’embrassai à mon tour, tout en chassant sa main de l’endroit où elle l’avait mise. Nous allions ensuite nous asseoir dans la charmille. Valentine me dit :

— Ferme les yeux et ouvre la bouche. Je lui obéissais comme un petit chien, je fis ce qu’elle me demandait. Je sentis aussitôt qu’elle me mettait la langue dans la bouche et qu’elle y déposait une délicieuse praline. J’ouvris les yeux en souriant et je vis alors qu’elle avait dans ses mains toutes sortes de bonbons qu’elle avait pris à même au déjeuner dans la boîte. Je fus à la fois étonnée et amusée de son audace :

— Si on t’avait vue ? lui dis-je.

— Eh bien ! répondit-elle, qu’est-ce que cela m’aurait fait.

Cependant elle s’était mise une autre praline dans la bouche, et me l’avait offerte sur le bout de sa langue où je l’attrapai en avançant la tête, car j’étais près d’elle.

— Avance-toi, s’écriait-elle alors, et, me prenant par le bras, elle me força de m’asseoir contre elle et me mit une jambe entre mes jambes, tandis que sa main, à ma grande confusion, tantôt s’introduisait au bas de mon ventre, tantôt me caressait le bas de mes reins :

— Tiens, dit-elle, mets cette dragée dans ta bouche, mâche-la de manière à en bien sentir le goût et tu me la présenteras ainsi sur la langue comme je t’ai présenté la praline :

Je lui obéis. Elle mangea la dragée avec des yeux que je ne lui avais jamais vus. Elle semblait au Paradis. Elle me donna ensuite un baiser sur la bouche en me prenant la tête entre ses mains :

— Ma chérie, comme je t’aime ! s’écria-t-elle.

Je la baisai à mon tour pour la remercier, mais sans avoir le plaisir qu’elle semblait ressentir. Elle fut étonnée que je n’eusse pas mis dans ce baiser autant d’ardeur qu’elle-même et garda quelques instants un silence qui m’intimida. Soudain :

— Ma chérie, dit-elle lentement, quand tu es seule le soir dans ton lit, n’as-tu jamais l’idée… Elle s’arrêta, et moi très étonnée :

— L’idée de quoi ? dis-je.

Alors, comme elle allait parler, j’entendis la voix de ma tante qui m’appelait ; sans attendre la réponse de Valentine, je me mis à courir et elle suivit.

Ma tante nous dit que nous allions au Château-Rouge qui est à deux lieues de la maison et que madame Dangevert ne connaît pas. Elle nous ordonna de nous préparer à la hâte, parce que la voiture qui devait nous conduire était déjà à la grille du jardin.

— Quelle chance d’aller à Château-Rouge, dis-je à Valentine. Tu ne peux pas te figurer comme l’endroit est intéressant à visiter. Il paraît que la grosse tour a été bâtie du temps de Hugues Capet. Puis le pays est très beau.

Mais Valentine ne semblait pas prêter attention à mes paroles, quoique ses yeux ne quittassent pas mon visage.

Madame Dangevert et ma tante montèrent les premières en voiture, avec le médecin et le bailli qui nous accompagnaient. Comme la voiture était étroite, ma tante me dit de prendre Valentine, qui était moins grande que moi, sur mes genoux. Je m’assis donc entre les deux Messieurs avec Valentine sur moi.

Elle était assez lourde, mais je ne me plaignais pas de ma charge, au contraire, cela m’amusait de sentir ses grosses fesses sur mes genoux, et sans doute elle aussi éprouvait du plaisir à être assise sur moi, car de temps en temps elle se détournait de mon côté et me montrait sa bouche souriante et ses grands yeux tout brillants de joie. À un moment le bailli, qui était à ma gauche, passa la main sous mon derrière ; je fus près de jeter un cri ; je ne sais pourquoi je me retins.

Après trois quarts d’heure environ, nous arrivâmes à une auberge, où on laissa la voiture, puis nous nous dirigeâmes à pied vers le château qui était tout proche. Madame Dangevert fut surprise des beaux arbres qu’entouraient les remparts en ruine. Ma tante qui connaissait fort bien l’endroit pour y être venue plusieurs fois, nous servit de guide. Comme la compagnie s’engageait dans l’allée principale, Valentine me retint à l’entrée et lorsque tout le monde fut éloigné sans faire attention à nous, elle se jeta dans un petit sentier qui se perdait sous bois et me fit signe de la suivre. Quand nous fûmes toutes deux assez loin du chemin et au milieu des arbres, je commençais à avoir peur. Les yeux de Valentine avaient encore plus d’éclat que tout à l’heure.

— Asseois-toi là, me dit-elle, là tout près de moi. Je t’ai demandé de me dire ce que tu faisais le soir dans ton lit toute seule ; pourquoi ne veux-tu pas me répondre ?

— Mais, je ne fais rien.

— Oh ! tu ne fais rien, c’est-à-dire que tu ne veux rien m’avouer, mais je sais bien que tu mets ton doigt ici, comme cela, sous ta robe.

— Mon Dieu ! que faites-vous, Valentine, je ne sais ce que vous avez.

— Ne veux-tu pas que mon doigt remplace le tien ?

— Mais je vous assure que jamais pareille chose ne m’est arrivée.

— Pas de mensonges !

— Eh bien si ! autrefois, quand maman vivait je me suis chatouillée, mais on m’a dit que c’était très mal, on m’a même fouettée pour m’en punir, et je n’ai jamais recommencé.

— Petite peureuse ! Ici, du moins, personne ne peut nous voir et tu n’as nulle crainte à avoir. Mais tu me souris, tu ne te défends pas, allons donc ! je savais bien que tu aimais cela.

Valentine m’avait relevé mes jupes et ma chemise et me frottait le bouton tout en me donnant de temps à autre des petits baisers sur la bouche. J’étais très effrayée, je craignais à tout moment que ma tante ne passât près de nous, puis, mon amie elle-même, je dois le dire, m’épouvantait, à voir ses regards, à entendre ses soupirs, je la croyais en proie à des souffrances infernales, je la croyais damnée, et pourtant elle était si belle et ses caresses si agréables que je m’abandonnais à elle. Bientôt, sans cesser de me frotter le bouton, de son autre main, elle me caressa le derrière, puis entr’ouvrant mes fesses elle chercha le petit trou et introduisit lentement son doigt. Pour du coup, je n’y tins plus, je tombai sur l’herbe et je me pâmai de jouissance. Je me relevais toute honteuse, avec l’idée d’avoir sali ma robe et défait ma coiffure quand Valentine me dit :

— Oh ! l’égoïste ! elle s’amuse toute seule et oublie ses amies. Ne pourrait-elle donner aux autres les plaisirs qu’on vient de lui procurer.

À ces mots elle trousse elle-même ses jupes et conduit mes mains, mais je suis trop inhabile, je n’arrive qu’à lui faire mal. Alors d’un geste elle me dit de cesser, se sert elle-même de ses doigts et n’est pas longtemps sans ressentir mon plaisir, mais au lieu d’en avoir comme moi du repentir et de la honte, elle ne finit ses divertissements que pour les recommencer. Sur son ordre, je m’étendis par terre, les jambes ouvertes, elle s’étendit elle-même en face de moi, avance son corps entre mes cuisses, lève les jambes et se frotte son bas du ventre contre le mien ; toutes deux, en même temps, ressentîmes du plaisir.

Quand elle se releva :

— Sens-moi donc les doigts, dit-elle, comme ils sentent bon !

Elle les respira comme un bouquet et me les passa sous le nez en riant.

Cependant, les divertissements que nous avions pris après les copieux dîner de l’après-midi, nous avaient causé quelque émotion dans les entrailles. Et nous eûmes toutes les deux besoin de nous accroupir ; moi j’avais honte de cette opération, et je cherchai, pour y satisfaire, à m’éloigner de Valentine. Quelle fut ma surprise, alors que je pensais m’être dérobée à ses regards, de la voir tout près de moi également accroupie et qui, en me considérant avec un sourire, poussait la charge de son ventre avec des cris de boulanger qui pétrit le pain, non sans lâcher des rapides et nombreuses détonations auxquelles ne manquait ni le bruit ni l’odeur. Elle se releva sans hâte, arracha des feuilles et des poignées d’herbe et, debout, se nettoya les parois de ses fesses, les robes sur les épaules, ne craignant pas de me montrer sa nudité et l’ordure qui la salissait, enfin elle laissa tomber ses jupes et, me prenant par la main, elle se mit à sauter.

Nous nous étions attardées, le soleil déjà bas, et le bois s’obscurcissait.

— Mon Dieu ! fis-je, que vont dire ma tante et madame Dangevert. Puis, allons-nous les retrouver ?

— Vilaine peureuse ! me répondit Valentine, quand donc prendras-tu un peu d’assurance ?

Valentine avait raison, en quelques minutes nous avions retrouvé l’allée du Château-Rouge, où nous aperçûmes ma tante et ses invités :

— Où étiez-vous donc ? dit madame Dangevert.

— Ah ! s’écria Valentine, nous avons fait une grande promenade.

— Petite malpropre, dit alors ma tante, vous voulez donc avoir la correction, que vous salissez ainsi votre robe.

J’étais toute tremblante de penser à l’idée du châtiment dont on me menaçait. Mais madame Dangevert plaida pour moi :

— Oh ! laissez-la donc, dit-elle, à la campagne il faut bien que les enfants s’amusent.

Et ma tante ne me battit point. Nous montâmes en voiture ; Valentine et moi étions un peu fatiguées de nos jeux ; et nous somnolions durant la route. À peine étions-nous arrivées, que nous soupâmes ; après le souper ; madame Dangevert partit avec sa fille. Quels adieux Valentine et moi nous nous fîmes ! Nos parents furent étonnés de notre tendresse, mais n’en devinèrent pas la cause :

— Écris-moi, reviens ! lui dis-je en la quittant.

Elle me le promit en me donnant un dernier baiser, elle s’en alla avec sa belle-mère.

Depuis je pense souvent, avec des remords et, je dois l’avouer, beaucoup de plaisir, à cette belle journée où Valentine eut une si bonne idée de négliger le Château-Rouge pour le bois où nous nous sommes tant amusées.

Aujourd’hui, après le déjeuner, je suis allée aux latrines où je me suis amusée comme Valentine me l’a montré. Je recommencerai ce soir dans mon lit quand j’aurai soufflé la bougie, et je penserai, pendant mon plaisir, au joli corps de Valentine. Si ma tante me voit, tant pis ! D’ailleurs elle ne s’en apercevra pas.

Manon est venue comme j’écrivais mon journal. Je lui ai fait respirer mon doigt :

« Sens, lui ai-je dit, je viens de le mettre dans mon cul. »

C’était vrai. Pour me punir de mon indécence, elle m’a claqué le derrière, je lui ai claqué le sien, et nous nous sommes amusées à nous battre pour rire, jusqu’au moment où, entendant le pas de ma tante, nous avons cessé de jouer et nous sommes toutes deux devenues sérieuses, moi m’appliquant à un résumé d’histoire sainte, et Manon s’occupant de ranger la chambre.