Journal de voyage d'un Troyen en Extrême-Orient et autour du monde/de Batavia à Singapour

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Je gagne le quai où se trouve le Godavery, je monte à bord et je retrouve tous les officiers surpris de me voir revenir si vite. Mais l’affluence est grande et il va falloir être deux dans ces petites cabines. Je vais trouver le commissaire et obtiens d’avoir une cabine de 2me, mais à trois couchettes pour moi tout seul. Comme en outre elle est à tribord, j’aurai seulement le soleil du matin.

Je m’installe ; il y a trente passagers de première, on a dû faire deux tables, celle du commandant et celle du commissaire. Je suis à la première, tout près du commandant, à côté de l’agent de Singapour qui revient d’un congé. Nous faisons un peu connaissance.

Après déjeuner, je veux aller faire la sieste, car je me sens un peu fatigué, mais il fait trop chaud et je ne puis dormir. Je remonte sur le pont et attends patiemment le dîner. Cette fois, il faut se mettre en noir. Le dîner se passe assez gaiement ; j’ai pour voisin un Russe polonais très drôle, il parle mal le français et n’arrête pas de causer. Après dîner il me raconte ses affaires. C’est un ingénieur des mines qui vient de passer sept mois à Java à faire des recherches de mines d’or, il emporte des échantillons et va tâcher de fonder une société pour l’exploitation d’une mine.

En ce moment, à Java, tout le monde se porte sur les mines d’or ou de pétrole. Comme d’autre part le café a énormément baissé, les planteurs sont obligés de vendre leurs plantations n’ayant pas d’argent pour cultiver et n’en trouvant pas à emprunter même sur hypothèques.

Si j’étais resté plus longtemps à Java et si j’avais trouvé une plantation, j’aurais fait peut-être une association avec M. F… Mais il doit me tenir au courant si une occasion se présente. Il suffit de trouver une bonne plantation et un bon gérant. Je veux bien le faire, mais avec le concours de M. F… qui pourra en surveiller le rendement en intéressé. D’abord il n’y aurait qu’à nettoyer sans récolter, en attendant un relèvement des cours qui ne peut pas manquer de se produire d’ici un ou deux ans, alors on récolte et on obtient d’un coup un joli bénéfice.

Mon Russe me raconte aussi son séjour à Java et me tient ainsi jusqu’à onze heures. Je vais pour me coucher, mais ce n’est qu’à une heure que je parviens à m’endormir, tant il fait chaud. Je n’ai pourtant qu’une petite culotte et m’évente sur mon lit, le hublot tout grand ouvert.


Jeudi 3 mars.

Je me lève à 6 heures et vais à la douche, où il y a déjà foule, en raison des deux seules cabines.

Dans la journée, nous avons eu un ou deux nuages qui ont crevé sur le bateau, cela a un peu rafraîchi le temps et il fait moins chaud quand nous allons nous coucher.


Vendredi 4 mars.

Nous arrivons en vue de Singapour, mais comme nous sommes à marée basse, nous sommes obligés de faire le tour des îles pour arriver par le grand chenal. C’est très joli, toutes ces îles. Il y en a une où sont installées les casernes d’artillerie anglaises, de grands feux brûlent continuellement pour débarrasser les versants des collines des arbres et végétations qui pourraient gêner la vue et masquer l’ennemi. Enfin, nous abordons au wharf.