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Julie philosophe ou le Bon patriote/I/08

La bibliothèque libre.
Poulet-Malassis, Gay (p. 87-107).
Tome I, chapitre VIII


Julie philosophe, Bandeau de début de chapitre
Julie philosophe, Bandeau de début de chapitre

CHAPITRE VIII.

Entrevue avec un Matador hollandais. Heureux changement dans la fortune de Julie. Elle devient patriote. Physique de M. Van Vlieten. Désagrément cuisant pour une femme. Amours secrètes de Julie avec un officier hollandais. Elle se détermine à l’accompagner à Utrecht.


C’est souvent lorsque nous nous y attendons le moins que la fortune se plaît à nous sourire et à nous combler de ses faveurs. Un jour que j’étais à la fenêtre, absorbée dans les réflexions que ma situation devait naturellement m’occasionner, je fus distraite par la vue d’un riche équipage qui vint à passer. Un homme d’un certain âge s’y trouvait ; il m’aperçut, me fixa et mit la tête à la portière pour me considérer plus longtemps. Une femme est toujours flattée d’être remarquée, surtout par un homme du rang dont paraissait être le Monsieur en carrosse. Cependant la légère satisfaction que ma vanité avait éprouvée, fut bientôt dissipée ; j’oubliai l’espèce d’impression que j’avais paru faire sur ce Seigneur pour reprendre le fil de mes sombres contemplations. Le lendemain, à peine étais-je levée, que l’hôtesse entra dans ma chambre. Félicitez-vous, Julie, me dit-elle. Vous avez eu le bonheur de plaire à un de nos bourgmestres régents. Il doit venir vous voir ce soir incognito. Ne négligez rien pour lui rendre cette entrevue la plus agréable possible. Il est riche et généreux ; vous serez récompensée largement.

Flattée d’avoir pu fixer l’attention de ce matador hollandais, j’employai toutes les ressources de la toilette pour relever le peu de charmes que j’ai reçus de la nature. À l’heure indiquée, le Seigneur régent parut ; il fut introduit dans la chambre la plus apparente du musico où je l’attendais, il me salua d’un air plus poli que mon état ne devait me le faire espérer. J’ai reconnu à votre air, me dit-il, que vous étiez Française, et l’intérêt que votre figure m’a inspiré n’en a fait qu’augmenter, car j’aime beaucoup votre nation. Je remerciai le Hollandais. Insensiblement la conversation s’anima ; le régent parut content de la manière dont je m’exprimais, il le parut encore plus de celle dont je répondis à ses caresses. Bref il fut si satisfait qu’il me dit, qu’il était résolu de m’entretenir.

On peut juger du plaisir que me causa cette proposition, par l’ennui et le dégoût que j’éprouvais au musico. Je témoignai ma reconnaissance au régent, et l’assurai que je ne négligerais aucun moyen de mériter sa tendresse. Après un entretien dans lequel je m’efforçai d’augmenter l’impression que j’avais faite sur lui, il me quitta, en me disant que j’aurais dans peu de ses nouvelles.

Le régent tint parole. Le lendemain une femme vint me chercher avec une voiture de remise, et me conduisit dans une maison d’une assez belle apparence, située à l’extrémité de la ville. Je fus encore plus satisfaite de l’intérieur ; les appartements étaient meublés avec autant de goût que de richesse ; toutes les commodités s’y trouvaient réunies. La femme qui m’avait amenée me dit que cette maison et tout ce qu’elle renfermait m’appartenaient, que je n’avais qu’à commander, qu’elle et une jeune fille que j’allais voir paraître étaient destinées à me servir. Elle me remit en même temps une bourse du Seigneur régent.

Le même soir ce dernier vint à ma nouvelle demeure. Dès qu’il parut je lui sautai au col et lui prodiguant les plus tendres caresses, je lui témoignai dans les termes les plus capables de lui peindre ma gratitude, l’agréable étonnement que me causait sa générosité bienveillante. Tendresse et fidélité, voilà ce que je vous demande en retour, me répondit-il. Du reste rien ne vous manquera et tous vos désirs seront satisfaits.

Cette seconde entrevue fut encore plus animée que la première ; le Hollandais paraissait vivement épris : de mon côté, la reconnaissance suppléa à l’amour, car j’avouerai au lecteur que je ne me sentais pas pour M. van Vlieten (c’était le nom du régent) ce principe de tendresse, cette douce propension qui entraîne notre âme par un mouvement subit vers l’objet avec qui elle correspond, et qui forme le premier nœud de cette liaison des cœurs qu’on nomme amour, par laquelle la jouissance acquiert un nouveau prix.

M. van Vlieten ne ressemblait presque pas à ceux de sa nation. Il était poli, affable, galant et généreux ; ses manières, ses discours n’avaient rien de cette roideur compassée qui caractérise les Bataves. Sa conversation était des plus gaies, et quoique les fonctions de sa dignité, et les occupations d’un commerce étendu, absorbassent la plus grande partie de son temps, il n’avait point ce sérieux, cette espèce de taciturnité que donne une trop grande contention d’esprit. Lorsqu’il était avec moi, le négociant, l’homme d’État faisait place à l’homme aimable, à l’agréable libertin. J’ai dit qu’il aimait beaucoup les Français ; on aime toujours ceux à qui on ressemble. M. van Vlieten avait encore une autre raison de leur être attaché ; on sait qu’à l’époque dont je parle, la République de Hollande était divisée en deux partis, dont l’un était attaché au Stadhouder, et l’autre connu sous le nom de parti Patriotique, était secondé sous main par la France. La ville d’Amsterdam était le chef-lieu de ce dernier parti, et tous ses Régents, de zélés républicains ; M. van Vlieten se distinguait surtout parmi ceux-ci ; lorsque les transports de l’amour faisaient place à un entretien plus calme, il se plaisait souvent à m’instruire de l’état des affaires de la Hollande, de la division qui y régnait et de l’espoir qu’avaient les Patriotes de réussir dans leurs projets. J’ai toujours aimé la liberté, et je la regarde comme le fécond principe de la vie. Le Régent Amsterdamois n’eut donc pas de peine à faire de moi une prosélyte de la cause ; j’y pris bientôt le plus vif intérêt, et j’étais républicaine dans l’âme. Ces sentiments ne firent qu’augmenter la tendresse de M. van Vlieten pour moi ; il allait au devant de tous mes désirs : tous ceux que je pouvais former étaient sur le champ satisfaits, et d’une manière qui ajoutait un nouveau prix au bienfait : enfin, j’étais heureuse, si on peut l’être sans amour et sans volupté.

Lecteur, ne t’impatiente pas, je vais te mettre au fait de cette restriction qui a dû d’abord t’étonner. Tu sauras que M. van Vlieten, doué très généreusement par la nature, quant au moral, ne l’était que très médiocrement quant au physique. Lorsque cette bonne mère jeta au moule le Républicain Batave, il est à croire que l’étoffe lui manqua et qu’elle ne put faire la queue de la pièce en proportion égale avec le reste. Bref, M. van Vlieten avait un modèle du plus mince volume, tant pour la longueur que pour la circonférence ; outre cela, il n’était rien moins qu’un Hercule ou un Mirabeau ; souvent dans nos tête-à-tête, il enflamma mon imagination par ses propos libertins ; il exaltait mes sens par ses caresses lascives, sans pouvoir éteindre le feu qu’il avait allumé. Ces suppléments, dont l’invention fait plutôt la honte que la gloire de l’homme, et qui attestent bien plus encore leur faiblesse que leur génie, n’étaient point capables de satisfaire des désirs portés à un degré trop éminent. J’étais comme Tantale, je voyais le fruit sans pouvoir y atteindre et la continence à laquelle j’étais forcée, était d’autant plus dure pour moi, que tout contribuait à faire naître en moi des impressions qui lui étaient contraires. Souvent lorsque par mes caresses j’étais parvenue à faire prendre au modèle de mon amant cette consistance, agréable précurseur du plaisir, je voyais tout-à-coup mon espoir trompé ; il mollissait lâchement, et son volume déjà peu considérable, diminuait presque jusqu’à une nullité absolue. Il faut être femme et aimer le plaisir comme je l’aimais, pour savoir jusqu’à quel point on peut être fâché d’une pareille disgrâce, surtout lorsqu’elle est souvent réitérée. Aussi les qualités véritables qu’avait mon amant, disparurent bientôt à mes yeux, et tous les agréments dont je jouissais avec lui perdirent pour moi presque tout leur prix.

Femmes, qui me blâmez, vous êtes sans tempérament ou de mauvaise foi.

Mais, me dira quelque lecteur indulgent, vous étiez une sotte : n’auriez-vous pas pu concilier votre intérêt avec votre goût pour le plaisir, et donner secrètement au Hollandais quelqu’adjoint qui vous eût amplement dédommagée de l’abstinence forcée à laquelle l’incohérence de son modèle invalide vous réduisait ?

Jeune homme, répondrai je à ce lecteur, (car à coup sûr c’en est un) si tu as pu croire que cette idée ne m’est pas venue, je ris de ton inexpérience : étudie mieux les femmes, tu apprendras qu’en pareil cas, leur imagination ne reste jamais en défaut, et qu’elle s’exerce avec toute l’énergie dont elle est susceptible, sur tous les moyens d’atteindre un but vers lequel toutes leurs facultés les entraînent avec une force qui rend le succès assuré, pour peu qu’il soit possible. Mais il était difficile de trouver un expédient qui pût me procurer les douceurs d’une liaison nouvelle, sans rompre celle qui subsistait avec le Régent Amsterdamois, et que la reconnaissance me faisait une loi de respecter. J’ai dit que la maison que j’habitais était absolument isolée ; l’une des deux femmes qui me servaient ne me quittait point d’un instant ; je ne doutais pas que mon amant ne l’eût chargée de me surveiller, et quoiqu’il ne m’eût pas paru jaloux, j’étais assurée qu’il n’eût pas vu d’un bon œil que je partageasse avec un autre des faveurs dont il ne pouvait pas jouir aussi souvent qu’il l’aurait voulu ; je désirais donc plutôt que je n’espérais de trouver l’occasion de former une liaison secrète, mais j’étais bien résolue de la saisir si elle venait se présenter. J’étais dans ces dispositions d’esprit, lorsqu’un matin me promenant dans mon jardin, j’aperçus à travers une grille qui donnait sur la campagne, un jeune homme vêtu d’un uniforme, et dont l’air et la taille svelte me charmèrent ; par un mouvement involontaire je m’approchai de la grille, pour mieux le considérer. Il traversait un sentier dont la direction oblique l’approchait insensiblement de l’endroit où j’étais. Arrivé en face de la grille, ses yeux se portèrent de mon côté ; et je crus remarquer que ma figure l’avait frappé, car il s’arrêta et resta quelque temps à me considérer ; ensuite, par un mouvement assez décidé, il quitta le sentier, s’approcha de la grille, et me saluant avec une noble aisance : Madame est Française, me dit-il, car l’élégance de son costume et ses grâces que rien ne peut imiter, ne me permettent pas d’en douter. Ce compliment, auquel je répondis de mon mieux, fut suivi de plusieurs autres. L’Officier était beau comme Narcisse et taillé en Hercule, remarque qui, soit dit en passant, m’intéressa bien autant que la première. Insensiblement la conversation s’anima entre nous, et les discours de ce jeune homme ne firent qu’augmenter l’impression qu’il avait faite sur moi. L’Officier m’apprit entr’autres, qu’il était Capitaine d’un corps franc nouvellement levé par le parti Républicain. Je fus charmée de voir qu’il était patriote, car depuis mes liaisons avec M. van Vlieten, je l’étais devenue à l’excès, et en m’unissant au Régent Amsterdamois, j’avais cru consolider encore les liens du parti patriotique et de la France.

Comme je craignais d’être surprise par une de mes femmes, je ne pus faire durer cet entretien autant que je l’aurais voulu, et je m’excusai de ne pouvoir rester plus longtemps à la grille. L’Officier, après quelques instances pour m’engager à prolonger une conversation qui avait, disait-il, des charmes inexprimables pour lui, me demanda la permission de me rendre visite ; cette demande m’embarrassa, mais comme je me suis toujours piquée de franchise, et que cette sincérité s’accordait d’ailleurs avec mon inclination naissante, j’appris tout uniment à l’Officier la nature de mes liaisons avec M. van Vlieten, en lui faisant cependant entendre que j’étais fâchée de ne pouvoir faire une plus ample connaissance avec un jeune homme qui me paraissait si aimable. À ces paroles, le visage de l’officier s’anima, et la joie brilla dans ses yeux. — Rien de si aisé, Madame, me dit-il, que de concilier vos devoirs et la bienséance avec ce principe de bienveillance que vous vous sentez pour moi, et pourvu que j’aie votre aveu, je saurai bien surmonter toutes les difficultés qui s’opposent à la continuation d’une liaison qui fera mon bonheur : vous pouvez d’ailleurs compter sur ma plus parfaite discrétion.

L’Officier n’eut pas de peine à me persuader ; mon cœur et mes sens plaidaient trop en sa faveur. Je lui donnai donc rendez-vous pour le lendemain au même endroit ; il fut ponctuel. Comme j’avais eu soin de tenir mes femmes occupées, je me livrai sans crainte aux charmes d’une conversation qui devenait de plus en plus attrayante pour moi. L’Officier me jura qu’il m’adorait ; de mon côté, je ne lui cachai point le tendre intérêt qu’il m’avait inspiré, et après quelques moments de cette résistance que les femmes employent plutôt pour augmenter les désirs que pour les réprimer, mon nouvel amant me fit consentir à lui donner des preuves plus convaincantes de tendresse que d’amoureuses protestations. Nous convînmes que la nuit suivante il escaladerait le mur du jardin, et que je l’attendrais dans un cabinet de verdure situé au fond. La grille qui nous séparait laissait en certains endroits un espace assez large ; l’Officier, avant de prendre congé, me demanda un baiser ; je ne pus le lui refuser : ce baiser qui fut donné de la manière la mieux conditionnée, fit sur moi l’effet de l’étincelle sur la poudre ; des désirs impétueux s’élevèrent au fond de mon cœur ; mon amant s’en aperçut : sa main qu’il passa entre les barreaux de la grille, en fourrageant mes charmes, augmenta encore le désordre de mes sens. L’ardeur amoureuse de l’Officier égalait la mienne ; l’éclair de la volupté brillait dans ses yeux. Il me proposa un essai qui, me dit-il, ne pouvait manquer de réussir. La proposition était trop de mon goût pour que je ne m’y prêtasse pas ; nous nous collâmes contre la grille, et quoique la position ne fût pas des plus commodes, l’amour qui s’élève au dessus de tous les obstacles, nous enivra de ses délices, et nous jouîmes complètement. J’ignore comment la grille ne se fondit pas, puisqu’elle se trouvait entre deux feux.

Nous ne nous séparâmes qu’après nous être promis de répéter la nuit suivante, cette douce besogne, d’une manière plus commode et plus conforme à la vivacité de nos désirs. Le soir, M. van Vlieten vint me voir ; la comparaison que je fis en moi-même de lui avec mon jeune Officier, ne fut pas à son avantage, et il m’en devint, sinon odieux, du moins encore plus indifférent. Je feignis un grand mal de tête pour qu’il ne prolongeât pas sa visite dans la nuit, comme il avait quelquefois coutume de le faire. À l’heure convenue, je me rendis au jardin ; mon Officier s’y trouvait déjà ; il n’avait pas eu de peine à escalader le mur au moyen d’une échelle ; nous nous rendîmes au cabinet de verdure ; un lit de gazon fut le théâtre de nos tendres épanchements, et là nous nous livrâmes à tous les transports de l’amour. Autant la nature s’était montrée avare envers le Régent Amsterdamois, autant s’était-elle montrée généreuse envers le guerrier batave. Après deux heures d’entretien qui nous parurent deux minutes, et pendant lesquelles nous ne cessâmes de nous plonger dans une mer de volupté, nous prîmes nos mesures pour nous voir fréquemment en secret, sans que le Régent pût s’apercevoir de notre intimité.

Dès que l’Officier se fut retiré, je regagnai le plus doucement possible mon appartement ; les douces fatigues que je venais d’essuyer me procurèrent un sommeil profond qui ne fut troublé que par des images agréables et analogues à la scène qui l’avait précédé. L’espèce de régime auquel le délabrement du physique de M. van Vlieten m’avait réduit, augmentait encore à mes yeux le prix des plaisirs que l’Officier m’avait fait goûter ; il m’en devint encore plus cher, et je soupirais déjà après le moment qui nous réunirait une seconde fois.

Ce moment tant désiré revint ; le jour suivant j’eus une nouvelle entrevue avec mon jeune amant : je me hasardai même à l’introduire dans ma chambre. Cette agréable intrigue dura environ deux mois sans que rien ne vînt la troubler : l’amour rend ingénieux ; je prenais si bien mes précautions, que mes femmes ne s’aperçurent de rien ; pour M. van Vlieten, il aurait gagé tous les vaisseaux qu’il avait en mer, que j’étais un modèle parfait de fidélité : une femme dupe toujours un homme quand elle le veut, quelque fin que celui-ci soit d’ailleurs ; il semble même que sa crédulité, en matière amoureuse, soit en raison inverse de son habileté, j’ose même dire de son génie dans les autres objets qui n’y ont point de rapport. Je parierais presque qu’il n’est pas un des grands hommes fameux dans l’histoire qui n’ait été la dupe de sa maîtresse toutes les fois que celle-ci l’a voulu.

Un soir que van Hove (c’était le nom de mon Officier) s’était rendu près de moi comme à son ordinaire, il m’apprit qu’il avait reçu des ordres pour aller rejoindre son corps qui était à Utrecht, et qu’il allait être forcé de se séparer de moi ; on peut juger de la douleur que me causa cette nouvelle ; une certaine sympathie autant que l’attrait du plaisir m’attachait à lui. Après avoir versé quelques larmes : Mon cher ami, lui dis-je, je ne puis vous exprimer combien ce que vous venez de m’apprendre m’afflige ; je ne chercherai point à vous retenir, je sais qu’il est des devoirs qui doivent passer avant tout, et dans le cœur d’un jeune guerrier, l’amour de la gloire doit sans doute l’emporter sur une liaison formée par le plaisir, mais n’est-il pas de moyen de concilier l’une avec l’autre ? Permettez-moi de vous accompagner ; si je vous suis aussi chère que vous le dites, vous ne me refuserez point ce que je ne crains pas d’appeler une grâce ; je vous suivrai partout, et je partagerai vos peines comme vos plaisirs.

Van Hove parut vivement touché de la tendresse que je lui témoignais et de la preuve signalée que je voulais lui en donner ; il me répondit que la proposition que je venais de lui faire lui était autant agréable qu’à moi ; mais, ajouta-t-il, je ne suis point riche, il s’en faut bien que je puisse vous faire le même sort que M. van Vlieten, et en acceptant votre offre, je crains de vous faire manquer à vos intérêts. — Ne parlez point, interrompis-je, d’une chose qui mérite si peu l’attention des âmes d’une certaine trempe ; le vil intérêt ne dominera jamais dans mon cœur, il l’emportera encore moins sur l’amour. Jamais je ne ferai dépendre mon bonheur de ce qui fait le fondement de la félicité du plus grand nombre. D’ailleurs, ma tendresse pour vous est bien capable de me faire passer sur toute autre considération. Je renoncerai sans regret à l’espèce de fortune dont je jouis ; votre cœur, mon cher van Hove, me tiendra lieu de tout.

Mon amant parut charmé de ma résolution : nous prîmes nos arrangements pour partir ensemble, et nous nous séparâmes également satisfaits l’un de l’autre.


Julie philosophe, vignette fin de chapitre
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